Section 1 : Les principaux modèles
La vague de rachats a conduit les auteurs à
étudier les liens entre le marché du contrôle des
entreprises et la structure du capital des firmes.
Ces modèles exploitent le fait que les actions
procurent un droit de vote alors que les obligations n'en procurent pas. En
1991 Harris et Raviv confrontent les trois modèles
principaux : le leur, publié en 1988, celui de Stulz publié
en 1988 et celui d'israel publié en 1991. Dans les deux premiers
modèles, la structure du capital affecte les gains issus du rachat
à travers son effet sur la répartition des votes et plus
précisément sur la fraction du capital possédée par
le management. Dans le modèle d'Israel (1991) la structure du capital
affecte la répartition du cash-flow entre les actionnaires et les
créanciers. Les modèles de Harris et Raviv (1988) et Stulz (1988)
étudient la relation entre la part du capital détenue par le
management et la valeur des actions détenues par les petits porteurs.
La structure du capital va influer sur la part du capital détenue par
les managers, sur la valeur de la firme, sur la probabilité de rachat et
sur le montant de la prime versée par l'offreur. Dans ce qui suit les
modèles seront exposés de manière synthétique et
nous comparerons leurs implications.
§1 Le modèle de Harris et Raviv
(1988)
Harris et Raviv (1988) se focalisent sur la capacité du
management en place à agir sur les conditions et la probabilité
de succès de l'OPA en augmentant la part des actions qu'il
détient. Si l'entreprise s'endette pour racheter ses propres actions, le
manager ne vend pas les siennes, ainsi il augmente sa participation. Si
l'entreprise s'endette pour verser un dividende spécial, les managers
convertissent généralement le dividende qui leur revient en
actions ; c'est ainsi qu'ils peuvent accroître la part du capital
qu'ils détiennent.
Dans ce modèle, le management en place et l'offreur ont
des compétences différentes pour gérer la firme. La valeur
de l'entreprise dépend de l'issue de l'OPA.
La part du capital détenue par le management
détermine l'une des trois issues possibles :
- Le rival rachète l'entreprise
- Le management en place garde le contrôle
- L'issue est déterminée par le vote des
investisseurs passifs (bataille de procurations) et cela conduit à la
victoire du meilleur candidat (management en place ou offreur)
Ce qui suit est une version simplifiée du modèle
:
Un manager en place ( I ) possède initialement une
fraction 0 du capital d'une entreprise financée exclusivement par des
capitaux propres. Les actions restantes sont détenues par des
investisseurs passifs.
Le management en place retire des profits ( B ) issus du
contrôle de la firme. Ces profits peuvent être vus comme des
profits privés liés au contrôle ou comme la partie du
cash-flow que le management parvient à détourner.
La valeur du cash-flow généré par la
firme (B exclu) dépend de la compétence du manager. Il y a deux
niveaux de compétence possibles : le niveau 1 et le niveau
2 . Les cash-flow correspondants sont notés Y1 et Y2 avec
Y1Y2 .
En plus du management en place et des investisseurs passifs,
il y a aussi un rival ( R ) pour le contrôle de la firme ; si le
rival rachète il obtient aussi les profits liés au
contrôle. Les compétences du rival et du management en place ne
sont pas observables par toutes les parties, mais tout le monde sait que l'un
est plus compétent que l'autre. Plus exactement, tout le monde sait
qu'il y a une probabilité P pour que le management en place ait une
compétence de niveau 1 et une probabilité 1P pour que le rival
ait une compétence de niveau 1. L'autre a une compétence de
niveau 2 .
Si le manager en place a le contrôle, le cash-flow de la
firme correspond à un montant Yi . Si le rival a le contrôle,
le cash-flow vaut Yr où :
Yi = P Y1 + ( 1 P)Y2 et
Yr = (1P) Y1 + P Y2
Quand le rival apparaît, le management en place choisit
une nouvelle fraction des actions de la firme. Cela est possible
grâce à un changement dans la structure du capital (par exemple,
recapitalisation financée par la dette).
Le rival achète des actions aux investisseurs
passifs ; l'issue de la tentative de rachat dépend d'un vote
à majorité simple où les deux concurrents votent chacun
pour eux. Une fraction des investisseurs passifs vote pour le management en
place, le reste vote pour le rival.
