B/ Différences entre paradigme d'enseignement et
celui d'apprentissage :
1) Différences au niveau des concepts
:
Le paradigme traditionnel appelé aussi d'enseignement
utilise selon Astolfi (2003), des termes qui fonctionnent sur le mode de
l'évidence et qui sont utilisés par évidence du
bon sens que ce soit par les acteurs éducatifs ou par autres
personnes, pour décrire et
41
expliquer ce qui se passe à l'école et à
la classe. Pour ces mêmes objectifs (décrire et expliquer ce qui
se passe à l'école et en classe...), le paradigme d'apprentissage
exploite autres concepts qui correspondent au vocabulaire actuel des
sciences de l'éducation, qui est plus conforme aux données de la
psychologie cognitive, de la didactique et de l'épistémologie.
Ces différents concepts sont résumés dans le tableau
suivant :
|
Paradigme d'enseignement
|
Paradigme d'apprentissage
|
|
Transmission
|
Construction
|
|
Instruction
|
Formation
|
|
Maître
|
Médiateur
|
|
Elève
|
Apprenant
|
Termes / concepts adoptés
|
Programme
|
Curriculum
|
|
Leçon
|
Dispositif
|
|
Notion
|
Concept
|
|
Mémoire
|
Cognition
|
|
Connaissance
|
Compétence
|
|
Contrôle
|
Évaluation
|
Les concepts du paradigme d'apprentissage, sont plus
utilisés actuellement dans le langage scolaire pour remplacer ceux du
paradigme traditionnel. Cependant, comme Astolfi l'a démontré
dans son article « le métier d'enseignant entre deux figures
professionnelles », l'utilisation de ces nouveaux concepts, ne correspond
pas seulement à un changement lexical superficiel mais à un
renouvellement des conceptions de l'apprendre, dégagé par les
recherches en éducation, mais qui n'est pas encore en phase avec les
représentations que se font les acteurs (p. 24). Ces nouveaux
concepts, les « nouveaux mots de l'apprendre »,
reflètent surtout une mutation professionnelle qui se cherche encore
(Astolfi, 2003).
2) Différences au niveau du processus
d'apprentissage et de l'enseignement :
Le paradigme traditionnel, appelé d'enseignement est
basé sur des conceptions d'apprentissage et d'enseignement
différentes de celle du paradigme d'apprentissage. Le tableau ci-dessous
présente une comparaison entre les conceptions de chaque paradigme sur
la base de différents travaux de Tardif.
42
Critères de comparaison
|
Paradigme d'enseignement
|
Paradigme
d'apprentissage
|
Conception de l'apprentissage
|
Savoir = connaissances
Accumulation des connaissances et associations les unes aux
autres Mémorisation
|
Savoir vs. Connaissances
Transformations de l'information et du savoir en connaissances
Construction des connaissances et leur intégration dans un schéma
cognitif
|
Conception de l'enseignement
|
Activités élaborées à partir du
savoir
Activités sous forme d'exercices Enseignement et
transmission des connaissances d'une façon cumulative
Relation «enseignant-apprenant» verticale
Évaluation de la quantité d'informations mises en
tête et rarement de la quantité de connaissances acquises
Statut de l'erreur : c'est une faute à laquelle on
remédie par la répétition et par la sanction
|
Activités élaborées à partir des
besoins des apprenants
Activités sous forme de situations problèmes, de
projets, de recherches...
Enseignement de relations et des liens de la structuration des
connaissances
Relation d'interactivité entre enseignant apprenant et
entre apprenants entre aux
Évaluation de la trajectoire du développement de
compétences et de leur transférabilité dans d'autres
contextes
Statut de l'erreur : constructive qu'on remédie par le
travail contre les obstacles
|
Conception du rôle de l'enseignant
|
Transmetteur de connaissances Expert du savoir
Se préoccupe de l'acquisition des connaissances
(responsable de cette acquisition)
Développe une culture d'autonomie individuelle
|
Médiateur du savoir, créateur de situations de
construction de connaissances Se préoccupe du développement de
compétences Développe une culture d'interdépendance
professionnelle
|
Conception du rôle de l'apprenant
|
Réception de la connaissance Passif dans son
apprentissage
|
Apprenant au centre de l'action éducative
Construction de sa connaissance Actif et acteur dans son
apprentissage
|
Ces différentes conceptions, que ce soit de
l'enseignement, de l'apprentissage ou du rôle de l'enseignant ou de
l'apprenant, sont dépendantes entre elles. Elles sont soutenues et
expliquées dans le cadre de paradigme accepté socialement. Elles
peuvent même refléter des modèles sur la fonction de
l'enseignant et sur les pratiques d'enseignement et d'apprentissage.
