A) Définition
Selon l'association française des investisseurs en
capital (livre blanc LBO 2002) cité par Chérif
(2004) : « Un leveraged buyout peut être
défini comme l'achat d'une entreprise , financé partiellement par
emprunts, dans le cadre d'un schéma juridique spécifique et
fiscalement optimisé où les dirigeants sont associés en
partenariat avec des investisseurs professionnels spécialisés
. »
Ainsi une opération de LBO peut être
définie comme le rachat d'une société cible par
l'intermédiaire d'une société holding qui reçoit
des apports et souscrit une dette pour financer l'acquisition. Par la suite ,
la dette est remboursée par les dividendes que la société
achetée verse au holding d'acquisition. Le LBO se caractérise par
l'association des dirigeants avec un investisseur financier et par un
schéma fiscal permettant la mise en place d'emprunts remboursés
par les cash-flow futurs dégagés par la cible (Chérif
2004). Le principal avantage de ces opérations est de permettre à
des cadres dirigeants ou à des investisseurs de prendre le
contrôle d'une société cible avec un apport personnel
minimum. Le taux d'intérêt de l'emprunt doit évidemment
être inférieur au taux de rentabilité attendu de la cible
.
B) Principe du leveraged buy out
Le principe d'un LBO est donc d'acquérir une entreprise
souvent appelée OpCo ou société cible, par
l'intermédiaire d'une société holding, la NewCo,
créée à l'occasion de l'opération et dont la seule
vocation est de posséder les capitaux propres de la cible .
L'acquisition de la cible est financée par :
- L'injection de capital social ou l'octroi de prêts
subordonnés à la cible par les actionnaires/investisseurs de la
société holding.
- L'octroi d'un prêt à moyen terme à la
société holding par les banques prêteuses et
parfois :
- L'octroi d'une dette subordonnée accordée par
les investisseurs et/ou des prêteurs spécialisés,
généralement effectué par le biais d'une souscription
d'obligations (junk bonds) émises par la société holding.
L'opération LBO permet d'optimiser la
rentabilité des fonds d'actionnaires par un double effet de
levier : l'effet de levier financier et l'effet de levier fiscal.
La société holding contracte
généralement deux types de dettes ; la dette senior et la
dette mezzanine (dette remboursée après toutes les tranches de la
dette sénior) .
Les investisseurs sont propriétaires de la
société holding et cette dernière détient le
capital de la société cible .
La dette sera remboursée grâce aux dividendes
versés par la cible à la holding. L'équilibre du montage
est basé sur la prévision de dividendes toujours
supérieurs au service de la dette du holding .
§2 Quels leviers pour les opérations
LBO
En matière de LBO il n'existe pas de règle
absolue pour déterminer le levier optimum (ce qui explique en partie les
dérives de la deuxième moitié des années 80
où on a vu des LBO financés avec des ratios dette /capitaux
propre égaux à 10). On est dans le domaine du sur mesure, le
montage dépendra des caractéristiques de la cible, de ses
prévisions objectives mais également des données du
marché de la dette au moment où se négocie la transaction.
Par contre le monteur de l'opération se base sur un certain nombre de
critères financiers ;le plus élémentaire étant
la capacité de remboursement .
Cette capacité est conditionnée par deux
facteurs : le free cash-flow et la capacité distribuable de la
cible :
- Le free cash-flow doit s'apprécier après une
juste évaluation des investissements futurs et du besoin en fond de
roulement (en intégrant les effets saisonniers). La tentation est
grande de rogner sur les investissements (ou de les différer) pour
libérer du free cash-flow (c'est à l'origine d'un débat
entre chercheurs sur lequel nous reviendrons).
- Le bénéfice distribuable constitue un second
butoir. Le monteur peut également vouloir doser le levier à
partir d'un taux fixe de distribution des résultats. Lorsque la cible
dispose d'une trésorerie positive, il est courant de prévoir
parmi les financements une remontée d'une partie de cette
trésorerie .
Le niveau de levier s'apprécie
généralement à partir de deux ratios classiques :
- Endettement net global / fonds propres consolidés
- Endettement net global/marge brute d'autofinancement
Cependant, le levier n'est pas le résultat d'une pure
arithmétique financière. D'autres facteurs sont à prendre
en compte :
- Le prix de la transaction
- La qualité des garanties offertes au prêteur
- L'existence ou non d'actifs facilement cessibles
Le LBO permet de jouer sur trois leviers : un levier
financier, un levier fiscal et un levier humain et managérial (via des
solutions variées de motivation du management).
A) Le levier financier
Il exprime l'effet démultiplicateur que procure un
endettement additionnel par opposition à un recours aux fonds propres.
