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Le rôle disciplinaire des opa durant la vague de rachats des années 80 aux USA

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par Antoine Suzzoni
Université Nice Sophia Antipolis - DEA 2004
  

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Chapitre 1

La défaillance des conseils d'administration et le conflit pour le cash-flow libre

D'après Jensen c'est l'inefficacité des conseils d'administration et la non prise en compte des intérêts des actionnaires qui sont à l'origine de la violente vague d'OPA qui a frappé les Etats Unis dans les années 80.

Au début de cette décennie  les administrateurs et les dirigeants ne détenaient qu'une part infime du capital des entreprises et les contrats d'incitation ne représentaient que 20% de la rémunération totale des managers.

Dans ce chapitre nous tenterons de comprendre pourquoi il est si difficile de constituer un conseil d'administration qui défend vraiment les intérêts des actionnaires. Nous aborderons notamment les problèmes liées à la composition des conseils, à la responsabilité des administrateurs et à la rémunération des managers . Dans la deuxième section nous verrons comment les OPA peuvent se substituer aux conseils d'administration pour sanctionner et discipliner les managers .

Section 1 : Des conseils d'administration dominés par les managers

Jusque dans les années 80  l'actionnariat était très dispersé, essentiellement constitué de petits porteurs. Ces derniers n'étaient pas dans un état d'esprit qui aurait pu les conduire à se mobiliser afin d'élire des administrateurs déterminés à licencier le PDG.  C'était avant l'émergence de la shareholder value et de ses préceptes .

§1 La composition des conseils d'administration

A cette époque c'était le management qui proposait sa liste de candidats aux postes d'administrateurs (cette pratique est encore en vigueur aujourd'hui). Les assemblées générales ne fonctionnaient pas de manière démocratique, il n'y avait pas de contre pouvoir . Le jeu des procurations permettait, en quelque sorte, aux managers de faire élire les administrateurs de leur choix. Ainsi le contrôlé choisissait le contrôleur ce qui explique en partie l'inefficacité du contrôle .

Les administrateurs externes (non salariés de l'entreprise) sont ils plus enclin que les administrateurs internes à défendre les intérêts des actionnaires ? Quelle doit être la proportion d'administrateurs internes au conseil ? Quelle est la taille optimale d'un conseil d'administration ? Sur ces sujet la littérature abonde. Cependant nous ne sommes pas convaincus que le problème des conseils d'administration dans les années 80 fut simplement dû à la trop forte proportion d'administrateurs internes dans les conseils.

A) Le rôle et les caractéristiques des administrateurs internes

On entend par administrateur interne, administrateur déjà salarié de l'entreprise.

Bien souvent il s'agit de cadres supérieurs très proches du PDG .

Ce qui légitime leur présence au sein du conseil d'administration, c'est leur connaissance approfondie de l'entreprise. On ne peut imaginer que ces personnes puissent avoir une approche critique de la stratégie exposée par le PDG le jour du conseil d'administration, étant donné qu'elles ont participé à son élaboration. Les administrateurs élus sont souvent des insiders loyaux envers le PDG, ayant un intérêt dans la continuité du management en place (Shleifer et Vishny 1988).

Assurément, ces personnes sont au conseil pour soutenir le PDG et sa stratégie .

De plus, étant salariés de l'entreprise, ils sont plus enclin à défendre les intérêts des autres salariés même si ceux ci s'opposent à ceux des actionnaires .

Comment avoir au sein du conseil d'administration des gens, sans liens avec le PDG, qui connaissent l'entreprise en profondeur ?

D'après Jensen (1993) le seul membre interne du conseil devrait être le PDG, cependant les administrateurs externes devraient pouvoir rencontrer régulièrement les cadres dirigeants de l'entreprise. D'une part cela permettrait aux administrateurs externes de mieux connaître l'entreprise et les candidats à la succession du PDG , d'autre part, les cadres dirigeants auraient une meilleure compréhension de la vision des choses des membres du conseil d'administration . Les administrateurs (y compris le PDG) devraient être obligés d'investir dans le capital de l'entreprise à hauteur de 100 000 dollars .

