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L'auteur-interprète à  l'ère du numérique: application et évolution


par Charles PAGE
Université Jean Moulin Lyon III - Master 2 Droit de la Propriété Intellectuelle 2014
  

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CHAPITRE I : DES PHENOMENES MAJEURS DIFFICILEMENT APPREHENDABLES

17. Le numérique et son illustration la plus grande, l'Internet, permettent de nombreuses pratiques nouvelles, mais certaines prédominent. Si l'on parle de « phénomènes majeurs », c'est bien parce que téléchargement et streaming sont des pratiques tout à fait révolutionnaires et populaires. De véritables phénomènes de société, voire même de mode27, qu'il s'agisse du téléchargement pair-à-pair (Section 1), ou du streaming (Section 2).

Section 1 : L'incontrôlable phénomène du téléchargement pair-à-pair

18. Les systèmes pair-a-pair permettent à un ensemble d'utilisateurs d'Internet de communiquer entre eux et de partager des fichiers. Alors que la figure classique du téléchargement repose sur des protocoles centralisés, entre un serveur et son client,

26CC 10/06/2009 n°2009-580 DC, HADOPI : D.2009, point de vue p.2045n par L. Marino et point de vue p.1770 par J-M Bruguière, RLDI 2009/51, n°1699 note D. Rousseau, RSC 2009, p.609, obs. J. Francillon

27 Emmanouil Georgakakis, 2006 « Le phénomène du peer-to-peer et la distribution de musique ». Mémoire p.6

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cette forme de partage est fondée sur un protocole décentralisé : l'utilisateur devient à la fois serveur et client, émetteur et récepteur de contenu. Le téléchargement s'effectue via un « portail », logiciel de dialogue entre ordinateurs et permettant l'échange de données, le plus populaire restant BitTorrent. Plusieurs sources d'information agissent alors simultanément, et plus les fichiers sont populaires, plus les sources sont nombreuses, plus le téléchargement devient rapide, et ce de façon exponentielle28. On entre alors dans un cercle vicieux incitatif : plus la contrefaçon est effectuée, pas elle est efficace, plus le contrefacteur est noyé dans la masse des utilisateurs.

19. Si le téléchargement « classique », centralisé, ne pose pas de problèmes particuliers quant au fait de déceler le serveur et le client, les serveurs décentralisés opposent des difficultés bien plus grandes : En effet, en raison de la multiplicité des sources, quand bien même l'on peut déterminer qui est client, on ne peut savoir précisément de quelle source provient le fichier partagé. Et c'est ici que le bât blesse : Est-il plus efficace de sanctionner le récepteur, ou l'émetteur du fichier original ?

20. Le pair-à-pair n'est pas, en tant que telle, illégal. Rien n'empêche plusieurs utilisateurs de partager des contenus libres de droit, ou leurs propres créations, protégées mais dont le partage est effectué avec leur consentement. Mais il n'en n'est pas moins un moteur privilégié des violations de droits d'auteurs : Permettant la copie à prix faible ou nul, à qualité proche ou égale de l'original, rendant la répression plus délicate en raison de l'anonymat des réseaux, de la rapidité des échanges, des techniques de brouillage de l'identification, du nombre toujours plus grand de plateforme et portails de téléchargement, le pair-à-pair est incontestablement la plateforme privilégiée des échanges illégaux.

21. La meilleure illustration du sujet, qui en est aussi la genèse, reste sans nul doute l'affaire Napster. Logiciel et site informatique consacré aux phonogrammes numériques, créé par Shawn Fanning en juin 1999, étudiant américain d'à peine 20 ans, sa technologie est la première à reposer sur le pair-à-pair. Le but était alors simple et idéaliste : favoriser le partage de fichiers musicaux entre utilisateurs, sans que le site ne contrôle l'origine et le contenu des fichiers. Joëlle Farchy en a très bien résumé l'idéologie, selon laquelle :

