CHAPITRE I : DES PHENOMENES MAJEURS DIFFICILEMENT
APPREHENDABLES
17. Le numérique et son illustration la plus grande,
l'Internet, permettent de nombreuses pratiques nouvelles, mais certaines
prédominent. Si l'on parle de « phénomènes majeurs
», c'est bien parce que téléchargement et streaming sont des
pratiques tout à fait révolutionnaires et populaires. De
véritables phénomènes de société, voire
même de mode27, qu'il s'agisse du téléchargement
pair-à-pair (Section 1), ou du streaming (Section 2).
Section 1 : L'incontrôlable phénomène du
téléchargement pair-à-pair
18. Les systèmes pair-a-pair permettent à un
ensemble d'utilisateurs d'Internet de communiquer entre eux et de partager des
fichiers. Alors que la figure classique du téléchargement repose
sur des protocoles centralisés, entre un serveur et son client,
26CC 10/06/2009 n°2009-580 DC, HADOPI :
D.2009, point de vue p.2045n par L. Marino et point de vue p.1770 par J-M
Bruguière, RLDI 2009/51, n°1699 note D. Rousseau, RSC 2009, p.609,
obs. J. Francillon
27 Emmanouil Georgakakis, 2006 « Le
phénomène du peer-to-peer et la distribution de musique ».
Mémoire p.6
10
cette forme de partage est fondée sur un protocole
décentralisé : l'utilisateur devient à la fois serveur et
client, émetteur et récepteur de contenu. Le
téléchargement s'effectue via un « portail », logiciel
de dialogue entre ordinateurs et permettant l'échange de données,
le plus populaire restant BitTorrent. Plusieurs sources d'information agissent
alors simultanément, et plus les fichiers sont populaires, plus les
sources sont nombreuses, plus le téléchargement devient rapide,
et ce de façon exponentielle28. On entre alors dans un cercle
vicieux incitatif : plus la contrefaçon est effectuée, pas elle
est efficace, plus le contrefacteur est noyé dans la masse des
utilisateurs.
19. Si le téléchargement « classique
», centralisé, ne pose pas de problèmes particuliers quant
au fait de déceler le serveur et le client, les serveurs
décentralisés opposent des difficultés bien plus grandes :
En effet, en raison de la multiplicité des sources, quand bien
même l'on peut déterminer qui est client, on ne peut savoir
précisément de quelle source provient le fichier partagé.
Et c'est ici que le bât blesse : Est-il plus efficace de sanctionner le
récepteur, ou l'émetteur du fichier original ?
20. Le pair-à-pair n'est pas, en tant que telle,
illégal. Rien n'empêche plusieurs utilisateurs de partager des
contenus libres de droit, ou leurs propres créations,
protégées mais dont le partage est effectué avec leur
consentement. Mais il n'en n'est pas moins un moteur privilégié
des violations de droits d'auteurs : Permettant la copie à prix faible
ou nul, à qualité proche ou égale de l'original, rendant
la répression plus délicate en raison de l'anonymat des
réseaux, de la rapidité des échanges, des techniques de
brouillage de l'identification, du nombre toujours plus grand de plateforme et
portails de téléchargement, le pair-à-pair est
incontestablement la plateforme privilégiée des échanges
illégaux.
21. La meilleure illustration du sujet, qui en est aussi la
genèse, reste sans nul doute l'affaire Napster. Logiciel et site
informatique consacré aux phonogrammes numériques,
créé par Shawn Fanning en juin 1999, étudiant
américain d'à peine 20 ans, sa technologie est la première
à reposer sur le pair-à-pair. Le but était alors simple et
idéaliste : favoriser le partage de fichiers musicaux entre
utilisateurs, sans que le site ne contrôle l'origine et le contenu des
fichiers. Joëlle Farchy en a très bien résumé
l'idéologie, selon laquelle :
« plus que tout autre, Napster symbolisait le
rêve, grâce à Internet, d'une autre forme d'accès au
savoir et à la culture, rêve des internautes devenu cauchemar pour
les producteurs d'oeuvres protégées par la
propriété intellectuelle. Ce que la technologie nous promet d'une
main, le droit d'auteur ou le copyright nous le reprennent de l'autre
»29. Bien entendu, Napster n'avait pas pour objectif admis
d'enfreindre le droit d'auteur. Les volontés alternatives de No
copyright ou Copyleft n'étaient alors qu'à l'état
d'embryon - si tant est qu'elles fussent déjà
formalisées-. Mais indéniablement, Napster favorisait,
indirectement, la duplication non autorisée d'oeuvres
protégées. D'abord site de partage
28 Joëlle Bissonnette, 2009 «
L'industrie du disque à l'ère du numérique :
l'évolution des droits d'auteur et l'édition musicale »
Mémoire p.23
29Joëlle Farchy, Internet et le droit
d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed., coll. CNRS Communication,
2003
11
sans prétentions mercantiles, Napster devint rapidement
une société ayant pour but de tirer profit de ses
activités publicitaires. Et c'est sans doute cette nouvelle politique
qui entraîna la violente réaction des ayants-droits.
