Chapitre 1
La défaillance des conseils d'administration et
le conflit pour le cash-flow libre
D'après Jensen c'est l'inefficacité des conseils
d'administration et la non prise en compte des intérêts des
actionnaires qui sont à l'origine de la violente vague d'OPA qui a
frappé les Etats Unis dans les années 80.
Au début de cette décennie les
administrateurs et les dirigeants ne détenaient qu'une part infime du
capital des entreprises et les contrats d'incitation ne représentaient
que 20% de la rémunération totale des managers.
Dans ce chapitre nous tenterons de comprendre pourquoi il
est si difficile de constituer un conseil d'administration qui défend
vraiment les intérêts des actionnaires. Nous aborderons notamment
les problèmes liées à la composition des conseils,
à la responsabilité des administrateurs et à la
rémunération des managers . Dans la deuxième section nous
verrons comment les OPA peuvent se substituer aux conseils d'administration
pour sanctionner et discipliner les managers .
Section 1 : Des conseils d'administration
dominés par les managers
Jusque dans les années 80 l'actionnariat
était très dispersé, essentiellement constitué de
petits porteurs. Ces derniers n'étaient pas dans un état d'esprit
qui aurait pu les conduire à se mobiliser afin d'élire des
administrateurs déterminés à licencier le PDG.
C'était avant l'émergence de la shareholder value et de ses
préceptes .
§1 La composition des conseils
d'administration
A cette époque c'était le management qui
proposait sa liste de candidats aux postes d'administrateurs (cette pratique
est encore en vigueur aujourd'hui). Les assemblées
générales ne fonctionnaient pas de manière
démocratique, il n'y avait pas de contre pouvoir . Le jeu des
procurations permettait, en quelque sorte, aux managers de faire élire
les administrateurs de leur choix. Ainsi le contrôlé choisissait
le contrôleur ce qui explique en partie l'inefficacité du
contrôle .
Les administrateurs externes (non salariés de
l'entreprise) sont ils plus enclin que les administrateurs internes à
défendre les intérêts des actionnaires ? Quelle
doit être la proportion d'administrateurs internes au
conseil ? Quelle est la taille optimale d'un conseil
d'administration ? Sur ces sujet la littérature abonde. Cependant
nous ne sommes pas convaincus que le problème des conseils
d'administration dans les années 80 fut simplement dû à la
trop forte proportion d'administrateurs internes dans les conseils.
A) Le rôle et les caractéristiques des
administrateurs internes
On entend par administrateur interne, administrateur
déjà salarié de l'entreprise.
Bien souvent il s'agit de cadres supérieurs très
proches du PDG .
Ce qui légitime leur présence au sein du conseil
d'administration, c'est leur connaissance approfondie de l'entreprise. On ne
peut imaginer que ces personnes puissent avoir une approche critique de la
stratégie exposée par le PDG le jour du conseil
d'administration, étant donné qu'elles ont participé
à son élaboration. Les administrateurs élus sont souvent
des insiders loyaux envers le PDG, ayant un intérêt dans la
continuité du management en place (Shleifer et Vishny 1988).
Assurément, ces personnes sont au conseil pour
soutenir le PDG et sa stratégie .
De plus, étant salariés de l'entreprise, ils
sont plus enclin à défendre les intérêts des autres
salariés même si ceux ci s'opposent à ceux des
actionnaires .
Comment avoir au sein du conseil d'administration des gens,
sans liens avec le PDG, qui connaissent l'entreprise en profondeur ?
D'après Jensen (1993) le seul membre interne du conseil
devrait être le PDG, cependant les administrateurs externes devraient
pouvoir rencontrer régulièrement les cadres dirigeants de
l'entreprise. D'une part cela permettrait aux administrateurs externes de
mieux connaître l'entreprise et les candidats à la succession du
PDG , d'autre part, les cadres dirigeants auraient une meilleure
compréhension de la vision des choses des membres du conseil
d'administration . Les administrateurs (y compris le PDG) devraient être
obligés d'investir dans le capital de l'entreprise à hauteur de
100 000 dollars .
