Chapitre 2
Les caractéristiques des cibles
Durant la décennie 80 l'industrie américaine a
dû s'adapter à de nombreux chocs (progrès technologique,
choc pétrolier, dérégulation). La vague d'OPA semble avoir
permis la transformation de l'industrie américaine .
Mitchell et Mulherin (1996) ont trouvé que dans sept
industries (divertissement, drugstore, pétrochimie, production
télévisuelle, textile, pneu et sidérurgie) au moins les
trois quart des firmes ont soit été rachetées, soit ont
reçu une offre de rachat qui n'a pas abouti, soit se sont
restructurées entre 1982 et 1989. Ils trouvent aussi que 50% des
rachats dans une industrie donnée sont regroupés sur une
période de deux ans. Un-peu comme si les premiers rachats brisaient
un équilibre précaire et qu'il fallait de nombreux autres rachats
pour en retrouver un autre. Dans une première partie nous verrons
comment le choc pétrolier a conduit les firmes américaines
à se restructurer, comment l'avènement du pneu radial a
amené les industriels du pneu à fermer 37 usines et à
supprimer 40% des emplois dans cette industrie, ou bien encore, pourquoi les
pilotes de ligne ont dû accepter des réductions de salaires. Dans
une seconde partie nous nous intéresserons aux performances des firmes,
nous confronterons plusieurs études empiriques afin de voir si elles
corroborent la théorie du free cash-flow .
Section 1 : Les industries visées et la question
du démantèlement des conglomérats
Il semblerait que les industries ayant subi des chocs
(dérégulation, progrès technologique, choc
pétrolier,...) aient été particulièrement
concernées par la vague de rachats. L'un des éléments que
l'on ne peut occulter lorsqu'il s'agit d'expliquer la vague d'OPA c'est le choc
pétrolier des années 70. L'industrie pétrolière a
subi de plein fouet l'embargo décrété par les pays de
l'OPEP en 1973 et l'arrêt des exportations de pétrole par l'Iran
en 1978 et 1979 . Bien sûr, de nombreuses autres industries ont subi
ce choc , ce fut notamment le cas pour l'industrie du pneu et le
transport aérien.
Intéressons nous d'abord à ce qui s'est
passé dans l'industrie pétrolière .
§1 Les compagnies
pétrolières
Entre 1973 et 1979 les prix du pétrole ont
augmenté dix fois. L'accroissement des prix du brut a été
à l'origine d'importants cash-flow pour les compagnies
pétrolières. En effet, la demande de pétrole ne chuta pas
immédiatement et les compagnies qui détenaient toutes
d'importantes réserves de brut purent engranger d'importants cash-flow.
En 1984 le cash-flow des dix plus grandes compagnies
pétrolières était de 48.5 milliards de dollars, ce qui
représentait 28% du cash-flow total des deux cents plus grandes
entreprises américaines (Dun's Business month survey).
Cependant on anticipait un déclin de la demande
(lorsque les prix du brut augmentent, la demande ne diminue pas
immédiatement (faible élasticité prix)). Ainsi le niveau
optimal des capacités de distribution, de raffinage et des
réserves de brut chuta au début des années 80 ;ce qui
laissa l'industrie pétrolière avec des capacités
excédentaires. Au même moment les profits étaient
élevés ; cela arriva parce que la productivité
moyenne des ressources de l'industrie augmentait tandis que la
productivité marginale diminuait ( Jensen 1986). L'industrie avait
besoin d'être restructurée ; les réserves de brut des
compagnies étaient trop importantes et la profitabilité de
l'exploration pétrolière et des forages diminuait à cause
de la baisse de la demande .