Pour bénéficier du levier financier au delà des
possibilités offertes par le levier juridique (avec 50% des actions je
contrôle la société toute entière), les
investisseurs recherchent la répartition optimale des ressources du
holding de reprise entre les fonds propres et les dettes. Durant les
années d'acquisition les cash-flow libres de la cible remboursent, par
remontées de dividendes vers la holding, le capital et les
intérêts de la dette bancaire. Au débouclage du LBO ,
les investisseurs récupèrent la valeur totale de la
société diminuée des dettes bancaires résiduelles.
Supposons que l'entreprise a une valeur constante sur la période
égale à 100 ; si l'acquisition est financée par 30 de
fonds propres et 70 de dettes et qu'à l'issue de la période la
totalité des dettes est remboursée, alors, au final les
actionnaires récupèrent 100 sur une mise de 30 , ce qui
représente un effet de levier de 3.33 (100/30). Dans ce cas on peut
considérer la dette comme un substitut aux dividendes (Jensen
1986 , 1989).
B) Le levier fiscal
Le LBO permet une économie d'impôt
équivalente au taux de l'impôt sur les sociétés
multiplié par le montant des intérêts payés sur les
dettes d'acquisition .
La capacité du holding et de la cible à
consolider leurs pertes et profits respectifs (c'est à dire les pertes
du holding générées par ses charges financières et
les profits de la cible) et la possibilité de report des déficits
fiscaux de la cible sont deux des hypothèses de base du
« business plan » préparé par les
investisseurs et soumis aux prêteurs. L'intégration fiscale est un
élément clé dans la mise en oeuvre d'un LBO car elle
permet de déduire des profits de la cible les charges financières
découlant de la dette d'acquisition et d'assurer la neutralité
des distributions et des opérations effectuées au sein du groupe
intégré .
C) Le levier social
L'effet de levier social réside dans le rôle
joué par les repreneurs dans le LBO. L'équipe d'entrepreneurs
salariés engagés dans une transaction doit être
compétente, complémentaire et fortement motivée. Nous
verrons ultérieurement comment les managers des LBO sont
rémunérés.
§3 Les performances post LBO
Les études empiriques convergent à peu
près toutes lorsqu'il s'agit d'évaluer les performances post
LBO des sociétés cibles. Qu'il s'agisse des
cash-flows, de la productivité des usines ou des profits
opérationnels, quasiment toutes les études constatent une
progression spectaculaire par rapport aux résultats de ces entreprises
avant le LBO .
Le tableau ci dessous résume les principales
études empiriques portant sur les performances des LBO dans les
années 80 .
Performances post LBO des sociétés
cibles : principaux résultats
Auteurs
|
Année
|
Echantillon
|
Variables
|
Méthodologie
|
Résultats
|
KAPLAN
|
1989
|
48 MBO (management buy out) de 1980 à 1986
|
-Cash-flow opérationnel
-Dépenses d'investissement
-Cash-flow net
|
-Mesure des changements de ces trois variables sur les trois
années suivant le rachat
par rapport aux chiffres de l'année
précédent le MBO
- Comparaison sur les montants absolus , sur le rapport entre
chaque indicateur et le total de bilan et sur le rapport entre chaque
indicateur et les ventes
- Ajustement des chiffres par rapport à l'évolution
moyenne observée dans le secteur d'activité de la firme
|
- Augmentation de 24% du cash-flow opérationnel la
troisième année
- Augmentation régulière du cash-flow
net :
22% la 1ère année ; 43.1% la
2ème et 80.5% la 3ème
-Diminution des dépenses d'investissement
- Changements positivement corrélés à la
prime perçue par les actionnaires sortants .
|
SINGH
|
1990
|
- 65 MBO réalisés entre 1980 et 1987
- Echantillon de contrôle constitué de 130
sociétés de leurs industries respectives
|
- Cash-flow/ ventes
- Créances clients/ ventes
- Croissance des bénéfices avant le MBO
- Gestion des stocks
- ETE
(excédent de trésorerie d'exploitation)
|
- Comparaison à un échantillon de
référence
- Modèle de régression Logit pour identifier les
facteurs discriminants des sociétés faisant l'objet d'un MBO
|
- Les sociétés faisant l'objet d'un MBO ont des
cash-flow plus élevés , elles ont déjà fait
l'objet d'OPA.