Cette solution proposée par Jensen n'est pas une panacée puisqu'au contact des cadres dirigeants et autres personnels de l'entreprise, les administrateurs externes peuvent être influencés par des gens qui ont d'autres préoccupations que la maximisation de la valeur pour l'actionnaire .

Venons en maintenant à la question de l'information des administrateurs externes.

B) Les administrateurs externes et le problème de leur information

Lorsqu'on parle des administrateurs externe, le problème qui vient immédiatement à l'esprit est celui de leur information . En effet ils ne participent pas à la vie quotidienne de l'entreprise,  ils ne connaissent pas ses spécificités. Ce sont les documents qui leur sont remis lors des conseils d'administration qui sont censés leur permettre de faire la différence entre un projet qui va créer de la richesse pour les actionnaires et un projet inopportun. La plupart du temps c'était le PDG qui présidait le conseil, il fixait donc le calendrier des réunions et choisissait les informations qu'il donnait aux administrateurs. On voit difficilement comment le contrôle aurait pu être efficace (Jensen 1993). Même lorsque les administrateurs sont déterminés à faire valoir les droits des actionnaires, ils manquent souvent de connaissances pour savoir si un projet est bon ou mauvais (Shleifer et Vishny 1988) .

Le deuxième problème réside dans le fait qu'il s'agissait souvent d'administrateurs qui avaient un intérêt financier dans la continuité du management en place (avocats, publicitaires...) (Shleifer et Vishny 1988).

 Pour couronner le tout, on sait que pour se rendre plus coûteux à remplacer, le manager va être tenté de pratiquer la rétention d'informations vis à vis du conseil. Les parachutes dorés servent à faire en sorte que les managers n'aient pas de raisons de chercher à s'enraciner en pratiquant la rétention d'informations. Cependant on est en droit de se demander si ce remède n'est pas pire que le mal.

Nous serions tentés de penser que le problème de l'information des administrateurs externes pourrait être partiellement résolu si ces derniers passaient plus de temps dans l'entreprise ; mais plus ils sont présents dans l'entreprise et plus ils risquent de nouer des liens avec les salariés, et ainsi subir l'influence des corporations et des syndicats.

Les problèmes que nous venons de décrire son encore d'actualité, même si aujourd'hui les conseils fonctionnent moins mal que dans les années 80.

Un autre problème est indissociable de ceux que nous venons de décrire, c'est celui des conditions d'engagement de la responsabilité des managers et des administrateurs.

§2 Le problème de la responsabilité des managers et des administrateurs

D'après la loi américaine, en l'absence de mauvaise foi ou de corruption, les administrateurs ne peuvent être tenus pour responsables vis à vis de l'entreprise pour des erreurs de jugement si ces erreurs sont considérées comme des erreurs de fait ou des erreurs de droit (Gilson 1986 cité par Shleifer et Vishny 1988).

En fait les administrateurs ne risquent quasiment rien s'ils avalisent de mauvaises décisions, cela ne les incite pas à approfondir l'étude des projets du PDG !

Il existe tout de même une procédure qui permet aux actionnaires de se porter partie civile ; cette procédure est souvent déclenchée en cas de chute des cours inattendue . Cependant ces contraintes légales incitent plus les administrateurs à minimiser les risques qu'à maximiser la valeur pour l'actionnaire. Les conseils peuvent aussi être motivés par la menace d'une mauvaise publicité émanent des autorités de régulation ou de la presse,  mais cette menace incite plus les administrateurs à se couvrir personnellement plutôt qu'à prendre des décision susceptibles de maximiser la valeur de la firme (Jensen 1993) .

