Chapitre II
La pédagogie adoptée par la
réforme curriculaire
La réforme curriculaire prescrit un changement au
niveau de la pédagogie à adopter. Ainsi l'approche par
compétences est adoptée à la place de la pédagogie
par objectifs. Tout choix pédagogique, d'après Bruner (1996),
véhicule inévitablement une conception du processus
d'apprentissage et de celui qui apprend. La pédagogie n'est jamais
innocente : c'est un médium qui porte son propre message. Le choix
de pratiques pédagogiques implique une conception de l'apprenant et de
celle du savoir. Quelles conceptions du processus d'apprentissage et de
l'apprenant véhicule l'approche par compétences ?
Pour traiter cette question, nous allons en premier
développer les défis que ce changement suppose pour
l'école en général et dans les pratiques des enseignants
en particulier. Ensuite nous tenterons de comprendre le concept de
compétence et de l'approche par compétences ainsi que les
fondements de cette approche. En troisième point, nous
présenterons les conceptions de l'apprentissage, de l'enseignement et du
savoir que cela entraîne chez l'enseignant. En dernier, nous montrerons
quelles conceptions du processus d'apprentissage véhicule l'APC et donc,
quelles conceptions d'apprenant, d'enseignant et du savoir sont
véhiculées par cette pédagogie ?
I/ Défis imposés à l'école et
aux pratiques pédagogiques
Pour Roegiers et De Ketele, l'APC est une contribution
pédagogique que l'école peut adopter afin de
répondre aux défis imposés par l'évolution de la
société. Ces défis peuvent se résumer en trois
points (Roegiers & De Ketele (col), 2000 ; Jonnaert & al. 2006) :
A/ Nécessité d'efficacité interne,
d'efficience et d'équité :
De Ketele pose le problème d'équité comme
un des enjeux majeurs des systèmes éducatifs du XXI siècle
qui est lié de près à l'efficience et à
l'efficacité interne des systèmes éducatifs (Roegiers
& De Ketele (col), 2000).
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Les questions d'efficacité interne, d'efficience et
d'équité9, sont en relation avec le
coût de l'éducation qui ne cesse d'augmenter. L'échec
scolaire ainsi que l'abandon des élèves coûtent cher au
système éducatif. Leur limitation nécessite une
réflexion sur le système d'évaluation et plus
précisément sur les savoirs indispensables à
maîtriser pour réussir. Le développement de
compétences s'avère une des solutions à cette
réflexion. Les résultats de recherches concernant l'enseignement
primaire et supérieur (Roegiers & De Ketele (col), 2000), ont
montré que l'approche par intégration des acquis, notamment
l'approche par compétences, apporte une plus-value incontestable, tant
en termes d'efficacité interne qu'en termes d'efficacité externe
ou d'équité. Toutefois l'application d'une approche
intégratrice trop exclusive ou trop rapide, sans apprentissages
ponctuels n'améliorerait pas les résultats et encore moins
l'équité (entre ceux qui ont des outils intellectuels et les plus
faibles, ceux qui n'en ont pas) (Roegiers & De Ketele (col), 2000).
B/ Nécessité de répondre
à l'augmentation de la quantité et de l'accessibilité
à l'information:
La quantité d'informations produite par les recherches
scientifiques est en perpétuelle évolution.
L'accessibilité à ces informations, par le biais des
médias et surtout de l'Internet, est aussi en augmentation. De ce fait,
les sources d'information provenant de l'extérieur du cadre scolaire
sont parfois plus importantes que le contenu des programmes d'études
eux-mêmes (Jonnaert & al. 2006).
Jonnaert & al. (2006) parlent de l'apparition d'une autre
« conception des connaissances » et de l'intelligence. Cette
conception de l'intelligence est distribuée entre les artefacts
cognitifs (l'interaction que l'individu établit entre différents
supports de l'information et son activité cognitive) et la cognition
elle-même (Jonnaert & al. 2006). Ceci oblige le monde
éducatif à prendre ses distances par rapport à un
enseignement traditionnel qui ne considère l'apprenant que comme un tout
cognitif. Ce qui complexifie le rapport des enseignants aux connaissances
et aux apprentissages. Les connaissances ne sont plus
9 Les questions d'efficacité interne se
rapportent aux taux de réussite des élèves tout au long de
leur scolarité, et de la qualité de cette réussite.
Les questions d'efficience tentent d'établir le
rapport entre les moyens, humains et financiers, investis et le résultat
obtenu.
Les questions d'équité posent la question de
savoir dans quelle mesure le système éducatif offre les
mêmes chances à tous les élèves.
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considérées comme des entités
figées et reproductibles sur le modèle des savoirs transmis par
l'enseignant (Jonnaert & al. 2006).
La révolution numérique apporte aussi une
nouvelle contrainte. En plus de la fracture numérique
(déséquilibre à l'accès à l'information) qui
existe entre des catégories socio-économiques différentes,
il y a maintenant une fracture cognitive (déséquilibre dans la
relation au savoir). Ainsi la diffusion généralisée du
savoir, loin de réduire le fossé entre les plus avancés et
les moins avancés, peut contribuer à creuser cet écart
(Bindé 2005 in Jonnaert & al. 2006). Selon Jonnaert, cette
double fracture numérique et cognitive, se présente comme un
défi de taille pour les systèmes éducatifs.
L'école se trouve alors confrontée à deux
grands problèmes : D'un côté, comment et quel savoir
transmettre ? D'un autre côté, quel sens donner à sa
fonction? Ceci a pour conséquence aussi, la perte du sens de la fonction
traditionnelle de l'enseignant qui est la transmission de la connaissance.
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