Section 2 : Causes de la non-implication des
associations des migrants dans le champ formel de
l'insertion/intégration dans le Grand Lyon
«Cela fait à peu près un an que nous
formons les femmes de la diaspora. Avant on ne s'en occupait pas. Parce que
d'abord on attendait d'avoir des aides qui ne sont pas venues du tout. Mais il
se trouve qu'il y a beaucoup d'associations qui sont payées par
l'État qui font ça. Disons que ce n'est pas notre coeur de
business. Le nôtre, c'est le Sénégal. Ici, c'est du
secondaire ». ALPADEF.
Ces propos résument à eux seuls l'essentiel des
raisonnements exprimés par les responsables associatifs d'origine
immigrée dans la région lyonnaise.
o « Ce n'est pas l'objet de
l'association&»
130 La communauté burkinabé de Lyon
bénéficie d'un crédit et d'un traitement différent.
Appréciée pour son dynamisme socio-économique et
l'efficacité de son organisation. Le parallèle peut être
fait de même avec l'association SOPE des Sénégalais. Pour
autant, selon certains acteurs associatifs eux-mêmes, le
phénomène de la non-ouverture et donc la non-interaction entre
les associations subsahariennes concerne autant les Sénégalais
que les autres. Les Burkinabés se défendant de ce cloisonnement
en faisant valoir que l'association est ouverte tant aux burkinabé
d'origine que les amis du Burkina Faso. Est-ce là que réside la
recette du succès de l'Association des Burkinabé de Lyon qui
jouit du même crédit auprès des migrants d'autres
communautés ?
131 Notons que l'un des leaders de cette association, au moment
de notre enquête est actuellement élu communal adjoint au Maire de
Villeurbanne, en charge de l'Éducation.
100
C'est le principal argument avancé par les associations
tournées vers le développement solidaire avec les pays d'origine,
mais qui pourtant se positionnent statutairement sur l'accueil et
l'entraide.
o Les migrants envisagent toujours un retour dans le
pays d'origine pour y passer leur retraite et vivre leurs derniers
jours
Le Président d'un important collectif d'associations nous
expliquait ainsi que :
« Les immigrés n'ont pas
définitivement déposé leurs valises et entretiennent
toujours l'espoir d'un retour dans le pays d'origine pour y vivre paisiblement
leur retraite ».
Cela justifie-t-il le peu d'engagement des personnes
retraitées d'origine subsaharienne dans les associations
rencontrées durant notre enquête?
C'est aussi l'avis de cet autre responsable associatif
(globalement partagé par les répondants) pour qui la projection
du retour au pays natal explique le non-investissement des immigrés dans
les champs officiels de l'insertion et de l'intégration dans leurs
bassins de vie :
« Le problème ici c'est que les gens qui sont
venus c'est pour être des Africains de passage. Et dans la tête de
ceux qui sont là, ils se disent toujours tournés vers l'Afrique
pour passer là-bas leur retraite. Les gens ne se voient pas mourir ici.
Ils se projettent dans un retour de là où ils viennent. Et par
rapport à ça, ils préfèrent économiser leurs
sous pour aller mourir là-bas. Dans ce cas-là, même si tu
dis à quelqu'un qu'il faut créer une structure de soutien ou
d'accompagnement à l'intégration des migrants, il
préfère faire ses économies dans l'optique du retour au
pays ».
o Méconnaissance des problématiques
sociales globales relatives aux migrants dans le département et la
région ainsi que les catégories spécifiques des migrants
concernés.