« plus que tout autre, Napster symbolisait le rêve, grâce à Internet, d'une autre forme d'accès au savoir et à la culture, rêve des internautes devenu cauchemar pour les producteurs d'oeuvres protégées par la propriété intellectuelle. Ce que la technologie nous promet d'une main, le droit d'auteur ou le copyright nous le reprennent de l'autre »29. Bien entendu, Napster n'avait pas pour objectif admis d'enfreindre le droit d'auteur. Les volontés alternatives de No copyright ou Copyleft n'étaient alors qu'à l'état d'embryon - si tant est qu'elles fussent déjà formalisées-. Mais indéniablement, Napster favorisait, indirectement, la duplication non autorisée d'oeuvres protégées. D'abord site de partage

28 Joëlle Bissonnette, 2009 « L'industrie du disque à l'ère du numérique : l'évolution des droits d'auteur et l'édition musicale » Mémoire p.23

29Joëlle Farchy, Internet et le droit d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed., coll. CNRS Communication, 2003

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sans prétentions mercantiles, Napster devint rapidement une société ayant pour but de tirer profit de ses activités publicitaires. Et c'est sans doute cette nouvelle politique qui entraîna la violente réaction des ayants-droits.

22. Napster est ainsi poursuivi en 2001 par le groupe Metallica devant l'US District Court du District Nord de la Californie. Selon le juge Marilyn Hall Patel, qui présidait alors au Tribunal, Napster était complice de contrefaçon, ou « contributory copyright infringement », n'étant pas en mesure de « prouver que son système [était] capable d'une utilisation commerciale significative sans violer le copyright »30. Napster se rendait également responsable du fait d'autrui, ou « vicarious copyright infringement », puisque, selon la juridiction « Napster [avait] le droit et la capacité de superviser la conduite de ses utilisateurs ». En juillet 2001, la forme en cause du site fut alors fermée par voie judiciaire. Racheté par la suite par Best Buy, en faisant un magasin de musique en ligne, puis racheté par Rhapsody en 2011, Napster a donc pris le chemin de la rédemption en devenant un site d'offre purement légal.

23. Le système de téléchargement pair-à-pair pose deux grandes questions, qu'il conviendra d'étudier successivement. Tout d'abord, ce système remet en cause les prérogatives patrimoniales classiques de reproduction et de représentation par l'absence de distinction entre émetteur et récepteur (Paragraphe I), Ensuite, ce système, confronté aux limites du droit d'auteur, révèle d'autres problématiques encore bien plus tumultueuse, rendant la pratique particulièrement complexe à aborder (Paragraphe II).

Paragraphe I : Des prérogatives patrimoniales classiques mises à mal par le pair-à-pair A] Les violations des prérogatives patrimoniales par le système pair-à-pair

24. Il n'est pas étonnant que des prérogatives, créées à l'origine pour un univers matériel soient difficilement applicables en l'état dans l'univers numérique. L'article L222-1 du Code de la Propriété Intellectuelle indique que l'auteur bénéficie sur son oeuvre d'un droit d'exploitation, subdivisé entre droit de représentation et de reproduction. L'article L222-2 du même Code définit le droit de représentation comme consistant en « la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque ». S'ensuit une liste de procédés, non exhaustive. L'auteur dispose donc du droit exclusif de contrôler la diffusion de son oeuvre, avec ou sans reproduction, qu'il s'agisse d'une diffusion directe ou indirecte. La représentation peut prendre deux formes originaires : la représentation primaire d'une part, lorsqu'une personne est à l'origine de la représentation, et la représentation secondaire, lorsqu'une personne donne accès à des oeuvres à des personnes qui n'auraient pas dû y avoir accès. Le droit de reproduction est quant à lui défini à l'article L122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il s'agit de « la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent la communiquer au public d'une manière indirecte », quand bien même cette reproduction serait simplement éphémère. L'adjectif « matériel » renvoie donc à la fabrication d'exemplaires matériels, palpables de l'oeuvre.

30 Giovanni B. Ramello « Napster et la musique en ligne : Le mythe du vase de Pandore se répéterait-il ? » in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Editions La Découverte p. 131

25.

