Point de vue pratique
Le point de départ de la méditation yoga est la
concentration sur un seul objet, lequel peut être indifféremment
un objet physique (bout de nez, point lumineux, etc.), une
« vérité » métaphysique, ou
Içvara (« la déité »). Cette
concentration ferme et continue en « un seul point »
(ekagrata) s'obtient par la désintégration du flux
psychomental, c'est à dire de l'attention multilatérale,
discontinue et dispersée ou diffuse. La concentration en un seul point a
pour résultat immédiat la censure prompte, lucide, sans
contention, de toutes les « distractions » et de tous les
automatismes mentaux qui dominent, ou plutôt font, la conscience de
l'homme.
Abandonné au gré des associations (produites par
les sensations et les potentialités inconscientes), l'homme
« profane » passe sa journée à se laisser
envahir par une infinité de moments disparates et comme
extérieurs à lui-même. La conscience est continuellement
dominée, modifiée par la situation et ce qu'elle induit au niveau
subjectif. Les associations la dispersent, les passions la violentent, la
« soif de vie » la trahit en la projetant au dehors
d'elle-même, soit dans le monde objectif-subjectivisé, soit dans
le monde subjectif-objectivisé. Le destin de la pensée
elle-même est d'être pensée par les objets et sous les
apparences de cette pensée se cache en réalité un
scintillement indéfini, plus ou moins ordonné, alimenté
par les sensations, la parole et la mémoire. C'est pourquoi la pratique
de méditation se définit essentiellement par cette concentration
en un seul point qui barre le fleuve mental et constitue un « bloc
psychique », un continuum ferme et unitaire.
L 'ekagrata apparaîtra sans doute aussi
utopique et inaccessible à bien des lecteurs que la réalisation
magique de la pierre philosophale dans le projet alchimiste. En effet, nous,
occidentaux livrés à une débauche de stimuli de tous
ordres, nous avons délaissé l'évolution progressive et la
continuité pour un monde dans lequel tout n'est qu'abrupte osculation.
C'est le monde du Zapping. Le monde du Zapping est un monde électronique
fait d'immédiatetés, dans lequel les choses se bousculent sans
connexions entre elles.
De cet excès dans l'abandon au
« divertissement » qui est presque nécessairement le
notre, vient très probablement la réaction de refus (à
l'égard d'une civilisation sans humanisme) autrefois
concrétisée de manière spectaculaire dans le
« mouvement de Mai 68 » ou le pèlerinage à
Katmandou, mais aujourd'hui représentée par une évasion
schyzo-frénétique dans l'évasion, le voyage, la fuite vers
des horizons meilleurs.
Comme le dit AURIOL (Thèse de doctorat
1970) « Dans un univers de
« l'extraversion », la spécialisation et la
standardisation ont pour conséquence un mimétisme de tous les
individus, et, par conséquent, suscitent une ardente compétition.
Dans cet univers la seule façon pour un individu de se distinguer est de
faire la même chose que son homologue, mais mieux et plus
vite. »
Retrouver l'homme ou le dépasser dans une
société de consommation qui ne voit en lui que le client
obligé de toutes les machines à sous est peut-être le
projet psychagogique essentiel dont témoigne la vogue de la
méditation dont le but avoué est de ressouder les parties
dispersées de notre être.
Il est évident que l'on ne saurait obtenir
« l'ekagrata »si, par exemple, le corps
était dans une posture fatigante ou simplement difficile, ni si la
respiration était désorganisée, arythmique.
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