L'OPA peut avoir l'une des trois issues possibles :
- la part détenue par le management en place peut
être si petite que même si le rival est moins compétent il
réussira à racheter. Harris et Raviv (1988) parlent d'une OPA
réussie. La valeur du cash-flow dans ce cas est Yr
- la part du capital détenue par le management en place
peut être si grande que même si il est moins compétent il
gardera quand même le contrôle. On parlera d'OPA manquée et
la valeur du cash-flow dans ce cas est Yi
- finalement, pour une valeur intermédiaire de le
management en place gagnera si et seulement si, il est plus compétent
que le rival. Ce cas est appelé bataille de procuration ; dans ce
cas le meilleur candidat (le plus compétent) gagne et la valeur du
cash-flow est Y1
La valeur du cash-flow Y() de la firme est
déterminée par la part du capital détenue par le
management en place, en fonction de son importance l'un des trois cas ci dessus
prévaudra.
Y 1 est supérieur à Yi et à Yr , si
l'objectif est de maximiser la valeur du cash-flow pour les investisseurs
externes, la valeur de qui provoquera une bataille de procuration sera
optimale.
L'objectif du management en place, en choisissant la
participation , est de maximiser ses gains anticipés. Ces gains
correspondent à la valeur des actions qu'il détient
additionnée des profits privés liés au contrôle,
s'il garde le contrôle.
La valeur des actions détenues par le management en
place est 0 Y ( ) où 0 est la part des actions qu'il détenait
initialement, puisque les transactions qu'il a réalisé pour
changer sa part du capital ont une valeur actualisée nette nulle.
Par conséquent :
- les gains V( ) du management en place sont 0 Yr ; si
l'OPA réussit (le management en place perd les profits liés au
contrôle de l'entreprise)
- les gains du management en place sont 0 Yi + B ; si
l'OPA est manquée (le management garde les profits liés au
contrôle)
- Les gains du management en place sont 0 Y1+ PB si il y a une
bataille de procurations (les gains liés au contrôle sont
conservés avec une probabilité P)
La part optimale du capital détenue par le management
en place est celle qui maximise V(). En particulier, si augmente, la
probabilité pour que le management en place garde le contrôle
augmente, mais si augmente trop, la valeur de la firme et par là
même la richesse du management sont réduites.
Chez Harris et Raviv , est déterminé
indirectement à travers la structure du capital de la firme. En
particulier, le management en place est supposé avoir un montant fixe de
richesse représenté par sa participation initiale 0. Il peut
augmenter sa part en organisant des rachats d'actions auprès des
investisseurs passifs ; ces rachats sont financés par la dette. La
dette réduit la valeur des actions, ce qui permet au management en place
d'acheter une plus grande quantité d'actions avec l'argent dont il
dispose.
Pour maximiser les gains des managers, il faut choisir le taux
d'endettement pour lequel est optimal . Dans ce modèle, les
profits B liés au contrôle diminuent quand le niveau de la dette
augmente (il est plus difficile de détourner du cash-flow car les
créanciers contrôlent les managers). Ainsi dans les trois cas
décrits plus haut, il est optimal de choisir le taux d'endettement le
plus faible, adapté au cas .
Il découle des arguments précédents que
si le cas d'une OPA réussie est optimal, la firme n'aura pas à
s'endetter.
On a aussi montré que généralement les
batailles de procurations nécessitent le recours à l'emprunt et
s'assurer que l'OPA sera manquée nécessite un taux d'endettement
encore plus fort.
Ainsi, les cibles d'OPA doivent augmenter leur taux
d'endettement ; les cibles qui parviennent à repousser l'offreur
s'endettent en moyenne plus que celles qui sont rachetées ou connaissent
une bataille de procurations.
Ainsi, les firmes qui augmentent leur endettement subissent
soit une OPA manquée, soit une bataille de procurations. Dans ce dernier
cas la valeur de la firme reste au niveau Yi en moyenne, tandis que sur la fin
elle augmente au niveau Y1. Ainsi, en moyenne l'augmentation du taux
d'endettement s'accompagne d'une hausse du cours des actions .
Finalement, notons que la fraction des investisseurs passifs
qui votent pour le management en place est déterminée par les
informations reçues par les investisseurs passifs à propos des
compétences des deux candidats. Une plus grande proportion votera pour
le management en place si la probabilité P pour qu'il soit plus
compétent que le rival augmente. Par conséquent le taux
d'endettement nécessaire pour provoquer une bataille de procuration est
moins élevé lorsque le management en place a plus de chances
d'être plus compétent. Ainsi la probabilité pour que la
bataille de procuration soit gagnée par le management en place est
positivement reliée à la probabilité pour que le
management en place soit plus compétent. Puisque c'est le plus
compétent qui remporte la bataille de procurations, la victoire du
management en place est aussi associée à un taux d'endettement
moins élevé. Par conséquent dans un échantillon de
firmes dans lesquelles s'est déroulée une bataille de
procurations, on devrait observer un taux d'endettement moins fort parmi les
firmes où les managers en place ont réussi à garder le
contrôle.
