UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III
INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES
MEMOIRE
pour l'obtention du Diplôme
L'Armagnac, un produit d'avenir ?
Par M. Floran BAYLE
Mémoire réalisé sous la direction de M.
Jean-Claude RICCI
L'IEP n'entend donner aucune approbation ou improbation
aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent
être considérées comme propres à leur
auteur.
Mots-clés : ARMAGNAC- SPIRITUEUX - EAUX-DE-VIE - CRISE -
MARKETING - INTERPROFESSION- AOC - BNIA - COMMERCE - VITICULTURE
Résumé :
Lé déclin de l'Armagnac de 1980 à nos jours
est indiscutable : les ventes ont été divisés par trois.
La stabilisation des sorties ces dernières années est-elle un
pallier ou un seuil avant une nouvelle phase de croissance ? A partir d'une
analyse des causes du déclin si la restructuration de la filière,
l'amélioration du produit et les politiques de relance par la
communication ont permis ce résultat ou n'ont e aucune incidence. Les
conclusions de ce constat, nous permettent d'évoquer les avenirs de ce
produit. Cette synthèse sur une eau-de-vie française abordent sur
un large éventail les problématiques du produit sur le
marché des vins et spiritueux.
à mon arrière grand-père Cyprien,
qui vécut près d'un siècle au coeur du Bas
Armagnac, « arrosant » son café quotidien de cet élixir
mystérieux qu'il appelait « tisane de pied tordu ».
SOMMAIRE
Introduction
1 Le marché de l'Armagnac et la crise
1.1 La place de l'Armagnac sur le marché des
eaux-de-vie et spiritueux
1.2 L'organisation de la filière Armagnac
1.3 Les différentes explications d'une crise de
l'Armagnac
2 Les politiques de relance du produit et l'avenir de la
filière
2.1 Un travail sur la production
2.2 La cohérence du travail effectué sur la
communication
2.3 Quel avenir pour l'Armagnac ?
Conclusion
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« Cau segui la modo o quita lo païs. »
(Il faut suivre la mode ou quitter le pays.)
Ce proverbe bien connu des viticulteurs gascons illustre bien
le caractère évolutif du monde agricole et plus encore de celui
de l'eau-de-vie régionale, l'Armagnac : tenter de décortiquer ce
monde de l'Armagnac est une dégustation sans fin, une insertion dans un
« mundillo » au savoir-vivre particulier avec ses
règles et son travail.
Ecrire l'histoire d'un produit, réfléchir
à son avenir conduit à considérer l'ensemble de
l'organisation sociale de la production et de la commercialisation. A la
différence d'une synthèse complète sur la filière,
cette étude s'attache à mettre en lumière par le prisme du
produit les relations au sein de l'interprofession mais de manière
générale du producteur au consommateur.
L'Armagnac dans sa plus simple définition, est une
eau-de-vie obtenue par distillation de vin et vieillie en fût de
chêne dans une région précise du sud-ouest de la France aux
confins de trois départements : le Gers, les Landes et le
Lot-et-Garonne. Le décret présidentiel de 1909, appelé
« décret Fallières » a conféré
l'appellation d'origine à ce produit, un des premiers de ce genre en
France. Ce décret ne fait qu'officialiser une des premières
démarches collectives de clarification de dénomination d'un
produit issu d'un savoir faire pluri-centenaire. Il subdivise cette zone en
trois sous-appelations : Haut-Armagnac (3% de la production aujourd'hui),
Bas-Armagnac (55%) et Ténarèze (42 %) selon des critères
plus politiques que ceux géologiques initiaux. Ces identifiants sont
repris dans le décret-loi de 1936 officialisant son Appellation
d'Origine Contrôlée.
L'histoire de l'Armagnac est jalonnée de crises et de
prospérités, d'évolutions techniques. Si certains
décrètent l'Armagnac la plus vieille eau-de-vie française
- débat à des fins souvent plus commerciales qu'historiques -, il
semble difficile de dater exactement une naissance officielle. Et quelle
filiation existe entre le médicament
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médiéval du marché de Saint-Sever et le
produit à l'ère industrielle de l'agronomie ! Rencontre d'un
produit agricole et d'une technique, le vin et la distillation, l'eau-de-vie ne
peut en tout cas préexister à la transmission du savoir-faire
technique, l'indispensable alambic transmis par les Maures. A usage curatif et
remède contre tous les maux, cette eau-de-vie appelée «
aygue ardente », est née au moyen-âge. Divers érudits
ont trouvé les premières traces dans les documents au
XVème siècle Henri Dufor1, historien
spécialiste de l'Armagnac. Le développement du commerce mondial
au XVII ème profite à l'eau-de-vie produite dans la
région. La première mention Armagnac est, selon le même
érudit, déjà liée au lieu de production puisqu'elle
est écrite sur les tonneaux d'eaux-de-vie entreposés dans les
navires en partance pour les pays du Nord.
