Mobiliser et valoriser les compétences des migrants et
des diasporas pour le développement nécessite donc tout d'abord
de :
§ Tracer un profil
détaillé des compétences spécifiques des migrants
subsahariens et plus globalement des Nord-africains (acteurs
socio-économiques, formateurs, ingénieurs, techniciens,
médecins, agents de développement local, social, rural et
urbain&)répertoriés par commune et exerçant leur
métier ou résidant dans le département du Rhône;
étendre ensuite l'investigation à la région
Rhône-Alpes dans son ensemble.
Les acteurs associatifs subsahariens du Rhône et
au-delà peuvent s'inspirer, du point de vue méthodologique,
d'expériences significatives accumulées en la matière
depuis quelques années en différents endroits du monde en
identifiant dans le même temps les nombreux acteurs, institutionnels ou
non gouvernementaux, actifs dans ces
161
domaines dont l'AFD et l'OCDE qui viennent de réaliser
un travail similaire203. Le programme du TOTKEN
Sénégal déjà évoqué, initiative
co-parrainée par le PNUD et le ministère sénégalais
des affaires étrangères et des Sénégalais de
l'extérieur, offre à cet égard sur son site internet un
exemple des plus instructifs204. L'expérience
identifiée la plus récente au cours de notre enquête est un
travail d'inventaire des experts réalisée par deux
étudiants de Sciences Po Lyon pour le compte et sous la férule du
réseau RESACOOP. La mission de ces étudiants consistait en
l'identification dans le département des personnes hautement
qualifiées de toutes origines et horizons professionnels(agronomes,
vétérinaires, médecins, enseignants, universitaires,
formateurs, ingénieurs, techniciens, etc.) ayant une certaine
connaissance du terrain africain et susceptibles d'apporter leur contribution
à l'accompagnement des projets de coopération
décentralisée portés par les migrants au
bénéfice des pays d'origine.
Le projet VITAR 2, une recherche-action conduite entre 2004
et 2007 à Bruxelles sous la houlette de l'organisme IRFAM205
et financée par le fonds Social Européen, met par exemple en
exergue deux types de compétences définies comme des
habiletés non académiques essentielles à l'insertion
socio-professionnelle des migrants en Belgique. En d'autres termes, des
capacités « comme la participation sociale, l'insertion dans
des réseaux, la négociation, l'adaptation à des contextes
nouveaux, etc. [Elles] revêtent une importance stratégique
particulière dès lors que l'on envisage le cas des
sociétés multiculturelles où la discrimination sur le
marché de l'emploi n'est pas chose rare »206. Ces
compétences clés, ce sont :
- Les compétences citoyennes qui sont
des capacités psychosociales transversales des individus ouverts sur le
monde et la société.
- Les compétences interculturelles,
capacités citoyennes particulières qui «
permettent aux personnes, aux groupes et aux institutions de faire face
à des situations complexes dues à la diversité des
référents culturels dans des contextes inégalitaires
».
Une initiative d'envergure qui réaffirme la
nécessité de la mise en place d'un département
étude recherche action au sein de la fédération des
collectifs des migrants qui mobiliserait le personnel, les sources
d'informations, les outils, corpus théoriques et conceptuels et toutes
autres ressources utiles la conduite de cette investigation. Et pour aller plus
loin, la création des cabinets d'expertise spécialisés
dans l'accompagnement au montage, au suivi et à l'évaluation des
projets de développement et d'insertion/intégration,
adossés à la fédération est fortement
souhaité.
§ Dresser un inventaire des domaines d'actions
ou des canaux de mise à contribution pour lesquels les
compétences sont disponibles et mobilisables; puis procéder par
tout support accessible à la mise en circulation d'informations sur ces
compétences (celles des membres et plus largement celles des non membres
du réseau) auprès de l'ensemble de la communauté
associative rhônalpine, des professionnels et acteurs institutionnels
intervenant directement ou subventionnant les actions dans le champ de
l'intégration.
