Ecriture dramatique camerounaise contemporaine : visages, palmares, caracteristiques et outils de valorisationpar Marcelle Sandrine BENGONO Université Yaoundé I - Master II 2019 |
II-3-) -La thématiqueLe sujet principal et unique c'est la guerre. Mais la guerre vue du point de vue d'un enfant enrôlé comme soldat. Ici également comme dans plusieurs écritures contemporaines camerounaises, les dramaturges ne s'encombrent pas de sous thèmes. Il est question d'un sujet qui est traité de manière profonde, mais dans une liberté sans nulle autre pareille. Une thématique qui interroge. Au-delà de la guerre, il est question des enfants soldats qui se retrouvent dans les rangs contre leur gré. Ils deviennent de véritables machines de guerre, Ils perdent leur enfance et sont parfois plus dangereux que des adultes. II-4-) -Angle de traitementIl n'est pas uniquement question de choisir un sujet. Mais de le traiter de manière originale. Parler de guerre, oui, mais comment ? Qu'un auteur qui n'a jamais vécu la guerre décide de s'y plonger pour en parler, c' est stupéfiant. L'angle choisi pour le faire est tout aussi inédit. Dans sa pièce À la guerre comme à la Game Boy, Edouard Elvis Bvouma, emprunte à plusieurs disciplines pour réaliser cette oeuvre. Il y a des traces du roman dans la façon de narrer certaines parties comme nous témoigne cet extrait : C'est-à-dire que, comme on n'avait pas d'argent parce que l'argent n'existait pas encore, ils échangeaient le sel et l'huile et les tissus et le savon et le pétrole et beaucoup de petites choses comme ça qu'ils achetaient chez les commerçants arabes, contre notre gibier ou notre poisson ou nos fruits ou nos récoltes. P.42 Il y a constamment des allers et retours entre le roman et le théâtre. De plus l'auteur s'inspire de tous les héros de dessins animés de son enfance pour donner vie à la psychologie de son personnage. Il en ressort une très grande influence des films d'animation et des bandes dessinées. Ici ce n'est pas seulement pour justifier l'univers de l'enfant qui parle, mais chaque personnage est à lui seule une métaphore. En plus du roman, de la bande dessinée et du film d'animation, il y a l'influence du jeu vidéo qui est présente pour structurer la pièce. II-5-) -StructureLe texte est divisé en six parties : Game over, review, start, pause, play et stop. Edouard Elvis Bvouma découpe sa pièce et donne à chaque partie, le titre d'un niveau ou d'une étape du jeu vidéo. La pièce s'ouvre avec l'étape« Game over ». On commence par la fin, lorsque tous les jeux sont faits et qu'il n'y a plus rien à faire : La guerre est terminée. Après le « Game over », l'auteur nous fait revenir en arrière, sur ce qui s'est passé, sur comment les personnages en sont arrivés là. Il intitule cette partie Review. C'est exactement le nom technique que l'on donne à ce bouton que l'on appuie lorsque l'on veut revoir ou réécouter comment on a joué. Après avoir relatés les évènements d'avant la fin de la guerre, il nous ramène au début. Là où tout a commencé, bref à la situation initiale avant l'évènement perturbateur. Cette partie qui aurait pu être le début de la pièce : Start. Puis il s'arrête pour lui reparler à « elle », essayer de la convaincre une fois de plus de partir. Il lui parle de leur rencontre et de pourquoi il la considère comme sa petite soeur. C'est une « Pause » au milieu de toute cette agitation, un moment de répit avant que tout s'embrase à nouveau. Après cette nouvelle étape, on entre en plein dans le « game », dans la guerre proprement dite. L'auteur intitule cette partie, Play. C'est le climax, nous sommes dans la guerre. Puis arrive enfin l'arrêt du combat, c'est le « Stop ». Il faut s'arrêter après avoir tout fait et se rendre à l'évidence que tout est terminé avec une possibilité de recommencer un nouveau jeu comme le sous-entend cette réplique de boy killer qui clôture la pièce: C'est game over mais le game n'est pas over pour nous. On va recommencer le jeu. On va recommencer un autre jeu. Puisque c'est maintenant fini. On vivra heureux. Et on aura beaucoup-beaucoup d'enfants. C'est une belle façon d'ouvrir des perspectives. Les différentes parties témoignent d'une structure qui n'a rien de linéaire. Il y a une structuration en tableaux qui ne sont pas classés dans l'ordre chronologique habituel. -Structure de la pièce: Game over-review-start-pause-play-stop. -Structure attendue : ce serait que le texte commence par start et qu'on