Conformément à la théorie du free
cash-flow , les managers, au lieu de verser le cash-flow libre aux
actionnaires, continuèrent à investir dans des projets
d'exploration bien que les rendements moyens furent inférieurs au
coût du capital. Ils entreprirent aussi des programmes de
diversification. Ces programmes furent à l'origine de rachats
d'entreprises de vente au détail , (Marcor racheté par
Mobil) de manufacture (Reliance electric racheté par exxon) ,
de fabrication d'équipements de bureau (Vydec racheté par
Exxon). Les compagnies pétrolières rachetèrent
même des sociétés d'extraction minière (Kennecott
par Sohio, Anaconda minérals par Arco, Cyprus mines par Amoco).
Ces acquisitions ont fait partie des moins réussies de
la décennie, en partie à cause de la malchance (par exemple
l'effondrement de l'industrie minière) et en partie à cause du
manque de compétence des managers à l'extérieur de
l'industrie pétrolière (Jensen 1986).
A ce stade nous ne pouvons occulter le fait que si les rachats
peuvent servir à sanctionner les managers, ils sont aussi pour eux le
principal moyen de gaspiller le cash-flow libre. Rappelons que pour Jensen
(1986) ces acquisitions non rentables sont tout de même
préférables (socialement) à des projets de croissance
interne non rentables, dans la mesure où ces acquisitions permettent aux
actionnaires des cibles de percevoir une partie du cash-flow libre.
Deux études indiquent que les dépenses
d'exploration dans l'industrie pétrolières ont été
trop importantes depuis la fin des années 70. Mc Connell et
Muscarella (1986) cités par Jensen (1986) ont trouvé que les
annonces d'augmentation des dépenses d'exploration entre 1975 et 1981
étaient associées à des baisses de cours
systématiques (et vis versa).
Picchi cité par Jensen (1986) a trouvé que les
dépenses d'exploration entre 1982 et 1984 avaient en moyenne un
rendement avant impôt inférieur à 10% .
Le foreur indépendant T Bonne Pickens de la
société Mesa pétroleum fut un des premiers à
comprendre que l'industrie pétrolière devait être
restructurée, il fut le premier à lancer une OPA sur une
compagnie pétrolière . Cette OPA fût la première
d'une longue série de fusions qui conduisirent les compagnies
pétrolières à faire d'importants versements aux
actionnaires (ventes de leurs réserves de brut dont le produit fût
versé aux actionnaires ). Elles réduisirent
considérablement leurs dépenses en exploration ainsi que leurs
capacités de raffinage et de distribution . Cela s'est traduit par
d'importants gains en efficience et en valeur . Les gains totaux pour les
actionnaires , générés par les fusions entre Gulf et
Chevron ,entre Getty et Texaco et entre Dupont et Conoco
s'élevèrent à plus de 17 milliards de dollars (Jensen
1986). Allen Jacob (1986) cité par Jensen (1986) estime à 200
milliards de dollars les gains totaux liés à la réduction
de l'inéfficience dans 98 compagnies avec d'importantes réserves
de brut en 1984 .
La menace d'OPA a aussi joué un rôle très
important dans la réduction de l'inéfficience dans cette
industrie . Les restructurations défensives de Philips et Unocal et
la restructuration volontaire d'Arco ont permis aux actionnaires de
réaliser des gains allant de 20 à 35% de la valeur initiale des
actions. Les restructuration étaient couplées à des
rachats d'actions allant de 25 à 53% de la capitalisation
boursière des compagnies (plus de 4 milliards dans chaque cas) .
L'autre industrie dans laquelle la vague de rachats a eu des
conséquences spectaculaires c'est l'industrie du pneu.
§2 L'industrie du pneu
C'est une industrie qui pendant des années a
accumulé des surcapacités de production. Il y a plusieurs raisons
à cela , en premier lieu il y a eu le succès commercial des
pneus radial , en effet ces pneus s'usent trois à cinq fois moins
vite que les anciens pneus . La deuxième cause de l'accumulation
des surcapacités fût la baisse des ventes de voitures neuves, elle
même provoquée par le choc pétrolier . Le troisième
élément d'explication fût la progression des concurrents
étrangers sur le marché Américain (Jensen 1993 ;
Mitchell et Mulherin 1996) . D'après Jensen (1993) il était
nécessaire pour l'industrie du pneu de se séparer des deux tiers
de ses capacités de productions .