22. Napster est ainsi poursuivi en 2001 par le groupe
Metallica devant l'US District Court du District Nord de la Californie. Selon
le juge Marilyn Hall Patel, qui présidait alors au Tribunal, Napster
était complice de contrefaçon, ou « contributory
copyright infringement », n'étant pas en mesure de «
prouver que son système [était] capable d'une utilisation
commerciale significative sans violer le copyright »30.
Napster se rendait également responsable du fait d'autrui, ou «
vicarious copyright infringement », puisque, selon la juridiction
« Napster [avait] le droit et la capacité de superviser la
conduite de ses utilisateurs ». En juillet 2001, la forme en cause du
site fut alors fermée par voie judiciaire. Racheté par la suite
par Best Buy, en faisant un magasin de musique en ligne, puis racheté
par Rhapsody en 2011, Napster a donc pris le chemin de la rédemption en
devenant un site d'offre purement légal.
23. Le système de téléchargement
pair-à-pair pose deux grandes questions, qu'il conviendra
d'étudier successivement. Tout d'abord, ce système remet en cause
les prérogatives patrimoniales classiques de reproduction et de
représentation par l'absence de distinction entre émetteur et
récepteur (Paragraphe I), Ensuite, ce système, confronté
aux limites du droit d'auteur, révèle d'autres
problématiques encore bien plus tumultueuse, rendant la pratique
particulièrement complexe à aborder (Paragraphe II).
Paragraphe I : Des prérogatives patrimoniales
classiques mises à mal par le pair-à-pair A] Les
violations des prérogatives patrimoniales par le système
pair-à-pair
24. Il n'est pas étonnant que des prérogatives,
créées à l'origine pour un univers matériel soient
difficilement applicables en l'état dans l'univers numérique.
L'article L222-1 du Code de la Propriété Intellectuelle indique
que l'auteur bénéficie sur son oeuvre d'un droit d'exploitation,
subdivisé entre droit de représentation et de reproduction.
L'article L222-2 du même Code définit le droit de
représentation comme consistant en « la communication de
l'oeuvre au public par un procédé quelconque ».
S'ensuit une liste de procédés, non exhaustive. L'auteur
dispose donc du droit exclusif de contrôler la diffusion de son oeuvre,
avec ou sans reproduction, qu'il s'agisse d'une diffusion directe ou indirecte.
La représentation peut prendre deux formes originaires : la
représentation primaire d'une part, lorsqu'une personne est à
l'origine de la représentation, et la représentation secondaire,
lorsqu'une personne donne accès à des oeuvres à des
personnes qui n'auraient pas dû y avoir accès. Le droit de
reproduction est quant à lui défini à l'article L122-3 du
Code de la Propriété Intellectuelle. Il s'agit de « la
fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui
permettent la communiquer au public d'une manière indirecte »,
quand bien même cette reproduction serait simplement
éphémère. L'adjectif « matériel »
renvoie donc à la fabrication d'exemplaires matériels,
palpables de l'oeuvre.
30 Giovanni B. Ramello « Napster et la
musique en ligne : Le mythe du vase de Pandore se répéterait-il ?
» in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Editions La
Découverte p. 131
25.
