Paragraphe II : La surreprésentation lobbyiste
des « Big three »
95. Les producteurs n'hésitent pas à se
constituer sous forme de groupes de pression afin d'influencer les organes
délibérants en vue de verrouiller Internet et conserver leur
101 « Assurer une juste rémunération aux
artistes » [en ligne]
http://framazic.org/sinformer-et-comprendre/assurer-une-juste-remuneration-aux-artistes/
(consulté le 07/06/2014)
102 Voir Annexe 5
103 P. Astor, 2010, « Numérique et gestion
collective, les minimums garantis exigés par les majors au coeur de la
polémique » [en ligne]
http://www.zdnet.fr/actualites/numerique-et-gestion-collective-les-minimums-garantis-exiges-par-les-majors-au-coeur-de-la-polemique-39712721.htm
(consulté le 07/06/2014)
104 « Fermeture du site de musique en ligne Jiwa
» Le Monde, 03/08/2010
105 M. Guez, « Confrontation de
business models : l'introduction de modèles économiques et
juridiques des nouveaux entrants » in V. de Beaufort, op. cit.,
p.123
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monopole. Cet interventionnisme s'exprime à tous les
niveaux, et notamment au niveau national, avec la loi HADOP et européen,
avec la Directive DADVSI.
96. Selon les Majors, un milliard de titres sont
téléchargés chaque année en France, ce qui
correspond à un manque à gagner de plus de dix millions d'albums,
et près de 80% des utilisateurs se sont rendus coupables au moins une
fois d'acte de piraterie106. Un postulat qui mérite
d'être pris avec des pincettes, puisque l'on peut partir du principe
opposé selon lequel les « pirates » sont souvent ceux
qui n'ont pas les moyens de se procurer l'oeuvre au prix original. Selon les
majors, un titre téléchargé illégalement correspond
à un titre qu'elles n'ont pu vendre. 4 français sur 5 sont
qualifiés de « pirates », c'est-à-dire de criminels.
Fer de lance de leur campagne lobbyiste, attentivement écoutés
par le législateur, certains gardent un goût amer de ces
déclarations. En premier lieu, la CNIL « constate avec une
certaine amertume que les seuls motifs évoqués par le
gouvernement afin de justifier la création du mécanisme
confié à l'Hadopi résultent de la constatation d'une
baisse du chiffre d'affaire des industries culturelles. Or, le projet de loi
n'est pas accompagné d'une étude qui démontre clairement
que les échanges de fichiers via les réseaux pair-a-pair sont le
facteur déterminant d'une baisse des vente »107.
D'autant que les chiffres avancés auraient été
multipliés par 12 pour prendre en compte « la marge d'erreur
»108.
97. Autre indice de cette influence conséquente sur
les organes décisionnaires, l'argument selon lequel le
téléchargement illégal aurait entraîné une
perte de chiffre d'affaire des Majors. S'il s'agit effectivement d'une
réalité quant au marché de la vente de disques, il
apparaît que depuis 2005, les revenus de la vente de musique digitale ont
fait un bon de 1.2 milliards de dollars à près de 6 milliards,
depuis 2008, l'industrie des concerts est passée de 12 milliards de
dollars à 26 milliards109. Alors que l'industrie de la
musique sonnait l'alarme et clamait son effondrement, la réalité
semble toutefois être bien différente. Ainsi, une
règlementation fondée sur de fausses données ne nous
semble que devenir inexorablement déséquilibrée.
98. Dans un système français ou la place des
lobbys est difficilement assumée, contrairement à la situation
législative aux Etats-Unis, leur rôle reste néanmoins
essentielle. Il est légitime qu'un groupe intervienne dans
l'élaboration d'une règle qui aura vocation à leur
être appliquée. Le droit tend vers l'utilité publique,
l'intérêt générale, et le contradictoire permet
manifestement de tirer la qualité du travail intellectuel vers le haut,
et servir l'intérêt général. Malheureusement, cet
aspect contradictoire semble cruellement manquer au travail législatif
en matière de droit d'auteur, la plupart des artistes étant
encore peu sensibilisés à la propriété
intellectuelle et laissant à leurs producteur le soin de gérer
les considérations juridiques. De fait, son élaborées des
législations ultra-
106 O. de Tissot, « Confrontation de business models :
« piraterie » informatique et rémunération des auteurs,
artistes interprètes et producteurs », idem, p131
107 Idem p.132
108 « Les chiffres du piratage cités par le
Ministère sont multipliés par 12 » Le Monde
07/04/2008
109 Recorded Music and Internet Mobile from PWC, 2012, Global
Entertainment and Media Outlook
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protectrices des cessionnaires de droits et ne se questionnant
que trop peu sur la situation du créateur. Pourtant, le numérique
vient bouleverser ce schéma classique, l'avènement de la
société de l'information permet une plus grande connaissance des
droits et devoirs de chacun et les autres acteurs sont amenés à
se prononcer plus fréquemment et fortement, ayant pour
conséquence un rééquilibre des force dans la balance des
projets législatifs et règlementaires, et ne justifiant plus
l'omnipotence des grands producteurs tels qu'ils sont aujourd'hui.
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