Le maintien des contacts avec les pays d'origine remonte
aussi loin que les vagues successives de la migration africaine en France. Mais
c'est à partir de 1981 que les premières associations
villageoises verront le jour avec un statut juridique officiel, dans le
prolongement des caisses de solidarité d'alors. La composition interne
des communautés évoluant, avec l'accentuation de la migration
familiale (femmes et enfants venant rejoindre le mari ou le conjoint en France)
à la même époque, les associations communautaires,
habituellement repliées sur elles-mêmes, vont dans le même
temps rechercher plus souvent l'ouverture vers des réseaux qui ne
relèvent plus de la stricte logique villageoise.
Les contacts dès lors vont se multiplier grâce
et à travers les réseaux diasporiques primaires et secondaires de
niveau 1 au sens de la classification précédente: associations
ethno-régionalistes, associations nationales, collectifs d'associations,
associations professionnelles, étudiantes, diasporas scientifiques.
112
Dans le Grand Lyon, des diasporas, il en existe plusieurs,
originaires d'une même région. Aussi, parler d'Une diaspora
africaine parait inadéquat étant donné les
caractéristiques sociologiques, socio-politiques, linguistiques et
culturelles ainsi que les trajectoires historiques propres à chaque
groupe de migrants, et à l'intérieur de chaque groupe.
Dans le cas de l'Afrique, plurielle par ses peuples et leurs
cultures, la variété de ses trajectoires historiques,
économiques et socio-politiques, les déterminants, les formes et
les destinations, bref les dynamiques migratoires sont très
différentes d'un groupe diasporique à l'autre. L'histoire de
l'immigration en France depuis 1945 atteste de ces variations, nous l'avons vu.
L'immigration maghrébine et subsaharienne en France, si elles ont
été déterminées à la fois par l'effort de
guerre durant les deux conflagrations mondiales du 20e
siècle, puis par les besoins de l'industrie française en main
d'oeuvre durant les Trente Glorieuses, les formes et la temporalité ont
quelque peu divergé. L'immigration subsaharienne en France
s'étant accrue depuis les années 90, féminisée
à souhait et vu émerger des migrants africains venus de pays
n'ayant eu aucun passé historique direct sinon de façon marginale
avec la France. Ainsi note-t-on aujourd'hui dans le Grand Lyon par exemple une
communauté importante de Ghanéens et de Congolais de la
République démocratique.
Les cultures et sous-cultures propres à chaque groupe
pays, les facteurs politiques et socio-économiques des pays d'origine de
même que les projets migratoires collectifs ou individuels des migrants
sont autant de marqueurs puissants qui soulignent la spécificité
de chaque migrant ou chaque groupe de migrants, selon qu'ils seront
Camerounais, malgaches, burkinabés ou centrafricains.
Le contexte migratoire (ensemble des conditions socio-
culturelles, politiques et économiques locales,
nationales et internationales) influe également sur les
comportements
individuels ou collectifs, et forge les représentations, les attitudes
qui irriguent de façon complexe et variable (selon le lieu, le temps et
le groupe) :
§ la relation des migrants avec la communauté
nationale du pays d'accueil,
§ les contacts d'une communauté de migrants avec son
pays d'origine
§ la force des liens entre membres de la même
communauté d'origine en France
§ les relations entre communautés originaires du
même pays mais dispersées dans différentes villes
et
régions de France et d'Europe: les Burkinabé de Lyon,
Bordeaux, Paris, Londres&
§ les rapports entre communautés
ethnolinguistiques originaires des pays du continent africain
:
maghrébins et subsahariens par exemple.
Le mouvement associatif migrant originaire de l'Afrique
subsaharienne tant au niveau national que local s'est beaucoup
transformé au cours de son histoire. De l'époque des caisses de
solidarité villageoises à la constitution des 1981 des
premières associations de migrants en France résolument
tournées vers l'entraide des membres et les transferts des ressources
financières, relationnelles et symboliques à la communauté
villageoise dans le pays d'origine , les associations subsahariennes se sont
aussi différenciées parallèlement, conjointement au
changement de la société. En dépit du fait que nous
disposions de peu de données sur le développement historique de
la vie associative des migrants africains, spécifiquement dans le
périmètre lyonnais, nous nous sommes appuyés sur
l'histoire récente de ce mouvement associatif pour dégager
quelques grandes tendances générales toujours en vigueur
aujourd'hui.
Figure 5. Synthèse des différents types
de diasporas, inspirés de la classification proposée par Natalia
Buga (inspirée de sa thèse sur les réseaux
diasporiques).