12
Si en matière de reproduction, la lettre du texte
laisse entendre que le droit se cantonne au matériel, la jurisprudence
en a apporté une lecture plus large et s'est rapidement saisie de la
qualification des actes propres à l'ère numérique. Dans
deux arrêts du 14 août 1996, le Tribunal de Grande Instance de
Paris a affirmé que l'acte de numérisation d'une oeuvre relevait
du droit de reproduction au motif que « toute reproduction par
numérisation d'oeuvres musicales protégées par le droit
d'auteur, susceptible d'être mise à la disposition de personnes
connectées au réseau Internet, doit être autorisée
expressément par les titulaires ou cessionnaires des droits
»31. Moins d'un an plus tard, la même juridiction
persiste et signe en indiquant que la numérisation « constitue
une reproduction de l'oeuvre qui requiert en tant que telle, lorsqu'il s'agit
d'une oeuvre originale, l'autorisation préalable de l'auteur ou de ses
ayants-droits »32. A la lecture des différents
arrêts, il semble évident que les juges - sans doute pour
conserver la lettre du Code - recherchent systématiquement un support
matériel nécessaire à la réalisation de l'acte.
Qu'il s'agisse de la fixation sur un support CD à la suite du
téléchargement33, ou du stockage sur la mémoire
de l'ordinateur, sur son disque dur34.
26. En matière de pair-à-pair, certains auteurs
ont néanmoins considéré que l'internaute «
émetteur », mettant l'oeuvre à disposition du public,
n'effectuait pas de copie de l'oeuvre, celle-ci n'étant
réalisée que par l'utilisateur « récepteur
»35. Si le postulat semble justifié pour la
première copie, l'on a déjà remarqué que le
téléchargement pair-à-pair s'effectuait entre une
multitude d'utilisateurs, étant à la fois « émetteurs
» et « récepteurs ». Dès lors, ne serait-ce non
pas seulement la réception, mais également l'émission, par
la numérisation nécessaire de l'oeuvre pour en assurer le
transfert numérique, qui constituerait une reproduction frauduleuse,
étant effectuée dans un but de communication indirecte au public
via le réseau pair-à-pair comme le prévoit le Code ?
27. Du point de vue du récepteur, celui-ci effectue
manifestement une reproduction de l'oeuvre sur son disque dur. Sa copie devient
ensuite « l'original » des reproductions ultérieures
effectuées par des tiers. Chaque utilisateur rediffuse l'oeuvre, sa
reproduction se liant alors à une communication indirecte de l'oeuvre.
Un acte de téléchargement, un seul « clic » sur un lien
entraîne donc une double lésion du droit d'auteur. Le Tribunal de
Commerce de Paris l'a d'ailleurs rapidement compris, sanctionnant la mise en
réseau d'une oeuvre de manière illicite car portant atteinte
à la fois au droit de reproduction et au droit de représentation
du titulaire36.
28. Ainsi, l'Internet n'est pas un « paradis »
où le droit d'auteur ne saurait être respecté. Le
réseau est un terrain de reproduction et de représentation
apparemment comme un
31 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux
espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note
Edelman B
32 TGI Paris, ord. Réf. 05/05/1997 «
Queneau I » JCP G 1997 II n°22906 note Olivier F.
33 TGI Montpellier 24/09/1999 Com. Comm. Electronique
2000, comm. 15, note Caron C.
34 CA Paris 29/09/1999 D.1999 act. Jurispr. P37 Com.
Comm. Electr. Déc. 1999, actual. 47, obs. Haas G.
35 G. Georgakakis, op. cit. p.13
36 Com. Paris ord. Réf. 03/03/1997, JCP G,
1997-II-22840, obs. Olivier et Barby ; RTD com. 1997, p.457, obs.
Françon S.
13
autre où la contrefaçon est omniprésente
et sa sanction applicable. Néanmoins, la nécessité
constante d'un support matériel à la contrefaçon et le
particularisme propre au numérique nécessitent de se questionner
sur la pertinence du schéma classique droit de reproduction/droit de
représentation.
B] La remise en cause du schisme classique entre droit de
reproduction et droit de représentation
29. Comme nous avons pu le voir précédemment,
l'application d'un droit prévu pour un univers matériel dans un
espace dématérialisé rend la distinction classique entre
droits de reproduction et de représentation ardue. L'avènement de
la société de l'information a bouleversé les notions
traditionnelles, et permet une reproduction parfaite, infinie, peu
coûteuse ainsi qu'une circulation instantanée par la voie des
réseaux. Les frères Lucas l'on résumé de
façon très simple, considérant que « la
dématérialisation liée aux nouvelles technologies de la
communication brouille la frontière entre le vecteur qui porte l'oeuvre
(donnant lieu à l'exercice du droit de représentation) et le
support qui la fixe (donnant lieu à l'exercice du droit de reproduction
»37, puisqu'en effet, l'Internet est le lieu par
excellence d'imbrication des exploitations. Ainsi, faudrait-il sans doute non
pas penser en termes de droits mais en termes d'utilisation des
oeuvres38. Il est clair qu'en matière de pair-a-pair, le
cumul entre reproduction et représentation est nécessaire et que
ce flou entraîne des complications pour la catégorisation des
pratiques.
