Les tensions entre l'union africaine et la cour pénale internationale à l'occasion de la poursuite des chefs d'état africains( Télécharger le fichier original )par Stephanie Laure Anguezomo Ella Université de Limoges - Master 2 2015 |
Paragraphe I) Une compétence pénale internationale pour la CourEn vertu de l'article 28A paragraphe 1er du Protocole de Malabo, la CAJDH est compétente pour connaître des crimes internationaux tels que les crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crime d'agression, mais aussi des crimes ayant une importance particulière pour l'Afrique notamment le crime relatif au changement anticonstitutionnel, la piraterie, le terrorisme, la corruption, le mercenariat, le blanchiment d'argent, la traite des êtres humains, le trafic de stupéfiants, le trafic de déchets dangereux et l'exploitation illégale des ressources naturelles. Le paragraphe 2nd du même article précise également de la possibilité d'extension des crimes par un consensus entre les États lors d'une conférence, au regard du développement du droit international pénal128. Il s'agit là pour les quatre premiers crimes, d'une intégration régionale par le Protocole des crimes consacrés par le 126Ibid 127 AFRICA 24, Procès Gbagbo à la CPI, Joseph Koffigoh de l'UA :« Le monde entier saura la vérité», 8 Février 2016, http://www.africa24tv.com/fr/proces-gbagbo-la-cpi-joseph-koffigoh-de-lua-le-monde-entier-saura-la-verite, (consulté le 28/02/2016) 128Mutoy MABIALA, L'élargissement du mandat de la Cour Africaine de Justice et des droits de l'homme aux affaires de droit international pénal, Revue Internationale de Droit Pénal, Vol 85 2014/3, p.749 - 758, https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-penal-2014-3-page-749.htm, (consulté le 26/12/2015) Page 57 | 97 Statut129. Selon l'article 46E, la Cour ne sera compétente que pour les crimes commis après l'entrée en vigueur du protocole. Le protocole prévoit en son article 46C une responsabilité pénale de tout individu qui se serait rendu coupable des crimes prévus au protocole. Pourquoi est-il plus efficace au regard de la lutte contre l'impunité de faire juger les responsables de crimes internationaux par des mécanismes régionaux ? Cette Cour régionale est une nécessité car malgré un faible panel d'États ayant décidés de juger les auteurs de tels crimes notamment au Rwanda, en Sierra Léone et dans le cas d'Hissène HABRE, l'on a pu non seulement constater le manque de volonté (Soudan, Kenya) et l'incapacité de certains États à réprimer, mais aussi les échecs de l'approche séquentielle de la CPI en ne poursuivant que les crimes commis par un seul camp. Cette cour africaine ne sera pas enfermée dans la critique du " harcèlement occidental" ni dans la volonté des pouvoirs en place des États ou elle entend mener des enquêtes et des poursuites130. De plus, le jugement des individus par une cour régionale est un système en pleine mutation qui marque la maturité des États africains. En effet, il est plus que jamais démontrer qu'ils sont capables de juger eux-mêmes les responsables de crimes commis sur le continent. A l'égard des victimes, la justice lorsqu'elle est rendue en Afrique, a plus d'impacts (positifs) car c'est à l'Afrique elle-même de reconnaître la souffrance de son peuple par une condamnation des auteurs de crimes. Ainsi, « l'effet dissuasif et éducatif des poursuites sera plus évident par rapport à une justice rendue par la Haye »131. Cette juridiction africaine permettra une meilleure coopération des États, problème empêchant actuellement la CPI de fonctionner efficacement. Elle permettra également de renforcer l'expertise africaine dans le développement du système de justice pénale internationale. En effet, les juristes africains au sein des institutions judiciaires internationales (juges, avocats, procureurs) constituent l'indispensable pour développer le système africain de lutte contre l'impunité des crimes internationaux132. La CAJDH bénéficiera plus facilement d'une coopération des États africains d'une part en raison de la proximité géographique et d'autre part en raison du sentiment d'appartenance crée par ce système régional133. Enfin, cette Cour pourra réduire la charge de travail 129Ibid 130Pacifique MANIRAKIZA, AFRICAN JOURNAL OF LEGAL STUDIES ( 2009) , L'Afrique et le système de justice pénale internationale, p21-52, http://booksandjournals.brillonline.com/content/journals/10.1163/221097312x13397499736868?crawler=true, (consulté le 13/12/2015) 131Ibid 132Ibid 133Adriana COSTA VALFRE PIAZZA, Philippe-Daniel DESHAIES-RUGAMA, Ousmane N'DIAYE, CPI et CAJDH: Vers un nouvel horizon pour la justice pénale internationale, Clinique de droit International Pénal et Humanitaire, 22 Décembre 2014, https://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/cpi-et-cajdh-vers-un-nouvel-horizon-pour-la-justice-penale-internationale,(consulté le 25/11/2015) Page 58 | 97 de la CPI, qui croule sous un nombre important de situations sous examens préliminaires dont l'issue est toujours incertaine. Cette Cour ne pourra toutefois pas se saisir des situations où des affaires déjà en cours devant la CPI. S'agissant des inconvénients, l'on notera le risque d'instrumentalisation134 par les Chefs d'État africains. En