Figure a. Réseau diasporique primaire Figure
b. Réseaux secondaires de type 1
Migrants dans pays d'accueil -Région C
Migrants dans pays d'accueil -Région 1
Migrants dans pays d'accueil -Région 2
Migrants dans pays
d'accueil-Région D
Migrants dans le pays d'accueil A
Migrants dans le pays d'accueil B
Pays d'origine (Le Centre)
Migrants dans le pays d'accueil C
113
Figure c. Réseaux secondaires de type
2
Migrants Allemagne Migrants
Migrants Canada
Migrants France
Pays d'origine
Migrants Afrique du
Sud
Migrants USA
Légende:
Figure a: Migrants sans aucun lien dans le pays d'accueil
(dominante associations communautaires)
Figure b : Migrants inter reliés dans
différents territoires du même pays d'accueil (type
fédérations régionales ou COSIM)
Figure c : Faisceau de relations entre collectifs de
migrants dans le même pays d'accueil et interreliés à
d'autres collectifs de migrants dans
différents pays d'installation.
114
3.1.1. Plus identitaires et communautaires que
revendicatives
Par le socle communautaire (ethnique, nationale ou
continentale) sur lequel elles se constituent et par la nature des
activités qu'elles mènent et des objectifs qu'elles s'assignent,
les associations de migrants subsahariens sont plus souvent identitaires que
revendicatives.
§ Elles sont plus souvent Identitaires
au sens où elles s'attachent, à quelque niveau que
ce soit (association familiale, villageoise ou réseau continental),
à maintenir un équilibre identitaire, eu égard au contexte
fragilisé qui tend à déstabiliser. Elles ont en ce sens
pour vocation de répondre au besoin de s'individualiser par une
appartenance, en jouant ainsi un rôle de stabilisation des moeurs et des
valeurs dans ce contexte trouble , sans repères et l' environnement
pluraliste , toutes choses qui forcent soit à l'assimilation pure et
simple à la culture dominante ( nationale ou régionale) soit
à la réaffirmation de sa spécificité culturelle, au
requestionnement et à la réinvention de son identité. Dans
le même ordre d'idées, Sandro Cattacin et Morena La barba
soulignent que : « Ces associations [identitaires communautaires]
créent la confiance, de la sécurité ontologique, de
l'estime de soi; des archipels dans une société plurielle
»151.
§ Elles sont moins revendicatives
en Rhône-Alpes dans la mesure où très peu
d'actions portées par elles, individuellement ou collectivement,
s'orientent vers la promotion et la défense des droits sociaux
spécifiques aux migrants ou encore l'accompagnement de ceux-ci vers les
dispositifs de droit commun, ne serait-ce que pour ceux des publics
ciblés par les politiques locales d'intégration et d'insertion.
En clair, une implication collective et organisée fort marginale dans
l'intégration sociale, prise dans ses multiples dimensions.
§ En revanche quelques prémices
d'actions revendicatives commencent à se dessiner , nous
l'avons souligné déjà, portées par le collectif
Africa 50, fondée sur une base continentale donc transculturelle, tout
au moins en ce qui concerne la valorisation de la mémoire et l'histoire
des migrants dans la Région , leurs apports divers au
développement de la cité lyonnaise, puis les actions de
prévention et lutte contre les discriminations liées notamment
à l'origine , d'où l'accent mis sur les démarches de
sensibilisation à l'inter et à la transculturalité. De ce
point de vue, les réseaux associatifs de migrants produisent des
ressources sociétales152 « qui doivent être
prise en compte dans la politique d'inclusion des migrants dans les
sociétés d'accueil ». Cette position d'entre-deux
confère au Collectif africa 5O un caractère de réseau
associatif communautaire, politique et social, fondé sur une base
continentale et non plus seulement ethnique.
3.1.2. Une stratégie identitaire gagnante
à petite échelle mais un risque réel d'auto-exclusion dans
l'accès aux subventions publiques
Si elles apparaissent plus faibles dans leur poids social et
politiques, elles restent néanmoins plus fortes dans leurs effets de
stabilisation identitaire. Le marquage identitaire des associations
subsahariennes du Grand Lyon a donc ses bénéfices en dépit
des a priori négatifs qui découlent des discours des pouvoirs
publics, souvent principaux bailleurs de fonds de ces organisations. Et comme
nous le soulignions déjà, la société
française, aveugle aux différences, a tendance à se
méfier des regroupements spatiaux et ethno-régionalistes de
personnes d'origine immigrée, même lorsqu'elle tend à les y
enfermer, du fait de préjugés tenaces qui fragilisent la
cohésion sociale.