Nous pouvons dater la naissance de l'Armagnac en tant que
produit à partir de la création de maisons de négoce au
XIXème siècle. Nous n'entrerons pas dans la polémique bien
gasconne mais représentative de l'attachement au passé des
producteurs - à propos de la plus ancienne maison de négoce
d'Armagnac entre la maison Dartigalongue installé à Nogaro en
Armagnac et la maison Castarède négociant d'eaux-de-vie mais
installée hors de la zone d'appellation actuelle auparavant. Le Gers est
au dix-neuvième siècle le premier département viticole de
France avec 17% de sa surface consacrée à la viticulture. La
crise du phylloxéra est la première crise de l'âge moderne
de l'Armagnac. Il faut attendre le décret de 1909 signé par le
président gersois Fallières pour donner « à l'or
blond l'assise régionale et l'identité oenologique qui est la
sienne aujourd'hui ».
Dans cette logique initiale d'une «
traçabilité » des produits mis en vente, les produits
viticoles se protègent des trafics et fausses appellations. Peut-on
parler d'un terroir ou d'une marque Armagnac ? La mention de terroir y est
privilégiée dans la logique des AOC viticoles. Aujourd'hui, cette
logique est remise en cause face à la concurrence des vins dits de
cépage ou de pays. Ces critères de distinction font-ils encore
sens, a fortiori pour un produit agricole transformé ? Nous reviendrons
sur cette question d'image et de goût, l'essentiel est de retenir
l'indissociabilité du produit avec son environnement.
Le produit Armagnac définit une région de
production homonyme différente de la province royale initiale. C'est un
produit différencié d'un autre pour l'acheteur grâce
à la garantie d'un lieu et d'un mode de production. Si le produit est
l'aboutissement d'une
1 DUFOR Henri, Armagnac, eaux-de-vie et
terroirs, Toulouse, éditions Privat, 1982
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chaîne de production, il n'en reste pas moins, l'acte
fondateur d'une entreprise. Toute entreprise se crée sur l'idée
d'un produit ou d'un service. Nier cet aspect sous couvert de
privilégier exclusivement la tradition, les pratiques ancestrales ou le
« bien vivre » gascon serait un mensonge historique et conduirait
à la création d'une mythologie incapable de comprendre le monde
de l'Armagnac. L'Armagnac est un « business » pas comme les
autres, tout le monde en convient, mais il demeure un commerce.
L'aspect économique se place donc au centre de notre
réflexion. Il est donc privilégié puisqu'il nous semble la
raison d'être du produit. Ne sont pas omis les aspects socioculturels et
institutionnels qui sont intrinsèquement liés au produit fini.
Notre travail qui a pour vocation d'être une synthèse ne peut
avoir d'autre approche que globale.
Dans une démarche interdisciplinaire, l'équipe
de chercheurs de l'Université du Mirail de Toulouse sous la direction de
Bernard Kayser a réalisé en 1992 l'unique travail universitaire
sur cette production intitulé « L'Armagnac, un produit, un pays
»2 sur une commande du Patrimoine ethnologique au
ministère de la culture. Il n'existe aucun travail synthétique
sur la filière depuis cette époque. Dans une perspective plus
économique, nous notons la thèse très complète mais
déjà vieille de vingt ans écrite par Jean-Louis
Darréon et Alain Gabriel en 1988, l'Armagnac de la production
à la commercialisation : des réponses inadaptées face au
déclin3. Depuis, peu d'ouvrages4 même
pour les consommateurs si ce n'est la réédition du très
complet guide de l'amateur d'Armagnac de ... 1982. A partir de ces
ensembles de données et perspectives, il est intéressant de
décrire et d'analyser l'évolution de la situation. Pour
remédier à cette absence de sources écrites globales
depuis une quinzaine d'années, nous avons essayé de rencontrer
différents types de professionnels, d'accumuler les documents, cela dans
la limite des moyens et de temps. Loin d'être complet et exhaustif, ce
travail offre cependant un aperçu que nous avons voulu assez
précis du monde de l'Armagnac d'aujourd'hui.