30. Les pratiques de pair-a-pair impliquent une violation des
deux prérogatives comme il l'a été remarqué plus
tôt. Lorsque l'autorisation du titulaire n'a pas été
donnée, la seule difficulté réside dans la qualification
éventuelle des poursuites ou de l'indemnisation, de quantifier les
dommages subis par la représentation, et ceux infligés par la
reproduction. Mais lorsque l'autorisation porte sur une seule pratique, les
problèmes apparaissent rapidement. Si le titulaire a autorisé la
représentation, ou la reproduction seule, à une personne à
la fois représentatrice et reproductrice, les difficultés, non
insurmontable néanmoins, apparaissent et compliquent une situation
déjà fort complexe.
31. Pour une partie de la doctrine, l'instauration d'un droit
patrimonial unique, sans sous-distinction semble nécessaire « au
moment où la simplicité est d'or »39. Il
s'agirait d'un « droit d'exploitation numérique »
unique, mêlant les droits patrimoniaux classiques40.
Ainsi, une seule autorisation du titulaire des droits suffirait pour exploiter
l'oeuvre sur l'Internet. Il s'agirait alors d'une sorte de « droit
d'utilisation » de l'oeuvre sur les réseaux. Reste que le
contrefacteur semble être insensible aux qualifications juridiques et
qu'une telle dénomination ne mettrait pas fin aux pratiques abusives de
téléchargement illégal...
37 Lucas A et H-J, Traité de la PLA,
2ème édition, Paris, Editions Litec 2001, p.237
38 Passa J. Internet et droit d'auteur, J.-
CI. PLA, Fasc. 1970, juin 2001, n°14 s.
39 E. Georgakakis, op. cit. p. 17
40 P.Y. Gautier, op. cit.
14
Paragraphe II : La conciliation délicate du
pair-à-pair et des limites du droit d'auteur A] La
conciliation avec les exceptions légales
32. En droit français, la notion d'exception renvoie
à des actes qui, étant dans la sphère du droit d'auteur,
devraient nécessiter l'autorisation du titulaire mais qui
échappent pourtant à son monopole du fait de la volonté du
législateur. Selon le professeur Gautier, « l'exception
à un droit exclusif peut fort bien reposer sur un droit, voire une
liberté » et s'impose au titulaire des droits comme une «
sorte de servitude légale »41. Les
différentes exceptions au monopole exclusif d'exploitation
conféré au titulaire du droit sont listées à
l'article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il
s'agit principalement des exceptions à l'usage privé de l'oeuvre,
telle la représentation privée et gratuite dans le cadre du
cercle familial, ou la copie privée ainsi que les exceptions permettant
un usage public, fondées sur la diffusion de l'information, la
liberté d'expression, par la parodie, pastiche ou caricature, et enfin
les exceptions dites « catégorielles », fondées
notamment sur la personne (commissaire-priseur, personne handicapé) ou
en lien avec un logiciel.
33. Ces différentes exceptions
bénéficient d'une rédaction limpide et précise et
n'opposent pas de particulières difficultés quant à leur
interprétation. Néanmoins, et c'est là tout
l'intérêt de notre sujet, il en est autrement lorsqu'il s'agit de
les appliquer sur l'Internet. Il a été par exemple
nécessaire de rappeler qu'un réseau intranet, sur lequel les
utilisateurs partageaient leurs fichiers musicaux, accessible par mot de passe,
ne relevait pas du cercle familial car composé d'un nombre trop
important de personnes n'ayant pas entre elles de liens assez
forts42. Quant à la copie privée, encore faut-il que
sa source soit licite. La preuve de l'achat d'une oeuvre spécifique ne
vous permettra donc pas par la suite de la télécharger de
manière illégale43.