§2 Le modèle de Stulz
(1988)
Stulz (1988) se focalise aussi sur la capacité des
actionnaires à affecter l'issue d'une tentative d'OPA en changeant la
part du capital détenue par le management en place .
En particulier, si la part détenue par le management
en place augmente, la prime offerte en cas d'OPA augmente mais la
probabilité pour qu'une OPA survienne et que les actionnaires
reçoivent effectivement la prime diminue. Stulz étudie comment
la part du capital détenue par le management en place est
affectée par la structure du capital.
Le modèle de Stulz peut être
présenté simplement comme suit : comme dans Harris et Raviv
(1988) il y a un management en place, un rival potentiel et un grand nombre
d'investisseurs passifs. Le management en place possède une fraction
des actions et obtient des profits privés issus du contrôle de
l'entreprise. On suppose que le management en place n'offrira pas ses actions
en cas d'OPA .
Le rival peut obtenir un profit aléatoire B lié
au contrôle après le rachat.
Initialement B est inconnu de toutes les parties, le montant
du profit devient connu du rival avant qu'il décide le montant de la
prime qu'il va proposer aux actionnaires.
Pour prendre le contrôle le rival doit réussir
à acheter 50% des actions ; ces actions sont achetées aux
investisseurs passifs. Les investisseurs passifs sont supposés
avoir des prix de réservation hétérogènes lorsqu'il
s'agit de vendre leurs actions.
Plus précisément, s(P) est la fraction des
investisseurs passifs qui vendent si la prime totale payée par le rival
est P. La fonction d'offre ( s ) est supposée être une fonction
croissante de P . Dès lors, le prix minimal que le rival doit
offrir pour acheter 50% des actions P*() satisfait la condition :
s( P*()) (1 ) = 1/2
Ainsi s est une fonction croissante de P , cette
condition implique que la prime offerte P* augmente avec la part du capital
détenue par le management en place . Plus la part détenue par le
management est grande, plus l'offreur devra acquérir une fraction
importante des actions détenues par les investisseurs passifs, et donc
plus il devra verser une prime importante.
Le rival offrira P* si et seulement si son profit potentiel B
est supérieur à P*.
Dès lors, la probabilité pour que les
investisseurs passifs obtiennent la prime P* est :
Pr ( B P*()) = [ P*() ]
Ainsi P* augmente avec et est une fonction
décroissante, la probabilité d'un rachat décline quand
augmente.
Les gains attendus par les investisseurs passifs
sont :
Y() = P*() [ P*() ]
La part détenue par le management en place est choisie
pour maximiser Y.
Comme nous l'avons déjà mentionné, plus
la part du capital détenue par le management en place est importante,
plus la prime perçue par les actionnaires de la cible sera importante en
cas d'OPA réussie mais plus la probabilité d'un rachat
diminue.
Comme dans le modèle de Harris et Raviv , peut
être augmenté en accroissant le taux d'endettement de la firme.
Cependant, Stulz obtient que les cibles d'OPA vont être amenées
à augmenter leur taux d'endettement jusqu'au niveau qui maximise la
valeur pour les investisseurs externes. Les cibles d'OPA hostiles seront plus
endettées que les firmes qui ne sont pas visées. Ainsi devenir
une cible d'OPA est une bonne nouvelle, on peut s'attendre à ce que des
capitaux propres soient remplacés par des capitaux empruntés ce
qui est associé à une augmentation des cours. Notons enfin que la
probabilité de rachat est négativement reliée au ratio
dette/capitaux propres de la cible et que la prime de rachat est positivement
reliée à ce ratio.
§3 Le modèle d'Israel
(1991)
L'approche d'Israel (1991) cité par Harris et Raviv
(1991) est similaire à celle de Stulz (1988) . L'augmentation du
taux d'endettement accroît les gains potentiels pour les actionnaires de
la cible, mais réduit la probabilité d'OPA . La raison qui fait
que l'augmentation du taux d'endettement accroît les gains
anticipés pour les actionnaires de la cible est différente de
celle évoquée par Stulz . Israel observe qu'il y a une part des
gains issus du rachat (fixée contractuellement ) qui revient aux
créanciers. Le management de la cible et l'acquéreur
négocient seulement la fraction des gains qui ne revient pas aux
créanciers. La plus grosse partie des gains revient aux
créanciers, les actionnaires de la cible et de l'acheteur se partagent
le reste. Ceux qui récupèrent la plus petite partie des gains
issus du rachat sont les actionnaires de l'acheteur.