Cette solution proposée par Jensen n'est pas une
panacée puisqu'au contact des cadres dirigeants et autres personnels de
l'entreprise, les administrateurs externes peuvent être influencés
par des gens qui ont d'autres préoccupations que la maximisation de la
valeur pour l'actionnaire .
Venons en maintenant à la question de l'information des
administrateurs externes.
B) Les administrateurs externes et le
problème de leur information
Lorsqu'on parle des administrateurs externe, le
problème qui vient immédiatement à l'esprit est celui de
leur information . En effet ils ne participent pas à la vie
quotidienne de l'entreprise, ils ne connaissent pas ses
spécificités. Ce sont les documents qui leur sont remis lors des
conseils d'administration qui sont censés leur permettre de faire la
différence entre un projet qui va créer de la richesse pour les
actionnaires et un projet inopportun. La plupart du temps c'était le PDG
qui présidait le conseil, il fixait donc le calendrier des
réunions et choisissait les informations qu'il donnait aux
administrateurs. On voit difficilement comment le contrôle aurait pu
être efficace (Jensen 1993). Même lorsque les administrateurs sont
déterminés à faire valoir les droits des actionnaires, ils
manquent souvent de connaissances pour savoir si un projet est bon ou mauvais
(Shleifer et Vishny 1988) .
Le deuxième problème réside dans le fait
qu'il s'agissait souvent d'administrateurs qui avaient un intérêt
financier dans la continuité du management en place (avocats,
publicitaires...) (Shleifer et Vishny 1988).
Pour couronner le tout, on sait que pour se rendre plus
coûteux à remplacer, le manager va être tenté de
pratiquer la rétention d'informations vis à vis du conseil. Les
parachutes dorés servent à faire en sorte que les managers
n'aient pas de raisons de chercher à s'enraciner en pratiquant la
rétention d'informations. Cependant on est en droit de se demander si ce
remède n'est pas pire que le mal.
Nous serions tentés de penser que le problème de
l'information des administrateurs externes pourrait être partiellement
résolu si ces derniers passaient plus de temps dans
l'entreprise ; mais plus ils sont présents dans l'entreprise et
plus ils risquent de nouer des liens avec les salariés, et ainsi subir
l'influence des corporations et des syndicats.
Les problèmes que nous venons de décrire son
encore d'actualité, même si aujourd'hui les conseils fonctionnent
moins mal que dans les années 80.
Un autre problème est indissociable de ceux que nous
venons de décrire, c'est celui des conditions d'engagement de la
responsabilité des managers et des administrateurs.
§2 Le problème de la
responsabilité des managers et des administrateurs
D'après la loi américaine, en l'absence de
mauvaise foi ou de corruption, les administrateurs ne peuvent être tenus
pour responsables vis à vis de l'entreprise pour des erreurs de jugement
si ces erreurs sont considérées comme des erreurs de fait ou des
erreurs de droit (Gilson 1986 cité par Shleifer et Vishny 1988).
En fait les administrateurs ne risquent quasiment rien s'ils
avalisent de mauvaises décisions, cela ne les incite pas à
approfondir l'étude des projets du PDG !
Il existe tout de même une procédure qui permet
aux actionnaires de se porter partie civile ; cette procédure est
souvent déclenchée en cas de chute des cours inattendue .
Cependant ces contraintes légales incitent plus les administrateurs
à minimiser les risques qu'à maximiser la valeur pour
l'actionnaire. Les conseils peuvent aussi être motivés par la
menace d'une mauvaise publicité émanent des autorités de
régulation ou de la presse, mais cette menace incite plus les
administrateurs à se couvrir personnellement plutôt qu'à
prendre des décision susceptibles de maximiser la valeur de la firme
(Jensen 1993) .
La question de la responsabilité des managers et des
administrateurs correspond à un problème épineux . Si
leur responsabilité est trop facilement engageable, on risque de se
retrouver avec des managers frileux et un conseil d'administration qui, de
toute façon, s'opposera systématiquement aux projets
d'investissements audacieux .