34. Outre ces exceptions légales propres au droit
d'auteur, il semble opportun de mentionner une autre limite parfois
négligée, intervenant non au stade de l'autorisation mais au
stade de la contrefaçon. Il s'agit du respect de la vie privée,
exception à part, et à part entière. En effet, l'usage de
licences d'utilisations et autres Conditions Générales
d'Utilisation permettent aux plateformes de téléchargement
-légales et illégales-d'amasser les données produites par
les utilisateurs à des fins, non de prévention contre les
atteintes aux droits, mais à celles de fichage, profilage, au profit du
ciblage publicitaire44. Si l'usage privé fait obstacle au
droit exclusif, la prévention et détection des actes
contrefaisants, via les logiciels pair-à-pair notamment,
nécessite la collecte de données personnelles, collecte
chapeautée par la CNIL. Ces données personnelles -
essentiellement les adresses Internet Protocol (IP)- ne peuvent faire l'objet
d'une appropriation sans limite de la part des ayants-droits. En effet, si
l'adresse IP permet
41 P.Y. Gautier, op. cit.
42 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux
espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note
Edelman B : A propos d'un intranet composé par des étudiants d'un
réseau de grandes écoles.
43 CA Versailles 16/03/2007
44 Mélanie Dulong de Rosnay et Hervé
Le Crosnier, 2013 Propriété Intellectuelle,
Géopolitique et mondialisation - Les essentiels Hermès, CNRS
Edition 2013 p. 141
15
d'identifier un utilisateur, le lien n'est pas direct, et
l'anonymat relatif ne saurait être levé qu'en cas de
procédure judiciaire. Par ailleurs, si ce respect de la vie
privée est indéniablement nécessaire et supérieur
au respect du droit d'auteur, il révèle une difficulté
majeure pour contrôler et poursuivre la contrefaçon :
identification complexe, coûts élevés de recherche et donc
poursuite des « pirates » les plus gourmands seulement.
B] Un épuisement des droits comme limite au droit
d'auteur sur Internet ?
35. La théorie de l'épuisement des droits a
été décrite pour la première fois par Köhler
à la fin du XIXème siècle. Pour lui, le droit d'auteur
repose sur l'utilité sociale, ayant pour but ultime le renouvellement du
patrimoine commun de l'humanité. Le droit d'auteur n'est donc pas
fondé sur une rémunération ex post mais uniquement comme
une récompense due par la société à son titulaire
pour un temps limité, sans valeur absolue. Cet épuisement peut
avoir comme justification principale la liberté de circulation
-nationale ou européenne-, quand bien même certains auteurs,
à l'instar d'André Lucas, considèrent qu'il « est
impossible en effet d'admettre que la règle de libre circulation des
marchandises implique l'épuisement pur et simple du droit de
reproduction de l'auteur »45.
36. L'épuisement peut prendre plusieurs formes
géographiques. Lorsqu'il est national, il empêche au titulaire
d'exercer son monopole sur un produit précédemment
commercialisé sur le territoire de l'Etat par lui-même ou avec son
consentement. Lorsqu'il est européen, la première mise en
circulation de l'oeuvre sur le territoire de l'Union Européenne par le
titulaire ou avec son consentement épuise les droits patrimoniaux
afférents à la diffusion de l'oeuvre46.
37. La Cour de Justice de l'Union Européenne est venu
remettre en cause la théorie de l'épuisement comme elle
était jusqu'alors connue. Le 03 Juillet 2012, à l'occasion d'un
litige opposant UsedSoft GmbH et Oracle International Corp., les juges ont
considéré que l'épuisement s'appliquait non seulement aux
exemplaires physiques d'un logiciel, mais aussi aux logiciels
téléchargés légalement sur le serveur de
l'acheteur. L'on ne peut d'emblée affirmer que cet arrêt admet
l'existence d'un épuisement des droits absolu, applicable à
toutes les branches de la propriété littéraire artistique.
D'une part puisque l'espèce était particulière, concernant
des logiciels dont on sait que leur protection par le droit d'auteur est
étonnante au point que certains défendent une protection par la
propriété industrielle et les brevets, et d'autre part car un
contrat spécifique avait été conclu entre les parties, sur
lequel le juge n'hésite pas à s'appuyer pour rendre sa
décision. En effet, il est noté que « le droit de
distribution de la copie d'un programme est épuisé si le
titulaire, qui a autorisé le téléchargement de cette copie
sur un support informatique à partir d'Internet, a également
conféré à titre onéreux un droit d'usage de ladite
copie, sans limitation de temps ». Dès lors, si le contrat
n'autorise qu'un droit d'usage temporaire, il s'agit d'une location, non
couverte par cette décision.
