Pour le sociologue Pierre Bourdieu le capital social
désigne « l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles
d'un agent qui sont liées à un réseau durable de relations
plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance et
d'interreconnaissance »155. Ainsi, lorsque un individu
possède un capital social fort, c'est-à-dire l'ensemble de ses
relations situées à l'intérieur et à
l'extérieur d'un réseau d'acteurs, il peut facilement mobiliser
ses «contacts » pour atteindre ses objectifs (interconnaissance) ou
encore « pour obtenir un appui nécessaire dans un contexte
particulier (interreconnaissance), maximisant ainsi le rendement de son capital
culturel, institutionnalisé ou non».
Alors que le réseau social s'appuie sur la
construction individuelle des relations qui constituent un réseau, le
capital social insiste lui sur la situation de l'individu qui s'inscrit dans
une dynamique sociale où son capital est soit hérité, soit
construit. De plus, la valeur de ce capital sera fonction de la
«présence de ressources réticulaires potentiellement
"utiles", mais aussi des ressources ou du capital détenu par les acteurs
du réseau »156
En nous inspirant de la théorie des champs de
Bourdieu, nous verrions dans la dynamique d'affiliation d'une association
à un réseau un jeu, qui plus est, ouvert. Le milieu associatif
dans le Grand Lyon et l'ensemble des relations qu'il entretient avec les
bailleurs de fonds divers étant le champ où se déroule le
jeu. Pour Bourdieu, chaque champ valorise un certain type de capitaux, et dans
le cas d'espèce la levée des subventions publiques et
privées, l'entrée dans les réseaux d'importance permettant
d'accéder aux informations les plus stratégiques (appels
d'offres, circuit décisionnel, contacts utiles, etc.).
Dans cette veine, pour saisir les motivations qui portent les
uns et les autres à adhérer ou non à un réseau,
pour comprendre pourquoi les agents sociaux agissent comme ils le font,
Bourdieu convoque deux concepts :
§ L'intérêt: qui est une
condition de fonctionnement du champ dans la mesure où il motive les
gens à concourir pour l'enjeu: « En jouant le jeu, les agents
investissent leurs capitaux dans le champ dans le but de recevoir un dividende
et, par conséquent, d'augmenter la valeur des capitaux
»157.L'intérêt d'adhérer à un
réseau associatif peut donc être de plusieurs ordres : tout
d'abord pouvoir mener le projet et atteindre les objectifs que l'association
adhérente s'assigne; ensuite l'accès à l'expertise des uns
et des autres pour la réalisation de ce projet, l'accès aux
financements, la recherche d'une référence ou labellisation
socioprofessionnelle qui confère du relief à une candidature par
exemple, la quête d'une visibilité auprès des acteurs
publics et privés pourvoyeurs des moyens d'actions, et la participation
aux activités du réseau qui
155 BOURDIEU P. (1980), « Le capital social »,
Actes de la recherche en sciences sociales.
156 LÉVESQUE M. & D. WHITE (1999), « Le concept
de capital social et ses usages», Lien social et politique-RIAC,
41, pp. 23-33
157 Frédéric Deschenaux et Claude Laflamme :
« Réseau social et capital social : une distinction conceptuelle
nécessaire illustrée à l'aide d'une enquête sur
l'insertion professionnelle de jeunes Québécois»
118
peut servir la stabilisation identitaire comme nous l'avons
déjà souligné mais aussi à la constitution d'un
capital social utilisable ultérieurement dans une recherche de fonds:
participation aux forums, salons, rencontres professionnelles en tous
genres&Signe qu'il n'existe pas qu'un seul intérêt, il en
existe plusieurs, variables selon le temps et les lieux.
§ La stratégie qu'il
définit comme des: « un ensemble d'actions ordonnées en vue
d'objectifs à plus ou moins long terme et non nécessairement
posés comme tels » ou encore des: «Lignes d'action
objectivement orientées que les agents sociaux construisent sans cesse
dans la pratique et en pratique, et qui se définissent dans la rencontre
entre l'habitus et une conjonction particulière du champ
»158. Donc, la stratégie est possible quand un
acteur possède les capitaux nécessaires et qu'il se trouve en
présence d'une situation sociale à laquelle il a un
intérêt à participer. Adhérer à un
réseau illustre un intérêt à quelque chose mais
exprime aussi une stratégie visant à s'appuyer sur son
réseau relationnel pour accéder à plus de ressources :
cognitives, financières, techniques, opérationnelles,
relationnelles, organisationnelles.
Les réseaux diasporiques composés
d'associations de migrants aux intérêts et objectifs multiples
s'appuient sur la notion de réciprocité qui conduit vers le
capital social. Autrement dit, ce sont les choix faits par les individus
représentants les associations adhérentes à un
réseau qui fondent les actions et les relations entre les individus.
Celles-ci conduisent à la construction de relations durables. Ces
relations deviennent par conséquent à la fois
fondatrices du réseau social et ressources pour les
individus membres d'une association ou d'un collectif
d'associations.