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Si en matière de reproduction, la lettre du texte laisse entendre que le droit se cantonne au matériel, la jurisprudence en a apporté une lecture plus large et s'est rapidement saisie de la qualification des actes propres à l'ère numérique. Dans deux arrêts du 14 août 1996, le Tribunal de Grande Instance de Paris a affirmé que l'acte de numérisation d'une oeuvre relevait du droit de reproduction au motif que « toute reproduction par numérisation d'oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur, susceptible d'être mise à la disposition de personnes connectées au réseau Internet, doit être autorisée expressément par les titulaires ou cessionnaires des droits »31. Moins d'un an plus tard, la même juridiction persiste et signe en indiquant que la numérisation « constitue une reproduction de l'oeuvre qui requiert en tant que telle, lorsqu'il s'agit d'une oeuvre originale, l'autorisation préalable de l'auteur ou de ses ayants-droits »32. A la lecture des différents arrêts, il semble évident que les juges - sans doute pour conserver la lettre du Code - recherchent systématiquement un support matériel nécessaire à la réalisation de l'acte. Qu'il s'agisse de la fixation sur un support CD à la suite du téléchargement33, ou du stockage sur la mémoire de l'ordinateur, sur son disque dur34.

26. En matière de pair-à-pair, certains auteurs ont néanmoins considéré que l'internaute « émetteur », mettant l'oeuvre à disposition du public, n'effectuait pas de copie de l'oeuvre, celle-ci n'étant réalisée que par l'utilisateur « récepteur »35. Si le postulat semble justifié pour la première copie, l'on a déjà remarqué que le téléchargement pair-à-pair s'effectuait entre une multitude d'utilisateurs, étant à la fois « émetteurs » et « récepteurs ». Dès lors, ne serait-ce non pas seulement la réception, mais également l'émission, par la numérisation nécessaire de l'oeuvre pour en assurer le transfert numérique, qui constituerait une reproduction frauduleuse, étant effectuée dans un but de communication indirecte au public via le réseau pair-à-pair comme le prévoit le Code ?

27. Du point de vue du récepteur, celui-ci effectue manifestement une reproduction de l'oeuvre sur son disque dur. Sa copie devient ensuite « l'original » des reproductions ultérieures effectuées par des tiers. Chaque utilisateur rediffuse l'oeuvre, sa reproduction se liant alors à une communication indirecte de l'oeuvre. Un acte de téléchargement, un seul « clic » sur un lien entraîne donc une double lésion du droit d'auteur. Le Tribunal de Commerce de Paris l'a d'ailleurs rapidement compris, sanctionnant la mise en réseau d'une oeuvre de manière illicite car portant atteinte à la fois au droit de reproduction et au droit de représentation du titulaire36.

28. Ainsi, l'Internet n'est pas un « paradis » où le droit d'auteur ne saurait être respecté. Le réseau est un terrain de reproduction et de représentation apparemment comme un

31 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note Edelman B

32 TGI Paris, ord. Réf. 05/05/1997 « Queneau I » JCP G 1997 II n°22906 note Olivier F.

33 TGI Montpellier 24/09/1999 Com. Comm. Electronique 2000, comm. 15, note Caron C.

34 CA Paris 29/09/1999 D.1999 act. Jurispr. P37 Com. Comm. Electr. Déc. 1999, actual. 47, obs. Haas G.

35 G. Georgakakis, op. cit. p.13

36 Com. Paris ord. Réf. 03/03/1997, JCP G, 1997-II-22840, obs. Olivier et Barby ; RTD com. 1997, p.457, obs. Françon S.

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autre où la contrefaçon est omniprésente et sa sanction applicable. Néanmoins, la nécessité constante d'un support matériel à la contrefaçon et le particularisme propre au numérique nécessitent de se questionner sur la pertinence du schéma classique droit de reproduction/droit de représentation.

B] La remise en cause du schisme classique entre droit de reproduction et droit de représentation

29. Comme nous avons pu le voir précédemment, l'application d'un droit prévu pour un univers matériel dans un espace dématérialisé rend la distinction classique entre droits de reproduction et de représentation ardue. L'avènement de la société de l'information a bouleversé les notions traditionnelles, et permet une reproduction parfaite, infinie, peu coûteuse ainsi qu'une circulation instantanée par la voie des réseaux. Les frères Lucas l'on résumé de façon très simple, considérant que « la dématérialisation liée aux nouvelles technologies de la communication brouille la frontière entre le vecteur qui porte l'oeuvre (donnant lieu à l'exercice du droit de représentation) et le support qui la fixe (donnant lieu à l'exercice du droit de reproduction »37, puisqu'en effet, l'Internet est le lieu par excellence d'imbrication des exploitations. Ainsi, faudrait-il sans doute non pas penser en termes de droits mais en termes d'utilisation des oeuvres38. Il est clair qu'en matière de pair-a-pair, le cumul entre reproduction et représentation est nécessaire et que ce flou entraîne des complications pour la catégorisation des pratiques.