3.1.3. Les associations subsahariennes reflètent
aussi une hétérogénéité interne du point de
vue des statuts divers des membres
151 Sandro Cattacin et Morena LA Barba : «
Migration et Association : La vie associative des
migrants - une exploration de leur rôle et développement en Europe
occidentale », octobre 2007.
152 Au sens qu'en donnent les deux auteurs
pré-cités : « la capacité de créer
ponctuellement des liens sociaux et fonctionnels entre les différents
groupes et sous-systèmes d'une société territorialement
précisée par des horizons communs de ses composants »,
op.cit.
115
Il n'est par exemple plus possible de lire les associations
dans une logique relativement cohérente du point de vue des motifs de
migration ; on peut trouver dans la même association, par exemple, des
requérants d'asile, des clandestins ou des personnes avec un statut de
séjour stable. Des migrants primo-arrivants, des immigrés
d'ancienne installation et des immigrés naturalisés, davantage
d'hommes que de femmes dans les associations mixtes, toutes les
générations aussi s'y côtoient, ce qui occasionne parfois
un choc des valeurs, des cultures et amènent à des crises
internes qui peuvent conduire au blocage au niveau de l'exécutif, comme
nous le verrons plus loin.
3.1.4. Les associations des migrants cherchent des
coalitions dans une logique plus pluraliste mais peu de partenariats
stratégiquement forts. Les choix stratégiques des associations
migrantes d'Afrique subsaharienne se trouvent ainsi ballotés entre
clôture communautaire, inclusion de la population immigrée
elle-même et partenariat avec les acteurs étatiques et de la
société civile.
Nos investigations nous ont permis d'identifier 3 types
d'attitudes ou de réactions qui fondent les stratégies
relationnelles des associations migrantes vis-à-vis du pays d'accueil.
La classification à venir s'inspire des travaux de Sandro Cattacin et
Morena La Barba déjà cités sur les associations de
migrants dans l'Europe occidentale d'après-guerre. L'enjeu et les gains
potentiels de chacune des stratégies varient d'un groupe à
l'autre.
§ la stratégie « Exit» ou
d'auto-exclusion: Cette réaction caractérise
particulièrement les associations
communautaires qui relèvent des réseaux
diasporiques primaires. Ici, tout tourne et s'oriente vers la communauté
du pays d'accueil et du pays de départ. Les lieux de rencontre sont
souvent homogènes (membres du groupe ethnique) et la visée de ces
regroupements se résume à la stabilisation identitaire. Ce sont
des associations globalement refermées sur elles-mêmes, même
si leurs membres peuvent , à titre individuel, participer activement
à la vie sociale de la cité et s'impliquer dans d'autres
mouvements pour défendre par exemple certaines causes.
§ La stratégie « Voice »
ou de lutte de reconnaissance : les associations pluriethniques,
nationales ou
continentales, entrent dans cette catégorie et visent
avant tout à affirmer la spécificité de leur
identité, leur double culture, une particularité qu'elles
souhaitent voir prises en compte dans les politiques publiques d'accueil et
d'intégration des populations migrantes. Elles sont souvent
engagées sur le front de la lutte contre les discriminations, la
xénophobie et le racisme, réclament du respect et la
reconnaissance citoyenne des immigrés anciens ou primo-arrivants, en
déployant des actions à destination des populations
concernées mais aussi des pouvoirs publics souvent peu regardants des
particularismes. Cette catégorie d'associations pratiquent
déjà une certaine ouverture vis-à-vis des acteurs
extérieurs au groupe dans le pays d'accueil, multiplient des
partenariats avec des acteurs multiples appartenant à d'autres
réseaux: organisations de migrants et des non migrants, les
administrations étatiques, le monde de l'entreprise et les
fondations.
§ La stratégie « Loyalty »
ou stratégie de coopération ou de
participation aux initiatives d'inclusion : une troisième
stratégie consiste à «entamer par le regroupement de
migrants un dialogue avec les autorités du pays d'accueil. Cette
stratégie de coopération permet aussi de profiter de subsides
pour réaliser des mesures spécifiques d'inclusion et fait des
associations de migrants des ponts entre les besoins des migrants et les
options politiques ».
Si de manière générale l'augmentation en
poids de la stratégie de coopération est
caractéristique du monde associatif migrant contemporaine, il reste que
l'implication des associations migrantes africaines dans les mesures
d'inclusion sociale dans le Rhône est marginale. Cela permet de penser
que cette stratégie de coopération reste à construire,
à renforcer pour le bénéfice des populations migrantes
mais aussi des administrations locales dont l'intérêt est de voir
s'intégrer tous les migrants résidant sur son territoire pour une
longue durée du moins, en dépit des résistances qui se
manifestent de part et d'autre, et réaffirmer la cohésion sociale
au niveau de sa population globale.