- Globalement : performance accrue après le MBO
qui peut être attribuée au changement de structure de gouvernement
de la firme .
|
SMITH
|
1990
|
- 58 MBO de
1977 à 1986 :
- Deux sous ensembles selon l'importance des cessions d'actifs
réalisées
|
- Ratio cash-flow opérationnels/actifs
opérationnels .
|
- Mesure de la performance de l'entreprise par le ratio cash-flow
opérationnel / actifs opérationnels (les actifs
opérationnels sont les actifs directement liés à
l'activité d'exploitation)
- Les chiffres sont ajustés par rapport à
l'évolution moyenne du secteur d'activité .
|
- Augmentation significative des bénéfices
opérationnels après le rachat pour les deux sous
échantillons
- L'accroissement de la performance ne provient pas d'une
cession des activités moins rentables mais du LBO lui même .
|
Auteur
|
Année
|
échantillon
|
Variables
|
méthodologie
|
résultats
|
Lichtenberg
et Siegel
|
1990
|
Environ 1000 usines au total, impliquées dans des LBO
entre 1981 et 1986
|
Mesure de la productivité de l'usine
|
Examen des changements dans la productivité pour des
usines liées à un LBO
|
-Productivité moyenne supérieure pour les usines
LBO avant et après l'opération par rapport aux usines non LBO
-Amélioration significative de la productivité dans
les usines LBO entre l'année précédent et les deux
années suivant l'opération
-Pas d'amélioration de la productivité pour les LBO
de 1981 à 1982
et amélioration pour les LBO de 1983 à 1986
|
Muscarella et
Vetsuypens
|
1990
|
72entreprises ayant fait appel public à
l'épargne depuis 1983 alors qu'elles avaient auparavant fait l'objet
d'un LBO partiel ou total
|
-Participation du management dans le capital
-Turnover des cadres
-Plans de compensation incitative
-Activités de restructuration
-Ventes
-Marge brute
-Marge commerciale
-Marge nette
-Rotation de l'actif
-Dépenses d'investissement
-Taux d'endettement
|
-Mesure de la performance par des données comptables
-Statistiques descriptives
|
-Confirmation de l'hypothèse selon laquelle la structure
organisationnelle liée au LBO permet d'améliorer l'efficience de
l'entreprise
-L'hypothèse d'un avantage informationnel des initiateurs
et des dirigeants n'est pas rejetée
|
Backer et Wruck
|
1989
|
Le cas du MBO d'OM Scott&Sons
|
Données relatives à la dette, à la
géographie du capital et à l'emploi avant et après le
LBO
|
Recueil de données et interviews au sein de
l'entreprise
|
Performance accrue de l'organisation due au service de la dette ,
à la participation des dirigeants au capital et à leur
contrôle
|
Opler
|
1992
|
44 opérations
de retour à la propriété privée
réalisées entre 1985 et 1989
|
-Cash-flow opérationnel
- Cash-flow net
-Données comptables diverses
|
-Statistiques descriptives
-Calculs de ratios
|
-Augmentation moyenne de 16.5% du ratio « profits
opérationnels /ventes »
-Augmentation significative du cash- flow net
-Augmentation moyenne de 40.3% des profits opérationnels
par employé
-Peu d'impact du LBO sur les dépenses de R&D
|
Phan et Hill
|
1995
|
214 LBO de 1986 à 1989
|
-Variation du ratio EBIT/coûts salariaux
-Variation du ratio EBIT/CA
|
Mesures des variables un an avant et un an après le
LBO , puis mesures trois ans et cinq ans après sur un
échantillon plus restreint de LBO
|
-La performance augmente immédiatement après le LBO
- L'impact du LBO sur la performance est bien moins important
à plus long terme
- C'est plus l'augmentation de l'actionnariat des salariés
que l'augmentation du niveau d'endettement qui est corrélée aux
changements stratégiques et structurels
|
Source : A. L. Le Naudant, Analyse financière
, n° 116 septembre 1998 pages 68 et 69 Citée par Cherif
(2004).
§4 Les explications de l'efficience dans les
LBO : la réduction des coûts d'agence
Pour expliquer la forte amélioration des
performances dans les LBO , nous ne pouvons nous contenter d'invoquer les
leviers financiers et fiscaux . La question est de savoir ce qui fait
qu'on parvient à faire fonctionner des leviers financiers d'une telle
ampleur . Qu'est ce qui fait qu'une entreprise va réussir en sept
ans à générer des cash-flow qui vont permettre de
rembourser une dette qui correspond à 80% de sa valeur, voir
plus ? Nous avons montré dans la première section que
les transferts de richesse ne permettaient pas d'expliquer la plupart des gains
issus des rachats . D'après Jensen (1986,1988,1989) c'est la
réduction des coûts d'agence permise par la discipline
imposée par la dette qui permet d'expliquer les gains des offreurs. Dans
ce cas on parle d'une véritable création de richesse. Notons que
la réduction des coûts d'agence peut être à l'origine
de transferts de richesse notamment au détriment des
salariés ; en effet plus les managers détiennent une part
importante du capital , plus ils sont enclin à réaliser les
restructurations nécessaires (notamment les réductions
d'effectifs et de salaires ). Les restructurations réalisées au
début du LBO sont incontestablement à l'origine d'une partie des
gains issus du rachat.
|