Section 2 La procédure de contestation de la
preuve littérale électronique
L'article 1324 du Code civil oblige celui qui veut contester
une preuve littérale à désavouer son écriture ou sa
signature. Auquel cas, lorsqu'il s'agit de contester un écrit ou une
signature électronique, l'article 287 alinéa 2, introduit dans le
code de procédure civile par le
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décret du 3 décembre 200254, oblige
le juge à vérifier « si les conditions mises par les
articles 1316-1 et 1316-2 du code civil à la validité de
l'écrit ou de la signature électroniques, sont satisfaites
».
Selon certains auteurs, la procédure de
vérification d'écriture, ouverte à l'égard des
actes sous signatures privées qui comprennent notamment l'écrit
électronique, n'est pas ouverte à un simple courriel car il ne
s'agit pas d'un acte sous seing privé comme les autres55.
L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 septembre 2010 a contredit
ce raisonnement en soumettant le courriel à la procédure de
vérification d'écritures56.
Cependant il ne suffit pas au défendeur de soulever
l'irrégularité de l'écrit électronique pour
l'écarter. Ainsi, il lui appartient de dénier son engagement.
C'est d'ailleurs la solution qu'a consacrée la cour de
cassation par l'arrêt du 30 septembre 2010, dans la mesure où elle
n'a obligé les juges à vérifier ces conditions que dans la
mesure où le défendeur avait nié être l'auteur de
l'e-mail. Il s'agit au demeurant d'une condition indispensable au
déclenchement de la procédure de vérification
d'écriture.
Le défendeur doit donc dénier être
l'auteur du message ou à tout le moins prétendre que le contenu
de l'e-mail ne correspond pas à celui qui était le sien
initialement. Il ne peut se suffire d'invoquer la simple irrecevabilité
de l'écrit ne répondant pas aux conditions de qualification de
l'écrit électronique.
Auquel cas, la procédure de contestation de la preuve
littérale conduit à distinguer selon que l'écrit
électronique est revêtu d'une signature électronique simple
ou sécurisée.
Ainsi, lorsque la preuve électronique prend la forme
d'un écrit électronique sécurisé, c'est au
défendeur qu'il appartiendra d'établir les éléments
aptes à convaincre le juge de la nécessité de renverser de
cette présomption aux termes de l'article 288-1 du Code de
procédure civile.
Pour ce faire, la démarche peut le conduire à
s'appuyer sur une expertise technique ou encore sur un faisceau d'indices
susceptibles de faire douter le juge en se référant à dire
d'experts, à la consultation de techniciens ou de revues
spécialisées ou enfin en obtenant des témoignages. A cet
égard la doctrine met en garde le législateur contre le risque
que représente l'invocation de l'aléa
technologique57.
54 Décret n°2002-1436 du 3 décembre 2002,
JORF, 12 déc. 2002, p. 20482
55 O.Cachard, « le désavoeu d'écritures : de
la lettre missive au simple courrier électronique », Lamy
n° 80, 2001.
56 Cass, Civ 1ère 30 septembre 2010, Bull. Civ. I, n°
178.
57 A.Penneau, « la forme et la preuve du contrat
électronique », in L'acquis communautaire, le contrat
électronique, Coll. Etudes juridiques, édition
économica 2010.
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En effet, les juges étant souvent sensibles à
cet argument, nombreux sont ceux qui redoutent une véritable
défiance du juge vis à vis de l'écrit électronique
et par conséquent une lecture contra legem du principe de
l'équivalence probatoire de l'écrit électronique et de
l'écrit papier. Une telle résistance pourrait conduire le
législateur à renforcer la présomption de fiabilité
attachée à l'écrit électronique
sécurisé, pourquoi pas en lui substituant une présomption
à caractère irréfragable.
Lorsque les parties ont mis en oeuvre un procédé
de signature électronique sécurisé reposant sur une
technologie de cryptographie asymétrique, on peut se demander si
l'allégation par le défendeur de la perte ou du vol de sa
clé privée peut suffire à renverser la présomption
de fiabilité attachée à la signature électronique
sécurisée.