La question de la responsabilité des managers et des administrateurs correspond à un problème épineux . Si leur responsabilité est trop facilement engageable, on risque de se retrouver avec des managers frileux et un conseil d'administration qui, de toute façon, s'opposera systématiquement aux projets d'investissements audacieux .

La prise de risque participe du fonctionnement des marchés financiers (la gestion n'est pas une science exacte) ; une responsabilité managériale trop facilement engageable serait de nature à freiner l'activité économique dans le pays. D'un autre coté il faut que la protection des investisseurs soit suffisante pour d'une part, attirer les capitaux étrangers dans le pays et d'autre part éviter la fuite des capitaux nationaux vers des pays où les investisseurs seraient mieux protégés. Il faut donc trouver un juste milieu, ce qui n'est pas simple.

A ce stade, nous ne pouvons occulter la question centrale du mode de rémunération des dirigeants et administrateurs .

§3 La rémunération des managers et administrateurs

Quelle part du capital les managers et administrateurs doivent ils détenir ? Dans quelle mesure les contrats d'incitation permettent ils d'aligner les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires ?

A) La part du capital détenue par les managers et les administrateurs

Lorsqu'il s'est agi d'expliquer l'inefficacité des conseils d'administration, avant et durant les années 80 , on a évoqué le fait que les managers et les administrateurs détenaient une part du capital qui n'était pas suffisamment importante. En moyenne les PDG des mille plus grandes entreprises américaines détenaient en 1991  2.7% du capital de leur entreprise,  75% des PDG détenaient moins de 1.2% du capital de leur entreprise (Murphy 1992 cité par Jensen 1993).

Lorsque Jensen (1993) préconise d'obliger les administrateurs à investir dans le capital de l'entreprise à concurrence de 100 000 dollars , son idée est de forcer les administrateurs à reconnaître que leurs décisions affectent leur richesse personnelle comme elle affecte celle des petits porteurs.

Intuitivement, on comprend que plus les dirigeants et administrateurs détiennent une part importante du capital, plus les coûts d'agence sont réduits. Cependant on trouve des études empiriques qui mettent en évidence un enracinement managérial lorsque les dirigeants détiennent une part importante du capital. Cela peut être préjudiciable aux autres actionnaires  dans la mesure où si l'entreprise a besoin d'évoluer, de changer de métier, le manager en place n'aura peut être pas les compétences nécessaires . D'autre part, plus le manager détient une part importante du capital plus il est isolé de la discipline imposée par le marché (voir le chapitre 4) .

L'autre problème est lié au fait que le cours de bourse d'une entreprise n'évolue pas uniquement en fonction des efforts et de la qualité du travail des managers.  Ainsi ces derniers vont pouvoir réaliser des plus values parce que le ou les marchés sur lesquels l'entreprise est positionnée sont en croissance, ou parce la tendance générale est à la hausse . Inversement, ils peuvent être victime de l'éclatement d'une bulle spéculative. Tout dépend du moment où le manager achète ses actions et des conditions dans lesquelles il a le droit de s'en séparer.

Evoquons maintenant la question des stock options et autres contrats d'incitation.

B) Les contrats d'incitation négociés par les managers lors de leur prise de fonction (stock-options, parachutes dorés)

Le fait qu'au début des années 80 les contrats d'incitation ne représentaient que 20% de la rémunération des PDG a fait partie des arguments avancés pour expliquer l'inefficience des entreprises américaines. Depuis ces contrats se sont développés,  en 1994  ils représentaient en moyenne 50% de la rémunération totale des PDG aux USA .

Comme nous l'avons déjà dit, les conseils d'administration étaient et sont encore dominés par les managers . Généralement les administrateurs élus en assemblée générale étaient ceux qui figuraient sur la liste définie par l'équipe managériale. Les choses sont peut être en train d'évoluer ( putch d'euro tunnel) mais avant et pendant les années 80  il était quasiment impossible pour des petits porteurs d'envisager de proposer leur propre liste de candidats aux postes d'administrateurs.

