Partie 3
Les associations subsahariennes et les réseaux
diasporiques. Logiques de construction et d'affiliation, coûts et
bénéfices
§ Pourquoi, comment et à quelle ampleur les
organisations associatives subsahariennes du Grand Lyon pratiquent-elles
l'ouverture aux réseaux associatifs ? À quel point tirent-elles
parti de leur capital social en termes de mobilisation des compétences
et de fabrique des acteurs socio-économiques en France et pour les pays
d'origine?
Notre enquête sur les réseaux associatifs des
migrants africains tente de répondre à ce corpus
d'interrogations. Nous abordons tout d'abord la question des réseaux
diasporiques sous l'angle de la théorie des réseaux sociaux en
tentant d'en dégager les principales caractéristiques (chapitre
5) et en faisant une analyse des pratiques d'affiliation des migrants aux
réseaux, des stratégies à l'Suvre, les
intérêts que font valoir les uns et les autres et les dynamiques
relationnelles qui y ont cours (Chapitre 6).
Chapitre 5 : Les réseaux diasporiques
subsahariens dans le Grand Lyon. Essai de caractérisation p.109
Section 1 : Les réseaux diasporiques à la
lumière de la théorie des réseaux sociaux et la
théorie des champs de Pierre Bourdieu 109
Section 2: Émergence de l'esprit diasporique
panafricain à Lyon, entre détermination et échecs
116
Section 3 : Réseau social et Capital social. Pourquoi
s'affilie-t-on à un réseau associatif de migrants
subsahariens
dans le Grand Lyon? 117
Chapitre 6 : Discours et pratiques associatives
subsahariennes autour de la mobilisation du capital social p.
1. Les réseaux des migrants subsahariens du Grand
Lyon 120
2. Des motifs d'adhésion multiples aux réseaux
associatifs 122
3. Migrants subsahariens du Grand Lyon : la Force du
réseau? Inventaire des motifs de démobilisation des
membres de l'engagement associatif 124
4. Quelques Préconisations en faveur du regroupement
fécond des associations des migrants en collectifs départementaux
et en une fédération régionale 132
109
Chapitre 5 : Les réseaux diasporiques
subsahariens dans le Grand Lyon. Essai de caractérisation
Les responsables associatifs enquêtés nous ont fait
part de leurs sentiments et visions à propos du fonctionnement des
réseaux des migrants, leur intérêt, les difficultés
rencontrées, les solutions envisagées, les alternatives
développées.
Il nous importe avant tout de revenir sur quelques données
théoriques et conceptuelles générales, replacer la
question des réseaux associatifs diasporiques dans leur contexte
socio-anthropologique et historique.
Section 1 : Les réseaux diasporiques à
la lumière de la théorie des réseaux sociaux et la
théorie des champs de Pierre Bourdieu
À la base des réseaux associatifs des migrants ,
il y a des groupes de personnes originaires d'un même village, d'une
même ethnie, d'une même région, d'un même pays , de la
même sous-région, d'un même continent ou encore d'un
ensemble de continents par rapport au continent du pays d'accueil. Cet ensemble
de personnes selon les caractéristiques propres à chaque origine
porte habituellement le nom de diaspora.
Natalia BUGA dans sa thèse déjà
citée fait référence à un concept élastique,
au départ employé pour désigner les seules diasporas
historiques (telles les diasporas juive et arménienne) et qui a fait
depuis lors l'objet de toutes sortes de définitions basées sur
des critères ou trop restrictifs ou trop larges. Pour notre part, Dans
le cadre de ce travail, nous avons souscrit à la définition
revisitée qu'en donne l'auteure de cet intense travail intitulé :
Les Diasporas comme ressources d'intégration dans
l'économie mondiale148 . Pour Buga, en effet,
est diaspora:
«L'ensemble des migrants originaires du même
pays qui se sont installés pour une période longue, voire
permanente dans plusieurs territoires de destination et continuant de garder
des liens forts de nature diverse avec le pays source. Le noyau d'une diaspora
est composée par des membres qui ont une forte nécessité
et motivation à s'identifier à leur groupe d'origine qui
préserve, développe et transmet les valeurs du pays de
départ. Ils ont aussi la volonté d'apporter leur contribution au
développement de la patrie en mobilisant les ressources
générées par la diaspora, afin de mettre en oeuvre des
projets de développement adressés au pays de départ.
