8. L'UNITÉ CORPS / ESPRIT SELON
SOCRATE DANS « CHARMIDE » DE PLATON
Platon faisant parler Socrate :
« ... C'est très bien, cela, dis-je. J'en
serai d'autant plus franc avec toi pour t'expliquer en quoi consiste
l'incantation ; car tout à l'heure encore je me demandais de quelle
manière je t'en montrerais la vertu. Elle est en effet, Charmide, de
telle nature qu'elle ne peut pas guérir la tête toute seule.
Peut-être as-tu déjà entendu dire à de bons
médecins, quand on vient les trouver pour un mal d'yeux, qu'il leur est
impossible d'entreprendre une cure exclusivement pour les yeux et qu'il faut
soigner la tête en même temps, si l'on veut remettre les yeux en
bon état, et que de même imaginer qu'on puisse soigner la
tête seule, indépendamment de tout le corps, est une pure folie.
Et sur ce principe, ils appliquent un régime au corps entier et ils
essayent de traiter et de guérir la partie avec le tout. Ne sais-tu pas
que c'est là leur doctrine et qu'il en est réellement
ainsi ?
-- Assurément, dit-il.
-- Ne trouves-tu pas qu'ils ont raison et n'approuves-tu pas
leur principe ?
-- Je l'approuve absolument », dit-il.
V. -- Et moi, voyant qu'il était de mon avis, je repris
courage ; peu à peu mon audace se réveilla, ma verve se
ralluma et je poursuivis :
« Telle est aussi, Charmide, la nature de l'incantation.
Je l'ai apprise là-bas, à l'armée, d'un médecin
thrace, un de ces disciples de Zalmoxis dont la science va, dit-on,
jusqu'à rendre les gens immortels. Ce Thrace disait que les
médecins grecs avaient raison de professer la doctrine que je viens de
rapporter ; mais, ajouta-t-il, Zalmoxis, notre roi, qui est un dieu,
affirme que, s'il ne faut pas essayer de guérir les yeux sans la
tête, ni la tête sans les yeux, il ne faut pas non plus traiter la
tête sans l'âme et que, si la plupart des maladies échappent
aux médecins grecs, la raison en est qu'ils méconnaissent le tout
dont ils devraient prendre soin ; car, quand le tout est en mauvais
état, il est impossible que la partie se porte bien. En effet,
disait-il, c'est de l'âme que viennent pour le corps et pour l'homme tout
entier tous les maux et tous les biens ; ils en découlent comme ils
découlent de la tête dans les yeux. C'est donc l'âme qu'il
faut tout d'abord et avant tout soigner, si l'on veut que la tête et tout
le corps soient en bon état. Or l'âme se soigne, disait-il, par
des incantations, et ces incantations, cher ami, ce sont les beaux discours.
Ces discours engendrent la sagesse dans les âmes, et une fois qu'elle est
formée et présente, il est facile de procurer la santé
à la tête et au reste du corps.
Et lorsqu'il m'enseigna le remède et les incantations,
il me dit : « Garde-toi bien de te laisser engager par qui que ce
soit à soigner sa tête avec ce remède, s'il ne t'a d'abord
livré son âme pour que tu la soignes par l'incantation. C'est
aujourd'hui, disait-il, l'erreur répandue parmi les hommes de vouloir
guérir séparément l'âme ou le corps. Et il me
recommanda instamment de ne céder à personne, si riche, si noble,
si beau qu'il fût, qui voudrait me persuader d'agir autrement. J'en ai
fait le serment, je dois le tenir et je le tiendrai. Si donc tu veux,
conformément aux recommandations de cet étranger, livrer d'abord
ton âme aux incantations du Thrace, j'appliquerai mon remède
à ta tête ; sinon, je ne puis rien faire pour toi, mon cher
Charmide. »
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