De l'adhésion de la RDC au droit de l'Ohada et les avantages offerts à la PME congolaise.( Télécharger le fichier original )par Christian-Daniel Bateka Université de Lubumbashi - Licence en Droit 2013 |
Section.2. Les faiblesses du Droit des affaires Congolais et les raisons de l'adhésion à l'OhadaD'aucuns étaient persuadés que l'adhésion à l'Ohada serait attentatoire à la souveraineté nationale et violerait la constitution en méconnaissant les prérogatives du parlement et de la Cour de cassation. Soulevée sous d'autres cieux, cette équation a été résolue par la réponse qu'y a réservée la Cour constitutionnelle du Sénégal (dans un sens qui, du reste, n'est pas sans rappeler la jurisprudence communautaire européenne). En résumé, il n'y a ni abandon de souveraineté, ni violation de la constitution, ni donc nécessité de révision constitutionnelle préalable ; il y a simplement limitation de compétences qu'implique tout engagement international en conformité avec les dispositions constitutionnelles sur les traités et au droit international des traités. En effet, l'article 213 de notre Constitution permet au Président de la République de négocier et conclure des traités, même si dans certains cas (notamment dans l'hypothèse de modifications législatives), la ratification ou approbation des traités est subordonnée à l'adoption d'une loi qui l'autorise (article 214). L'article 215 de la Constitution dispose que les traités ont une autorité supérieure aux lois. Enfin, l'article 217 permet l'abandon partiel de souveraineté pour la promotion de l'unité africaine. D'une manière générale, à ce jour, en RDC comme ailleurs, aucune argumentation ne résiste au contenu de la décision prise le 16 décembre 1993 par la Cour constitutionnelle du Sénégal après d'intenses débats d'exceptionnelle qualité : « Le dessaisissement de certaines (de ses) institutions, Cour de cassation, mais aussi Assemblée Nationale, n'est ni total ni unilatéral, qu'il s'agit donc, en l'espèce, non pas d'un abandon de souveraineté, mais d'une limitation de compétences qu'implique tout engagement international et qui, en tant que telle, ne saurait constituer une violation de la constitution dans la mesure où celle-ci, en prévoyant la possibilité de conclure des traités, autorise, par cela même, une telle limitation de compétences »30(*). Dans son avis de conformité du 5 février 2010, la Cour Suprême du Justice (faisant temporairement office de Cour Constitutionnelle) n'a pas suivi cet argumentaire à la lettre. Visiblement, elle n'écarte pas l'idée d'une atteinte à la Constitution. Mais elle transcende le débat en rappelant la
portée de l'article 217 qui permet un abandon partiel de
souveraineté pour soutenir l'unité africaine. 2.1. Les Faiblesses du Droit Congolais des affairesa. Les constatsLe premier, c'est que les textes juridiques congolais, dans le
domaine des affaires, sont caractérisés par une
vétusté légendaire. En effet, ces textes ont été élaborés en réaction à des situations de risque de prédation de l'économie nationale. Avant l'indépendance, conformément à l'Acte général de Berlin, le régime applicable dans le Bassin du Congo est celui de la porte-ouverte31(*) : libre entreprise, libre concurrence, liberté de commerce et égalité de traitement en faveur des ressortissants de toutes les quatorze puissances qui ont pris part à la Conférence internationale de Berlin (Allemagne), tenue du 15 novembre 1884 au 26 février 1885. Après l'indépendance, les sociétés et
les hommes d'affaires ayant acquis des pans entiers d'exploitation
économique sur le territoire congolais pouvaient priver le jeune Etat de
son indépendance économique. Les verrous ainsi imposés ont notamment trait à l'exercice du commerce par les étrangers, personnes physiques et sociétés commerciales. En l'occurrence, la Loi particulière n°73-009 sur le commerce leur interdit d'exercer le commerce d'importation, d'exportation et de transit, considéré comme un domaine réservé aux nationaux, à moins que, moyennant ouverture d'un compte indisponible dans une banque congolaise, à titre de cautionnement, ils aient été autorisés à le faire par ordonnance du Président de la République. En tout état de cause, le petit commerce leur est formellement interdit. Par ailleurs, en tant que commerçants, les
étrangers sont obligés de posséder dans une banque
congolaise un autre compte indisponible, de l'ordre de 50 millions de francs
congolais, pour obtenir leur immatriculation au Registre de commerce32(*). A un moment donné, ces interdictions et restrictions ont paru politiquement insuffisante, si bien que l'Etat dût procéder à la zaïrianisation, moyennant une indemnité équitable, en ces termes : Est transférée à l'État la propriété des entreprises agricoles, agro-industrielles, la propriété des carrières, des briqueteries et de grandes unités commerciales déterminées par l'État, qui appartiennent soit à des personnes physiques ou morales étrangères, soit à des sociétés de droit zaïrois dont le capital est détenu en partie ou en totalité par des étrangers. Tout ceci a conduit au désordre dans le secteur des
affaires et que le professeur Lukombe Nghenda a dénoncé comme
étant la symbolique de « l'entropie de la législation
congolaise relative à l'exercice du commerce par les étrangers
».33(*) Un tel désordre autarcique, aggravé par l'incurie
judiciaire national, ne peut que faire fuir les investisseurs étrangers.