Cependant, les actionnaires de la cible ont la
possibilité de s'approprier les gains revenant aux créanciers de
la cible lorsque l'emprunt est contracté. Ainsi, ils s'approprient tous
les gains qui ne vont pas aux actionnaires de l'acheteur. Puisque la dette
réduit les gains des actionnaires de l'offreur, les gains des
actionnaires de la cible augmentent avec le taux d'endettement (si le rachat a
lieu). Le taux d'endettement optimal est déterminé par
l'équilibre entre cet effet et la réduction de la
probabilité d'OPA résultant du fait que plus la cible est
endettée plus la part des gains qui revient aux actionnaires de
l'acheteur est faible.
Le modèle d'Israel peut être résumé
comme suit : on suppose qu'un rachat peut générer un gain
total G (augmentation de la valeur de la firme) mais qu'il correspond
à un coût T . Supposons que la firme a contracté un
emprunt d'un montant D ; dans l'hypothèse d'un rachat la valeur de
cette dette augmente de (D ,G). Si le rachat a lieu, l'acquéreur et
les actionnaires de la cible peuvent se partager le gain net restant GT .
Supposons que les actionnaires de la cible obtiennent une part 1 de ce gain net
et que les actionnaires de l'acheteur obtiennent le reste ( peut être
perçu comme une mesure du pouvoir de négociation de l'acheteur).
Ainsi un rachat aura lieu si et seulement si :
(G T) 0 ou G
(D ,G) T
La probabilité d'un rachat correspond à la
probabilité de réalisation des conditions ci dessus, elle est
notée ( D,T ). En plus, quand les obligations sont émises les
actionnaires de la cible capturent aussi les gains attendus par les
détenteurs d'obligations .
Par conséquent, les gains totaux attendus par les
actionnaires de la cible sont :
Y (D) = E [{(1 [G(D,G)T] + (D,G)} G (D,G) T] (D,T)
=E[{(1) [GT] + (D,G)} G( D,G) T] (D,T)
Comme on peut le voir grâce à cette
dernière expression, les actionnaires de la cible s'approprient une
fraction 1 du total des gains nets issus du rachat plus une fraction des gains
des créanciers de la cible. Le niveau d'endettement optimal est obtenu
en maximisant Y(D). Cela implique que les gains supplémentaires faits
aux dépens des actionnaires de l'acheteur compensent la diminution de la
probabilité pour que le rachat ait lieu.
Israel obtient plusieurs résultats de statique
comparative intéressants :
Premièrement : Si le coût
d'organisation d'une OPA augmente, cela se traduit par une diminution du taux
d'endettement de la cible et par une augmentation de la valeur des actions de
la cible si un rachat a lieu .
Deuxièmement : Si la
répartition des gains potentiels change, le taux d'endettement de la
cible augmente. Un tel changement peut résulter d'une diminution de la
compétence du management en place.
Troisièmement : Plus le pouvoir
de négociation du rival augmente plus le taux d'endettement optimal
augmente. La probabilité de rachat et les gains pour les actionnaires de
la cible (en cas de rachat) diminuent avec le pouvoir de négociation du
rival .
En définitive, on constate que les trois modèles
concluent que les cibles augmenteront leur taux d'endettement en moyenne et que
cela sera accueilli favorablement par les marchés financiers.
Les trois papiers trouvent qu'en moyenne, plus le taux
d'endettement est élevé plus la probabilité de
succès de l'OPA diminue .
Concernant la relation entre la prime versée aux
actionnaires de la cible et le taux d'endettement, Stulz et Israel obtiennent
des résultats opposés.
Chez Stulz, la prime payée aux actionnaires de la cible
augmente avec le taux d'endettement de la cible . Chez Israel, lorsque le
pouvoir de négociation des actionnaires de la cible diminue, le taux
d'endettement optimal de la cible augmente et la fraction des gains issus du
rachat qui revient aux actionnaires de la cible diminue.
Israel montre que les cibles qui sont les plus coûteuses
à racheter sont moins endettées mais que leurs actionnaires
s'approprient une plus grande partie des gains si le rachat a lieu .
Israel prédit aussi que les firmes dont le rachat est susceptible de
procurer des gains importants seront plus endettées .
Les théories que nous venons d'étudier dans
cette section doivent être vues comme des théories traitant de
changements à court terme dans la structure du capital de l'entreprise,
initiés en réponse à une menace de rachat imminente .
Ainsi la structure du capital optimale
préconisée dans ces modèles doit être
considérée comme une réponse à la menace
d'OPA . Ces théories n'ont rien à voir avec la structure
à long terme du capital des firmes.
Venons en maintenant aux différents paiements
défensifs et à leurs conséquences .
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