45 A. Lucas, op. cit
46 CJCE 08/06/1971 Deutsche Grammophon
16
Apparaissent donc deux conditions pour qu'un logiciel puisse
être légalement revendu : Une durée illimitée et un
paiement forfaitaire. En outre, l'acquéreur devrait rendre inutilisable
la copie sur son propre PC après la revente, puisque le droit de
distribution est distinct du droit de reproduction, ce dernier ne
s'épuisant pas47. On peut donc parler d'une
semi-consécration de l'épuisement en matière de logiciel,
et la logique jurisprudentielle pourrait éventuellement se
généraliser à l'ensemble de la propriété
littéraire et artistique si de telles conditions sont réunies.
Section 2 : L'épineuse question du streaming
38. Le terme streaming renvoie à une notion
très particulière. Il peut être traduit en français
par « lecture en continu », « lecture en transit
», « diffusion en continu »...48Il
s'agit simplement de la lecture d'un fichier audio ou vidéo,
copié sur la mémoire local « cache » de
l'ordinateur de l'utilisateur afin d'en permettre l'écoute ou le
visionnage en instantané ou en différé. Ce
procédé se distingue du téléchargement par deux
grandes particularités. Premièrement, la lecture du fichier peut
s'effectuer immédiatement, avant même que ces données aient
été entièrement récoltées. En outre, le
fichier n'est pas stocké sur le disque dur de l'ordinateur de
manière durable, et on ne peut donc en principe le relire à
volonté une fois la première lecture achevé, et sans
connexion Internet au site hébergeur.
39. Le streaming se différencie du
téléchargement pair-a-pair en ce qu'il se limite à la
diffusion de contenu, représenté sans être
téléchargé et donc reproduit. Tout comme le pair-a-pair,
le streaming n'est pas en soi illégal, ce ne sont que certaines
utilisations spécifiques qui sont illicites, lorsque la
représentation porte sur une oeuvre protégée dont l'auteur
n'a pas consenti la diffusion.
40. Alors qu'existent pléthores de
règlementations quant à la lutte contre le « piratage
», le streaming, phénomène bien plus récent, reste
peu appréhendé par les différentes législations. Si
le 04 mars 2011 l'Espagne a voté une loi pour l'Economie Durable, dite
Ley Sinde, la France reste bien en retard en la matière et pour le
moment, les solutions ne se trouvent que dans le droit commun de la
contrefaçon et du recel. En effet, seul l'internaute qui met en ligne le
contenu est contrefacteur, puisqu'au terme de l'article L122-2 du Code de la
Propriété Intellectuelle, la représentation consiste
notamment en une télédiffusion de l'oeuvre, la
télédiffusion étant « la diffusion par tout
procédé de télécommunication de sons, d'images, de
documents, de données ». Si la qualification ne fait pas de
doute, l'on ne retiendra qu'un arrêt en la matière, concernant un
logiciel d'écoute et de partage non autorisé d'oeuvres musicales
protégées, condamnant ses propriétaires49.
L'hébergeur ne saurait quant à lui engager sa
responsabilité civile et pénale que s'il a été
prévenu de l'existence d'un contenu illicite et qu'il ne l'a pas
47Michèle Battisti « Le droit d'auteur
face au principe de libre circulation des oeuvres » [en ligne]
http://www.paralipomenes.net/archives/8361
(consulté le 02/06/2014)
48 J. Bissonnette, op. cit. p.23
49 Crim. 25/09/2012
17
supprimé promptement50.
L'utilisateur ne pourra être qualifié de complice de
contrefaçon puisqu'au terme de l'article 121-7 du Code Pénal,
n'est complice que la personne qui « sciemment, par aide ou
assistance, en a facilité la préparation ou la consommation
». Reste l'incrimination de recel-profit, prévue par l'article
321-1 du Code Pénal puisque l'utilisateur bénéficie du
produit du délit de contrefaçon, stocké provisoirement sur
la mémoire temporaire de son ordinateur. Mais reste à prouver que
ce recel est effectué « en connaissance de
cause ». Si telle démonstration est
aisée pour l'internaute visionnant le dernier film sorti au
cinéma ou le dernier album produit, et non encore commercialisé,
la preuve semble plus ardue pour des oeuvres plus anciennes.
41. Cette absence de règlementation
spécifique peut s'expliquer par une qualification juridique ardue
(Paragraphe I), qu'il est nécessaire de rapidement encadrer du fait de
son expansion de plus en plus rapide (Paragraphe II).
|