43
3) Différences au niveau des modèles
d'enseignement :
Les différences enregistrées entre paradigme
d'enseignement et celui d'apprentissage, concernant les conceptions de ce que
c'est apprendre et comment apprendre, peuvent être
présentées au sein de modèles didactiques. Ces
modèles permettront de structurer et d'expliciter les conceptions
précitées.
a) Modèle transmissif :
Pour ce modèle, le savoir est acquis par simple
transmission de la connaissance. La capacité d'apprendre est
considérée comme simple mécanique d'enregistrement par un
cerveau « vierge », disponible à enregistrer. Cette conception
d'apprentissage se réfère à la théorie des
empiristes. Ces derniers pensent que la connaissance humaine est le fruit
direct ou indirect de l'expérience et que le cerveau est « une
tabula rasa » (tableau vierge). Il suffit de bien présenter et
exposer le savoir pour qu'il soit acquis par l'apprenant. Ceci suppose que le
message présenté par celui qui détient le savoir est
attendu par l'apprenant. Aussi l'apprenant et l'enseignant, ont-ils le
même type de questions, le même cadre de référence et
la même façon de raisonner (Giordan in Asensio & Astolfi &
Develay, 2002).
Ce modèle, selon Giordan, a obtenu un
quasi-monopole à l'école, à l'université et dans
toutes les formes de médiation. Il est adopté sous forme de
méthodes « magistrales », « frontales », afin de
faire passer le maximum d'information en peu de temps.
Dans ce modèle la relation enseignant - apprenant est
unidirectionnelle. Le savoir est transmis de celui qui le détient vers
celui qui l'ignore. Celui-ci est appelé à assimiler le savoir
transmis. Toute erreur correspond à une « faute », qu'il faut
éliminer. La sanction est utilisée parce que l'apprenant est
considéré comme le seul responsable de cette erreur.
b) Modèle béhavioriste
Pour ce modèle, le savoir est acquis à l'aide de
stimuli répétés poursuivis d'un renforcement positif
(récompenses) ou négatif (punitions). L'apprentissage est
considéré comme le résultat d'un conditionnement
permettant le développement de comportement adéquat.
Ce modèle se base sur la psychologie
béhavioriste qui se réfère à la théorie des
empiristes. Le béhaviorisme considère le cerveau comme une «
boîte noire », à laquelle on
44
ne peut accéder. Cependant, elle peut être
influencée de l'extérieur par des stimuli, qui engendrent des
réponses sous forme de comportements observables. L'apprentissage
correspond donc à un processus de type stimulus-réponse et il est
le résultat de l'influence de l'environnement.
Ce modèle a été adopté au niveau
de l'école depuis les années cinquante. Toutefois, on lui
reproche de ne pas prendre en considération les états internes de
l'apprenant, ses croyances, ses intentions, ses conceptions... L'apprenant,
même s'il est le centre de l'action éducatif, est
considéré passif comme pour le cas du premier modèle.
La relation enseignant-apprenant est toujours
unidirectionnelle. Sauf dans ce cas, le savoir est morcelé en
éléments simples et en séquences courtes observables dans
le but de réduire la complexité des objets à
étudier.
Le statut de l'erreur pour ce modèle est
différent du premier. Celle-ci est expliquée par l'absence d'un
prérequis qu'il faut introduire ou par la présence d'une
situation plus complexe qu'il faut fractionner afin de la simplifier. L'erreur
conduit en général à un réexamen de la progression
d'enseignement. (Asensio & Astolfi & Develay, 2002)
c) Modèle constructiviste
Contrairement aux deux autres modèles, celui-ci
consacre un rôle important au « sujet » dans le
développement de la connaissance. Il se base sur les besoins
spontanés et intérêts naturels de l'individu en relation
avec son environnement. L'importance est donnée à l'autonomie de
l'apprenant dans l'acte d'apprendre. Celui-ci ne se contente plus de recevoir
des données brutes, il les sélectionne et les assimile afin de
construire sa propre connaissance et de pouvoir les transférer dans de
nouveaux contextes. De ce fait les connaissances de l'individu constituent le
facteur déterminant de l'acte d'apprendre.
Dans ce modèle, la relation enseignant apprenant
change. L'apprenant détient lui aussi une connaissance. L'enseignant est
appelé à travailler sur cette connaissance dans le but de
permettre à l'apprenant de construire une autre connaissance en
exploitant le savoir mis à sa disposition. Pour ce modèle, les
erreurs sont constructives. Elles ne sont considérées ni
comme déficience à charges de l'élève, ni
défaut du programme et de progression à charge de l'enseignant,
elles se présentent comme des symptômes intéressants des
modes de pensée
45
des élèves. Elles permettent de
caractériser leur « état des lieux » cognitif, ainsi
que les obstacles auxquels la tâche les affronte. (Asensio, Astolfi,
Develay)15
L'action de l'apprenant comme étant un facteur
important influençant la situation de l'enseignement apprentissage,
n'est pas prise en considération dans les deux premiers modèles
(transmissif et béhavioriste) contrairement au modèle
constructiviste. Celui-ci reflète une subordination de l'enseignement
à l'apprentissage et une implication de l'apprenant, en tant qu'acteur,
dans son propre apprentissage. On peut avancer que ce modèle peut se
développer dans le cadre du paradigme d'apprentissage.
Alors que le modèle transmissif et le modèle
béhavioriste, reflètent une vision de l'apprentissage
subordonnée à l'enseignement. Pour que l'apprentissage se
réalise chez l'apprenant, il faut bien lui transmettre un savoir ou
d'adopter des stimulus-réponses pour lui faire apprendre un savoir. Ces
modèles pourraient être classés dans le cadre du paradigme
d'enseignement.
|