Paragraphe II : La remise en cause culturelle de
l'apport du producteur
103. Avec une législation catégorisant les
utilisateurs et les taxant de criminelles avec légèreté,
il n'apparaît pas étonnant que les « webers » et autres
« bloggeurs » s'élèvent et contre-attaques. Pour
Olivier Tissot114, le terme même de pirate est contestable. Il
ne faut en effet pas oublier ce qu'est en réalité la piraterie.
Le téléchargement, « est exempt de toute violence contre
les personnes, à la différence des actions normalement
définies par ces termes. Les pirates de la mer ou les pirates de la
route sont généralement lourdement armés et ne craignent
pas de blesser ou de tuer leurs victimes dans le seul but de s'enrichir
injustement, alors que les pirates du téléchargement en menacent
[...] personne et ne cherchent généralement pas à
s'enrichir. C'est donc par un véritable abus de langage qui n'est
évidemment pas innocent car il assimile à des dangereux criminels
les pratiquants de ces téléchargement »Les Majors
elles-mêmes n'hésitent pas à reconnaître leurs erreur
et par la même perdre un peu plus d'une légitimité
déjà mise à mal : Guy Hand, directeur de la Major EMI, a
par exemple déclaré publiquement que la perte de chiffre
d'affaire sur les CD musicaux n'était non pas due à la piraterie
mais essentiellement à « la frilosité des politiques
économiques menées par les majors depuis l'émergence
d'Internet comme grand média »115. Ainsi
parviendrait-on à éradiquer toute forme de contrefaçon
numérique qu'il ne serait pas évident que le marché des CD
physiques repartirait à la hausse116.
113 « Parts de marché du Vinyle depuis 1980 : De
l'apogée au déclin » [en ligne]
http://www.vinyle-actu.fr/parts-de-marche-du-vinyle-depuis-1980-de-lapogee-au-declin
(consulté le 07/06/2014)
114 O. de Tissot « Confrontation de business models :
piraterie informatique et rémunération des auteurs, artistes
interprètes et producteurs » op. cit. p129
115 Cédric. L., 2008 « Guy Hand prévoit de
licencier 2.000 employés chez EMI » Numérama
116 V. de Beaufort, op. cit. p. 133
104.
37
De plus, si les majors sont titulaires d'un nombre
impressionnant de droits et que leurs catalogues sont remplis d'artistes et
auteurs, certains pensent qu'ils ne participent pas - contrairement à
leur leitmotiv- à la création musical mais qu'il s'agit au
contraire des producteurs indépendants qui découvrent et
financent les jeunes artistes et nouveaux talents, avant que ceux-ci
décident de rejoindre les sphères des grands producteurs aux
contrats plus attrayants117. En effet, les majors produisent 75% des
CD mis en vente mais ne produisent que 25% des nouveaux artistes mis pour la
première fois sur le marché. Les petits producteurs sont
réellement ceux qui prennent les risques financiers de produire les
jeunes auteurs inconnus avant de les voir rejoindre les majors ou se faire
eux-mêmes racheter par celles-ci118.
105. D'autre part, une partie du public remet en cause le
« star system » mis en place par l'industrie musicale. Ce
modèle économique vise en fait à surproduire un artiste,
voire de le formater pour le public le plus large, et par la suite
bénéficier d'une situation de rente à long terme. Cette
« économie de l'art » semble éloignée des
fondements mêmes de la création artistique et certains
considèrent qu'elle entraîne une diminution
particulièrement grave de la qualité des oeuvres diffusés
et consultables, et par la même une diminution du niveau de
sensibilité artistique du public français, comme le montrent les
meilleurs ventes françaises. « Souvenez-vous bien que le titre
« Quand il pète il troue son slip » est passé en
tête des ventes devant Daft Punk aujourd'hui récompensé de
six Grammy Awards devant le monde entier » 119. Pour Rachid
Ferrache, « la France est remplie de [bons artistes] faisant mieux en
home studio que tout ce qu'on nous sert à longueur d'année. Mais
les labels continuent de les ignorer, proposant des compilations hommages
». Son constat est sans appel : « La puanteur musical [...]
a vendu plus de singles, non pas parce que les gens aiment, mais parce que des
connards en on fait la promo, [...] ciblant les gamins de neuf ans
déjà abrutis par les [émissions] de la télé
réalité ». Des mots durs, peut-être trop forts,
mais qui a obtenu de nombreuses critiques en son sens. Les discours inverses,
remettant en cause la crédibilité d'une telle position, mettent
néanmoins en exergue la réalité de la production actuelle
certains lui opposant, en s'adressant directement à lui que les labels
et producteurs sont soumis « (...) aux dictats du marché, de la
monnaie qui doit remplir les caisses, et [si vous étiez producteur] vous
ne changeriez rien, ou vous feriez faillite en tentant de promouvoir des
artistes talentueux, certes, mais pas vendeurs »120. L'on peut
donc considérer que les producteurs n'ont pas pour objectif de
réduire la qualité artistique, ou de profiter de leur position de
force pour obtenir des conditions contractuelles désavantageuses pour
leurs partenaires, mais que la loi du marché, la loi du plus fort, les
oblige à mettre en place des standards de qualité et de
rentabilité nécessaire pour pouvoir perdurer dans la production
musical.
117 Idem. p136
118 Idem.
119 Ferrache, R. 2014, « La France ce n'est pas Daft
punk... », [En ligne]
http://www.zealjournal.com/la-france-ce-nest-pas-daft-punk-lindustrie-musicale-francaise-se-prend-une-belle-soufflante-par-rachid-ferrache/
(consulté le 04/06/2014)
120 De la Biche A. , 2014, Lettre
ouverte en réponse à Rachid Ferrache. [En ligne]
http://www.musicalementnotre.fr/2014/02/lettre-ouverte-en-reponse-rachid.html
(consulté le 04/06/2014)
106.
38
Face à des professionnels vus comme des
exploitants de la création, une partie du public n'hésite alors
pas à se revendiquer du « syndrome de robin des bois
»121, en revanche contre les producteurs et leurs
bénéfices substantiels. Pendant longtemps, il a été
avancé que les intérêts des grands producteurs
étaient les mêmes que ceux des artistes. Postulat inexact puisque
« l'artiste crée pour l'amour de l'art [...] alors que les
industries créent uniquement pour l'argent qu'elles ont à y
gagner »122. Le droit d'auteur devient un droit pour
l'industrie culturelle, détaché des intérêts du
public et des auteurs. Et de ce constat naissent les contestations de ces
laissés pour compte qui revendiquent une plus grande écoute, mais
« encore faut-il pour cela que le droit d'auteur s'adapte à
l'ère numérique. S'il ne le fait pas de bon gré, il le
fera de force I »123.
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