§2 La reconnaissance de l'écrit
électronique par la volonté des parties
La rigidité du système légal probatoire
peu adaptée à la prise en compte des nouveaux supports de
conclusion et d'exécution des contrats a fait réagir la pratique.
En effet, il n'est pas rare de voir les parties tromper l'incertitude en
s'accordant sur les moyens de prouver leurs droits et obligations.
C'est ainsi que, conscientes des failles qui fragilisent leurs
moyens de preuve, elles stipulent une clause réputant efficace tel ou
tel procédé de preuve.
Cette pratique avait été entérinée
par la jurisprudence sous l'empire du régime antérieur à
la loi du 13 Mars 2000. Si la Cour de Cassation avait très tôt
admis la pratique des conventions
69 Cass. Civ 1ère, 15 avr. 1980, Bull civ. I, n° 113,
p. 93. Dans cet arrêt, l'usage concerne le milieu des éleveurs de
chevaux.
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de preuves70, elle n'avait pas pour autant admis de
manière générale leur validité de principe ni
déclaré expressément -c'est pourtant un pré-requis-
le caractère supplétif du régime légal probatoire.
Il fallu attendre que se présente au juge du Droit la
célèbre affaire Crédicas71.
Ainsi, la Cour de Cassation avait du se prononcer sur deux
jugements rendus dans les mêmes termes et par le même tribunal. Les
faits y étaient identiques : Un établissement de crédit
demandait le paiement d'une créance de remboursement qu'elle
détenait contre l'un de ses clients qui avait contracté un achat
à l'aide de sa carte de crédit. L'établissement
fournissait notamment à l'appui de sa demande plusieurs écritures
électroniques établissant l'existence de ce paiement, et par
hypothèse, celle de sa créance de remboursement envers le
client.
Le tribunal ayant rejeté le moyen de preuve en
énonçant que « la simple production de documents
dactylographié et [...] d'une machine dont elle a la libre et
entière disposition, est inopérante à constituer la preuve
de l'engagement de rembourser... », la Cour de Cassation a cassé
ces décisions au visa des articles 1341 et 1134 du Code Civil en
considérant « qu'en statuant ainsi, alors que
l'établissement de crédit invoquait l'existence, dans le contrat,
d'une clause déterminant le procédé de preuve de l'ordre
de paiement et que, pour les droits dont les parties ont la libre disposition,
ces conventions relatives à la preuve sont licites, le Tribunal a
violé les textes susvisés ; »
Le juge du Droit donnait ainsi raison à la doctrine
moderne qui considérait -à la différence de la doctrine
classique incarnée par Ihering- que lorsque les intérêts
que poursuivaient les parties étaient purement privés -ce qui
rejoint la notion de disponibilité des droits-, on devait leur
reconnaître une liberté totale dans la preuve de leurs droits,
l'article 1341 étant parfaitement optionnel72.
Qui plus est, la jurisprudence venait d'admettre que les
conventions de preuve emportaient deux grandes conséquences. En premier
lieu, ces conventions restreignaient la liberté des parties en admettant
limitativement le ou les moyens de prouver leurs droits et obligations. Ainsi,
elles ne pouvaient produire à l'appui de leurs demande un autre
procédé de preuve et s'interdisaient par la même occasion
à contester ce moyen de preuve.
En second lieu, ces conventions privaient le juge du pouvoir
de dénier au procédé de preuve choisi la valeur probante
que les parties avaient voulu lui conférer.
70 Voir par éxemple Cass.Civ, 23 novembre 1891 ; Cass.Civ,
20 Mars 1896
71 Voir note précitée 46
72 Planiol et Ripert, Traité pratique de droit
civil, t.VII, par Gabolde, n° 1422 et 1428 et s. ; J.Guestin,
Traité de droit civil, t. 1, 2e éd., 1983, par J.Gesthin
et G.Goubeaux, n° 584, p. 491.
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L'effet de ces conventions devenait pour le moins radical et
garantissait aux parties l'efficacité de leurs moyens de preuve.
La jurisprudence n'ayant pas limité -outre la condition
de disponibilité des droits- le champ d'application de la règle
qu'elle venait de poser, il y a tout lieu de penser qu'elle s'applique
au-delà du paiement électronique, à la preuve du contrat
électronique. Ainsi, il est loisible aux parties de décider que
les e-mails échangés pourront être invoqués sans
pouvoir être contestés.