Au lieu d'entreprendre d'importantes restructurations, les
managers ont continué à investir le cash-flow libre,
persuadés que c'était le seul moyen de conserver leurs parts de
marché. Bien sûr cela a été possible parce que les
conseils d'administrations étaient inefficaces, cependant il
semblerait que les problèmes de sortie de l'industrie se posent avec
encore plus d'acuité dans les industries ayant connu de longues
périodes de prospérité . Comme si la cession d'actifs
était contraire à la culture de ces entreprises. De plus la
résistance aux restructurations est très forte , non
seulement dans les entreprises (« les fermeture d'usines attristent
les salariés, créent de l'incertitude et interrompent les
carrières » Jensen 1993), mais aussi à
l'extérieur de l'entreprise (hommes politiques , groupes de pression,
syndicats ...). Ainsi les managers vont résister tant qu'ils ont du
cash-flow pour financer les activités non rentables. D'après
Jensen (1993) les managers n'ont pas conscience du fait que c'est leur
entreprise qui a les coûts de production les plus élevés et
que c'est donc eux qui doivent quitter l'industrie. L' autre
élément d'explication avancé par l'auteur , ce sont les
contrats implicites que les managers passent avec les syndicats , les
fournisseurs et les communautés. Ces contrats forment des
barrières au changement qui renforcent la résistance
organisationnelle et empêchent les réorganisations .
Dans ces conditions la tentative de rachat va
déclencher une crise dans l'entreprise qui va permettre de
légitimer les restructurations, qui sans ça n'auraient pas pu
être réalisées (Jensen 1986). C'est ce qui s'est
passé lorsque Sir James Goldsmith a lancé en 1986 son OPA sur
Goodyear ; sans racheter l'entreprise il est parvenu à imposer les
restructurations qu'il jugeait nécessaires (vente de la filiale
aéronautique, vente de l'usine de jantes et de la division
pétrole).
En fait la solution au problème des capacités de
production excédentaires dans l'industrie du pneu est venue du
marché du contrôle des entreprises ; toutes les grandes
entreprises américaines du pneu ont été rachetées
et (ou) restructurées dans les années 80 . En mai
1985 , Uniroyal accepta une proposition de LBO afin d'échapper aux
avances hostiles du raider Carl Icahn . Simultanément Goodrich a
commencé à investir hors de l'industrie du pneu. En janvier 1986
Goodrich et Uniroyal se sont débarrassés de leurs divisions pneus
pour former ensembles un joint venture ; il ont formé la Uniroyal
Goodrich Tire Company . En décembre 1987 Goodrich a vendu ses
intérêts dans le joint-venture à Clayton et Dubilier,
Uniroyal l'imita peu de temps après .
Similairement Général Tire quitta l'industrie du
pneu, la compagnie renommée Gencorp en 1984 vendit sa division pneu
à Continental en 1987. Firestone fût vendu à
Bridgestone ; Pirelli racheta l'Armstrong Tire Company.
Au total 37 usines de pneu ont été
fermées entre 1977 et 1987 et le nombre de salariés de
l'industrie a été réduit de 40% . Ainsi , l'OPA
apparaît comme un outil indispensable à la transformation d'une
industrie.
Toutes les industries frappées par la vague d'OPA
n'avaient pas pour principal problème l'accumulation de
surcapacités de production . La dérégulation a
bouleversé le marché du transport aérien, ce qui a
obligé les compagnies aériennes à se réorganiser.
