2. L'importance des règles de répartition
des revenus
Selon J. Richard Gilbert, lorsque les brevetés
concèdent des licences de manière indépendante, le montant
des redevances perçues dépend de leurs objectifs, de leur
faculté de négociation, de la qualité de leurs brevets,
des coûts d'opportunité qu'ils peuvent avoir à ne pas
octroyer de licences et des méthodes appliquées par les tribunaux
pour calculer les dommages-intérêts reversés en cas de
contrefaçon62. Mais ces critères ne sont pas
nécessairement ceux qui régissent la perception et l'allocation
des revenus dans un pool. Comme il a été
mentionné, les modalités de licences et de répartition des
revenus dans les différents regroupements de brevets varient
considérablement, et sont de nature à influer sur le comportement
des acteurs, et donc sur l'état de la concurrence sur le marché.
Certains pools peuvent même avoir intérêt à
ne pas exiger de paiement de redevances contre la licence de leur portefeuille,
et ce afin de promouvoir l'adoption des nouvelles technologies couvertes par
leurs brevets. C'est le cas par exemple du Bluetooth Special Interest
Group qui offre à ses membres des licences non-exclusives,
perpétuelles et gratuites pour l'ensemble des brevets qu'il
gère.
En ce qui concerne la répartition des redevances
perçues par le pool, les différents membres peuvent
avoir des intérêts différents, et c'est d'ailleurs une des
principales raisons de l'échec de la création de pools.
La première distinction à opérer parmi les
adhérents permet de créer deux groupes : les brevetés qui
fabriquent ou vendent des produits qui intègrent les technologies du
pool, et ceux qui ne sont pas présents sur ce marché
aval (les universités ou les chercheurs notamment). Il est
évident que les brevetés verticalement intégrés
souhaitent avant tout une adoption rapide de la technologie, afin d'entrer
rapidement et efficacement sur le marché, en l'échange de
redevances faibles, voire nulles. Les entreprises fondatrices des pools
MPEG, DVD ou 3G sont pour la plupart des entreprises verticalement
intégrées qui détiennent des droits de
propriété intellectuelle et utilisent les technologies
brevetées. Les acteurs qui n'ont pas d'intérêt dans le
marché aval souhaitent en revanche bénéficier des
redevances les plus élevées possibles, et peuvent même
être découragés à l'entrée dans un pool
dont les revenus sont trop faibles, ou qui a par exemple introduit
62 R. J. Gilbert, « Ties that Bind : Policies to
Promote (Good) Patent Pools », loc. cit., p. 19.
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un plafonnement des redevances -la concession
indépendante de licences leur sera alors bien plus profitable.
L'intégration au sein d'un pool peut ainsi ne pas correspondre
au modèle économique de fonctionnement d'une entreprise, si elle
est par exemple engagée dans la Recherche et Développement et
compte sur les revenus de ses licences pour perdurer : « An
R&D-only firm always has the incentive to deviate from a patent pool
»63.
En pratique, les patent pools allouent
généralement les redevances proportionnellement au nombre de
brevets détenus par chaque membre, car cette formule a l'avantage de la
simplicité. Elle est notamment utilisée par les pools
MPEG et 3G. L'accord concernant la technologie MPEG-2 est
caractéristique d'une telle répartition : les revenus
engendrés par les redevances sont divisés selon la formule
(P/N.M), où P est le nombre de brevets du pool que la partie
détient dans un pays donné, N le nombre total de brevets
essentiels appartenant au pool dans ce pays, et M le montant des
redevances perçues dans le pays dans le cadre du regroupement (chaque
pays étant ainsi traité séparément)64.
Une telle distribution des revenus est cependant difficile à accepter
pour les membres qui détiennent des brevets peu nombreux mais dont la
valeur est importante. D'autres pools adoptent donc des règles
plus complexes qui permettent de partager les revenus en fonction de la valeur
des brevets apportés au regroupement, selon certains indicateurs. Dans
le pool DVD-1 par exemple, les règles de répartition
sont fonction de l'âge des brevets, de la quantité de
contrefacteurs potentiels, et de leur degré d'essentialité
vis-à-vis du standard. L'un des inconvénients associés
à de telles pratiques, mis à part la complexité des
règles de calcul, est qu'elles impliquent nécessairement
l'intervention d'auditeurs indépendants - annuellement dans le cas du
pool DVD-1 - afin de s'assurer que les membres du pool
reçoivent bien les sommes convenues.
Comme le soulignent Layne-Farrar et Lerner, l'influence
exercée par les règles de partage de redevances dans la
décision de rejoindre un pool est difficile à
évaluer empiriquement, dans la mesure où les entreprises font
leur choix en même temps que sont décidées ces clés
de répartition : en d'autres termes, « sharing is an endogenous
decision »65. D'autres règles mises en place par le
pool peuvent aussi avoir un impact sur les agissements des acteurs
d'un marché, et ainsi influer sur la concurrence. C'est le cas notamment
des dispositions concernant les licences octroyées aux tiers.
63 R. Aoki et S. Nagaoka, « The Consortium Standard and
Patent Pools », The Economic Review, Institute of Economic Research,
Hitotsubashi University, vol. 5 n°4, oct. 2004, p. 355.
64 A. Layne-Farrar, J. Lerner, «To Join or not
to Join: Examining Patent Pool Participation and Rent Sharing Rule »
loc. cit., p. 11.
65 Ibid., p. 16.
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