Pour rappel, les domaines qui nous paraissent «
prenables » par les associations des migrants du fait des
compétences individuelles et collectives identifiées au cours de
notre enquête sont : la Formation technique,
203 Voir le Rapport 2012 conjoint AFD et OCDE intitulé
: « Mobiliser les compétences des migrants et de la diaspora en
faveur du développement: quelques pistes stratégiques »,
discuté lors d'une conférence le 5 octobre 2012 à
Paris avec la participation du FORIM sous le thème : «
Connaître et mobiliser les compétences des migrants en faveur du
développement».
204 http://www.tokten.sn/ On peut lire la mention
suivante : « Même si son objectif générique n'est
pas de promouvoir le retour et l'insertion des Experts de la Diaspora, il
convient de noter qu'au cours de sa phase pilote, le TOKTEN a eu comme
résultat dérivé le recrutement définitif de 10
experts».
205 L'Institut de Recherche, Formation et Action sur
les Migrations (IRFAM) est « un organisme ressource et
d'éducation permanente créé en 1996 par des intervenants
et des chercheurs, au service des professionnels de l'action sociale, de
l'éducation, du développement culturel et économique.
L'institut vise, par une approche multidisciplinaire, à construire des
liens entre la recherche et les interventions dans le domaine de
l'intégration et du développement, ainsi que la lutte contre les
discriminations ». Portail internet de l'Irfam.
206 Altay Manço, « Valorisation des
compétences et co-développement : un projet du FSE pour migrants
africains qualifiés», L'observatoire, Liège, n°57,
p. 15-16.
162
civique, sociolinguistique; la Structuration et
gestion des associations; l'Accompagnement à la création
et suivi post-création d'entreprise; le Soutien scolaire des
descendants d'immigrés et immigrés mineurs récemment
installés; l' Accompagnement des publics migrants à la
recherche d'emploi, de logement, aux dispositifs spécifiques du droit
commun; le Soutien à la parentalité et l'ouverture de
l'école aux parents; la Médiation sociale et
interculturelle.
· Dresser une cartographie207 des
associations clés, des acteurs publics et des opérateurs
économiques locaux afin d'en solliciter les compétences le cas
échéant, exploiter le potentiel productif, les normes,
connaissances et savoir-faire, dans le cadre de partenariats
stratégiques :
I Fédération AEFTI du Rhône pour la
Formation des travailleurs immigrés
I Centre de ressources Ville Intégration
École
I ASSFAM Délégation du Rhône pour la
formation et l'accompagnement des publics migrants
I FIJI Villeurbanne pour la formation des femmes, la
promotion et la défense de leurs droits
I ALLIES pour la gestion du Plan Local d'Insertion et de
l'Emploi dans l'Est et le Sud Rhône
I URACA pour la prévention et l'accès aux
soins de santé par la prise en compte de l'interculturel
I CREFE - Centre Ressources enfance Famille
École
I DDCS - la Direction Départementale de la
Cohésion sociale
I DRJSCS - la Direction régionale de la Jeunesse, des
Sports et de la Cohésion sociale du Rhône, etc.
· Renforcer la coordination entre les
différents acteurs associatifs subsahariens de la région à
travers la mise en place d'une plateforme de rencontre régionale et
nationale (sur le modèle de l'Assemblée des
Sénégalais de l'Extérieur) et la multiplication des
occasions d'échanges d'expériences relatives à la
mobilisation et la gestion des compétences.
· Valoriser les compétences des migrants
suppose également de consulter plus souvent, dans le cadre des
réponses aux appels d'offres publics, les professionnels africains
individuels et collectifs identifiés pour des actions d'appui aux
projets d'insertion, d'intégration ou de développement solidaire
portés par les associations de migrants;
C'est le choix qu'a fait le cabinet AfriExperts
à Montréal en associant prioritairement les experts
d'origine africaine aux missions qu'il porte auprès de ses clients au
Canada. Il serait souhaitable également de sensibiliser les associations
de solidarité françaises membres du CADR et du RESACOOP par
exemple à ce type de démarche qui pourrait contribuer à la
fois à régler le problème de la déqualification
professionnelle. Les jeunes diplômés subsahariens qui peinent
à trouver leur place sur le marché du travail français
pourraient y trouver, selon leurs spécialisations, prétexte
à construire ou renforcer un projet professionnel, en optant soit pour
le retour au pays dans le cadre des missions desdites associations soit pour la
migration circulaire entre ici et là-bas. Dans l'optique de nourrir la
réflexion et aller dans le sens de préconisations pertinentes, il
serait souhaitable de consulter des laboratoires de recherche (l'Institut de
Recherche, Formation et Action sur les Migrations-IRFAM Bruxelles par exemple)
ou centre de ressources tel le REMISIS208 ou encore le RESACOOP
travaillant sur la problématique de la mobilisation des
compétences en lien avec les migrants.
207 Une cartographie des compétences à
construire sur le modèle du répertoire d'acteurs privés et
institutionnels réalisé par le réseau associatif
AIMS-Entreprendre pour la Cité intitulé : «
Handicap: vos partenaires pour optimiser votre politique en faveur de personnes
handicapées » dans le cadre du programme Equal et
soutenu financièrement par le Fonds social Européen.
208 Le REMISIS est un réseau documentaire
spécialisé sur les migrations internationales, les relations
interethniques, l'intégration et la lutte contre les discriminations et
le racisme et qui produit une base de données bibliographiques riche de
plus de 26 000 notices. Son site internet http://www.remisis.org/
propose de faire connaître les documents sur les migrations et de les
localiser. Il présente également « les centres de
ressources membres et partenaires du réseau et travaillant sur le
thème des migrations et de l'intégration. Il donne
également accès à un ensemble d'informations sur le
thème des migrations: - un agenda rassemblant des informations sur les
colloques, journées et conférences ainsi que sur les nouvelle
parutions(&) ».
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§ Identifier les étudiants immigrés
ou descendants d'immigrés (tous cycles et cursus confondus),
structurés en réseaux ou non, puis les sensibiliser aux avantages
de l'engagement associatif et les associer aux opérations
d'enquête de terrain, de production de l'information et des
connaissances, de collecte de la documentation pertinente sur des
problématiques sociales relatives aux migrants de France, l'animation du
portail internet et rédaction de contenus éditoriaux sous la
coordination de l'exécutif du réseau, l'accompagnement individuel
ou collectif à l'insertion sociolinguistique et culturelle : soutien
scolaire des mineurs et des parents ayant des difficultés de langue
(compréhension, écriture et lecture), techniques de recherche
d'emploi, aide à la rédaction administrative, etc.
§ Mettre en place un système
coordonné et cohérent de reconnaissance des titres et
compétences acquises sans diplôme reconnu, hors du
circuit formel donc, étant entendu que l'essentiel des migrants n'ayant
pas de qualifications importantes ont pu au cours de leur vie professionnelle
antérieure dans les secteurs informel ou formel mobiliser un ensemble de
savoirs, savoir-faire et savoir-être qui mériteraient d'être
valorisés et mis à contribution dans le cadre des actions
d'intégration ici.
§ Développer au travers des
réseaux des migrants identifiés une ingénierie de la
formation professionnelle continue en vue du retour à l'emploi,
la gestion administrative et managériale d'une association, le montage
d'un projet d'insertion ou de développement, etc. Il s'agit clairement
de faire d'une association, d'un collectif ou un réseau
associatif un lieu d'acquisition, de maintien, de renforcement et de
développement des compétences, des capacités individuelles
et collectives, du capital social et culturel, bref un cadre de
développement et de valorisation de l'employabilité des
immigrés compte tenu des risques importants que beaucoup
courent en termes de désintégration du marché du travail,
déqualification ou chômage de plus ou moins longue
durée.
