Chapitre 2 Les remèdes à l'imperfection
intrinsèque de l'écrit électronique
Il est vrai, le système probatoire français
règlement et hiérarchise les modes de preuves. Ainsi les sujets
de droit ne sont parfois pas totalement libres de la manière dont ils
prouvent leurs droits et obligations.
Néanmoins, la loi tente ça et là
d'assouplir la tâche des parties en admettant plusieurs remèdes
à l'imperfection de l'écrit. Qu'il soit directs (section I) ou
indirects (section II), ces remèdes tendent à libéraliser
le régime probatoire français en permettant aux parties de se
prévaloir d'un écrit électronique non conforme aux
exigences des articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil.
Section 1 : Les remèdes directs à
l'imperfection de l'écrit électronique
Tout d'abord, les articles 1347 et suivants du code civil
organisent les exceptions aux règles découlant du système
de preuve légale. Ainsi, la loi reconnaît tantôt aux parties
la possibilité de fournir un commencement de preuve par écrit.
Tantôt, elle les autorise même à fournir le moyen de preuve
de leur choix sous réserve de démontrer l'impossibilité
d'établir une preuve par écrit (I).
En second lieu, le régime probatoire français n'est
pas d'ordre public. Ainsi, les parties peuvent souverainement se libérer
des contraintes inhérentes à l'obligation de prouver
littéralement par l'intermédiaire d'une convention de preuve
(II)
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§1 La consolidation de l'écrit
électronique imparfait par l'existence d'autres moyens de preuve
La jurisprudence s'est efforcée d'adopter, depuis les
années 1970, une conception extensive des exceptions à
l'obligation de prouver littéralement consacrées au fur et
à mesure par le législateur. Ce phénomène est
d'ailleurs décrit par certains auteurs comme la preuve de ce que,
au-delà du formalisme probatoire véhiculé par la lettre du
Code civil, la conviction du juge est devenue toute puissante même en
matières d'actes juridiques61.
Aussi ces exceptions sont elles utiles pour les parties
à un contrat électronique dont le montant dépasse le seuil
de 1500 euros à compter duquel elles sont tenues de fournir une preuve
par écrit à l'appui de leur prétentions.
En premier lieu, l'article 1347 du Code civil permet aux
parties de consolider une preuve écrite imparfaite en établissant
un commencement de preuve par écrit. Il s'agit de « tout acte par
écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est
formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable
le fait allégué ».
Ce texte est tout à fait transposable au cas de
l'écrit électronique imparfait. En effet, il n'apparaît pas
absurde, par exemple, que des parties échangent plusieurs informations
par la voie postale traditionnelle après avoir conclu leur contrat par
voie électronique.
Ainsi, un simple courrier envoyé par le
défendeur et faisant mention du contrat serait à même de
constituer un commencement de preuve par écrit. Par conséquent,
il aurait pour effet de consolider l'écrit électronique imparfait
et éviterait au demandeur d'être débouté au seul
motif qu'il n'est pas parvenu à établir une preuve recevable du
contrat qu'il a allégué.
Qui plus est, il n'apparaît pas nécessaire que le
commencement de preuve par écrit soit établi sur support papier,
ainsi il pourrait tout aussi bien s'agir d'un courriel faisant état
d'une réclamation en rapport au contrat conclu.
En second lieu, l'article 1348 alinéa 2 du code civil
autorise le demandeur à fournir une copie de l'acte original lorsque
celui-ci ou le dépositaire n'a pas « conservé le titre
original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement
fidèle mais aussi durable ». Cette
61 X. Lagarde, « Vérité et
légitimité », et Philippe Théry, « Les
finalités du droit de la preuve en Droit privé », in
Droits, 1996, n° 23, p. 31 et s. et p. 41 et s. ; E. Jeuland,
« Nouvelles technologies et procès civil- Rapport
général pour les pays de Droit civil », 17 septembre 2007,
in XIIIe congrès mondial de droit processuel, Bahia,
Brésil.