30. Les pratiques de pair-a-pair impliquent une violation des deux prérogatives comme il l'a été remarqué plus tôt. Lorsque l'autorisation du titulaire n'a pas été donnée, la seule difficulté réside dans la qualification éventuelle des poursuites ou de l'indemnisation, de quantifier les dommages subis par la représentation, et ceux infligés par la reproduction. Mais lorsque l'autorisation porte sur une seule pratique, les problèmes apparaissent rapidement. Si le titulaire a autorisé la représentation, ou la reproduction seule, à une personne à la fois représentatrice et reproductrice, les difficultés, non insurmontable néanmoins, apparaissent et compliquent une situation déjà fort complexe.

31. Pour une partie de la doctrine, l'instauration d'un droit patrimonial unique, sans sous-distinction semble nécessaire « au moment où la simplicité est d'or »39. Il s'agirait d'un « droit d'exploitation numérique » unique, mêlant les droits patrimoniaux classiques40. Ainsi, une seule autorisation du titulaire des droits suffirait pour exploiter l'oeuvre sur l'Internet. Il s'agirait alors d'une sorte de « droit d'utilisation » de l'oeuvre sur les réseaux. Reste que le contrefacteur semble être insensible aux qualifications juridiques et qu'une telle dénomination ne mettrait pas fin aux pratiques abusives de téléchargement illégal...

37 Lucas A et H-J, Traité de la PLA, 2ème édition, Paris, Editions Litec 2001, p.237

38 Passa J. Internet et droit d'auteur, J.- CI. PLA, Fasc. 1970, juin 2001, n°14 s.

39 E. Georgakakis, op. cit. p. 17

40 P.Y. Gautier, op. cit.

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Paragraphe II : La conciliation délicate du pair-à-pair et des limites du droit d'auteur A] La conciliation avec les exceptions légales

32. En droit français, la notion d'exception renvoie à des actes qui, étant dans la sphère du droit d'auteur, devraient nécessiter l'autorisation du titulaire mais qui échappent pourtant à son monopole du fait de la volonté du législateur. Selon le professeur Gautier, « l'exception à un droit exclusif peut fort bien reposer sur un droit, voire une liberté » et s'impose au titulaire des droits comme une « sorte de servitude légale »41. Les différentes exceptions au monopole exclusif d'exploitation conféré au titulaire du droit sont listées à l'article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il s'agit principalement des exceptions à l'usage privé de l'oeuvre, telle la représentation privée et gratuite dans le cadre du cercle familial, ou la copie privée ainsi que les exceptions permettant un usage public, fondées sur la diffusion de l'information, la liberté d'expression, par la parodie, pastiche ou caricature, et enfin les exceptions dites « catégorielles », fondées notamment sur la personne (commissaire-priseur, personne handicapé) ou en lien avec un logiciel.

33. Ces différentes exceptions bénéficient d'une rédaction limpide et précise et n'opposent pas de particulières difficultés quant à leur interprétation. Néanmoins, et c'est là tout l'intérêt de notre sujet, il en est autrement lorsqu'il s'agit de les appliquer sur l'Internet. Il a été par exemple nécessaire de rappeler qu'un réseau intranet, sur lequel les utilisateurs partageaient leurs fichiers musicaux, accessible par mot de passe, ne relevait pas du cercle familial car composé d'un nombre trop important de personnes n'ayant pas entre elles de liens assez forts42. Quant à la copie privée, encore faut-il que sa source soit licite. La preuve de l'achat d'une oeuvre spécifique ne vous permettra donc pas par la suite de la télécharger de manière illégale43.