Ainsi un administrateur qui veut garder son poste n'a pas intérêt à contrarier le PDG lors de la négociation des contrats d'incitation. Une personne, candidate au poste d'administrateur, qui aurait une réputation de marchandeur ne serait pas sollicitée par les managers . De plus le PDG influe sur le mode et le montant des rémunérations des administrateurs (Arye Bebchuk et Fried 2003).

Les contrats d'incitation les plus répandus sont les stock options, ce système est d'une efficacité relative car il a de nombreuses limites .

La particularité de ce système est que même si la côte de l'entreprise s'effondre le manager ne perd pas d'argent. Cela permet au manager d'éviter de subir l'éclatement d'une bulle spéculative, mais d'un autre coté on peut s'interroger ; comment responsabiliser le manager avec un système incitatif qui ne le sanctionne en aucune circonstance ? Même s'il est licencié il part avec un parachute doré ; nous y reviendrons. Bien sûr avec ce système le manager va bénéficier d'effets d'aubaine, lorsque la tendance est à la hausse ou que le secteur est en croissance, même les managers qui ont réalisé de mauvaises performances (par rapport aux concurrents ) peuvent faire des plus values. Il faudrait mettre en place des stock-options indexés sur la moyenne du secteur et sur la tendance générale du marché (Arye Bebchuk et Fried 2003).

Un autre problème se pose lorsque le manager a levé son option, pour que la rémunération soit de nouveau sensible à la performance il faut donner de nouveaux stock-options au manager (Arye Bebchuk et Fried 2003).

A ce niveau, se pose aussi le problème des conditions dans lesquelles on autorise le manager à lever son option. Les contrats prévoient des périodes durant lesquelles les managers peuvent faire valoir leurs droits ainsi que d'autres contraintes, cependant il est très difficile d'empêcher toute manoeuvre orchestrée par le manager . Les dirigeants qui prévoient de lever leurs options peuvent tenter de camoufler les mauvaises nouvelles en manipulant les comptes, ils peuvent aussi choisir des projets moins transparents ou rendre opaques des projets existants  (Bar-Gill et Bebchuck 2003 cités par Arye Bebchuk et Fried 2003).

Régulièrement, la presse financière fait écho de managers ayant levé leurs options avant d'annoncer des nouvelles catastrophiques, qui les conduisent ...à toucher leur parachute doré !

Concernant les parachutes dorés, comme nous l'avons déjà dit plus haut, ils sont censés servir à réduire la tendance à l'enracinement du manager . Cependant comme le soulignent Arye Bebchuk et Fried (2003) il n'est pas évident que les parachutes dorés reflètent des contrats optimaux . En effet ils réduisent la différence entre les gains réalisés par le manager lorsqu'il a obtenu de bons résultats et les gains qu'il réalise lorsque les résultats de l'entreprise sont mauvais ; alors que les firmes dépensent énormément d'argent pour créer un système incitatif.

Pour conclure sur ce paragraphe ce qu'on peut dire, c'est que les managers ont une réelle influence sur la forme et le montant de leur propre rémunération. Ainsi la rémunération des manager ne doit pas être seulement vue comme un moyen de traiter le problème d'agence, mais comme partie intégrante du problème d'agence (Arye Bebchuk et Fried 2003).

Comme nous l'avons vu, il est très compliqué de faire fonctionner correctement un conseil d'administration. Il est difficile pour les administrateurs de ne pas subir l'influence du manager ou des corporations.

Même si aujourd'hui des progrès ont été accomplis, notamment grâce à l'avènement de la Shareholder value, nous ne devons pas oublier qu'avant les années 90  les conseils d'administration auraient pu être assimilés à des chambres d'enregistrement des décisions prises par les dirigeants.