Cela nous a amené à plusieurs reprises, au
cours de notre enquête, à fournir (à la demande de certains
enquêtés) quelques renseignements statistiques collectés
auprès des institutionnels et d'autres acteurs associatifs, autour des
problématiques sociales, spécifiques aux migrants, de
l'accès à l'emploi, au logement, à la culture, aux
dispositifs de droit commun&Avec évidemment toute la
précaution de rigueur tant les chiffres communiqués peuvent
varier d'une structure à l'autre et selon les champs
concernés.
o Méconnaissance des politiques publiques
d'intégration nationale et d'insertion et de même que l'ensemble
des outils existants permettant de réduire et rattraper les
écarts entre les immigrés dans une certaine proportion et ce
qu'est une intégration accomplie (cadre de vie décent,
scolarité normale, parentalité normale, emploi stable,
participation à la vie sociale et citoyenne).
Les 3/4 des responsables associatifs
interviewés132 nous ont confié n'avoir pas
connaissance des axes d'actions, des publics prioritaires et aboutissants de la
politique d'intégration locale énoncée dans le PRIPI et le
PDI, et encore moins les quartiers prioritaires de la politique de la ville et
leurs réalités sociodémographiques ; arguant qu' il y a
dans la communauté associative africaine un problème réel
de circulation et de partage de l'information, du fait du cloisonnement des
associations communautaires des migrants et de l'absence d'une structure
représentative forte et rassembleuse en serait une des causes.
Parmi les outils les plus souvent promus permettant
l'insertion des publics en difficulté, la formation continue d'adultes
et jeunes adultes dans toutes ses variantes occupe une place centrale. Pourtant
peu de migrants y
132 À la rare exception de ceux pratiquant l'insertion de
manière formelle et de quelques autres intervenants sur
l'éducation à l'interculturalité, à la
transculturalité et au développement tels les associations
Passerelle NGAM, ALPADEF, A2P, MIFERVAL, etc.
101
recourent, y compris lorsqu'il s'agit de se former aux
techniques de gestion administrative ou de management d'une organisation
associative. La faute au manque de moyens133 et de temps.
En témoignent les propos de cet acteur associatif:
«C'est vrai, quand on voit la vie que nous menons
ici, le travail, la famille...les moyens, il faut aller les chercher. Il y a un
déficit de notre côté pour identifier tous les dispositifs
qui nous permettraient de capter les moyens. Par exemple les fonds pour le
développement de la vie associative et autres pour proposer ces
formations-là de façon interne, et que ça soit
institutionnalisé. En nous mettant ensemble, nous pouvons aussi peser
pour négocier auprès des municipalités (Conseil
général, région) pour avoir des crédits afin
d'organiser ces formations, parce que ce sont des formations qui nous
permettent d'être citoyens à part entière dans toute la
complexité de notre parcours(...) C'est l'un des grands chantiers de mon
point de vue. Il y a déjà quelques pas au niveau du Grand Lyon,
notamment avec Africa 50, parce que ça fait 2 ans que nous essayons de
négocier un budget global...».
Ainsi, malgré les facteurs socio-économiques et
politiques qui poussent à prolonger son séjour dans le pays
d'accueil ou à s'y installer définitivement tels que : les
problèmes liés au monde du travail, la gestion des relations avec
les responsables des foyers de travailleurs migrants, l'accroissement du taux
de chômage des migrants et la dégradation de leur qualité
de vie, pour ceux habitant les espaces dits de
précarité134 où ils constituent la
moitié de l'effectif des habitants, les difficultés liées
aux cartes de séjour, la forte limitation des entrées de nouveaux
migrants sur le territoire...Malgré tous ces facteurs, les migrants
apparaissent ici en peine de se saisir de manière collective des outils
existants dans le cadre des orientations des politiques d'intégration (
soutien à la parentalité et à la scolarité des
enfants d'immigrés, soutien à la recherche d'emploi pour les
femmes et les primo-arrivants , l'aide aux personnes âgées dans
les foyers de travailleurs migrants...) et d'insertion pour faire valoir leurs
droits sociaux135 et économiques. Alors même que le
contexte devrait au contraire:
«...Ouvrir une nouvelle étape qui impose des
rapprochements avec la société d'accueil, rapprochements rendus
nécessaires car l'on ne peut plus se suffire à la seule
structuration communautaire pour faire face aux conflits impliquant de nouveaux
acteurs: sociétés gestionnaires de foyers, justice, avocats,
comité de gestion et de soutien aux associations diverses
»136 et aux difficultés sociales manifestes.