Afrique, le pouvoir judiciaire n'est pas suffisamment indépendant, en ce sens que les juges sont nommés par les chefs d'États. D'ailleurs les juges de la CADHP, devaient être approuvés par leurs chefs d'États respectifs135. La Cour risque également d'être une cour des opposants politiques rebelles et d'être un abri pour l'impunité des chefs d'État africains soucieux de rester au pouvoir le plus longtemps possible pour ne pas avoir à répondre de leurs actes. Cela aura ainsi un impact sur l'indépendance, l'impartialité des décisions de la Cour sur le continent et sur la réussite à long terme de celle-ci. Par conséquent, elle risquera de se retrouver face des critiques similaires que celles auxquelles fait actuellement face la CPI par l'UA. Un problème majeur pourra affecter l'efficacité de la Cour, c'est celle des ressources financières pour assurer son fonctionnement. La plupart des mécanismes régionaux fonctionnent avec des fonds internationaux c'est le cas de l'UA. Les États africains ne peuvent pas vouloir une Cour africaine pour sortir du joug judiciaire orchestré selon eux par les États puissants, pour voir celle-ci financée par les États occidentaux qu'ils accusent être les metteurs en scène de la justice pénale internationale. S'ils veulent se défaire du système actuel, ils doivent assurer eux même et ce durablement, le fonctionnement de cette nouvelle expérience de régionalisation. D'ailleurs, la société civile doute que la Cour africaine de justice dispose de moyens financiers suffisants pour conduire les affaires pénales. Elle fait part de ses inquiétudes dans un lettre adressée aux Ministres de la justice et Procureur généraux des États africains membres de la CPI selon laquelle : « L'ajout d'un troisième mandat à la Cour africaine ne fera qu'absorber des ressources vitales pour consolider le mandat de la Cour africaine en matière de droits humains ». Elle ajoute ensuite que : « le coût d'un seul procès pour crime international a été estimé à près de 20 millions de dollars américains. Cela représente pratiquement le double des budgets de 2009 approuvés et conjugués de la Commission africaine et de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples »136. 134Ibid 135Hajer GUELDICH, Ordine internazionale e diritti umani, Observatoire sur l'Union Africaine,Protocole portant amendement au Protocole sur le statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l'homme ( Protocole de Malabo) , n°4-2015 p.712-715, http://www.rivistaoidu.net/sites/default/files/numero%20completo%20OIDU%204%202015.pdf, (consulté le 16/12/2015) 136COALITION FRANÇAISE POUR LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE, L'éventuelle extension de la compétence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples inquiète la société civile africaine, 15 mai 2012, http://www.cfcpi.fr/spip.php?article683 (consulté le 25/12/2015) Page 59 | 97 Sur la création d'une cour africaine de justice compétente en matière de crimes internationaux, Alan WALLIS, avocat spécialiste de la justice internationale du Southern African Litigation Center déclare que : « (...) techniquement, elle pourrait encourager la recherche du forum le plus favorable en offrant le choix entre une cour pénale africaine et la CPI ; elle pourrait entraîner des délais dans les poursuites judiciaires et entraver les efforts de responsabilité »137. Il ajoute ensuite que : « De par leur nature, les procédures pénales internationales requièrent des ressources considérables. Le manque de fonds risque d'entraver le bon fonctionnement de la justice, et l'intégrité et la crédibilité des procédures engagées par le tribunal à l'avenir pourraient être remises en question... »138comme ça été le cas des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens qui ont connu des difficultés de fonctionnement en raison du manque de financement et de la mauvaise volonté du gouvernement cambodgien. Enfin, l'un des griefs à l'encontre de ce protocole repose sur l'article 46 A bis qui consacre que : « Aucune procédure pénale n'est engagée ni poursuivie contre un chef d'État ou de gouvernement de l'UA en fonction, ou toute personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout autre haut Responsable public en raison de ses fonctions. » Cette disposition confère expressément une immunité aux chefs d'État comme à tout membre du gouvernement y compris dans les cas où il s'agirait de crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crime d'agression. C'est d'ailleurs cet article 46A bis du Protocole de Malabo qui a été modifié de façon à ce que les représentants étatiques ne puissent jamais être inquiétés. Selon MUTOY MUBIALA, spécialiste des droits de l'homme, l'insertion de cette disposition dans le Protocole a permis à l'UA d'obtenir au niveau régional ce qu'elle n'a pu obtenir au niveau universel, à savoir l'immunité pour les chefs d'État et de gouvernement en exercice, ce qui empêchera la CPI de les traduire en justice139. En décidant d'accorder cette immunité aux dirigeants africains, l'UA a agi en contradiction avec l'article 27 du Statut de Rome. En effet, l'article 46A crée une « situation d'engagements contradictoires140» pour les États parties au Statut qui ratifieront (ou qui ont déjà ratifiés) le