Nous avons vu brièvement à quel point il est difficile de mettre en place un système incitatif qui permet d'aligner les intérêts des managers avec ceux des actionnaires. Avant les années 80, managers et administrateurs détenaient une part marginale du capital et les systèmes incitatifs étaient loin d'être aussi élaborés qu'aujourd'hui ; ainsi les intérêts des managers et des actionnaires divergeaient vraiment. Cette divergence d'intérêts est criante lorsqu'on analyse les décisions d'affectation du cash-flow libre prises par les managers dans les années 70 et 80 . En effet ces derniers préféraient investir le free cash-flow dans des projets non rentables, plutôt que de le verser aux actionnaires sous forme de dividendes.

Michael Jensen a été le premier à proposer une théorie évoquant ce problème.

Section 2 : Le conflit pour le free cash-flow

§1 La théorie du free cash-flow

Dans son article de 1986 Jensen expose la théorie du cash-flow libre; le cash-flow libre est défini comme le cash-flow restant lorsque tous les projets à valeur actualisée nette positive ont été financés . Comme nous l'avons dit, managers et actionnaires ont des intérêts divergents. Si la firme est efficiente les cash-flow libres doivent être versés aux actionnaires. Cependant le versement de dividendes réduit le montant des capitaux contrôlés par les managers, ainsi le pouvoir des managers est réduit et ils seront obligés de se soumettre au contrôle des marchés financiers lorsqu'ils auront besoin de capitaux supplémentaires. De plus les managers ont intérêt à développer leur entreprise au delà de la taille qui maximise la richesse des actionnaires. Le pouvoir du manager augmente avec la taille de l'entreprise (il contrôle plus de ressources), les salaires des dirigeants augmentent avec la taille des firmes. De plus la tendance des firmes à récompenser les cadres moyens par des promotions plutôt que par des bonus annuels crée un biais organisationnel qui favorise la croissance . Le but étant de créer les nouveaux postes nécessaires au système de récompense (Baker 1986 cité par Jensen 1988).

Les conflits entre actionnaires et managers concernant le versement des dividendes sont particulièrement violents lorsque l'entreprise génère beaucoup de cash-flow libre. C'est le cas dans les industries matures dans lesquelles les entreprises ont peu d'opportunités d'investissement et beaucoup de cash-flow libre ; nous y reviendrons. La question est de savoir comment inciter les managers à verser le cash-flow au lieu de l'investir dans des projets à VAN négative ou de le gaspiller. La plupart du temps le manager utilise son pouvoir discrétionnaire pour servir ses propres intérêts .

La théorie explique : (1) comment le remplacement des capitaux propres par la dette réduit l'inefficience des entreprises qui génèrent beaucoup de cash-flow libre (le fort taux d'endettement permet de discipliner les managers) ; (2) pourquoi la dette peut être considérée comme un substitut aux dividendes ; (3) pourquoi les programmes de diversification ont plus tendance à occasionner des pertes que les programmes d'expansion dans la même industrie ;(4) pourquoi les fusions au sein d'une industrie et les liquidations motivées par les rachats créent généralement plus de gains que les fusions inter-industries ; (5) pourquoi les causes des rachats dans des secteurs aussi divers que les appareils électriques, le tabac, ou l'industrie pétrolière sont les mêmes et (6) pourquoi les offreurs et certaines cibles ont des performances particulièrement bonnes avant le rachat.

Nous reviendrons sur ces différents aspects tout au long du mémoire.

D'après Jensen (1986, 1988) la mauvaise affectation du cash-flow libre par les managers est la principale cause de la vague d'OPA des années 80. Il aborde aussi d'autres causes comme la dérégulation ou l'accumulation de surcapacités de production liée à des problèmes de sortie de l'industrie sur lesquels nous reviendrons .