§3 Le transport aérien
Outre le choc pétrolier, la loi de 1978 sur la
dérégulation du transport aérien a réduit
progressivement le contrôle par le gouvernement des lignes
aériennes et des prix. La dérégulation a facilité
l'entrée de nouvelles compagnies , le développement de nouveaux
aéroports et le développement de lignes permettant de traverser
les Etats Unis. L'entrée de nouvelles compagnies a été
à l'origine de graves difficultés financières pour les
anciennes compagnies. Lorsque le raider Carl Icahn a racheté la TWA ,
il a pu verser une prime substantielle aux actionnaires parce qu'il avait
réussi a négocier avec les syndicats (pilotes , hôtesses ,
mécaniciens) des réductions de salaires que les managers en place
n'auraient jamais pu obtenir . Shleifer et Summer (1988) cités par
Shleifer et Vishny (1988) ont calculé que la prime payée aux
actionnaires de la TWA correspondait à la moitié des pertes de
salaires subies par les salariés de la compagnie ; de tels
transferts au profit des actionnaires et du raider ne peuvent être
considérés comme des améliorations sociales.
D'après Shleifer et Summers le raider casse les contrats implicites de
long terme passés entre les salariés et le management de la
compagnie ; il finance la prime en forçant les salariés
à accepter des baisses de salaires. En théorie ces pratiques
peuvent être socialement inefficientes car elles ruinent le marché
des contrats implicites de long terme et forcent ainsi managers et
salariés à utiliser des mécanismes contractuels moins
efficients (Shleifer et Summer 1988).
Cependant , de l'avis de nombreux observateurs, les raids sur
les compagnies aériennes ont permis de faire baisser
considérablement les prix des billets d'avion. Ainsi , il semble
difficile d'évaluer l'impact sur le bien être social des raids sur
les compagnies aériennes à cette époque.
De nombreuses autres industries ont été
visées, sans entrer dans les détails pour chacune d'entre
elles, il convient de mentionner les principaux chocs subis par ces
industries.
§4 Les autres industries
visées
L'industrie agroalimentaire a elle aussi été
touchée par la vague de rachats . Cette industrie avait
accumulé des capacités de production excédentaires en
partie liées au faible taux de croissance démographique.
L'industrie générait d'importants cash-flow libres et avait peu
d'opportunités de croissance. Le LBO réalisé par Kohlberg
Kravis and Roberts (KKR) sur la société Béatrice pour un
montant de 6.3 milliards de dollars est le plus grand LBO jamais
réalisé.
L'industrie de la production télévisuelle et
radiophonique a elle aussi été lourdement touchée .
Cette industrie générait d'importants cash-flow grâce
à ses licences , cependant la régulation limitait l'offre
globale ainsi que le nombre de licences détenues par une seule
entité. Ainsi, les investissements internes rentables étaient
limités et le cash-flow libre de l'industrie a été
gaspillé dans des programmes de diversification faisant de ces firmes
des cibles pour les raiders. La CBS s'endetta et se restructura afin de se
défendre contre l'offre hostile de Turner. Américan Broadcasting
Company fût rachetée pour 3.5 millions de dollars par Capital
Cities Communication. Ce qui s'est passé dans cette industrie est en
accord avec la théorie du free cash-flow (Jensen 1986 1988).
Nombre d'autre industries ont été
touchées ; l'industrie textile a subi une forte augmentation des
importations, les importants cash-flow des grands laboratoires pharmaceutiques
ont suscité la convoitise des raiders, la dérégulation des
transports ferroviaires permit à de nouvelles firmes d'entrer sur le
marché. L'industrie sidérurgique, la métallurgie,
l'industrie cosmétique, les chaînes d'hôtels et de
drugstores ont aussi été durement touchées par la vague de
rachats.