»
En clair, les membres de la diaspora ont en partage un
sentiment d'appartenance au groupe d'origine créé à la
suite d'une dispersion générale vers différents
territoires d'arrivée. Il existe des liens plus ou moins forts entre le
groupe et le pays de départ, les membres s'identifient par
nécessité ou par volonté au groupe et sont mus à
différentes échelles et selon les ressources par l'objectif
d'aider ai développement économique et social, et politique
parfois, de leurs territoires d'origine. Et pour assurer le transfert des
ressources financières et non financières(RNF), la diaspora
s'appuie sur un ou des réseaux diasporiques qui, en fonction de leur
niveau d'évolution, vont tenter d'élargir les liens avec les
communautés de même origine dispersés dans d'autres pays
d'accueil.
148 Thèse soutenue publiquement le 21 juillet 2011, sous
la direction de Jean-Baptiste Meyer (Faculté d'économie de
Grenoble), l'un des auteurs de l'ouvrage Diasporas Scientifiques publié
aux éditions de l'IRD.
110
1. Essai de caractérisation des diasporas
Ainsi, au vu de cette définition, la diaspora apparait
d'abord et avant tout comme une dispersion spatiale, une
«dissémination dans un non-lieu » d'après la formule de
Ma Mung149. C'est aussi une expérience sociale, une aventure
qui peut être à la fois individuelle et collective.
La diaspora, c'est aussi le lieu de l'inventivité, de
l'élaboration de stratégies identitaires permettant de
s'insérer dans la société d'accueil. Toutefois, même
si le réseau diasporique constitue aussi un lieu de fabrique de
l'identité nationale, régionale, continentale, ethnique, la
culture diasporique qui nait de l'expérience migratoire et des processus
d'identification à un groupe n'est pas nécessairement soluble
dans l'ethnicité elle-même. Elle ne s'y confond pas puisqu'elle
peut être très éclatée, très
hétérogène, ce qui est d'ailleurs le trait de
caractère principal des réseaux diasporiques transculturels :
ALPADEF, MIFERVAL, AFRICA 50, FEDAM, ACF, etc.
À Lyon, aujourd'hui, la diaspora panafricaine ne se vit
plus comme « une condition pathologique, diminuée, faite de
larmes et de souffrances » mais plutôt comme « un mode
d'être légitime et positif »150. Elle
revendique cette attitude positive quand elle valorise la mémoire ou
l'histoire de l'immigration, quand elle promeut la présence de l'Afrique
dans la cité, en mettant en avant les réussites individuelles et
collectives des africains en situation de migration. C'est d'ailleurs en ce
sens que l'expérience migratoire apparait comme le lieu et l'occasion
pour les groupes diasporiques ou les migrants à titre individuel, de se
constituer un patrimoine composé d'un ensemble de ressources qui
permettent à la diaspora d'apporter une contribution significative au
développement du pays d'origine d'une part, et d'autre part à
l'entraide, la solidarité entre membres d'une même
communauté dans le pays d'accueil : ressources financières,
cognitives, relationnelles, institutionnelles, organisationnelles,
symboliques.
Par ce patrimoine dont une part conséquente est
transférée dans les pays source, parfois au détriment du
bien-être individuel et collectif dans le pays d'accueil, les diasporas
ont engendré des externalités positives ou négatives,
à la suite d'effets intentionnels ou non-intentionnels, en tout cas
à un niveau tel que les pouvoirs publics tant dans les pays
d'immigration que ceux d'origine s'activent à impliquer de
manière formelle les immigrés dans les politiques nationales de
développement, dans les stratégies de lutte contre la
pauvreté. C'est le cas au Sénégal, au Mali, en Afrique du
Sud ou Au Maroc par exemple, et bien avant ces pays, la Chine et L'Inde ont mis
en place des politiques et dispositifs de soutien aux initiatives
économiques et socioculturelles des leurs expatriés. Ce qui fait
des diasporas de ses deux pays les plus dynamiques et entreprenantes au monde,
de même que les diasporas juive et russe.
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