CHAPITRE I : DES RAPPORTS AUTEUR-PRODUCTEUR
BOULEVERSES
87. Trois à quatre générations. C'est le
degré de protection dans le temps conféré par la
protection communautaire du droit d'auteur à son titulaire, pour 70 ans
post mortem auctoris. Cette durée particulièrement
longue -L'on rappellera que celle-ci s'expirait initialement 20 ans
après la publication de l'oeuvre-, est vue par certains comme le
lobbying des industries culturelles, personnes morales. A l'image de
Joëlle Farchy, cette durée de protection ne se justifie pas, et
perd tout son sens lorsque les droits sont cédés auxdites
personnes morales : « Des pans entiers de ce qui aurait pu tomber dans
le domaine public sont ainsi privés d'une diffusion large au profit des
intérêts de grandes compagnies »93
88. Ces grandes compagnies se comptent sur les doigts d'une
main tout en concentrant 71.7% des parts de marché sur le marché
mondial des ventes de productions musicales représentant plus de 50
milliards de dollars: Universal Music Groupe (38.9%), Sony Music Entertainment
(21.5%) et Warner Music Groupe (11.3%)94.Agents économiques
qualifiés de producteurs, il s'agit de personnes morales, organisant et
finançant l'enregistrement de l'interprétation de l'artiste, ce
qui implique notamment la location d'un studio et la rémunération
des musiciens. Celui-ci devient généralement le
propriétaire de l'enregistrement une fois terminé et en assure
alors la fabrication, commercialisation et promotion95.
89. Progressivement, les critiques qui s'élevaient de
prime abord contre le droit d'auteur se déplacent vers les producteurs.
Les dérives de ces derniers n'ont pas manqué d'interpeller
certains auteurs, à l'image de Joost Smiers pour qui ces industriels de
la culture ne sont qu'une simple copie des patent box. Ces entreprises
amassent les oeuvres, se font céder les droits attachés, et
juridicisent la création : Ces nouveaux titulaires ont alors un
comportement frénétique de protection stricte et
systématique de leurs droits par des règles contractuelles
sévères ou actions en justice systématiques,
92 J. Farchy, Internet et le droit d'auteur, la
culture Napster p.74
93 J. Farchy, « Le droit d'auteur est-il
soluble dans l'économie numérique ? » p. 22
94 [en ligne]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Major
(industrie musicale) (consulté le
07/06/2014)
95 A. Bertrand, op. cit. p.16
32
face à des artistes aux faibles moyens de
réponse. Le producteur serait-il donc non pas un auxiliaire de la
création96, mais un frein à la création ?
90. Certains auteurs opposent donc la liberté et la
culture à l'industrie musicale. Une position peut-être
exacerbée, exagérée, mais reflet d'une
réalité. En effet, les industriels de la musique, ou Majors, ont
toujours su profiter d'une situation monopolistique en leur faveur (Section 1),
qui semble progressivement leur échapper aujourd'hui au profit d'une
société de l'information qui remet en cause la balance
économique de l'industrie musicale (Section 2).
Section 1 : Une situation classiquement monopolistique
au profit des Majors
91. Certains économistes soulignent que l'expansion du
droit d'auteur favorise avant tout les investisseurs et non les
créateurs et interprètes97. Ces cessionnaires de
droits, vastes groupes internationaux, font appel aux marchés
financiers, son côtés dans la plupart des grandes bourses et
tendent à conserver une position de surpuissance et l'on ne doute pas
que l'apparition de nouveaux acteurs, modes de financement et techniques les
amènent à se défendre par l'attaque, en qualifiant
automatiquement ces nouveaux phénomènes de contrefaçon, de
« piratage » ou de
parasitisme98. Ces réactions ne sauraient
étonner si l'on se penche sur l'historique des comportements de telles
industries. Les phonogrammes furent un temps vus comme une menace pour les
vendeurs de partitions, les radio « pirates » sont devenues des
radios « libres », le magnétoscope était
qualifié d'outil privilégié et dédié
à la copie contrefaisante, et aujourd'hui, la situation n'est pas
nouvelle, seul l'objet des craintes évoluent.
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