34. Outre ces exceptions légales propres au droit d'auteur, il semble opportun de mentionner une autre limite parfois négligée, intervenant non au stade de l'autorisation mais au stade de la contrefaçon. Il s'agit du respect de la vie privée, exception à part, et à part entière. En effet, l'usage de licences d'utilisations et autres Conditions Générales d'Utilisation permettent aux plateformes de téléchargement -légales et illégales-d'amasser les données produites par les utilisateurs à des fins, non de prévention contre les atteintes aux droits, mais à celles de fichage, profilage, au profit du ciblage publicitaire44. Si l'usage privé fait obstacle au droit exclusif, la prévention et détection des actes contrefaisants, via les logiciels pair-à-pair notamment, nécessite la collecte de données personnelles, collecte chapeautée par la CNIL. Ces données personnelles - essentiellement les adresses Internet Protocol (IP)- ne peuvent faire l'objet d'une appropriation sans limite de la part des ayants-droits. En effet, si l'adresse IP permet

41 P.Y. Gautier, op. cit.

42 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note Edelman B : A propos d'un intranet composé par des étudiants d'un réseau de grandes écoles.

43 CA Versailles 16/03/2007

44 Mélanie Dulong de Rosnay et Hervé Le Crosnier, 2013 Propriété Intellectuelle, Géopolitique et mondialisation - Les essentiels Hermès, CNRS Edition 2013 p. 141

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d'identifier un utilisateur, le lien n'est pas direct, et l'anonymat relatif ne saurait être levé qu'en cas de procédure judiciaire. Par ailleurs, si ce respect de la vie privée est indéniablement nécessaire et supérieur au respect du droit d'auteur, il révèle une difficulté majeure pour contrôler et poursuivre la contrefaçon : identification complexe, coûts élevés de recherche et donc poursuite des « pirates » les plus gourmands seulement.

B] Un épuisement des droits comme limite au droit d'auteur sur Internet ?

35. La théorie de l'épuisement des droits a été décrite pour la première fois par Köhler à la fin du XIXème siècle. Pour lui, le droit d'auteur repose sur l'utilité sociale, ayant pour but ultime le renouvellement du patrimoine commun de l'humanité. Le droit d'auteur n'est donc pas fondé sur une rémunération ex post mais uniquement comme une récompense due par la société à son titulaire pour un temps limité, sans valeur absolue. Cet épuisement peut avoir comme justification principale la liberté de circulation -nationale ou européenne-, quand bien même certains auteurs, à l'instar d'André Lucas, considèrent qu'il « est impossible en effet d'admettre que la règle de libre circulation des marchandises implique l'épuisement pur et simple du droit de reproduction de l'auteur »45.

36. L'épuisement peut prendre plusieurs formes géographiques. Lorsqu'il est national, il empêche au titulaire d'exercer son monopole sur un produit précédemment commercialisé sur le territoire de l'Etat par lui-même ou avec son consentement. Lorsqu'il est européen, la première mise en circulation de l'oeuvre sur le territoire de l'Union Européenne par le titulaire ou avec son consentement épuise les droits patrimoniaux afférents à la diffusion de l'oeuvre46.

37. La Cour de Justice de l'Union Européenne est venu remettre en cause la théorie de l'épuisement comme elle était jusqu'alors connue. Le 03 Juillet 2012, à l'occasion d'un litige opposant UsedSoft GmbH et Oracle International Corp., les juges ont considéré que l'épuisement s'appliquait non seulement aux exemplaires physiques d'un logiciel, mais aussi aux logiciels téléchargés légalement sur le serveur de l'acheteur. L'on ne peut d'emblée affirmer que cet arrêt admet l'existence d'un épuisement des droits absolu, applicable à toutes les branches de la propriété littéraire artistique. D'une part puisque l'espèce était particulière, concernant des logiciels dont on sait que leur protection par le droit d'auteur est étonnante au point que certains défendent une protection par la propriété industrielle et les brevets, et d'autre part car un contrat spécifique avait été conclu entre les parties, sur lequel le juge n'hésite pas à s'appuyer pour rendre sa décision. En effet, il est noté que « le droit de distribution de la copie d'un programme est épuisé si le titulaire, qui a autorisé le téléchargement de cette copie sur un support informatique à partir d'Internet, a également conféré à titre onéreux un droit d'usage de ladite copie, sans limitation de temps ». Dès lors, si le contrat n'autorise qu'un droit d'usage temporaire, il s'agit d'une location, non couverte par cette décision.

