Les tensions entre l'union africaine et la cour pénale internationale à l'occasion de la poursuite des chefs d'état africains( Télécharger le fichier original )par Stephanie Laure Anguezomo Ella Université de Limoges - Master 2 2015 |
Paragraphe I) La violation de leurs engagements internationaux par les ÉtatsPar leur refus manifeste d'accéder aux demandes d'arrestations de la Cour contre Omar El BECHIR, la Cour rendra une décision sanctionnant le Tchad et le Malawi, pour avoir agi en contrariété avec le Statut. Cette coopération n'est qu'une conséquence de l'adhésion volontaire au Statut, qui crée lui-même une exception en cas d'immunité de la personne recherchée à l'article 98 du Statut. Un État peut donc refuser d'accéder à la demande de coopération de la Cour si ce fait d'après l'article 98 conduit cet État à agir dans une incompatibilité avec les accords internationaux ou le droit international en matière d'immunité. L'exception de l'article 98 dérogeant à la règle de l'article 27 au sein du Statut, crée des conflits sur le terrain juridique. En effet, l'UA soutient qu'en raison de l'article 98 les États peuvent refuser d'arrêter le président d'un État tiers, cela dû son immunité reconnue en droit international, alors que la Cour considère que le seul renvoi par le CS lève implicitement l'immunité dont aurait pu bénéficier Omar El BECHIR et exige la coopération de tous les États parties. Pour justifier son manquement à l'obligation de coopérer devant la Cour, le Malawi expose deux arguments principaux à savoir qu'il accorde au président en exercice EL BECHIR, d'un État non partie au Statut, l'immunité en raison des principes établis par le droit international public et de la législation nationale en matière d'immunités et de privilèges114. Il argue également qu'en tant que membre de l'Union Africaine, le Malawi avait fait le choix de s'aligner « pleinement » sur la position de l'organisation à l'égard la mise en accusation de chef d'État en exercice des pays qui ne sont pas parties au Statut de Rome115. Concernant le deuxième argument, l'UA s'appuie spécialement sur ce dernier (l'article 98-1) pour demander aux États membres de ne pas coopérer. Le Malawi a estimé en outre que l'article 27 qui aurait pu permettre la levée de l'immunité est inapplicable pour le président EL BECHIR en exercice, d'un Etat non partie, car cette levée d'immunité n'est pas nécessaire pour un État n'ayant pas ratifié le Statut. La Chambre préliminaire I rejeta les arguments de défense du Malawi en constatant que : 114CPI, Affaire Le procureur c.Omar Hassan Ahmad Al Bashir, CHAMBRE PRELIMINAIRE 1, Ref ICC-02/05-01/09-139-Corr-tFRA, https://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/situations%20and%20cases/situations/situation%20icc%200205/related%20cases/icc02050109/cou rt%20records/chambers/ptci/Pages/index.aspx, 12 Décembre 2011, ( consulté le 24/12/2015) 115Ibid Page 51 | 97 « Conformément à l'article 87 (7) du Statut de Rome, que la République du Malawi n'a pas accédé aux demandes de coopération contrairement aux dispositions du Statut et a ainsi empêché la Cour d'exercer ses fonctions et pouvoirs en vertu du présent Statut. La Chambre décide de référer l'affaire au Conseil de sécurité des Nations Unies et à l'Assemblée des États Parties. » Puis concernant l'immunité des chefs d'État dans le cadre des demandes d'arrestations, la Chambre note que : « Il y a une tension inhérente entre les articles 27 (2) et 98 (1) du Statut et la pertinence de l'immunité lorsque la Cour demande la coopération pour l'arrestation d'un chef d'État. La Chambre considère que le Malawi, et par extension l'Union africaine, ne sont pas habilités à se référer à l'article 98 (1) du Statut pour justifier leur refus d'accéder aux demandes de coopération. » Enfin la Cour ajouta que : « (...) interpréter l'article 98-1 pour justifier la non remise d'El Béchir pour des raisons liées à son immunité entraverait le travail de la Cour d'une façon contraire au but du Statut ratifié par le Malawi ». La Cour utilisera les mêmes arguments dans sa décision sur le refus de coopération de la République du Tchad. Pour l'UA, un traité ne peut pas priver les États non parties des droits qu'ils possèdent normalement et de ce fait considère que : « Le Conseil de sécurité n'a pas levé l'immunité du Président BACHIR soit ; une telle levée aurait dû être explicite car un simple renvoi d'un « cas » par le CSNU à la CPI ou le simple fait de demander à un État de coopérer avec la CPI ne saurait être interprété comme une levée des immunités accordées en vertu du Droit international. La conséquence de la saisine, c'est que le Statut de Rome, notamment l'article 98, est applicable à la situation au Darfour. ». L'UA se montrant particulièrement opposée aux décisions de la Chambre préliminaire I rappela que tous les États membres de l'UA ont des obligations envers l'organisation en vertu de l'article 23 (2) de l'Acte Constitutif de l'UA sommant aux États membres «de se conformer aux décisions et aux politiques de l'Union ». Ce n'est pas uniquement l'interaction entre l'article 98 et l'article 27 que