TITRE II : UNE MODIFICATION SOUS-ESTIMEES DES RAPPORTS
ENTRE ACTEURS
83. Le droit de la propriété intellectuelle est
le « reflet d'une époque, de sa culture politique, de son
environnement économique », ce qui en fait un droit «
nécessairement évolutif »90. Le
progrès a constamment été le moteur du droit et des
avancées sociétales. Et qui mieux que le droit peut-il illustrer
cette progression ? Face à un idéal d'élaboration
juridique, la réalité ne semble pourtant pas être aussi
resplendissante. Nous avons pu voir les différents écueils de la
législation actuelle. Qu'il s'agisse de la qualification même
d'une frange non négligeable des utilisateurs de « pirates
», des mesures techniques de protection abandonnées
après avoir démontré leur inefficacité relative ou
une offre légale non satisfaisante, le droit n'a pas encore pris la
mesure pleine et entière des nouvelles possibilités offertes par
le numérique et il est nécessaire d'en parfaire les contours.
84. Dès 2002, les phénomènes de
contrefaçon démocratisés ont d'après ces
producteurs entraînés une diminution des ventes, de 50% en 5 ans,
alors que l'industrie du disque connaissait auparavant une progression annuelle
de 2 à 3%. Les majors n'ont eu d'autre choix que de recourir à la
restructuration pour limiter les pertes, en divisant par deux leurs effectifs,
réduisant leurs investissements pour les artistes et leur nombre dans
leurs catalogues. Pour certains, la conclusion est frappante : « La
piraterie a donc eu pour effet de conduire à un appauvrissement de la
création musicale en terme de diversité, de chances pour un
artiste de rencontre un public. Et si cela continu, il n'y aura plus de
productions nouvelles »91. Un tel constat, aux allures de
fin du monde artistique, laisse pourtant sceptique. Rappelons que l'art se
définit par lui-même et la création se fait ex
post, sans idée de rétribution. Un musicien compose, un
artiste peint, un auteur écrit, non tant pour être
rémunéré, mais par un élan artistique, telle une
nécessité d'extérioriser une pulsion de l'art. Le
raisonnement n'est pas identique dans les domaines à investissement plus
importants, et l'on pense directement à l'industrie
cinématographique ou à l'univers des jeux vidéo, mais en
matière musicale, il n'est nul doute que l'élaboration d'une
maquette ne demande pas, en principe, d'investissements majeurs. Bien
évidemment, avec des moyens réduits, l'artiste ne peut en faire
son activité principale ou recourir aux instruments les plus
perfectionnés. Mais de là à sonner le glas de la
création, il semble exister un gouffre.
85. Le courant du copyleft, tendant à modifier le
droit d'auteur actuel, repose notamment sur un principe particulier : Le
numérique a modifié l'économie de l'art et le droit
d'auteur a été spolié à ses titulaires originaux
par des industriels non contributeurs à l'expansion artistique. Cette
idée est résumée au plus simple dans l'Anthologie du Libre
d'Olivier Blondeau et Florent Latrive :
« Lorsque les artisans du Libre évoquent
l'échange, la connaissance et le partage, les gardiens de la
création entendent piratage, copie et plagiat. Lorsque les libres
enfants du savoir parlent de
90 L. Marino Thémis, op. cit., p.12
91 V. de Beaufort, op. cit. p.117
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contribuer au savoir collectif, une coalition mêlant
les plus avides businessman et nombre d'idéalistes convaincus de la
justesse de leur combat leur rétorque : Vous allez étouffer la
création »92.
86. L'on peut définir le droit de plusieurs
manières. Sans entrer dans des considérations théoriques
complètes, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'une
réponse à des phénomènes sociaux, culturelles,
économiques, et ce plus particulièrement en matière de
propriété intellectuelle. L'internet a troublé des
postulats et visions d'un monde matériel, en bouleversant les
réalités dans nombres de domaines. Permettant de donner la part
belle au débat et entraînant de profonds bouleversements dans les
schémas économiques classique et de répartition des
fonctions le numérique a bouleversé les rapports entre l'auteur
et le producteur (Chapitre I), ainsi que ceux de l'auteur avec son public
(Chapitre II).
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