Néanmoins, si la convention est établie
électroniquement et par hypothèse, contenue dans
l'instrumentum constatant le contrat électronique- les
conditions générales de ventes mises en ligne par exemple-, il y
a tout lieu de penser qu'elle sera inutile.
En effet, la convention de preuve ne peut être
affranchie de l'article 1341 du Code civil et devra donc être
prouvée dans les conditions légales applicables au contrat auquel
elle se rapporte.
Si son objet est d'admettre un instrumentum
électronique ne répondant pas aux conditions des articles
1341, 1316-1 et 1316-4 du Code civil, elle doit être contenue dans un
autre instrumentum satisfaisant aux conditions légales,
à défaut, la preuve de la convention est irrecevable et ne peut
dès lors produire effet.
Ainsi, lorsque la demande dépasse 1500 euros et qu'elle
est faite à l'encontre d'un particulier, la convention de preuve ne sera
efficace que si elle est établie sur un support papier comportant une
signature manuscrite. En dehors de ces cas, la preuve étant libre, elle
peut être établie électroniquement.
Au surplus, depuis que la loi du 13 mars 2000 a introduit
l'écrit électronique dans le régime légal
probatoire en consacrant d'une part le principe d'équivalence de
l'écrit électronique et de l'écrit papier et en
déterminant d'autre part les conditions de cette équivalence, on
peut s'interroger sur la pérennité de la jurisprudence
Crédicas.
En effet, le législateur n'a réglementé
que les conventions de preuve -sans reconnaître leur validité de
principe- ayant pour objet de régler un conflit de preuves et on peut se
demander si le silence sur les autres conventions doit s'interpréter
comme un rejet de la jurisprudence Crédicas.
A priori, on peut penser le contraire. Plusieurs fondements
peuvent démontrer la pérennité de cette solution.
Tout d'abord, il appartient à la jurisprudence de
combler les lacunes de la loi, c'est à cette
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dernière qu'il appartient de révoquer les
jurisprudences dont elle ne se satisfait pas.73 On ne peut
raisonnablement déduire de telles révocations du silence du
législateur et en l'espèce le rejet de la jurisprudence
Crédicas en raison du silence de la loi du 13 mars 2000.
En second lieu, de telles conventions de preuve peuvent
être admises sur le fondement du principe de la liberté
contractuelle. Dès lors que le législateur a reconnu aux parties
le pouvoir de régler leurs conflits de preuve en vertu de l'article
1316-2 du Code civil, ne leur a t-il pas plus largement reconnu le pouvoir
d'élaborer leur propre régime probatoire en dérogeant au
régime légal ?
Cependant, il importe de prendre en compte les dispositions
protectrices du consommateur dont l'objet est d'éviter le
détournement des conventions de preuve. Ainsi, l'article
R 132 12° du Code de la consommation74
présume comme abusives et de manière irréfragable les
clauses qui pour objet ou effet d'imposer au non-professionnel ou au
consommateur la charge de la preuve, qui, en vertu du droit applicable, devrait
incomber normalement au professionnel.
Or, dans bien des cas, les cyber-commerçants
insèrent dans leurs conditions générales des stipulations
de preuve qui prévoient que seules seront opposables entre les parties
les données unilatéralement conservées par le
professionnel.
Ces clauses reportent indiscutablement sur les épaules
du consommateur la charge d'une preuve que le Droit commun ne lui imposerait
pas : elles l'obligent à démontrer la fausseté de la
preuve rapportée par le professionnel et doivent dont être
réputées non écrites.
Enfin, la loi tend dans d'autres cas à accueillir
indirectement un écrit électronique imparfait. En effet, d'une
part, rien ne contraint les parties à soulever les vices entachant la
régularité de la preuve de leur contrat. D'autre part, le Code
civil et le Code de commerce ont consacré dans certaines conditions le
principe de liberté de la preuve, de sorte que les parties ne sont pas
tenues de fournir un acte électronique répondant aux conditions
de l'article 1316-1 et 1316-4 du Code civil.
73 Jean-Etienne-Marie Portalis, discours préliminaire
sur le projet de code civil présenté le 1er pluviose de l'an
IX
74 Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009, JORF
20 mars 2009, p. 5030
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