Il conçoit vraiment le rachat comme un moyen de sanctionner les managers peu préoccupés par la maximisation de la valeur pour les actionnaires (même s'il reconnaît qu'une douzaine de théories sont susceptibles d'expliquer les rachats). Ce qui a permis à cette vague d'OPA d'avoir une telle ampleur c'est l'utilisation d'obligations à haut rendement (Junk bonds) dans le financement des OPA hostiles . Dès lors la grande taille ne constituait plus une protection contre les OPA .

La théorie du cash-flow libre appliquée aux rachats fournit une véritable explication de la vague de rachats des années 80 .

§2 La théorie du cash-flow libre appliquée aux rachats

Dans son célèbre article de 1986 Jensen expose la théorie du cash-flow libre appliquée aux rachats .

Cette théorie montre comment les rachats sont à la fois une conséquence du conflit d'intérêts entre actionnaires et managers et une solution au problème. Les acquisitions sont l'un des moyens pour les managers d'éviter de verser le cash-flow libre aux actionnaires, cependant l'auteur précise que ces acquisitions sont moins préjudiciables aux actionnaires que les investissements réalisés en interne dans des projets non profitables (ces acquisitions sont profitables aux actionnaires des cibles qui reçoivent des primes lors des OPA).

Dans les industries en déclin les fusions à l'intérieur de l'industrie créeront de la valeur et les fusions à l'extérieur de l'industrie auront plus tendance à être pas ou peu rentables.

Selon cette théorie les rachats qui créent de la valeur surviennent en réponse à la défaillance du contrôle interne dans les firmes qui génèrent beaucoup de cash-flow libre et qui ont une stratégie qui gaspille les ressources (exemple: les programmes de diversification). Elle prédit des OPA hostiles, de fortes augmentations du taux d'endettement, le démantèlement des conglomérats avec peu d'économies d'échelle ou de gamme et de nombreuses controverses liées au fait que les managers en place vont chercher à conserver leur poste et s'opposer aux réformes stratégiques (restructurations) que leur impose la menace d'un rachat.

Le fort taux d'endettement, nécessaire au financement d'un rachat hostile ou occasionné par la nécessité pour la cible de se défendre en rachetant ses propres actions, va obliger la firme à se restructurer si elle veut pouvoir rembourser ses dettes (voir chapitre 5). Le fort taux d'endettement crée la crise qui permet de mettre fin aux programmes d'expansion et provoque la vente des divisions qui auraient plus de valeur à l'extérieur de la firme. Les cessions d'actifs permettent de réduire le taux d'endettement ; ainsi les managers sont amenés à repenser complètement la stratégie de l'entreprise et sa structure.

En accord avec les études empiriques, la théorie du cash-flow libre prédit que beaucoup d'acquéreurs auront des performances exceptionnellement bonnes avant l'acquisition. Ces très bonnes performances génèrent le cash-flow nécessaire à l'acquisition.

D'après la théorie il y aura deux catégories de cibles :

- les firmes mal gérées qui ont eu de mauvais résultats avant le rachat.

- les firmes qui ont eu de très bons résultats, qui ont beaucoup de cash-flow libre que les managers refusent de verser aux actionnaires.

La théorie prédit aussi que les rachats financés avec des capitaux propres et des capitaux empruntés seront plus profitables que les rachats financés par des échanges d'actions .

Ainsi, les OPA ont permis aux actionnaires de sanctionner les équipes dirigeantes qui avaient d'autres objectifs que la maximisation de la valeur de la firme. En quelque sorte, les OPA se sont substituées aux conseils d'administration défaillants. Ces rachats ont non seulement permis aux actionnaires de toucher des primes qui représentaient fréquemment 50% de la valeur de l'action, mais ils ont aussi permis de changer les comportements des managers en permettant à la shareholder value d'émerger.

Grâce à cette vague de rachats l'industrie américaine s'est restructurée en profondeur afin de s'adapter aux changements technologiques et à la dérégulation. Dans le chapitre qui va suivre nous aborderons les bouleversements subis par les différentes branches de l'industrie américaine.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon