Chapitre 1 L'imperfection intrinsèque de la
preuve électronique
Lorsqu'il est reconnu par celui auquel on l'oppose, ou
légalement tenu pour reconnu, l'acte sous seing privé a, aux
termes de l'article 1322 du Code civil « entre ceux qui l'ont souscrit et
entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte
authentique ». Cependant, les articles 1323 et suivants du Code civil et
287 du Code de procédure civile permettent au défendeur de
contester la preuve littérale qui lui est opposée. Ainsi, ce
dernier peut désavouer son écriture ou sa signature et
dénier avoir pris l'engagement allégué par le demandeur
(Section 2).
A ce titre, l'écrit électronique
n'échappe pas au régime général relatif à la
contestation d'une preuve littérale de sorte que le défendeur
peut user des moyens qui lui sont offerts pour soulever les vices entachant la
perfection de la preuve électronique qui lui est opposée (Section
1)
Section 1 les vices entachant la perfection de
l'écrit électronique
Le décret du 30 mars 2001 attribue une réelle
autorité à la signature électronique
sécurisée. Au contraire, le texte est très lacunaire sur
la signature électronique simple. Cette différence emporte pour
le demandeur l'obligation de prouver qu'il a mis en oeuvre une signature
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suffisamment fiable lorsque que le procédé
utilisé ne correspond pas aux exigences du décret (I).
Malgré tout, si l'on s'interroge sur les limites de la
présomption de fiabilité attachée à la signature
sécurisée, on s'aperçoit qu'elle n'est pas sans failles
(II).
§1 L'imperfection de la signature électronique
simple
Le commerce électronique est pratiqué d'une
telle façon qu'il est rare que les parties à un contrat
électronique disposent d'un écrit électronique parfait au
sens des articles 1316-1 et 13164 du Code civil et ce quelle que soit la
manière dont le contrat est conclu.
Tout d'abord, ce constat est redoutable pour les contrats qui
sont conclus directement en ligne. En effet, les professionnels du commerce
électronique ne souhaitent pas avoir recours à des prestations de
tiers certificateur pour offrir à leurs co-contractants la
possibilité de créer un écrit électronique conforme
aux exigences légales de sécurité.
Ainsi, par exemple, les sites internet ne sont
généralement pas conçus pour accueillir une signature
électronique sécurisée. C'est pourquoi celle-ci est
absente des contrats de consommation et des contrats pear to pear.
Quant à la signature électronique simple, la
saisie des codes de carte bancaire n'est pas apte, à priori, à
remplir une fonction de signature dès lors qu'elle n'établit pas
avec certitude l'identité du contractant. Ce dernier peut avoir
utilisé des codes ne lui appartenant pas.
De telles critiques peuvent également être faites
à l'adresse des contrats conclus par échange de e-mails. En
effet, la première chambre civile a rendu un arrêt le 30 septembre
2010 aux termes duquel il appartient au juge de vérifier que l'e-mail
remplit bien les conditions mises par les articles 1316-1 et 1316-4 du Code
civil à la validité de l'écrit électronique ou de
la signature électronique lorsque l'expéditeur dénie en
être l'auteur.
Un tel arrêt rend pour le moins fragile la situation des
parties à un contrat électronique et constitue un « frein
pour le commerce en ligne » selon l'expression consacrée par un
auteur52 dès lors qu'il est peu probable que l'e-mail soit
apte à remplir de telles exigences.
En effet, outre les conditions de création et de
conservation du courriel, ce dernier n'est pas signé en principe par un
procédé sécurisé au sens de l'article 1316-4
alinéa 2 du Code civil.
52 L.Grynbaum, « Le droit de l'écrit
électronique : un frein au commerce en ligne (un e-mail n'est pas un
écrit électronique au sens du Code civil, selon la Cour de
Cassation) », Lamy Droit de l'immatériel, 2011, n°
67, p. 33
31
Cet arrêt aurait pourtant pu permettre à la Cour
de cassation d'admettre l'e-mail en tant qu'écrit électronique et
par hypothèse, annoncer un assouplissement des exigences en la
matière.
Ceci dit il ne s'agirait pas pour autant d'en conclure
l'inaptitude de l'e-mail à constituer une preuve électronique.
Tout d'abord, il peut paraître exagéré d'affirmer comme le
soutient une partie de la doctrine, que cet arrêt disqualifie
irrémédiablement l'e-mail du statut d'écrit
électronique au sens du Code civil.
D'une part, il n'est pas exclu que la jurisprudence accueille
l'e-mail sous la qualification d'écrit électronique simple si
l'on admet que le code d'entrée dans la messagerie électronique,
secret et personnel, remplit une fonction d'identification de l'auteur des
e-mails. Auquel cas, le raisonnement peut conduire à présumer que
le titulaire des codes est bien l'expéditeur du message.
D'autre part, l'arrêt rendu par la cour de cassation est
limité à un double point de vue. En effet, il astreint les juges
à vérifier que l'e-mail remplit les conditions de qualification
de l'écrit électronique seulement lorsque le défendeur nie
être l'auteur du message.
Enfin, il n'empêche pas l'e-mail de faire la preuve d'un
contrat électronique lorsque le taux du litige est inférieur
à 1500 euros, auquel cas, la preuve est libre de sorte qu'il n'est pas
nécessaire aux parties de fournir un moyen de preuve apte à
répondre aux conditions de qualification de l'écrit
électronique.
En outre, les parties ne sont pas épargnées par
des difficultés de preuve lorsqu'elles ont conclu leur contrat en
mettant en oeuvre un procédé de signature électronique
sécurisé. En effet, on peut également douter de la
capacité d'un tel procédé à être parfaitement
fiable.
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