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disposition est essentielle en matière d'acte
électronique dans la mesure où elle peut notamment être
d'un grand secours lorsque les données informatiques ont
étés perdues à la suite d'opérations de transfert
ou encore par suite de l'altération du matériel informatique sur
lequel était stocké l'acte.
Pour autant, ce texte n'apparaît pas d'une grande
utilité pour les parties à un contrat électronique dont la
preuve est imparfaite. D'une part, on peut douter de la capacité de la
copie à constituer une reproduction fidèle et durable de
l'original tant le risque est grand que le contenu ait subi une
altération lors des opérations de manipulation.
D'autre part, le texte a pour objet de remédier aux
inconvénients liés à la perte de l'original en autorisant
un demandeur à fournir une simple copie. Il ne s'agit pas de lui
permettre de passer outre les exigences des articles 1316-1 et 1316-4 du Code
civil dès lors qu'il détient une copie de l'original imparfait.
On ne voit donc pas en réalité pourquoi on pourrait admettre
qu'une copie soit recevable alors même qu'elle est la reproduction
fidèle et durable d'un écrit électronique
irrégulier au sens des articles 1316-1 et 1316-462.
Enfin, la question se pose de déterminer quel service
l'article 1348 alinéa 1er pourrait offrir au demandeur lorsqu'il ne
dispose que d'un écrit électronique imparfait. En effet, la
disposition autorise le demandeur à fournir une preuve par tous moyens
alors même qu'il est en principe tenu de fournir une preuve par
écrit lorsqu'il n'a « pas eu la possibilité
matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de
l'acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve
littérale, par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure ».
En théorie, cette disposition est intéressante
à deux égards. Dans un premier temps, l'idée
d'impossibilité matérielle d'établir une preuve
littérale par voie électronique ne paraît pas absurde. Le
demandeur peut à ce propos se prévaloir du haut degré
d'exigence de la législation en vigueur pour démontrer
l'impossibilité technique, en l'état actuel des sciences, de
pouvoir établir un écrit électronique conforme aux
exigences légales63.
Cette théorie demeure toutefois un peu
spéculative dans la mesure où sa réception par le juge
tendrait à faire échec aux exigences des articles 1316-1 et
1316-4 du Code civil. En effet, l'impossibilité matérielle prise
en compte par l'article 1348 du Code civil est ponctuelle et ne peut pas tenir
à une impossibilité générale de se conformer aux
exigences de la preuve par écrit.
62 Voir en comparaison l'arrêt du rendu par la Cour de
Cassation le 4 décembre 2008 par lequel elle soumet la copie
électronique d'un document papier aux exigences de l'article 1316-1 du
Code civil. Cass.Civ 2ème, 4 déc 2008, Bull. Civ. II, n°
259, Comm. Comm. Elect. Fev 2009. n° 19. E.A Caprioli
63 A.penneau, « la forme et la preuve du contrat
électronique », in L'acquis communautaire, le contrat
électronique, J. Rochfeld, Coll Etudes juridiques, édition
2010.
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Cependant, on peut plus légitimement admettre que le
demandeur puisse plaider la défaillance technologique lorsque par
exemple, il a été impossible aux parties de mettre en oeuvre un
procédé de signature électronique sécurisé
à la suite d'un problème informatique.
En second lieu, l'impossibilité d'établir une
preuve littérale peut se présenter sous la forme d'un
empêchement de nature morale. Cette exception pourrait notamment
être admise sur le fondement d'une jurisprudence de la Cour de cassation
ayant considéré que l'impossibilité d'établir un
écrit pouvait résulter d'un usage de ne pas signer un
acte64.
D'ailleurs, cette opinion est confortée par une partie
de la doctrine considérant que « cette jurisprudence pourrait
être utilisée en vue d'une libération prétorienne de
la signature électronique du carcan probatoire dans lequel la loi du 13
mars 2000 l'a enfermée »65.