D'où le second constat. C'est que, ironie du sort, l'Etat a maintenant besoin du retour des investisseurs étrangers afin de reprendre son décollage économique. Comment peut-il y parvenir ? Notre Droit des affaires en est arrivé à un niveau aussi bas, c'est à cause de plusieurs facteurs, notamment l'état actuel de la réglementation du secteur des affaires et la lenteur dans le processus de création des entreprises34(*). Il avait relevé également que la lourdeur du processus de création des entreprises est la conséquence de certaines formalités exigées par les greffes de commerce sans qu'elles soient indispensables, et dont certaines sont même contraires à la loi. Par ailleurs, une récente analyse avait révélé que les règles actuelles applicables aux affaires sont éparses, par conséquent peu accessibles, parfois fragmentaires, voir lacunaires et bien souvent archaïques comme peuvent en témoigner : - Le droit des sociétés par actions à responsabilité limitée, embryonnaire et obsolète, - Le droit de la faillite, largement dépassé par la pensée juridique moderne qui privilégie autant que possible le sauvetage des entreprises en difficulté, - Le droit des contrats commerciaux qui se réfugie souvent de manière hasardeuse derrière le droit civil des contrats usuels et spéciaux, - Le droit commercial général qui ne réglemente même pas le bail commercial, - Le registre du commerce, insuffisamment organisé. En outre, notre droit ignore encore diverses techniques juridiques répandues à travers le monde, entre autres : - La société unipersonnelle, qui contribuerait à structurer le secteur informel congolais ; - Le groupement d'intérêt économique, - Le droit des sociétés, notamment pour la répression des abus des biens sociaux, par exemple, - Les procédures d'alerte, visant à renforcer la prévention des risques dans les sociétés, - L'optimisation du rôle et de l'autonomie des commissaires aux comptes, - Le mécanisme de la lettre de garantie en droit des sûretés. De plus, le droit processuel des affaires s'illustre, dans notre pays, par la pratique de jugements iniques, à cause de divers maux dont souffre l'appareil judiciaire congolais, entre autres l'absence de formation permanente et de spécialisation des magistrats, l'ignorance des procédures de recouvrement accéléré des créances et la stagnation des règles organisant les voies d'exécution, dont certains procédés comme la saisie-attribution par exemple. * 30 « La souveraineté n'est pas seulement le pouvoir de dire `non`, mais également celui de dire `oui', c'est-à-dire qu'elle peut être une liberté assumée dans une perspective constructive, un pouvoir de détermination », souligne la Cour Constitutionnelle du Sénégal avant de proclamer que même si les articles soumis à son examen (articles 14, 15 et 16 du Traité Ohada) « avaient prescrit un véritable abandon de souveraineté, ils ne seraient pas inconstitutionnels », car la constitution légitimerait l'abandon partiel de souveraineté pour l'unité africaine.
* 31 G. BANZA MALELA MAKUTA, Les aspects juridiques dans les enjeux des crises congolaises : des origines à nos jours (1860-2006), Kinshasa, Ed. PUC, 2011 ; O. NDESHYO RURIHOSE, «Le contexte historique international et l'effort d'intégration nationale au Zaïre», Annales de la Faculté de Droit, vol. IV-VII, Kinshasa, Presses de l'Université de Kinshasa, 1984, pp.1-43.
* 32 Art. 2 de l'Ordonnance-loi n° 66-260 du 21 avril 1966 subordonnant à des garanties financières l'immatriculation au registre du commerce des étrangers, des sociétés étrangères et de certaines sociétés congolaises. * 33 LUKOMBE NGHENDA, Droit congolais des sociétés, Tom 1, PUC, Kinshasa, 1999, p.221. * 34 Club Ohada Kinshasa 2012, forum sur l'apport de l'Ohada en RDC page, 3 et 4 |
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