Paragraphe I : La surpuissance économique des
« Big three »
92. Le système économique dominé par
quelques grands producteurs apparaît profondément
déséquilibré. Peu d'artistes sont
rémunérés et tous sont soumis à des conditions leur
étant peu favorables, qu'il s'agisse du partage des marges sur les
ventes de CD, la soumission à des contrats d'exclusivité... La
musique est devenue indéniablement une industrie, entraînant une
concentration abusive de ses revenus. Par exemple, une étude a pu
montrer que 1.8% des auteurs-interprètes recevaient à eux seuls
71.9% des droits reversés par la SACEM tandis que 66.8% des
sociétaires ne touchaient aucuns droits99. Par ailleurs,
cette puissance économique des Majors leur permet d'imposer leurs choix
musicaux, et ainsi, d'imposer une certaine culture musicale. La même
étude a pu montrer par exemple qu'en 2011, 1.8% des titres du catalogue
SACEM représentaient 73.9% des diffusions totales de titres via
radiodiffusion100. Cette concentration culturelle semble
néfaste et est parfois même
96 Idem.
97 J. Smiers, 2001« L'abolition des droits
d'auteur au profit des créateurs » » in Réseaux
Volume 19 n°110/2001 - Editions La Découverte p.61
98 M. Dulong de Rosnay et H. Le
Crosnier, op. cit. p. 55
99 Voir annexe 2
100 Voir annexe 3
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considérée comme contraire à «
un modèle de société démocratique et
républicain »101. Par ailleurs, alors que l'auteur
reçoit 9% du prix d'un disque physique et 10% du prix d'un
téléchargement, les maisons de disque perçoivent
respectivement 50.4% et 61.6% du prix total. Cette surpuissance
économique se traduit donc par une faible rémunération des
auteurs102.
93. Comme dans tout rapport de force
déséquilibré, c'est aussi dans les contrats que la
surpuissance s'exprime. Outre les contrats d'exclusivité souvent conclus
entre un artiste et un producteur, une enquête103 a
dévoilé la pratique contractuelle des minimums garantis, seuils
versés par la plateforme de musique en ligne pour exploiter le catalogue
des maisons de disque. La plateforme Jiwa par exemple a admis avoir
versé en 2010 plus de neuf-cent mille euros aux grandes Majors, dont
quatre-cent mille uniquement à Sony Music. Ces seuils, indexés
sur les parts de marché attendues de l'exploitation, peuvent donc
rapidement s'avérer astronomique. Au regard de la proportion d'artistes
détenus par de telles entreprises, un éditeur ne semble donc pas
avoir de prime abord d'alternative pour diffuser des titres d'artistes sous
contrat en toute légalité. Perspective décourageante,
supporter l'intégralité du risque d'exploitation des catalogues
par les éditeurs pour des risques de pertes tout aussi importants
n'encourage pas nécessairement ceux-ci à respecter les droits
d'auteur, tant la chape financière apparaît écrasante, a en
entraîner parfois la faillite des éditeurs104
94. Pourtant, des alternatives existent pour financer les
auteurs. Dailymotion en est un bon exemple. Site de streaming permettant
à tout un chacun de mettre ses films à disposition du public, le
site a mis en place une veille permettant de s'assurer que les vidéos
postées ne contreviennent pas aux droits de leurs titulaires. La
rémunération des auteurs se fait par la publicité. Plus la
page est visitée, plus l'artiste est rémunéré. En
2012, 90% du chiffre d'affaire du site était lié aux
bannières, 10% aux publicités insérées dans les
vidéos. Le modèle de Dailymotion n'est pas d'acheter les droits
des auteurs, mais de « partager le revenu publicitaire, ce qui, sans
doute, explique [qu'ils n'aient] qu'un acteur partenaire au sein de l'industrie
musical (Universal) »105, les perspectives de
rentabilité de ce nouveau modèle étant sans doute moins
certaines que dans le cadre des pratiques de minimum garanti.
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