Il s'agirait de démontrer que les acteurs du commerce
électronique ont toujours fait abstraction des exigences propres
à la preuve littérale de sorte que s'est forgé au fur et
à mesure du temps un usage né de cette pratique de ne pas signer
les actes. Cet usage serait si ancré qu'il expliquerait une
impossibilité morale pour les parties de mettre en oeuvre un
procédé de signature électronique fiable, et par
hypothèse, justifierait une exception pour les parties à
l'obligation de signer. Cependant cette démarche est très
incertaine.
Tout d'abord, elle ne serait pas en parfaite adéquation
avec la théorie des sources du droit selon laquelle un usage a
normalement pour fonction de suppléer la loi car c'est la solution
inverse qui serait consacrée, la loi devenant supplétive à
l'usage créé par la pratique.66
Cela dit, la seule constatation qu'il s'agirait d'un usage
contra legem ne suffirait pas à pouvoir l'écarter
dès lors que d'une part, nombreux sont les cas dans lesquels notre Droit
accorde une portée à un usage contraire à la
loi67 et que d'autre part, le régime légal probatoire
est seulement supplétif de volontés68.
En second lieu, la primauté d'un usage sur la loi est
en principe très ponctuelle. En effet,
64 Cass. Civ 1ère, 18 juin 1963, Bull. Civ. I, n° 324
; Cass. Civ 1ère, 15 avr. 1980, Bull civ. I, n° 113, p. 93.
65 A.Penneau, « Forme et preuve du contrat
électronique », in l'acquis communautaire ,le contrat
électronique, Judith rochfeld. coll études juridiques,
économica 2010 ; Avis partagé explicitement par P-Y Gauthier et
X. Linant de Bellefonds, « De l'écrit électronique et des
signatures qui s'y rattachent », JCP G 2000, I, 236.
Implicitement par , L. Grynbaum, obs. Sous
Cass. Com., 4 Oct. 2005, Comm. Comm.
Electr. mars 2006, p. 35
66 Escarra, « De la valeur de l'usage commercial », in
Annales de droit commercial, 1910, p. ; M. Pedamon, « Y'a-t-il
lieu de distinguer les usages et les coutumes en droit commercial, RTD
com. 1959, p. 335 ; J. Bourcourechlief, « Usages commerciaux, usages
professionnel, élaboration et formulation », in Dix ans de
droit de l'entreprise, Libraires techniques, 1978.
67 Par exemple le mécanise de la solidarité passive
entre des débiteurs dans actes de commerce.
68 C.Cass, Civ 1ère 8 Novembre 1989, Bull. Civ.
I, n° 342, JCP G 1990, II, 21576, note G Virassamy, D. 1990, p. 369, note
ch. Gavalda, D. 1990, somm., p. 327, obs. J. Huet
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elle ne concerne en général que certains milieux
professionnels69. Or, il s'agirait dans cette hypothèse
d'étendre cette primauté à tout le domaine des contrats
électroniques, l'usage étant né de la pratique de
l'ensemble des acteurs du commerce électronique.
Également, l'origine conventionnelle de l'usage de ne
pas signer est très discutable en matière de commerce
électronique de sorte qu'il est difficile de pouvoir parler d'usage au
sens strict du terme.
Les usages contra legem sont
généralement reconnus parce qu'il trouvent leur source dans un
consensus au sein des acteurs de la profession. Or, l'existence d'un tel
consensus est très douteuse entre les acteurs du commerce
électronique dans la mesure où les relations nouées ne
sont pas exclusivement professionnelles. L'usage de ne pas signer est
plutôt commandé par la seule initiative des
cybercommerçants.
Enfin, la consécration d'un tel usage ferait sortir le
juge de sa fonction juridictionnelle traditionnelle, laquelle contraint le juge
à appliquer la loi, à en compléter les lacunes mais lui
interdit en tout état de cause de s'arroger le droit de la
contredire.
En revanche tel n'est pas le cas des parties qui peuvent
souverainement écarter la loi en choisissant expressément les
moyens de prouver leurs droits et obligations par l'intermédiaire d'un
convention de preuve.
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