1.1.1 Les qualités du produit Armagnac
Les produits d'appellation, comme le champagne et l'Armagnac,
ont la particularité de confondre le produit, son lieu de production et
son label garant d'une origine géographique et d'un savoir-faire. Si
l'Armagnac est une eau-de-vie particulière, lointaine descendante de l'
« ayga ardente » du marché de Saint-Sever du XVème
siècle, de nombreux « éléments de la
personnalité » la caractérisent, ou comme dit Fernand
11
Cousteaux « ce qui la rend incomparable
»5. Nous verrons dans un premier temps, l'eau-de-vie non
mélangée, produit commercial direct, objet de notre étude,
puis les « produits dérivés », c'est-à-dire les
fabrications et produit non vendus comme Armagnac pur.
1.1.1.1 Des eaux-de-vie particulières
Si nous ne nous intéressons qu'aux
propriétés intrinsèques du produit et non à l'image
« Armagnac », il est possible d'établir des critères de
distinction objectifs avec les autres eaux-de-vie mais aussi au sein des
produits Armagnac.
« Quelle est la différence entre un Cognac et un
Armagnac ? » Beaucoup de consommateurs sont incapables de
différencier les deux produits gustativement selon les nombreuses
enquêtes de consommation. Cette ignorance se retrouve même chez des
acheteurs réguliers piégés lors de test
d'échantillons.
La nature du produit est une eau-de-vie : « liquides
produits par distillation de boissons alcooliques ou fruits en fermentation
dont le titre alcoométrique acquis minimum est de 37,5%
»6. Chose élémentaire certes, il n'est pas rare
de retrouver des erreurs de dénomination ou
imprécisions7. Le vin aux caractéristiques
particulières (art. 7) doit être distillé avant le 31 mars
de l'année suivant la récolte et le distillat doit être
maintenu un an au minimum en barriques de chêne.
La caractéristique essentielle du produit est son
Appellation d'Origine Contrôlée. Sans préciser les
détails techniques, elle consacre une zone de production des vins et de
distillation, une variété limitée de cépage, des
limites de rendement8, L'appellation d'origine
contrôlée, reconnue au plan européen, a un but de
protection du producteur et du consommateur. Elle « est un signe
français qui désigne un produit qui tire son authenticité
et sa typicité de son origine géographique. Elle est l'expression
d'un lien intime entre le produit et son terroir. » Surtout, le produit
« ne peut être reproduit hors de son terroir »9.
L'AOC a été créée pour le monde viticole en 1935 et
l'Armagnac a été une des premières à en
bénéficier. La distinction entre la marque, le produit et
l'origine géographique devient moins aisée, la
dénomination Armagnac peut se décliner sous les
5 COUSTEAUX Fernand, CASAMAYOR Pierre, Guide de
l'amateur d'Armagnac, Editons Privat, Toulouse, 1985, (p. 63). Voir de la
page 64 à la page 135 pour une approche plus complète
6 Art. 401-1-b du code général des
impôts
7 « Liqueur marginalisée » selon
Jean-Baptiste Robert, Les exportations de vins et spiritueux français
dans le monde, mémoire IEP Aix, 2003
8 Voir annexe 3.1 : le décret du 27 mai 2005
modifiant le décret du 6 août 1936 (
9
www.inao.gouv.fr
12
trois formes dans l'esprit du consommateur. Si l'AOC
était une garantie, la multiplication des AOC (467 aujourd'hui) a
peut-être dénaturé ce label. Les professionnels du vin se
détournent en partie des AOC vers de vins de pays pour acquérir
une plus grande liberté d'élaboration et s'adapter à la
concurrence mondiale. Peut-être l'AOC n'offre-t-elle plus une même
garantie commune pour tous les producteurs?
Les caractères de différenciation des
eaux-de-vie commercialisées sont nombreux même s'ils ne sont pas
toujours indiqués au consommateur. Nous ne retenons que les principaux
et nous les classons par ordre dans la chaîne de production : les
terroirs, les cépages, le mode de distillation, l'âge, les
mélanges.
- Terroirs
L'appellation Armagnac est subdivisés en trois
sous-appellations dits « crus » : Bas-Armagnac,
Ténarèze et Haut-Armagnac définis par le décret
Fallières 1909 puis officialisé par le décret du 6
août 1936 et retouchés par celui du 27 mai 2005. Elles ne
correspondent pas toujours à la réalité géologique
sables fauves/sols calcimorphes, la classification historique de Jules Seillan
en 1860, ni à des regroupements de producteurs. Le Bas-Armagnac est le
plus côté en général, certains vantent le «
carré magique » à cheval sur les Landes et le Gers ou le
triangle d'or (cf.carte), appelé parfois « Grand-bas » sans
aucune reconnaissance officielle. D'autres, tel André Daguin, un
célèbre restaurateur auscitain, défendent avec ardeur les
qualités des Ténarèzes. L'importance du terroir est
primordiale, les arguments historiques sont utilisés par les promoteurs
du château Neguebouc par exemple pour défendre le Haut-Armagnac,
à peine 2% de la production actuelle, reprenant les termes de
l'historien Zacharie Baqué « historien incontesté de la
Gascogne » qui affirmant le « goût supérieur » des
eaux-de-vie du Haut-Armagnac. La commercialisation s'effectue sous
l'appellation générique Armagnac pour les plus jeunes et moins
prestigieux (50% en 1980, plus de chiffres aujourd'hui, sûrement autant
aujourd'hui).