La prise de risque participe du fonctionnement des
marchés financiers (la gestion n'est pas une science exacte) ; une
responsabilité managériale trop facilement engageable serait de
nature à freiner l'activité économique dans le pays. D'un
autre coté il faut que la protection des investisseurs soit suffisante
pour d'une part, attirer les capitaux étrangers dans le pays et d'autre
part éviter la fuite des capitaux nationaux vers des pays où les
investisseurs seraient mieux protégés. Il faut donc trouver un
juste milieu, ce qui n'est pas simple.
A ce stade, nous ne pouvons occulter la question centrale du
mode de rémunération des dirigeants et administrateurs .
§3 La rémunération des managers
et administrateurs
Quelle part du capital les managers et administrateurs doivent
ils détenir ? Dans quelle mesure les contrats d'incitation
permettent ils d'aligner les intérêts des dirigeants avec ceux
des actionnaires ?
A) La part du capital détenue par les
managers et les administrateurs
Lorsqu'il s'est agi d'expliquer l'inefficacité des
conseils d'administration, avant et durant les années 80 , on a
évoqué le fait que les managers et les administrateurs
détenaient une part du capital qui n'était pas suffisamment
importante. En moyenne les PDG des mille plus grandes entreprises
américaines détenaient en 1991 2.7% du capital de leur
entreprise, 75% des PDG détenaient moins de 1.2% du capital de
leur entreprise (Murphy 1992 cité par Jensen 1993).
Lorsque Jensen (1993) préconise d'obliger les
administrateurs à investir dans le capital de l'entreprise à
concurrence de 100 000 dollars , son idée est de forcer les
administrateurs à reconnaître que leurs décisions affectent
leur richesse personnelle comme elle affecte celle des petits porteurs.
Intuitivement, on comprend que plus les dirigeants et
administrateurs détiennent une part importante du capital, plus les
coûts d'agence sont réduits. Cependant on trouve des
études empiriques qui mettent en évidence un enracinement
managérial lorsque les dirigeants détiennent une part importante
du capital. Cela peut être préjudiciable aux autres
actionnaires dans la mesure où si l'entreprise a besoin
d'évoluer, de changer de métier, le manager en place n'aura peut
être pas les compétences nécessaires . D'autre part, plus
le manager détient une part importante du capital plus il est
isolé de la discipline imposée par le marché (voir le
chapitre 4) .
L'autre problème est lié au fait que le cours de
bourse d'une entreprise n'évolue pas uniquement en fonction des efforts
et de la qualité du travail des managers. Ainsi ces derniers vont
pouvoir réaliser des plus values parce que le ou les marchés sur
lesquels l'entreprise est positionnée sont en croissance, ou parce la
tendance générale est à la hausse . Inversement, ils
peuvent être victime de l'éclatement d'une bulle
spéculative. Tout dépend du moment où le manager
achète ses actions et des conditions dans lesquelles il a le droit de
s'en séparer.
Evoquons maintenant la question des stock options et autres
contrats d'incitation.
B) Les contrats d'incitation négociés
par les managers lors de leur prise de fonction (stock-options, parachutes
dorés)
Le fait qu'au début des années 80 les contrats
d'incitation ne représentaient que 20% de la rémunération
des PDG a fait partie des arguments avancés pour expliquer
l'inefficience des entreprises américaines. Depuis ces contrats se sont
développés, en 1994 ils représentaient en
moyenne 50% de la rémunération totale des PDG aux USA .
Comme nous l'avons déjà dit, les conseils
d'administration étaient et sont encore dominés par les managers
. Généralement les administrateurs élus en
assemblée générale étaient ceux qui figuraient sur
la liste définie par l'équipe managériale. Les choses sont
peut être en train d'évoluer ( putch d'euro tunnel) mais avant et
pendant les années 80 il était quasiment impossible pour
des petits porteurs d'envisager de proposer leur propre liste de candidats aux
postes d'administrateurs.
