Paragraphe I : Une qualification juridique ardue
A] Une opération dans le champ du droit de
représentation
42. Si les réseaux pair-a-pair sont
principalement fournis par des particuliers, agissant sans but lucratif, la
diffusion d'oeuvres en streaming est bien plus souvent effectuée par des
entreprises professionnelles fournissant des services complémentaires
payants51 et se finançant en outre par les revenus
publicitaires. Megaupload était au streaming ce que
Napster était à son époque au
téléchargement.
43. L'article L335-2-1 du Code de la
Propriété Intellectuelle sanctionne d'une peine
de trois ans d'emprisonnement et 300.000€ d'amende le fait «
d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer
au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel
manifestement destiné à la mise à disposition du public
non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés », ou
« d'inciter sciemment, y compris à travers une annonce
publicitaire, à l'usage d'un [tel] logiciel ». Cette
disposition, créée initialement pour les éditeurs
de logiciels de téléchargements
pair-a-pair52 peut s'appliquer également au streaming
même si une seule condamnation a été pour
le moment prononcée sur ce fondement53.
44. Quant à l'utilisateur d'un tel service,
l'on peut légitimement présumer que la lecture
des oeuvres protégées n'est pas effectuée
dans un schéma de représentation
ultérieure à un nouveau public. Les
autorités cherchent néanmoins à
sanctionner de telles pratiques du point de vue de leurs utilisateurs, et si
elle ne peut entrer dans le champ du droit de
50 Art. 6.I.2 et 6.I.3 de la
Loi de Confiance en l'Economie Numérique
51 Qu'il s'agisse d'une
augmentation du débit de chargement, d'une suppression de restriction de
temps de vision quotidien...
52 Marie-Françoise
Marais, «Rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le
téléchargement
direct illicites» p.33
53 Crim.
25/09/2012
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représentation du titulaire, elle peut
éventuellement concerner son droit de reproduction.
B] Une opération dans le champ du droit de
reproduction ?
45. Le streaming est caractérisé par la
reproduction seulement temporaire effectuée sur la mémoire de
l'ordinateur de l'utilisateur du service. L'article L122-5 du Code de la
Propriété Intellectuelle dispose qu'une telle reproduction est
une exception au droit de reproduction du titulaire lorsqu'elle présente
« un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une
partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et
qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'oeuvre ou sa
transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à
un intermédiaire ». Comme nous avons pu le mentionner
précédemment, une exception légale exprime la
volonté d'autoriser certaines utilisations entrant pourtant dans le
champ des droits exclusifs du titulaire. L'on peut donc considérer
qu'effectivement, le streaming entre, du point de vue de l'utilisateur, dans le
champ du droit de reproduction.
46. Si une telle utilisation est par principe
autorisée, encore faut-il -comme en matière de copie
privée - que la source de celle-ci soit elle-même licite. A
défaut, l'exception ne saurait jouer et l'on pourrait considérer
que l'utilisateur d'un service de streaming effectue une reproduction au sens
de l'article L122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Néanmoins, aucune jurisprudence n'est intervenue en ce sens54
à ce jour et l'on doute que l'évolution s'effectue au plus vite,
puisque telle décision serait alors même contraire à la
jurisprudence européenne55.
47. En outre, en raison du principe d'interprétation
stricte de la loi pénale, le streaming ne semble pas pouvoir entrer dans
le champ de la contrefaçon par reproduction. En effet, ni les travaux
préparatoires, ni la loi n'évoquent le streaming56.
Cette considération a d'ailleurs été clairement
confirmée par Marie-Françoise Marais, Présidente de
l'Hadopi, dans le cadre d'un rapport de recherche rendu le
15/02/201357, selon qui le caractère
répréhensible du streaming est bien moins certain que pour le
téléchargement pair-a-pair « notamment en raison des
exigences constitutionnelles de légalité des délits et des
peines, et d'intelligibilité de la loi ».
54 Crim 05/01/2005 : Les images n'ont
été « ni imprimées, ni enregistrées sur un
support, et [...] la simple consultation de sites pornographiques ne suffit pas
à caractériser le délit [de contrefaçon]
»
55 CJUE 04/10/2011 : « Le spectateur d'une
oeuvre, diffusée en streaming, sans l'autorisation des ayants droit ne
se rend pas coupable de contrefaçon, même lorsque l'oeuvre est
reproduite temporairement et partiellement dans une mémoire d'ordinateur
et sur l'écran du spectateur ». Ainsi, la théorie de la
licéité de la source est rejeté au motif que la «
simple réception de ces émissions en tant que telle, à
savoir leur captation et leur visualisation, dans un cercle privé, ne
présente pas un acte limité par la règlementation de
l'Union [...] cet acte étant par conséquent licite »
56 « Téléchargement direct et streaming,
des atteintes au droit d'auteur sur internet » [en ligne]
http://peregrinationsjuridiques.wordpress.com/2013/03/09/telechargement-direct-et-streaming-des-atteintes-au-droit-dauteur-sur-internet-3/
(consulté le 02/06/2014)
57 M.F. Marais, op. cit.
48.
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A défaut d'incrimination spéciale pour les
utilisateurs, la répression ne porte que sur les éditeurs et
hébergeurs, sources des phénomènes de contrefaçon
sur l'Internet. Pour Madame Marais, « il n'y a pas une solution
unique, mais un ensemble de mesures cohérentes et complémentaires
à la fois efficaces et respectueuses des libertés fondamentales
(...),qui tendent à une implication des intermédiaires dans la
prévention et la cessation des infractions »58 .
Pour certains, il n'est alors nul besoin de perfectionner la
règlementation et de chercher à sanctionner les simples
utilisateurs, « puisque pour lutter contre le streaming de fichiers
protégés, la seule façon est de s'attaquer à la
source, à savoir les sites web diffuseurs »59.
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