Pour Mitchell et Mulherin (1996) le point commun entre toutes
ces industries est qu'elles ont subi des chocs . Ces chocs sont de nature
diverses (choc pétrolier, dérégulation, concurrence
étrangère, choc de demande, choc technologique ...). Ces chocs
ont, en quelque sorte, joué un rôle de catalyseurs en mettant en
évidence l'incapacité des dirigeants à faire face aux
difficultés que rencontraient leurs industries. Par exemple, dans
l'industrie du pneu, l'invention du pneu radial a augmenté la vitesse
d'accumulation des surcapacités de production. Mitchell et Mulherin
(1996) trouvent que le nombre de rachats dans une industrie est directement
relié à l'ampleur du choc économique qui a frappé
cette industrie. Les OPA ont permis à l'industrie américaine de
se restructurer rapidement à un moment où la
compétitivité des entreprises baissait.
Venons en maintenant à une question qui a fait couler
beaucoup d'encre : est ce que la vague d'OPA des années 80 a servi
à démanteler les conglomérats bâtis durant la vague
de rachats des années 60 ?
§5 La question du démantèlement
des conglomérats
Pour Shleifer et Vishny (1990) cités par Holmstrom et
Kaplan (2001), la vague de rachats des années 80 est dans une large
mesure une réponse aux mauvaises performances des conglomérats
constitués durant les années 60. Cependant si les
entreprises diversifiées avaient été
démantelés par la vague de rachats, on aurait dû observer
(en moyenne) une diminution de la diversification des entreprises
américaines au début des années 90 ; or les
études empiriques sont mitigées sur ce point. Montgomery (1994)
cité par Holmstrom et Kaplan (2001) souligne qu'en 1991 la firme typique
du Standard and Poor's 500 était positionnée sur le même
nombre de segments industriels que la firme typique en 1981 . Graham,
Lemmon et Wolf (2000) cités par Holmstrom et Kaplan (2001) trouvent que
beaucoup de cibles d'OPA ont été démantelées et que
leurs différents éléments sont ensuite devenus des parties
de firmes diversifiées . A l'opposé, Comment et Jarrell
(1995) trouvent un fort déclin de la diversification après les
années 80 : parmi les firmes couvertes par compustat, le
pourcentage de firmes ayant un seul métier est passé de 36.2% en
1978 à 63.9% en 1989 .
L'explication la plus plausible est que ce sont les
conglomérats qui détruisaient le plus de valeur qui ont
été démantelés en priorité (Berger et Ofek
1996).
C'est pour nous l'occasion d'aborder la question du lien entre
la diversification et la destruction de valeur. La diversification
détruit de la valeur lorsqu'elle découle de rachats
désordonnés réalisés par des dirigeants qui ne
veulent pas verser le cash-flow libre aux managers. De notre point de vue, une
diversification maîtrisée et judicieuse qui s'inscrit dans une
stratégie d'exploitation des synergies peut tout à fait
être créatrice de valeur . Cependant, nous ne pouvons
ignorer le fait que les entreprises spécialisées ont les faveurs
des investisseurs institutionnels qui préfèrent choisir eux
même la manière dont ils vont répartir les risques entre
les différentes activités. Ainsi, pour lever des capitaux , il
vaut mieux être spécialisé que diversifié.
Venons en maintenant à l'analyse des différentes
études empiriques cherchant à mettre en évidence les
caractéristiques des cibles.
Section 2 : Les performances des cibles
§1 Les résultats des études
empiriques
D'après la théorie du free cash-flow
appliquée au rachats, il y a deux catégories de cibles :
- les firmes qui ont de mauvais résultats
- les firmes qui ont de très bons résultats, qui
génèrent beaucoup de free cash-flow que les
managers refusent de verser aux actionnaires .
Dickerson , Gibson et Tsakalotos (2002) ont cherché
à vérifier la théorie de Jensen à partir d'un large
échantillon d'entreprises cotées en Grande Bretagne entre 1970 et
1990 (les spécialistes considèrent qu'il y a beaucoup de
similitudes entre ce qui s'est passé aux USA et ce qui s'est
passé en Angleterre à cette époque). Ils trouvent qu'une
faible profitabilité est associée à une forte
probabilité conditionnelle de rachat, cependant le lien entre
faible profitabilité et la probabilité de rachat s'affaiblit
durant la vague d'OPA . Concernant la deuxième prédiction de
la théorie du free cash-flow, selon laquelle les firmes
générant d'importants free cash-flow mais ayant peu
d'opportunités d'investissement seront sanctionnées par des
rachats si les managers investissent le cash-flow libre au lieu de verser des
dividendes, les auteurs ne parviennent pas à vérifier
empiriquement ce phénomène.
Peut être faut il prendre en compte le fait qu'il s'agit
d'un échantillon de firmes anglaises, pour expliquer la non
vérification empirique de la théorie du free cash-flow .
Palepu (1986) cité par Jensen (1988), à partir
d'un échantillon de 256 firmes rachetées entre 1971 et 1979,
trouve que les firmes ayant un écart important entre leurs perspectives
de croissance et leurs ressources ont plus tendance à être
rachetées. Ainsi , il identifie deux profils de cibles :
- les firmes avec un fort taux de croissance de leurs ventes ,
peu de liquidités et un taux d'endettement élevé
- les firmes avec un faible taux de croissance de leurs vente,
beaucoup de liquidités et un faible taux d'endettement.
Palepu trouve aussi que de mauvaises performances
antérieures sont liées à une forte probabilité
d'OPA . Ces résultats tendent à confirmer la théorie
du free cash-flow appliquée aux rachats.
Morck, Shleifer et Vishny (1989) ont étudié un
échantillon de 454 entreprises américaines entre 1981 et
1985. Ils trouvent que les cibles d'OPA hostiles ont en moyenne un ratio
Tobin's Q de 0.524 (valeur boursière /valeur
comptable), tandis que les cibles d'OPA amicales ont un ratio Tobin's Q de
0.774 . Pour leur part , les firmes de l'échantillon qui n'ont pas
été rachetées ont en moyenne un ratio Tobin's Q de 0.932
.
Les auteurs trouvent aussi que les cibles d'OPA hostiles ont
en moyenne des résultats 14% inférieurs à la moyenne de
leur industrie et que les OPA hostiles visent des industries ayant en moyenne
des résultats 19% inférieurs à la moyenne de toutes les
industries. Ainsi la probabilité d'OPA hostile augmente avec la mauvaise
performance de l'industrie par rapport au marché et avec la mauvaise
performance de la firme à l'intérieur de l'industrie.
Les OPA amicales visent typiquement les entreprises ayant des
performances inférieures à la moyenne de leur industrie, dans des
industries connaissant une forte croissance .
Globalement, ces résultats confirment le rôle
prépondérant des OPA hostiles dans la restructuration des
industries en déclin. Ces études empiriques semblent conforter la
théorie du free cash-flow .
Voyons maintenant ce qu'il en est du rôle disciplinaire
(au sens strict) des OPA .
§2 Le lien entre mauvaises performances et
remplacement des dirigeants
Le ratio Tobin's Q des firmes ayant subi un turnover complet
est 0.734 ce qui est 27% inférieur au ratio moyen des firmes non
rachetées (0.932) (Morck, Shleifer et vishny 1989). D'après ces
auteurs, les cibles des rachats après lesquels les dirigeants de la
cible ne sont pas remplacés ont en moyenne des performances 4.35%
supérieures à la moyenne de leur industrie ; tandis que les
cibles des rachats après lesquels les managers sont remplacés ont
en moyenne des résultats 15.38% inférieurs à la moyenne
de leur industrie . On a donc une mise en évidence du rôle
directement disciplinaire joué par les OPA, qui permettent de remplacer
l'équipe managériale lorsque le conseil d'administration ne veut
pas ou ne peut pas le faire (Martin et Mc Connell 1991) .