Ainsi un administrateur qui veut garder son poste n'a pas
intérêt à contrarier le PDG lors de la négociation
des contrats d'incitation. Une personne, candidate au poste d'administrateur,
qui aurait une réputation de marchandeur ne serait pas sollicitée
par les managers . De plus le PDG influe sur le mode et le montant des
rémunérations des administrateurs (Arye Bebchuk et Fried 2003).
Les contrats d'incitation les plus répandus sont les
stock options, ce système est d'une efficacité relative car
il a de nombreuses limites .
La particularité de ce système est que
même si la côte de l'entreprise s'effondre le manager ne perd pas
d'argent. Cela permet au manager d'éviter de subir
l'éclatement d'une bulle spéculative, mais d'un autre coté
on peut s'interroger ; comment responsabiliser le manager avec un
système incitatif qui ne le sanctionne en aucune circonstance ?
Même s'il est licencié il part avec un parachute
doré ; nous y reviendrons. Bien sûr avec ce système
le manager va bénéficier d'effets d'aubaine, lorsque la tendance
est à la hausse ou que le secteur est en croissance, même les
managers qui ont réalisé de mauvaises performances (par rapport
aux concurrents ) peuvent faire des plus values. Il faudrait mettre en place
des stock-options indexés sur la moyenne du secteur et sur la tendance
générale du marché (Arye Bebchuk et Fried 2003).
Un autre problème se pose lorsque le manager a
levé son option, pour que la rémunération soit de nouveau
sensible à la performance il faut donner de nouveaux stock-options au
manager (Arye Bebchuk et Fried 2003).
A ce niveau, se pose aussi le problème des conditions
dans lesquelles on autorise le manager à lever son option. Les contrats
prévoient des périodes durant lesquelles les managers peuvent
faire valoir leurs droits ainsi que d'autres contraintes, cependant il est
très difficile d'empêcher toute manoeuvre orchestrée par le
manager . Les dirigeants qui prévoient de lever leurs options
peuvent tenter de camoufler les mauvaises nouvelles en manipulant les comptes,
ils peuvent aussi choisir des projets moins transparents ou rendre opaques
des projets existants (Bar-Gill et Bebchuck 2003 cités par Arye
Bebchuk et Fried 2003).
Régulièrement, la presse financière fait
écho de managers ayant levé leurs options avant d'annoncer des
nouvelles catastrophiques, qui les conduisent ...à toucher leur
parachute doré !
Concernant les parachutes dorés, comme nous l'avons
déjà dit plus haut, ils sont censés servir à
réduire la tendance à l'enracinement du manager . Cependant
comme le soulignent Arye Bebchuk et Fried (2003) il n'est pas évident
que les parachutes dorés reflètent des contrats optimaux .
En effet ils réduisent la différence entre les gains
réalisés par le manager lorsqu'il a obtenu de bons
résultats et les gains qu'il réalise lorsque les résultats
de l'entreprise sont mauvais ; alors que les firmes dépensent
énormément d'argent pour créer un système
incitatif.
Pour conclure sur ce paragraphe ce qu'on peut dire, c'est que
les managers ont une réelle influence sur la forme et le montant de leur
propre rémunération. Ainsi la rémunération des
manager ne doit pas être seulement vue comme un moyen de traiter le
problème d'agence, mais comme partie intégrante du
problème d'agence (Arye Bebchuk et Fried 2003).
Comme nous l'avons vu, il est très compliqué de
faire fonctionner correctement un conseil d'administration. Il est difficile
pour les administrateurs de ne pas subir l'influence du manager ou des
corporations.
Même si aujourd'hui des progrès ont
été accomplis, notamment grâce à l'avènement
de la Shareholder value, nous ne devons pas oublier qu'avant les années
90 les conseils d'administration auraient pu être assimilés
à des chambres d'enregistrement des décisions prises par les
dirigeants.