termine par Game over. Cette structure tient d'avantage du cinéma que du théâtre. Les flash-back sont une technique narrative utilisés par les réalisateurs. C'est encore là une technique qui prend sa source dans un autre art. II-6-) -La langue « La langue française du théâtre camerounais est aussi une intention esthétique et pragmatique. Elle est poésis, parole créée, fabriquée, pour émouvoir, passer la rampe. Cette fonction inhérente à tout le système de la pièce trouve sa forme achevée dans des choix d'expression qui sont autant d'actes de langage esthétique. »78(*) Cette citation de Bernard Mbassi illustre mot pour mot la langue d'Edouard Elvis Bvouma dans cette pièce. Elle est tantôt poétique, tantôt créée pour toucher au plus profond de l'être. Il y a entre ses lignes douloureuses une beauté que seule la poésie confère à un texte : Il me fallait un nom de soldat. Un nom qui tonne. Un nom qui détonne. Un nom qui cartonne. Un nom qui me donne du courage à moi-même et qui fait peur aux autres. P.50 En plus de cette esthétique poétique, cette langue chante. La musique est présente à tous les tournants du texte théâtral. Il y a des phrases qui sonnent comme un refrain : Avant nos parents. Avant nos grand-parents. Avant nos arrières-grands-parents. Avant nos arrières-arrières-grand-parents. P.41 Dans cette langue il y a fabrication de plusieurs mots, composés pour la plupart. Ils permettent de mettre l'emphase, de rendre concrète la réalité exprimée. Par cette technique, les situations sont plus palpables et quittent l'univers virtuel pour exprimer un réalisme flagrant. C'est pourquoi le camp est vide-vide...P.7 Pas de sang partout-partout au sol ou sur les herbes. P.8 Tu sais que les cow-boys ont existé vrai-vrai. P.11 Parce que si les autres nous attrapent on est finis-finis. P.10 Il se dégage de ces phrases une envie de mieux se faire comprendre. Outre ceux composés, plusieursautres mots prennent un sens tout nouveau dans le contexte de la création de l'auteur. Ce sont des mots qui existent et qui ont un sens autre. Bvouma les manipule et ils prennent une signification neuve. Il y a une recherche sur la langue française qui permet aux mots de s'émanciper. Entre les doigts de ce dramaturge, une maxime populaire prend tout son sens : « Un mot n'a de sens que dans son contexte ». Le travail parfait permet alors de comprendre et de cerner les sens nouveaux sans la moindre difficulté.L'extrait suivant en témoigne : Un jour, les dépendances sont venues chasser la clonisation. Les dépendances ça voulaient dire que les Ntangans devaient rentrer chez eux. Ils devaient dégager s'en aller partir se casser foutre le camp de chez nous. On ne devait plus avoir de chef blanc, mais un président noir. P.45 Les mots sont des concepts forts, des idéologies contemporaines telles que perçues dans la société africaine d'aujourd'hui. En effet, les termes « dépendances » et « clonisation » sont investis de nouvelles énergies. L'auteur dramatique soutient toute une thèse dans chacun de ses concepts. Il ouvre ainsi des parenthèses vastes mais sans perdre de temps. Il y a un donner à penser sans pareil : Le conseil d'insécurité, c'est la réunion des conseillers qui donnent les conseils à l'ONU pour faire l'insécurité à ceux qui font l'insécurité dans le monde. P.66 Cette écriture se permet de briser les canons de la langue. Elle la déstructure dans un premier temps puis la restructure sous une forme inédite. On assiste à la naissance d'une langue nouvelle. Ex :...l'ONU se fâche mal-mauvais et envoie des militaires blancs... Ce texte revoit la définition de la phrase française. Elle n'est plus uniquement composée comme le veut la norme sous le modèle : Sujet-verbe-complément. La phrase c'est juste ce que boy killer a envie de dire : Très riches. Plus riches que nous. Chez nous. Et nombreux. P.43 Cette langue d'Elvis Bvouma parle aussi du sexe dans sa diversité : genre, pédophilie, abus, viol, appareil génital...Il utilise des images et parfois il y va sans prendre des gants. Entre liberté et tabou, il s'exprime : Dès qu'il allait être nu comme le ver de terre, j'allais sortir ce petit couteau que j'ai toujours dans mon caleçon depuis que je sais qu'il aime aussi faire collé-collé aux garçons et j'allais couper son gros machin là. Son gros Dago allait tomber là sur les herbes. P.61 * 78 Bernard Mbassi, Ethiopiques n°76, 1er semestre 2006. |
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