§ Investir amplement dans les nouvelles
technologies et notamment les réseaux sociaux virtuels populaires et
professionnels (Facebook, Linkedin, Viadeo, Twitter, etc.), les outils
collaboratifs et de communication instantanée à accès
libre (gmail de google, skype, google talk, msn) en les alimentant
avec de l'information pertinente (sociale, politique, administrative et
culturelle des régions d'origine et d'accueil) de manière
à toucher un public migrant large (y compris ceux sans qualifications
spécifiques) tout en s'exemptant des coûts de communication
importants.
Le recours à ces outils209 pourrait
permettre de recruter des bénévoles, repérer les
compétences plus directement sur Linkedin et Viadeo
par exemple, connecter les réseaux via leurs membres
présents à titre individuel sur l'une ou l'autre plateforme,
susciter et maintenir le lien entre membres, échanger des informations
pertinentes via des réunions virtuelles par exemple, identifier les
besoins propres à un réseau de migrants dans une zone
géographique donnée dans la région afin d'y
déployer des actions spécifiques, mobiliser les personnes
compétentes afin d' effectuer des transferts de compétences et
des connaissances à l'aide de ces outils, l'animation des formations
à distance entre autres. Les migrants sont de plus en plus jeunes, plus
familiers des nouvelles technologies, désireux de s'identifier à
une communauté dynamique, plus impliquée et engagée sur
les questions politiques et sociales des pays d'origine et du pays d'accueil et
donc plus connectés. En témoignant la présence massive des
associations et autres campagnes de plaidoyer sur les réseaux sociaux et
notamment Facebook qui sert à la fois de vitrine pour se faire
connaître mais aussi une plateforme d'échanges où
l'information est diffusée, discutée et répercutée
instantanément.
209 À titre illustratif de l'importance du recours au
web 2.0 par les organisations diasporiques dans le monde, Le Rapport conjoint
OCDE-AFD sur la mobilisation des compétences des migrants cité
plus haut évoque ainsi le projet e-Diaspora, «
qui a recensé plus de 8 000 sites web se référant à
une trentaine de diasporas dans le monde, montre clairement la richesse et la
vitalité de ce nouvel univers aujourd'hui pleinement investi par les
migrants (
www.e-diasporas.fr)
».
164
§ la recherche de l'information pertinente est la
pierre angulaire du processus d'intégration. L'accès aux
informations pertinentes (procédurales ou d'intégration sociale,
citoyenne et économique) constitue le coeur même de la
démarche d'intégration professionnelle dans les pays hôte
et le rôle des réseaux sociaux dans leur diffusion est à
cet égard central.
Cela étant, nous pensons que le site internet de
référence des actualités africaines du Grand Lyon
www.echosdafrique.net
pourrait élargir ou enrichir ses rubriques d'informations et gagner en
audience en multipliant des informations pratiques et synthétiques sur
les sujets sociétaux qui impactent directement la vie des migrants
(logement , emploi, cadre de vie, santé, droits sociaux divers,
citoyenneté), les dispositifs et les acteurs des politiques locales
d'accompagnement à l'insertion sociale , économique et
professionnelle, les adresses utiles(publiques et privées), les
procédures à suivre pour les démarches collectives des
migrants en ce qui concerne les demandes de financement des projets d'insertion
, bref en jouant le rôle d'interface entre acteurs externes
(institutions, associations, entreprises, régies de quartier,
réseaux professionnels&) et les réseaux des migrants par la
mise en ligne de ressources informatives pertinentes.
Notons qu'au-delà de ces quelques
préconisations, il y en a beaucoup d'autres qui ont été
formulées individuellement par les enquêtés au cours de nos
investigations. Ce sont autant les responsables associatifs que les simples
adhérents, acteurs institutionnels et partenaires privés qui ont
leur avis sur les raisons des faiblesses organisationnelles et
opérationnelles des associations des migrants et les solutions possibles
à promouvoir pour pallier ce déficit. Les solutions émises
touchent autant aux réformes impératives des structures
qu'à l'émergence d'un nouveau type d'hommes, une
génération nouvelle de subsahariens actifs, entre autres
préconisations.