Il se vend six millions de bouteilles d'Armagnac chaque
année. Cette économie est évidemment localisée dans
le « noeud gascon » de l'appellation mais n'est qu'une
activité mineure du secteur agricole. Cette activité est en
déclin depuis l' « âge d'or ». De 34000
2 KAYSER Bernard, [et al.], L'Armagnac : un
produit, un pays. Ressources patrimoniales, identités culturelles et
développement local, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse,
1993
3 DARREON J.-C., GABRIEL A., l'Armagnac de la
production à la commercialisation : des réponses
inadaptées face au déclin, double thèse de sciences
économiques, Université duMirail, Toulouse,
1988
4 Notons LEBEL Frédéric, Esprit de
l'Armagnac, éd. Le cherche-midi, 1998 ; GELAS Philipe, L'instant
Armagnac, Bleu 17 production, 2000 ;
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d'hectolitres d'alcool pur (Hl AP) en 1989, la production est
tombée autour de 15000 Hl AP ces cinq dernières années. Si
ces données brutes ne peuvent masquer un déclin quantitatif, il
serait trop facile de n'y voir qu'un changement du comportement des
consommateurs faisant de l'Armagnac un mauvais produit.
Le monde de l'Armagnac est aujourd'hui très
partagé entre un fatalisme impuissant vis-à-vis de la lente
agonie de ce produit d'un autre temps et les visionnaires prédisant un
âge d'or prochain ; les positions sont diverses et toutes
intéressantes. Au-delà des mots, des représentations, avec
quel degré de pertinence peuvent être entendus ces
différents discours, sur quelles logiques sont-ils fondés ? Le
terme de crise est le plus utilisé. La crise est évidente selon
de nombreux facteurs : baisse des ventes, baisse de la production et baisse du
nombre de producteurs. Cette période de dépression
économique dure depuis 25 ans. Nous ne mettrons pas en doute cette
situation, mais à partir de la crise nous verrons quelles
réponses ont été données ainsi que leurs
résultats. Lorsque nous évoquions devant eux une crise du monde
de l'Armagnac, certains professionnels montraient la hausse de leur chiffre
d'affaires et leurs performances à l'exportation. Notre travail,
même limité, s'efforce de décrypter et d'actualiser
l'économie d'aujourd'hui pour anticiper celle de demain.
Notre objectif est de comprendre quelle sera la
viabilité de ce produit dans l'avenir avec quelle forme, quel
marché,... ? D'autant que le produit Armagnac nécessite une
prospection à long terme en sa qualité même et pas
seulement en terme d'infrastructures, chose rare pour un produit alimentaire.
Le producteur doit anticiper le marché de demain, a fortiori pour un
produit qu'il faut parfois entretenir plus de quarante ans avant de la
vendre.
Dans ce but, nous nous efforçons dans une
première partie, de présenter la polymorphie des agents de la
filière et la place du produit Armagnac dans le marché
économique afin d'analyser les facteurs et les explications de la crise,
c'est-à-dire la chute des ventes d'Armagnac depuis 1978. Dans la seconde
partie, nous ferons une lecture des réponses apportées par les
différents acteurs du point de vue de la production et surtout du point
de vue de la communication et de l'image du produit (il est difficile de
critiquer les questions oenologiques et agronomiques pour un étudiant en
sciences politiques), cela nous permettra dans une logique de prospective
d'esquisser les perspectives du produit Armagnac.
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1 Le marché de l'Armagnac et la
crise
Dans cette première partie, nous privilégierons
l'aspect descriptif pour connaître le produit et le marché (1.1)
et les acteurs économiques (1.2). Cette logique nous conduit à
évoquer les inadéquations entre l'offre et la demande. Un
ensemble de facteurs peuvent les expliquer. Nous essaierons d'identifier ces
facteurs au bout de notre raisonnement (1.3). La production et le commerce
d'alcool ont des règles spécifiques et plus
contrôlées que d'autres produits agro-alimentaire de part la
nature du produit. L'Armagnac n'en reste pas moins un produit soumis aux
aléas du jeu de la concurrence auquel la filière doit sans cesse
s'adapter. La compréhension de la situation permettra de comprendre,
voire critiquer les réponses apportées, dans la deuxième
partie de notre travail.
1.1 La place de l'Armagnac sur le marché des
eaux-de-vie et spiritueux
Si notre étude se focalise sur le produit Armagnac, il
ne peut être compris sans se référencer à un
marché, lieu où se concentre la demande. Nous essaierons de
comprendre les caractéristiques de l'Armagnac qui donnent sa
spécificité à ce produit sur le marché des
spiritueux (1.1.1). Il ne peut exister de produit que s'il se distingue
d'autres marchandises (1.1.2). Nous étudierons sa place sur son
marché naturel : celui des spiritueux, avant de s'interroger sur la
pertinence de ce marché et esquisser d'autres dimensions
économiques où s'immisce le produit Armagnac (1.1.3).
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