la coopération entre la Cour et les États a été rendu impossible par l'UA mais en partie parce qu'il s'agit d'un Chef d'État d'un pays non partie au Statut. L'article 98 contient le terme « État tiers » ce qui signifie qu'il s'agit d'un État non partie, on voit mal comment cet article serait inapplicable dans le cas du Président BECHIR sachant que son État n'a pas ratifié le traité. La CPI semble s'appuyer sur le fait que le renvoi par le CS supprime implicitement l'immunité et rend donc obligatoire la coopération des États. De façon générale, la CPI donne l'impression que le CS, en tant qu'organe de l'ONU peut déroger au principe de droit international coutumier en matière d'immunité pour justifier l'inapplicabilité de l'article 98. A l'origine, Page 52 | 97 l'ONU a été créée par les États qui, par une pratique générale et acceptée, une obligation de respecter l'immunité a fini par s'imposer. Ainsi, pourquoi vouloir déduire également d'un simple renvoi du CS qui est un mode de saisine comme un autre, une obligation des États parties de livrer un représentant étatique d'un État non partie. Il est critiquable de penser que les rédacteurs du Statut entendait contraindre les États non parties à l'égard de dirigeants d'État non partie, sinon l'article 98 n'aura pas de raison d'être. Par conséquent, il n'y a aucune obligation pour un État partie d'arrêter et de remettre à la Cour le président EL BECHIR puisque juridiquement ils n'y sont pas tenus mais au contraire dispenser par l'article 98. Nous pensons également qu'inclure des moyens de coopération de contrainte, le CS, dans la politique judiciaire d'une institution crée par des États violerait la règle selon laquelle « le traité ne lie que ceux qui l'ont signé ». Enfin, il s'agit là d'accorder un pouvoir de trop au CS, par le biais d'une simple saisine de la CPI, de lever ou non l'immunité d'un Chef d'État de surcroît en exercice et donc d'écarter le droit international coutumier à sa guise. Toutefois, on est tenté de penser que c'est certainement parce que la situation du Darfour a été renvoyée sur la base du Chapitre VII que cette immunité est « implicitement » considérée comme avoir été levée par le CS. A moins de le faire expressément dans ces prochaines résolutions, les États parties ne sont pas obligés de coopérer avec la Cour sur l'arrestation d'un dirigeant d'un État non partie. L'Afrique du Sud, État partie au Statut, est le dernier pays à avoir accueilli EL BECHIR en juin 2016 et à l'avoir laissé repartir malgré le mandat d'arrêt qui pesait sur lui en se fondant sur son immunité de chef d'Etat. L'on se demande toutefois s'il est judicieux pour un État même partie d'arrêter un Chef d'État qui se serait rendu dans un pays non pas en tant en simple visite présidentielle mais en tant qu'hôte d'un sommet organisé par une organisation telle l'Union africaine. La difficile coopération de certains africains dans l'arrestation d'EL BECHIR fait état d'un conflit d'engagements en raison de la double présence au sein d'institutions internationales116. Certains États dans une logique de préservation de leurs intérêts, prendront la décision de rester fidèles à l'Union africaine en estimant que l'institution représente la meilleure chance pour eux d'atteindre leurs objectifs. Par conséquent, ils ne coopéreront pas avec la CPI comme ça été le cas du Malawi et du Tchad mais seulement quand cette coopération les arrange d'une manière ou d'une autre. Cette attitude de non coopération marque une solidarité africaine des dirigeants dans l'arrestation de l'un des leurs, en ce que si aujourd'hui il arrivait qu'ils permettent à la CPI de juger un Chef d'État en exercice en l'arrêtant et en la lui remettant, ça pourrait être au tour à un moment ou à un autre au tour de l'un d'eux. Ainsi, l'intérêt garanti par l'UA qui explique que certains États fassent le choix de respecter ses 116P.ELVIC BATCHOM, La double-présence au sein des institutions internationales, 31 janvier 2014 http://www.codesria.org/spip.php?article1921&lang=en, (consulté le 29/11/2015) Page 53 | 97 décisions se traduit plus comme une échappatoire à la justice pénale internationale qu'à une manoeuvre pour « l'Afrique ». L'Afrique n'a rien demandé à l'UA si ce n'est de juger les auteurs d'exactions faisant de milliers de mort sur le continent. On ne peut donc pas dire que ce combat est un combat pour l'Afrique mais pour les dirigeants, pour que ceux-ci se mettent à l'abri de poursuites judiciaires. Pour les États s'alignant à la CPI, il s'agit d'une loyauté « aux principes démocratiques et de respect des droits de l'homme inspirés et défendus par les Nations Unies. Elle emporte des conséquences bénéfiques pour les États qui s'illustrent par leur détermination à coopérer avec la CPI car, c'est une marque de refus de toute atteinte à la vie et à la morale internationale117. » Cette décision de non coopération bien qu'elle soit juridiquement incompatible avec les obligations des États envers la CPI, est renforcée par une menace de retrait collectif du Statut par certains États africains. |
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