Paragraphe II : Une offre légale aux
résultats mitigés
80. Il semble exister un gouffre entre la
théorie de l'offre légale et son effectivité. De
nombreuses critiques affluent à l'encontre de cette labellisation.
Premièrement, l'on peut critiquer cette « tentative
d'étiquetage d'Internet » qui reviendrait à «
jeter l'opprobre et à rejeter dans l'illégalité des
pratiques de partage que la société elle-même ne condamne
[pas] »82. D'autre part, une labellisation qui se veut -et
se présente- jeune, mais qui repose sur un système payant, de
fichiers mp3 dont la qualité est de plus en plus critiquée
après 20 ans d'existence, et certains n'hésitent d'ailleurs pas
à en faire la satire83. D'autre part, si le label permet
l'apposition d'un logo sur le site en cause, peu l'effectue. Ainsi, à
moins d'avoir visité le site de référencement de l'Hadopi,
la labellisation perd tout son effet d'identification.
81 Hadopi, biens
culturels et usages d'internet : pratiques et perceptions des internautes
français. 2ème vague barométrique. 18 mai
2011
82 2013 « Le
mirage de l'offre « légale » et ce qu'il nous coûte
» [en ligne]
http://scinfolex.com/2013/05/12/le-mirage-de-loffre-legale/
(consulté le 07/06/2014)
83 « Le mp3, ce nouveau phénomène
qui gagne Internet » 2014 [en ligne]
http://www.legorafi.fr/2013/02/27/le-mp3-ce-nouveau-phenomene-qui-gagne-internet/
(consulté le 07/06/2014)
81.
28
Mais un des gros écueils de l'offre légale
semble être son manque de qualité et de variété. Une
célèbre bloggeuse a décidé en 2013 d'enquêter
sur l'ensemble des sites proposés par la plateforme Hadopi et le constat
apparaît effarant, voire même effrayant84. Films «
mal catalogués, sites bugués, sites hors-ligne, sites
compatibles uniquement avec les mobiles ou uniquement avec un accès
ADSL, voire des sites ne proposant absolument aucune vidéo ou
téléchargement », des sites qui « ne
fonctionnent pas, des téléchargements qui échouent [...]
et globalement une demi-douzaine de saisons orphelines de séries en VF
qui se battent en duel avec des clips des années 90 (sic) ».
Pour exemple, le site Mega Vod référencé renvoi à
plus de 11.000 résultats lorsqu'il est associé à «
arnaque » dans les recherches Google, de quoi
décrédibiliser l'ensemble d'une initiative pourtant
originellement louable. Ainsi, une fange des utilisateurs de l'Internet perdent
toute confiance en des sites pourtant créés par initiative
étatique, et sont sans aucun doute encouragés à se tourner
vers une offre illicite présentant dans le même temps une
réelle communauté et un contrôle des administrateurs. Et un
budget de 3 millions d'euros annuel pour la campagne de labellisation ne peut
que renforcer ce sentiment de méfiance. A côté de ces
constats extrêmes, peuvent également être mis en avant le
manque de diversité dans les choix proposés, le manque de
nouveautés (Aucun site français n'est aujourd'hui capable de
retransmettre à quelques jours d'intervalle une série
diffusée aux Etats-Unis en version sous-titrée) l'absence de
versions originales sous-titrées. Et en matière musicale, la
capacité pour les sites de supprimer le contenu pourtant
téléchargé de façon
discrétionnaire85... Dans le même temps, le rapport
Link Storm de l'Hadopi du 13/03/2013 mettait quant à lui en
exergue le manque de visibilité de l'offre légal dans les moteurs
de recherche86. Bref, un dialogue de sourd entre
l'offre et la demande...
82. Comment expliquer que cette offre demeure « peu
diversifiée, coûteuse et difficile d'accès ?
»87. 82% des utilisateurs trouvent l'offre légale
trop chère88. Pour Jean-Yves Mirski,
représentant des éditeurs et distriuteurs vidéos,
l'étude serait pourtant biaisée par le manque
d'objectivité des consommateurs, qui auraient tendance à
systématiquement répondre par l'affirmative à la question
« payez-vous trop cher ce service ?
»89. Si en effet, payer de manière
légale semble être a priori plus attractif que de ne pas payer de
manière illégale, ces considérations
révèlent un problème de fond des débats autour du
numérique : le manque de confiance des professionnels à
l'égard des utilisateurs, qui seraient toujours enclin à se
tourner vers l'illégalité. Il semble présomptueux
d'apporter une réponse à cette question complexe, à savoir
la capacité des utilisateurs à accepter d'acheter des contenus,
en se tournant vers une légalité
84 Klaire, 2013, « Ivre, Hadopi adopte le
label PUR foutage de gueule » [en ligne]
http://www.klaire.fr/2013/06/10/ivre-hadopi-adopte-le-label-pur-foutage-de-gueule/
(consulté le 07/06/2014)
85 Voir Annexe 7
86 Linkstorm,
Département Recherche, Etudes, et Veille 13/03/2013
87 V. de Beaufort, op. cit. p.105
88 Baromètre de l'offre
légale, 1er baromètre-étude
quantitative Avril 2013 Hadopi Département Recherche,
Etudes et Veille
89L. Gallet, « La Hadopi
relève une offre légale bien visible mais trop chère
» [en ligne]
http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/telechargement-illegal/actualite-554580-hadopi-mesurer-succes-offre-legale.html
(consulté le 07/06/2014)
29
payante plus que vers une illégalité gratuite.
Cette opposition de front entre ayants-droits et utilisateurs remonte aussi
loin que l'Internet s'est démocratisé. Mais la force de frappe
des ayants-droits, et notamment de l'industrie de la culture musicale, lui a
permis de se faire rapidement entendre des organes délibérants,
ayant alors mis en place des règlementations peut-être plus
tournées vers le respect des ayants-droit que des utilisateurs. Ce
déséquilibre a entraîné de nombreux
dysfonctionnements, comme nous avons pu le remarquer dans les
développements précédents : la règlementation s'est
attachée à attaquer des phénomènes nouveaux et mal
appréhendés tout en semblant négliger l'envergure
socio-économique et culturelle impliquée par le numérique
et son bras armée qu'est Internet. L'étude de ces modifications
semble donc nécessaire pour comprendre l'origine des imperfections
précédemment abordées et envisager de nouvelles solutions
conciliant les intérêts des différentes parties.
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