45 A. Lucas, op. cit

46 CJCE 08/06/1971 Deutsche Grammophon

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Apparaissent donc deux conditions pour qu'un logiciel puisse être légalement revendu : Une durée illimitée et un paiement forfaitaire. En outre, l'acquéreur devrait rendre inutilisable la copie sur son propre PC après la revente, puisque le droit de distribution est distinct du droit de reproduction, ce dernier ne s'épuisant pas47. On peut donc parler d'une semi-consécration de l'épuisement en matière de logiciel, et la logique jurisprudentielle pourrait éventuellement se généraliser à l'ensemble de la propriété littéraire et artistique si de telles conditions sont réunies.

Section 2 : L'épineuse question du streaming

38. Le terme streaming renvoie à une notion très particulière. Il peut être traduit en français par « lecture en continu », « lecture en transit », « diffusion en continu »...48Il s'agit simplement de la lecture d'un fichier audio ou vidéo, copié sur la mémoire local « cache » de l'ordinateur de l'utilisateur afin d'en permettre l'écoute ou le visionnage en instantané ou en différé. Ce procédé se distingue du téléchargement par deux grandes particularités. Premièrement, la lecture du fichier peut s'effectuer immédiatement, avant même que ces données aient été entièrement récoltées. En outre, le fichier n'est pas stocké sur le disque dur de l'ordinateur de manière durable, et on ne peut donc en principe le relire à volonté une fois la première lecture achevé, et sans connexion Internet au site hébergeur.

39. Le streaming se différencie du téléchargement pair-a-pair en ce qu'il se limite à la diffusion de contenu, représenté sans être téléchargé et donc reproduit. Tout comme le pair-a-pair, le streaming n'est pas en soi illégal, ce ne sont que certaines utilisations spécifiques qui sont illicites, lorsque la représentation porte sur une oeuvre protégée dont l'auteur n'a pas consenti la diffusion.

40. Alors qu'existent pléthores de règlementations quant à la lutte contre le « piratage », le streaming, phénomène bien plus récent, reste peu appréhendé par les différentes législations. Si le 04 mars 2011 l'Espagne a voté une loi pour l'Economie Durable, dite Ley Sinde, la France reste bien en retard en la matière et pour le moment, les solutions ne se trouvent que dans le droit commun de la contrefaçon et du recel. En effet, seul l'internaute qui met en ligne le contenu est contrefacteur, puisqu'au terme de l'article L122-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, la représentation consiste notamment en une télédiffusion de l'oeuvre, la télédiffusion étant « la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données ». Si la qualification ne fait pas de doute, l'on ne retiendra qu'un arrêt en la matière, concernant un logiciel d'écoute et de partage non autorisé d'oeuvres musicales protégées, condamnant ses propriétaires49. L'hébergeur ne saurait quant à lui engager sa responsabilité civile et pénale que s'il a été prévenu de l'existence d'un contenu illicite et qu'il ne l'a pas

47Michèle Battisti « Le droit d'auteur face au principe de libre circulation des oeuvres » [en ligne] http://www.paralipomenes.net/archives/8361 (consulté le 02/06/2014)

48 J. Bissonnette, op. cit. p.23

49 Crim. 25/09/2012

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supprimé promptement50. L'utilisateur ne pourra être qualifié de complice de contrefaçon puisqu'au terme de l'article 121-7 du Code Pénal, n'est complice que la personne qui « sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ». Reste l'incrimination de recel-profit, prévue par l'article 321-1 du Code Pénal puisque l'utilisateur bénéficie du produit du délit de contrefaçon, stocké provisoirement sur la mémoire temporaire de son ordinateur. Mais reste à prouver que ce recel est effectué « en connaissance de cause ». Si telle démonstration est aisée pour l'internaute visionnant le dernier film sorti au cinéma ou le dernier album produit, et non encore commercialisé, la preuve semble plus ardue pour des oeuvres plus anciennes.

41. Cette absence de règlementation spécifique peut s'expliquer par une qualification juridique ardue (Paragraphe I), qu'il est nécessaire de rapidement encadrer du fait de son expansion de plus en plus rapide (Paragraphe II).

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand