Chapitre 3
Les sources des gains issus des rachats
La question est de savoir ce qui a permis aux offreurs de
verser des primes d'un montant variant entre 30% et 50% de la valeur des
actions, tout en continuant à faire des profits grâce aux
rachats .
Les raiders ne font ils qu'organiser des transferts de
richesse à leur profit ou créent ils véritablement de la
richesse ?
Sur ce sujet les débats furent passionnés. Dans
le développement qui va suivre nous tenterons d'apporter une
réponse claire à cette question.
Dans la première section nous verrons que les
études empiriques visant à vérifier l'ensemble des
théories redistributives se sont avérées peu
concluantes.
Etant donné que la vague d'OPA qui nous occupe se
caractérise par un fort recours à l'emprunt, dans une
deuxième partie nous verrons comment et pourquoi les LBO (leveraged buy
out) qui ont été si nombreux dans les années 80
constituent un véritable modèle de gouvernance
d'entreprise . Nous montrerons qu'un taux d'endettement
élevé peut permettre de réduire considérablement
les coûts d'agence en exerçant une pression disciplinaire sur les
managers. Nous évoquerons notamment les restructurations entreprises au
début des LBO, la réduction du pouvoir discrétionnaire des
managers, le mode spécifique de rémunération des
managers dans les LBO et le rôle joué par les investisseurs. Enfin
nous étudierons les principales difficultés rencontrées
par les LBO .
Section 1 : L'invalidation des théories
redistributives
Durant la vague d'OPA les opposants aux offreurs, aux
premiers rangs desquels les managers, ont cherché à montrer que
les raiders ne faisaient qu'organiser des transferts de richesse à leur
profit. Ainsi, ils ont proposé un ensemble de théories visant
à démontrer leurs affirmations.
§1 La myopie des marchés et
l'inéfficience des rachats
Cette théorie est basée sur l'idée selon
laquelle les investisseurs et en particulier les investisseurs institutionnels
ne s'intéressent qu'à la performance à court terme et donc
sous évaluent les entreprises engagées dans des stratégies
de création de valeur à long terme. Ainsi ces firmes seraient
sous évaluées par le marché ce qui ferait d'elles des
cibles pour les offreurs .
Les critiques de cette théorie montrent qu'elle est en
désaccord avec un marché des capitaux efficient. Si le
marché sous évaluait systématiquement les investissements
à long terme, ça impliquerait des conséquences
économiques néfastes qui iraient au delà des coûts
générés par des rachats inopportuns .
De nombreuses études empiriques ont montré que
les marchés réagissaient positivement à l'annonce de
l'augmentation des dépenses en R&D. Par exemple McConnell et
Muscarella (1985 ) cités par Jarrell, Brickley et Netter (1988) trouvent
qu'en moyenne le marché réagit positivement à l'annonce
d'augmentations des dépenses d'investissement sauf pour l'exploration
dans l'industrie pétrolière .
§2 La théorie des cibles sous
évaluées
Les managers des cibles et autres opposants aux rachats
affirment que les cibles sont sous évaluées par le
marché . Ainsi un offreur peut verser une prime importante aux
actionnaires tout en payant un prix bien inférieur à la valeur
véritable de l'entreprise. Cette théorie a pour but de justifier
les stratégies de défense mises en oeuvre par les managers des
cibles, même lorsque les primes sont élevées. Selon cette
théorie les actionnaires des cibles seront récompensés sur
le long terme (si ils ne vendent pas) au delà de la prime
proposée par l'offreur qui recherche les gains à court terme.
Cependant les travaux empiriques montrent que lorsqu'une cible
échappe à une offre hostile son cours revient au niveau qui
prévalait avant l'offre (Bradley, Desai et Kim 1983 ;
Eastbrook et Jarell 1984 ; Jarell 1985 ; Ruback
1986 ; cités par Jarell, Brickley, Netter 1988). Cette
théorie a donc été invalidée empiriquement.
§3 Les économies d'impôts sont
elles à l'origine des rachats ?
Les économies d'impôts ont longtemps
été considérées comme un élément
d'explication important des fusions acquisitions. En effet la réforme
fiscale de 1986 aux Etats Unis avait pour but de réduire les
économies d'impôts permises par les fusions. Cependant, la plupart
des études plus récentes trouvent que les économies
d'impôts jouent un rôle mineur dans l'explication des fusions
acquisitions.
Auerbach et Reishus (1987) cités par Jarrell, Brickley
et Netter (1988) ont étudié les économies d'impôts
permises par 318 fusions et acquisitions entre 1968 et 1983. Ils trouvent
qu'elles étaient suffisamment importantes pour affecter la
décision de fusionner dans seulement 20% des cas .
Lehn et Poulsen (1987) cités par Jarrell, Brickley et
Netter (1988) trouvent, dans leur étude réalisée sur les
LBO entre 1980 et 1984, que le montant des primes payées aux
actionnaires sortants dépendait directement des économies
d'impôts associées à ces transactions. Ce qui
suggère qu'en partie ces LBO furent motivés par des
considérations fiscales.