Protocole de Malabo. A cet effet, MUTOY MABIALA affirma que : 137IRIN, Analyse : Vers la création d'une Cour pénale africaine ?, IRINNEWS, http://www.irinnews.org/fr/report/95652/analyse-vers-la-cr%C3%A9ation-d-une-cour-p%C3%A9nale-africaine (consulté le 7/12/2015) 138Ibid 139Mutoy MABIALA, L'élargissement du mandat de la Cour Africaine de Justice et des droits de l'homme aux affaires de droit international pénal, Revue Internationale de Droit Pénal, Vol 85 2014/3, p.749 - 758, https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-penal-2014-3-page-749.htm, (consulté le 26/12/2015) 140Ibid Page 60 | 97 « S'il est vrai que juridiquement, compte tenu de la nature horizontale du droit international, ces États seront tenus d'honorer leurs engagements au titre des deux instruments universel et régional de manière indépendante, il n'en reste pas moins vrai que le système régional sera utilisé comme instrument de torpillage de la juridiction pénale universelle141». De plus la contradiction de l'article 46A du Protocole avec l'article 27 du Statut pose un état de fait selon lequel, l'exercice de sa compétence par la CAJDH n'empêchera pas à la CPI d'exercer sa compétence à l'égard de dirigeants ayant commis des crimes internationaux car celle-ci n'est tenue qu'envers le Statut de Rome142. Bien que l'article 46A nuise à l'intégrité de la CAJDH et remette en cause les principes fondamentaux des instruments régionaux comme l'a précisé AMNESTY INTERNATIONAL dans une lettre adressée aux chefs d'État avant le Sommet de Malabo, cela n'a pas toutefois empêché l'insertion de la disposition dans le Protocole. Cette organisation considéra que : « L'article 46 A bis du projet de protocole porte gravement atteinte à l'intégrité de la Cour africaine et au but déclaré de l'Union africaine de permettre aux victimes de crimes graves de droit international d'obtenir justice. Il révèle une intention d'instaurer une règle pour les personnes occupant des postes de pouvoir et une autre pour les populations. S'il est adopté, l'article 46 A bis empêchera la Cour africaine d'enquêter et de poursuivre des chefs d'État et de gouvernement en exercice qui orchestrent des actes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre comme ceux perpétrés au Rwanda en 1994. Cette disposition interdirait les poursuites contre des personnes qui commettent des atrocités dans les pays limitrophes du leur, comme Charles Taylor, qui a été inculpé alors qu'il était président du Libéria, puis condamné par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité perpétrés en Sierra Leone [...]. L'immunité prévue par l'article 46 A bis, qui exempterait les chefs d'État et de gouvernement et les hauts fonctionnaires en exercice de poursuites devant la Cour africaine, constitue une violation 141Ibid 142Hajer GUELDICH, Ordine internazionale e diritti umani, Observatoire sur l'Union Africaine,Protocole portant amendement au Protocole sur le statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l'homme ( Protocole de Malabo) , n°4-2015 p.712-715, http://www.rivistaoidu.net/sites/default/files/numero%20completo%20OIDU%204%202015.pdf, (consulté le 16/12/2015) Page 61 | 97 de ces principes et objectifs - qui, tous, font partie intégrante de l'Acte constitutif de l'Union africaine. 143» L'adoption de cette disposition constitue invraisemblablement un recul de la lutte contre l'impunité en Afrique car en l'intégrant, les chefs d'Etats ou de gouvernement qui sont les principaux instigateurs des crimes abominables sont à l'abri de toute responsabilité pénale qui pourrait être retenue contre eux et par conséquent, sans cette possibilité offerte par la justice de passer outre les fonctions de l'auteur d'un crime, il y'a un risque que des crimes continuent d'être commis. En effet, on voit mal comment la nouvelle CAJDH prétendrait poursuivre l'objectif fixé par elle alors que l'article 46 A bis y fait défaut car si elle ne peut plus viser les hauts responsables dont les dirigeants en exercice, qui poursuivra-t-elle ? En quoi consistera donc sa mission ou encore quel serait l'intérêt de sa création ? L'on craint qu'elle n'ait été mise en projet que pour cette seule raison, l'immunité. Le comble d'une telle disposition vient du fait que les Etats africains ont consenti à intégrer dans leur droit interne le défaut de pertinence de l'immunité pour les crimes internationaux. Cette démarche semble donc absurde et revêt la protection d'autres intérêts. En fin de compte, l'investissement de l'UA dans la création d'une cour régionale avait pour but de contourner le Statut de la CPI comme l'a fait auparavant les États Unis par l'adoption des lois de non coopération avec la CPI. Ainsi, l'UA a obtenu pour ses paires une garantie d'immunité consacrant par ricochet l'impunité de ces derniers. Pour éviter des poursuites, ils se maintiendront au pouvoir par tous les moyens et même par la force puisque tant qu'ils sont au pouvoir ils ne seront pas inquiétés. En principe, le Statut de Rome prévoyait une complémentarité entre la CPI et les juridictions nationales, mais la création de la CAJDH met en exergue une nouvelle forme de complémentarité entre ladite cour et la CPI. |
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