Section 2 : Un déclin annoncé de la
figure classique du producteur
99. Avec la fusion de Sony Music Entertainment et BMG
Entertainment ainsi que le rachat d'EMI Group par Universal Music Group, deux
majors sur cinq ont disparu en cinq ans. Si les principaux
intéressés avancent comme principale raison la crise de
l'industrie du disque, c'est peut-être avant tout une réelle crise
interne d'un modèle inadapté au numérique qui est remis en
cause. Cette perte de puissance trouve des justifications aussi bien
économiques, par des politiques archaïques (I) que culturelles, par
la remise en cause sociétale de l'industrie musical (II).
Paragraphe I : Des politiques de protection
archaïques
100. Qu'il s'agisse du rapport Levy-Jouyer, Cedra, Attali ou
Cohen-Verdier, la conclusion est unanime : « Les industries
culturelles se préoccupent d'avantage de la préservation des
acquis que de la recherche de profits tirés des nouvelles
possibilités ouvertes par l'ère numérique
»110. Reposant sur un système de rente, ce
modèle économique s'effrite progressivement. D'une part parce que
de tels industries perdent leur place privilégiées dans
l'ère numérique, où les réseaux centralisés
de distribution de la musique sont délaissés au profit de
réseaux décentralisés, ou tout du moins
concurrencés. Par ailleurs, l'industrie est frappée en son centre
par une crise interne majeure. Alors qu' à la baisse des ventes de CD
physique est opposé le téléchargement illégal, l'on
peut interpréter cette diminution du chiffre d'affaire par la perte
d'attrait d'un tel support, vieillissant, encombrant et onéreux au
profit du format numérisé111. D'une
bibliothèque matérielle rapidement encombrante et
poussiéreuse, l'on peut passer à une bibliothèque sans
réelle limite tenant sur des milliers de Giga octets et une
poignée de centimètres concentrés sur une clé USB.
« En restant focalisée sur la crise du CD, l'industrie du
divertissement n'a [ainsi] pas cherché à innover afin d'utiliser
toutes les potentialités d'internet. De plus, les grands disquaires
(Fnac, Virgin, etc.) ont fait un choix délibéré de
réduire considérablement leur diversité de CD, diminuant
ainsi d'autant plus l'intérêt d'acheter un disque
»112
101. Position archaïque donc. Archaïque car
rébarbative. Après un véritable âge d'or de
l'industrie du disque dans les années 1970 et 1980, où le disque
vinyle était vendu à plus
110 V. de Beaufort, op. cit. p.105
111 Comme nous avons pu le mentionner
précédemment, même si le format privilégié
(mp3) est vieux de plus de 20 ans, il reste encore bien plus avancé que
le format classique CD-ROM
112 « Assurer une juste rémunération aux
artistes », op. cit.
36
de 60 millions d'unités chaque année. Puis en
l'espace de dix ans, la vente chute à à peine plus de deux
millions d'exemplaires113. Alors que l'invention des cassettes,
walkman et CD-Rom apparaît la raison la plus plausible d'un tel
déclin, l'industrie préfère avancer la contrefaçon
encouragée par ces nouveaux procédés. Et pourtant
l'industrie a su par la suite s'adapter et tirer profit de ces nouvelles
avancées technologiques. Dans le même temps, la K7 permet de
réaliser des copies privées, et l'industrie soutient alors
l'impact d'une telle pratique sur le secteur musical, qui n'a pourtant pas tant
pâti de cette situation. Ces schémas semblent se renouveler de
façon identique avec l'avènement du numérique, avec encore
une fois des arguments tirés du comportement malsain des utilisateurs.
La chute peut donc avant tout s'expliquer par la nécessité pour
l'industrie musicale de se réorganiser et s'adapter, et une fois cette
évolution effectuée, si la situation est identique pourrait-elle
de nouveau retrouver sa croissance antérieure.
102. Le constat apparaît donc frappant : L'industrie
musicale ne sait pas anticiper les effets des mutations technologiques et
restent cramponner à ses acquis et à un business model
vieillissant avant de s'adapter. Le protectionnisme agressif de l'industrie
musical marque toutefois les esprits. Et malgré une volonté
tardive mais non inutile de s'adapter au numérique, il n'est pas certain
que le public soit en mesure d'accepter encore la position de force d'un acteur
pourtant encore particulièrement puissant.
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