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13
-Cépages
L'AOC limite l'utilisation des différents
cépages : « baco blanc B, blanc dame B, colombard B, folle blanche
B, graisse B, jurançon blanc B, mauzac B, mauzac rosé Rs, meslier
Saint-François B, ugni blanc B. »10 Les trois principaux
sont l'ugni-blanc, le baco et la folle blanche. Le colombard est
plébiscité aussi par les viticulteurs car il donne aussi des vins
blancs corrects contrairement aux autres, destinés plus
spécifiquement à la distillation. Les cépages ont-ils un
caractère fondamental dans le produit distillé? La réponse
positive est évidente, et pourtant nous pouvons nous interroger sur
l'intérêt de la communication à partir du cépage.
Peu de producteurs indiquent l'espèce d'origine du cep de vigne.
Certains, comme le Domaine du Tariquet, commercialisent des Armagnacs
monocépages avec une référence explicite11.
Cette mise en avant du cépage contre le terroir du monde du vin a-t-elle
un sens dans le monde des spiritueux ? S'intéresse-t-on aux
variétés de canne à sucre ou de pommes de terre permettant
la fabrication du rhum et de la vodka? Il n'en reste pas moins qu'il rappelle
le caractère viticole du produit, cela valorise l'aspect artisanal et
historique de la culture de la vigne.
10 Décret du 27 mai 2005 relatif à l'AOC
« Armagnac », article 5,
11 « Les degrés naturels » une gamme de
Bas-Armagnac inédite, une sélection aux caractères
uniques, réalisée par Yves Grassa avec un 100% folle blanche et
toujours la mention des cépages
14
- Le mode de distillation
La distillation transforme le vin en eau-de-vie au moyen de
l'alambic. La caractéristique de la distillation de l'Armagnac est
l'alambic Armagnacais obligeant un unique passage en continue. Celui
utilisé pour le Cognac oblige à une distillation en deux temps
pour séparer les différents éléments du distillat.
Elle permet une meilleure maîtrise du distillateur su r
l'opération. Néanmoins, la double chauffe est autorisée
pour la fabrication de l'Armagnac jusqu'en 2019.
- Age/vieillissement
Le contact aux fûts de chêne d'une durée
minimale d'un an à compter du 1er avril après
distillation donne goût et couleur à l'Armagnac. Si certains
opérateurs insistent sur l'origine des chênes de la
propriété, c'est la durée de conservation qui est
essentielle dans le caractère de l'eau-de-vie. Le contact du bois donne
un goût caractéristique et révèle les arômes
de l'eau-de-vie. L'eau-de-vie ne vieillit qu'en fût. Le produit est
stable en bouteille à la différence du vin. Le classement des
eaux-de-vie s'effectue en fonction du temps passé en barrique. On parle
de compte 0 pour un Armagnac vieilli un an, compte 1 deux ans,...Le
vieillissement entre une diminution du volume estimé à 3% par an
due à l'évaporation. Il s'agit de la fameuse « part des
anges ». Le stockage s'il améliore l'eau-de-vie, il la
renchérissent aussi. Le caractère spéculatif de l'Armagnac
repose sur ce principe. Un bon négociant sait quand l'eau-de-vie a
atteint son meilleur potentiel de rentabilité.
- millésimes ou assemblages
L'Armagnac se commercialise sous deux formes : l'assemblage ou
le millésime, à la différence du Cognac qui ne se
commercialise que sous forme d'assemblage. L'assemblage est un mélange
d'eaux-de-vie de différentes années, on se réfère
à la plus jeune d'entre elles pour exprimer son âge. On distingue
V.S.O.P, hors d'âge, napoléon, X.O.12. Le
millésime est une eau-de-vie dont l'année indique l'année
de distillation, sans coupe, sans mélange.
-degrés d'alcoométrie
S'il doit être supérieur à 37,5°,
l'Armagnac est commercialisé avec des degrés supérieurs
à 50° parfois. En général, les opérateurs
commercialisent des eaux-de-vie avec des degrés compris entre 40 et 45
°. L'abaissement à ces taux inférieur à ceux à
la sortie
12 Voir la simplification effectuée par BNIA
tableau § 2.1.3.1
15
de l'alambic nécessite une réduction à
l'eau réalisée par adjonction en général ou un
temps de vieillissement important.
Cette classification autour des principaux critères de
distinction du produit montre l'extrême complexité
du produit Armagnac. Il résulte d'un processus
d'élaboration plus ou moins long avec une transformation. Il n'est pas
rare qu'un consommateur lambda ignore que l'Armagnac est du vin avant la
distillation. Nous disons que le produit Armagnac est divers. Loin d'être
un produit uniformisé, il est au contraire
différencié. La gamme est très large
entre un compte 1 et un vieux millésime. Cela implique chez un
même vendeur une fourchette de prix très étendue. Son
Armagnac peut se distinguer très nettement de celui de son voisin.
Enfin, il existe une traçabilité importante,
conséquence de l'AOC. Cette traçabilité informe-t-elle le
consommateur plus qu'elle ne le rassure ? Peu d'opérateurs indiquent sur
leur produit les informations substantielles à l'exception de l'origine
géographique et le degré alcoométrique.
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