A priori, il semble conforme à l'esprit de la
présomption -sauf à mettre en échec l'autorité
attachée à la signature sécurisée- d'obliger le
titulaire de l'acte à établir les éléments aptes
à rendre vraisemblable l'existence du fait qu'il allègue.
Quoi qu'il en soit, lorsque le défendeur est parvenu
à convaincre le juge, on peut se demander s'il n'encourt pas pour autant
une condamnation en responsabilité civile. En effet, si l'on
reconnaît un devoir de confidentialité à la charge du
titulaire des clés, sa négligence pourrait être
considérée comme fautive de sorte qu'il pourrait être
condamné à réparer le préjudice résultant
pour le demandeur -débouté pour n'être pas parvenu à
fournir un écrit sans faille- de la perte du procès.
D'ailleurs, une forme de réparation en nature de ce
dommage pourrait avoir lieu en obligeant le détenteur de la clef
négligent à exécuter la convention qu'il n'a pas cependant
pas signé.58
En outre, une telle résistance des juges est d'autant
plus redoutée pour l'écrit électronique
simple.
En effet, si l'article 1316-4 du Code civil ne semble pas
l'écarter, ni même le décret de 2001 qui, mieux, le
consacre en reconnaissant la signature électronique simple, il n'existe
pas de régime propre à sa contestation. L'article 287 du Code de
procédure civile se contente à cet égard de rappeler les
exigences générales relatives à la recevabilité de
l'écrit électronique.
De ce constat, il pourrait être déduit qu'il
n'appartient pas au défendeur d'établir le
58 Cette théorie est notamment défendue par
lemagistrat belge D. Mougenot, « Droit des obligations, la preuve »,
Larcier 2002, p. 228. Dans le même sens, P. Lecocq et B.Vanbrabant. Cette
solution pourrait se concevoir en Droit français car le système
probatoire belge mis en place par la loi du 9 juillet 2001 sur la signature
électronique et les autorités de certification est similaire au
système français.
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manque de fiabilité de la preuve électronique,
au contraire, c'est au demandeur qu'il appartient d'établir de
manière positive les éléments aptes à
démontrer que l'écrit est revêtu d'une signature
présentant des garanties de fiabilité.
Cette contrainte procédurale serait extrêmement
lourde pour celui qui entend se prévaloir d'une preuve
électronique voire impossible à réaliser. A cet
égard, un auteur démontre qu'il n'y aurait donc pas que les
preuves négatives qui seraient diaboliques59
Une autre voie pourrait alors être exploitée et
consisterait à introduire une présomption de fait favorable
à celui qui se prévaut de l'écrit électronique.
Deux types de présomption pourraient être
employées. La première consisterait à nier l'opposition
entre la signature électronique simple et la signature
sécurisée en instaurant une présomption de
fiabilité de l'écrit électronique, quelles que soient ses
garanties de fiabilité. Il appartiendrait alors au défendeur de
renverser la présomption.
L'autre, plus conforme à l'esprit de la loi du 13 mars
2000 attribuant une autorité supérieure à la signature
sécurisée, imposerait au demandeur de justifier d'indices de
fiabilité, à charge pour l'autre de les contredire60.
Pour l'instant, la jurisprudence ne n'a pas entériné ces
propositions.
Finalement, la démarche entreprise par le
législateur n'a pas rencontré le succès qui était
escompté. Les contraintes mises en place par la loi du 13 mars 2000 et
du décret du 30 mars 2001 sont si lourdes qu'elles ne semblent pas
prendre en compte les réalités pratiques du commerce
électronique et fragilisent par conséquent le contrat
électronique.
Malgré tout, l'apparente fébrilité de
l'écrit électronique est compensée par un ensemble de
remèdes auxquels les parties peuvent avoir recours pour solidifier la
preuve de leur contrat.
59 J. Devèze, « Perseverare diabolicum. A propos de
l'adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information par le
décret n° 2002-1436 du 3 décembre 2002 »,
Comm.Comm. Elect. Mars 2003, étude n° 8, p. 12
60 C'ette thèse est notament défendue par Anne
penneau, note préc.
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