Mikkelson et Partch (1997) ont comparé le turnover du
management des firmes industrielles américaines non rachetées
durant une période où les OPA furent nombreuses
(1984 à 1988) et durant une période où les OPA furent
moins nombreuses (1989 à 1993). Ils trouvent que parmi les firmes
appartenant au plus bas quartile de performance (mesurée par le ratio
revenu/actifs), 33% connurent un turnover complet (PDG et président
du conseil) durant la période d'OPA active , alors que seulement 17% des
firmes appartenant au quartile de performance le plus bas connurent un turnover
complet entre 1989 et 1993.
Les auteurs trouvent que parmi les firmes qui n'ont pas
été rachetées, la relation inverse entre la performance et
la probabilité de remplacement des managers disparaît durant la
période où les OPA sont moins nombreuses. Nous serions
tentés d'expliquer cela en disant que c'est la pression disciplinaire
exercée par la menace d'OPA qui aide les conseils d'administration
à se débarrasser des managers inefficaces . Cependant, la
période où les OPA furent moins nombreuses (1989 à
1993) inclue une phase de récession qui peut servir à expliquer
la faiblesse du lien entre les mauvaises performances et le turnover des
managers. En fait les résultats de Mikkelson et Partch sont difficiles
à interpréter car nous n'avons pas de certitudes quand aux causes
de la diminution du nombre d'OPA à la fin des années 80 (une
partie du chapitre 5 sera consacrée à cette question). Si l'on
considère que ce sont les pilules empoisonnées et les lois
anti-OPA qui sont à l'origine de la fin de la vague d'OPA, (Coffe 1991,
Pound 1992 cités par Danielson et Karpoff 1998 ) on peut
considérer qu'elles sont aussi responsables de la baisse du turnover
managérial dans les entreprises en difficulté (les pilules et les
lois isolent les managers de la discipline imposée par le
marché). Cependant d'après Comment et Schwert le déclin
de la vague d'OPA est plus lié à la récession et au
crédit crunch qu'aux pilules empoisonnées et aux lois anti-OPA.
Si l'on s'en tient à ces explications, on aura plutôt tendance
à expliquer la baisse du turnover managérial dans les entreprises
en difficulté par le fait que durant une crise économique, les
managers ne sont pas complètement responsables des mauvaises
performances de leurs entreprises et que les administrateurs en tiennent compte
(Mikkelson et Partch 1997).
Ainsi, l'industrie américaine a été
transformée, adaptée à un nouvel environnement grâce
à l'outil OPA . L'analyse des faits confirme que les OPA ont bien
servi à adapter des entreprises et plus largement des industries
à des changements brutaux qui ont pris au dépourvu les managers.
Ces chocs ont mis en évidence l'incapacité des dirigeants et des
conseils d'administration à restructurer radicalement leurs entreprises
alors que cela était nécessaire. Ainsi des raiders comme Carl
Icahn ou James Goldsmith ont forcé l'industrie américaine
à se restructurer malgré la résistance sociale. Ces
rachats ont permis aux actionnaires de percevoir des primes d'un montant
pouvant aller jusqu'à 50% de la valeur des actions ; ce qui
était inespéré pour eux . Les raiders ont montré
que l'inefficience des firmes n'était pas inéluctable et qu'en
mettant en oeuvre une gestion rigoureuse il était possible de verser des
dividendes colossaux aux actionnaires .
Si les OPA ont été si nombreuses et les primes
si élevées durant les années 80, c'est bien parce que les
offreurs avaient compris que racheter des entreprises pour les restructurer et
les réorganiser constituait une activité très
lucrative . Durant cette vague d'OPA on peut considérer qu'il y a
eu deux types de rachats : les rachats d'une entreprise par une autre qui
conduisent à des restructurations et aboutissent à une fusion et
les rachats LBO (leveraged buy out) lors desquels des financiers
rachètent une entreprise cotée, lui font quitter le marché
, la restructurent et la réorganisent afin de rembourser les prêts
contractés. Dans le chapitre qui va suivre nous verrons plus en
détail, notamment en nous intéressant aux LBO , quelles
sont les sources des gains issus des rachats.
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