Nous avons vu brièvement à quel point il est
difficile de mettre en place un système incitatif qui permet d'aligner
les intérêts des managers avec ceux des actionnaires. Avant les
années 80, managers et administrateurs détenaient une part
marginale du capital et les systèmes incitatifs étaient loin
d'être aussi élaborés qu'aujourd'hui ; ainsi les
intérêts des managers et des actionnaires divergeaient vraiment.
Cette divergence d'intérêts est criante lorsqu'on analyse les
décisions d'affectation du cash-flow libre prises par les managers dans
les années 70 et 80 . En effet ces derniers
préféraient investir le free cash-flow dans des projets non
rentables, plutôt que de le verser aux actionnaires sous forme de
dividendes.
Michael Jensen a été le premier à
proposer une théorie évoquant ce problème.
Section 2 : Le conflit pour le free cash-flow
§1 La théorie du free cash-flow
Dans son article de 1986 Jensen expose la théorie du
cash-flow libre; le cash-flow libre est défini comme le cash-flow
restant lorsque tous les projets à valeur actualisée nette
positive ont été financés . Comme nous l'avons dit,
managers et actionnaires ont des intérêts divergents. Si la firme
est efficiente les cash-flow libres doivent être versés aux
actionnaires. Cependant le versement de dividendes réduit le montant des
capitaux contrôlés par les managers, ainsi le pouvoir des managers
est réduit et ils seront obligés de se soumettre au
contrôle des marchés financiers lorsqu'ils auront besoin de
capitaux supplémentaires. De plus les managers ont intérêt
à développer leur entreprise au delà de la taille qui
maximise la richesse des actionnaires. Le pouvoir du manager augmente avec la
taille de l'entreprise (il contrôle plus de ressources), les salaires des
dirigeants augmentent avec la taille des firmes. De plus la tendance des firmes
à récompenser les cadres moyens par des promotions plutôt
que par des bonus annuels crée un biais organisationnel qui favorise la
croissance . Le but étant de créer les nouveaux postes
nécessaires au système de récompense (Baker 1986
cité par Jensen 1988).
Les conflits entre actionnaires et managers concernant le
versement des dividendes sont particulièrement violents lorsque
l'entreprise génère beaucoup de cash-flow libre. C'est le cas
dans les industries matures dans lesquelles les entreprises ont peu
d'opportunités d'investissement et beaucoup de cash-flow libre ;
nous y reviendrons. La question est de savoir comment inciter les managers
à verser le cash-flow au lieu de l'investir dans des projets à
VAN négative ou de le gaspiller. La plupart du temps le manager utilise
son pouvoir discrétionnaire pour servir ses propres
intérêts .
La théorie explique : (1) comment le remplacement
des capitaux propres par la dette réduit l'inefficience des entreprises
qui génèrent beaucoup de cash-flow libre (le fort taux
d'endettement permet de discipliner les managers) ; (2) pourquoi la
dette peut être considérée comme un substitut aux
dividendes ; (3) pourquoi les programmes de diversification ont plus
tendance à occasionner des pertes que les programmes d'expansion dans
la même industrie ;(4) pourquoi les fusions au sein d'une industrie
et les liquidations motivées par les rachats créent
généralement plus de gains que les fusions
inter-industries ; (5) pourquoi les causes des rachats dans des secteurs
aussi divers que les appareils électriques, le tabac, ou l'industrie
pétrolière sont les mêmes et (6) pourquoi les offreurs et
certaines cibles ont des performances particulièrement bonnes avant le
rachat.
Nous reviendrons sur ces différents aspects tout au
long du mémoire.
D'après Jensen (1986, 1988) la mauvaise affectation du
cash-flow libre par les managers est la principale cause de la vague d'OPA des
années 80. Il aborde aussi d'autres causes comme la
dérégulation ou l'accumulation de surcapacités de
production liée à des problèmes de sortie de l'industrie
sur lesquels nous reviendrons .