Ce qu'on peut dire c'est que les économies
d'impôts semblent avoir eu un impact sur les fusions. Cependant, les
études suggèrent que la plupart des rachats ayant eu lieu ces
vingt dernières années n'étaient pas motivés par
des économies d'impôts (Jarrell, Brickley ,Netter 1988) .
§4 Est ce que les rachats sont
préjudiciables aux détenteurs
d'obligations ?
Certains critiques suggèrent que les primes
payées par les offreurs ne sont pas financées par une
création de richesse mais par une redistribution . Par exemple, les
obligations émises par la firme acheteuse peuvent perdre de la valeur si
elle achète une firme cible risquée . Etant donné que la
valeur combinée des deux firmes reste inchangée , les gains des
actionnaires de la cible seraient compensés par les pertes subies par
les détenteurs des obligations émises par la firme acheteuse .
Cette théorie a été invalidée par
les études empiriques ( Jarrell , Brickley et Netter 1988)
§5 Les pertes subies par les salariés
ont elles servi à financer les rachats ?
Les rachats dans le secteur du transport aérien ont
entraîné des conflits entre le management des firmes acheteuses et
les syndicats des firmes rachetées. Ces conflits ont contribué
à diffuser l'idée que les primes des OPA étaient
financées par des destructions d'emplois et des baisses de salaires .
Shleifer et Summers (1987) cités par Jarrell, Brickley
et Netter (1988) ont étudié cette question. Ils ont trouvé
que lors du rachat de la TWA , la prime offerte aux actionnaires correspondait
à la moitié des pertes de salaires subies par les salariés
de la compagnie. En se focalisant sur les contrats implicites de long terme
passés entre les salariés et le management en place des cibles,
Shleifer et Summers trouvent que les raiders peuvent quelquefois rompre ces
contrats, une fois qu'ils ont pris le contrôle de la firme, en utilisant
des stratégies pour imposer d'importantes réductions de salaire.
En théorie ces pratiques peuvent être néfastes socialement
car elles ruinent le marché de ces contrats implicites de long terme et
forcent les travailleurs et le management à utiliser des
mécanismes contractuels moins efficaces .
Cette théorie de la redistribution entre travailleurs
et actionnaires n'a pas été largement testée,
néanmoins une étude du NBER réalisée par Brown et
Médoff (1987) portant sur l'emploi et les salaires dans le Michigan
invalide cette théorie.
Bien que cette étude réalisée dans le
Michigan puisse ne pas être représentative de ce qui s'est
passé sur l'ensemble du territoire des Etats Unis, elle conclue que les
salaires et le nombre d'employés ont augmenté, en moyenne, dans
les firmes impliquées dans des rachats .
Les théories redistributives ont fait l'objet de
nombreuses études empiriques, les plus convaincantes sont celles qui
rejettent la théorie de la sous évaluation et la théorie
de la vision à court terme. Les études attribuent aux
économies d'impôts peu d'importance dans l'explication des fusions
acquisitions et invalident les théories selon lesquelles les gains des
actionnaires des cibles correspondent aux pertes subies par les
détenteurs d'obligations et les salariés.
Bien que les managers des cibles soient manifestement perdants
(au moins dans certains rachats), selon Jarrell, Brickley et Netter (1988) la
littérature offre peu ou pas de support à l'idée selon
laquelle les théories redistributives expliquent une part importante des
gains issus des rachats .
Il a été impossible de trouver
systématiquement des pertes qui pouvaient compenser les gains des
actionnaires des cibles et des offreurs lors de fusions, de rachats et autres
activités de prise de contrôle des entreprises. Donc les gains
sont issus du remaniement des actifs des entreprises (Jarrell, Brickley et
Netter 1988). Les résultats ont conduit beaucoup d'économistes
financiers comme Jensen (1986) à qualifier les rachats, les LBO et les
restructurations, d' « activités entrepreneuriales
productives qui améliorent le contrôle et la gestion des actifs et
aident à déplacer les actifs vers des usages plus
productifs. »
Plus précisément, quelles sont les
réformes mises en oeuvre dans une entreprise dont le rachat a
été financé par l'emprunt. L'augmentation du nombre et de
la taille des LBO a été rendue possible par l'utilisation massive
des junk bonds dans le financement des rachats. En 1986, le montant total
des LBO représentait 44.3 milliards de dollars soit 39% du montant total
des rachats d'entreprises cotées. Dans ces LBO il n'était pas
rare d'avoir une dette d'un montant dix fois supérieur à celui
des capitaux propres ; en moyenne la dette représentait 5.25 fois
le montant des capitaux propres. Comment expliquer les très bonnes
performances obtenues grâce à ces montages financiers ?
Jensen considère que les LBO permettent de réduire
considérablement les coûts d'agence.
Un fort taux d'endettement est un très bon vecteur de
changements, le LBO correspond à la meilleure illustration des
réformes au sein de la cible qui sont à l'origine des gains issus
des rachats. Après avoir présenté et défini le LBO,
nous tenterons d'identifier les origines de leurs très bonnes
performances, enfin nous évoquerons les difficultés qu'ils
doivent contourner.
Section 2 : Le LBO (leveraged buy out) : un
modèle d'efficience
§1 Définition et principe
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