Il conçoit vraiment le rachat comme un moyen de
sanctionner les managers peu préoccupés par la maximisation de la
valeur pour les actionnaires (même s'il reconnaît qu'une douzaine
de théories sont susceptibles d'expliquer les rachats). Ce qui a permis
à cette vague d'OPA d'avoir une telle ampleur c'est l'utilisation
d'obligations à haut rendement (Junk bonds) dans le financement des OPA
hostiles . Dès lors la grande taille ne constituait plus une
protection contre les OPA .
La théorie du cash-flow libre appliquée aux
rachats fournit une véritable explication de la vague de rachats des
années 80 .
§2 La théorie du cash-flow libre
appliquée aux rachats
Dans son célèbre article de 1986 Jensen expose
la théorie du cash-flow libre appliquée aux rachats .
Cette théorie montre comment les rachats sont à
la fois une conséquence du conflit d'intérêts entre
actionnaires et managers et une solution au problème. Les acquisitions
sont l'un des moyens pour les managers d'éviter de verser le cash-flow
libre aux actionnaires, cependant l'auteur précise que ces acquisitions
sont moins préjudiciables aux actionnaires que les investissements
réalisés en interne dans des projets non profitables (ces
acquisitions sont profitables aux actionnaires des cibles qui reçoivent
des primes lors des OPA).
Dans les industries en déclin les fusions à
l'intérieur de l'industrie créeront de la valeur et les fusions
à l'extérieur de l'industrie auront plus tendance à
être pas ou peu rentables.
Selon cette théorie les rachats qui créent de la
valeur surviennent en réponse à la défaillance du
contrôle interne dans les firmes qui génèrent beaucoup de
cash-flow libre et qui ont une stratégie qui gaspille les ressources
(exemple: les programmes de diversification). Elle prédit des OPA
hostiles, de fortes augmentations du taux d'endettement, le
démantèlement des conglomérats avec peu d'économies
d'échelle ou de gamme et de nombreuses controverses liées au fait
que les managers en place vont chercher à conserver leur poste et
s'opposer aux réformes stratégiques (restructurations) que leur
impose la menace d'un rachat.
Le fort taux d'endettement, nécessaire au financement
d'un rachat hostile ou occasionné par la nécessité pour
la cible de se défendre en rachetant ses propres actions, va obliger la
firme à se restructurer si elle veut pouvoir rembourser ses dettes (voir
chapitre 5). Le fort taux d'endettement crée la crise qui permet de
mettre fin aux programmes d'expansion et provoque la vente des divisions qui
auraient plus de valeur à l'extérieur de la firme. Les cessions
d'actifs permettent de réduire le taux d'endettement ; ainsi les
managers sont amenés à repenser complètement la
stratégie de l'entreprise et sa structure.
En accord avec les études empiriques, la théorie
du cash-flow libre prédit que beaucoup d'acquéreurs auront des
performances exceptionnellement bonnes avant l'acquisition. Ces très
bonnes performances génèrent le cash-flow nécessaire
à l'acquisition.
D'après la théorie il y aura deux
catégories de cibles :
- les firmes mal gérées qui ont eu de mauvais
résultats avant le rachat.
- les firmes qui ont eu de très bons résultats,
qui ont beaucoup de cash-flow libre que les managers refusent de verser aux
actionnaires.
La théorie prédit aussi que les rachats
financés avec des capitaux propres et des capitaux empruntés
seront plus profitables que les rachats financés par des échanges
d'actions .
Ainsi, les OPA ont permis aux actionnaires de sanctionner les
équipes dirigeantes qui avaient d'autres objectifs que la maximisation
de la valeur de la firme. En quelque sorte, les OPA se sont substituées
aux conseils d'administration défaillants. Ces rachats ont non seulement
permis aux actionnaires de toucher des primes qui représentaient
fréquemment 50% de la valeur de l'action, mais ils ont aussi permis de
changer les comportements des managers en permettant à la shareholder
value d'émerger.
Grâce à cette vague de rachats l'industrie
américaine s'est restructurée en profondeur afin de s'adapter aux
changements technologiques et à la dérégulation. Dans le
chapitre qui va suivre nous aborderons les bouleversements subis par les
différentes branches de l'industrie américaine.
|