À propos par exemple des immigrés
âgés sans qualification, au chômage dans les années
90, rentrés dans leurs pays d'origine ou installés
définitivement en France, Christophe DAUM note que :
«Très rares sont ceux de cette
génération qui ont réussi à acquérir une
qualification professionnelle reconnue dans le monde industriel. La
société française ne propose pas à ces
catégories de travailleurs d'accéder aux filières de
formation professionnelle, elle les exclut ainsi des possibilités de
promotion sociale. En retour, il ne semble pas que ce fait ait
constitué, à l'époque, une revendication des
communautés. On ne constate en effet que rarement des stratégies
personnelles affirmées. Plusieurs immigrés qui prenaient sur leur
temps de loisir pour se former (alphabétisation en cours du soir,
formations diverses...) témoignent en ce sens :''les autres me disaient
que j'étais fou de perdre mon temps ainsi'' ».
Parmi toutes les raisons évoquées par nos
enquêtés expliquant ce peu d'ancrage des associations
subsahariennes dans les politiques d'intégration et d'insertion, il y a
aussi :
133 Le droit d'entrée à une formation dans les
centres de la vie associative, comme à Villeurbanne, est souvent payant.
Les fonds des associations de migrants étant souvent modestes, le
recours dans ces conditions à une formation visant le
développement des compétences individuelles ou collectives
devient par conséquent problématique.
134 Dont certains quartiers prioritaires de la Ville de
Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Bron, Vénissieux, Saint-Priest,
Caluire-et-cuire ou encore les arrondissements du Sud-est de la ville de Lyon.
Voir le rapport 2010 de l' Insee sur les zones de précarités du
Grand Lyon, déjà cité.
135 Institut Panos Paris, « Quand les immigrés
du sahel construisent leur pays », synthèse de l'étude
« Migrations et développement» réalisée
par Christophe DAUM, L' Harmattan, 1993. : A propos des immigrés
étant retournés dans leurs pays pour y faire valoir leurs
expériences acquises durant la parcours migratoire, l'auteur de
l'étude note : « le très faible nombre qui ont fait
valoir les droits acquis pour la retraite, bien qu'ayant naturellement
cotisé pendant leur temps salarié en France. On ne
dénombre que de très rares retraités qui touchent
effectivement une pension dans leur village ».
136 Institut Panos Paris, op.cit.
102
o Une réticence de la part des administrations
publiques locales et régionales à travailler avec les structures
associatives morcelées et n'ayant pas une assise géographique
importante au niveau régional ou national. Pour illustrer ce
fait, voici ce que nous a rapporté un acteur associatif, membre d'un
réseau d'OSIM :
« La DAIC137 lance tous les ans un appel
à projets pour l'intégration des migrants en France. Mais ils ne
s'intéressent qu'à des associations nationales,
c'est-à-dire comme la Croix-Rouge. Or, le déficit de nos
associations des migrants, c'est qu'elles ne sont pas nationales. Notre
collectif a répondu il y a 3 ans à un appel à projets de
la DAIC et c'est ce qui nous a été répondu. Nous voulions
prendre en charge la formation des primo-arrivants. Nous pensions que ce sont
les migrants qui peuvent mieux comprendre les migrants mais la réponse
qui nous a été opposée c'était : « Vous
êtes à Lyon , mais pas à Bordeaux, ni à Strasbourg.
Et on a besoin d'une association qui recouvre l'étendue du territoire
pour faire le même travail partout où il y a des primo-arrivants
».
Aussi nous sommes-nous demandé si le Forum des
Organisations de solidarité issues des Migrations (FORIM) qui revendique
700 associations et collectifs d'associations de migrants de France sur son
portail internet (dont certains collectifs associatifs subsahariens du
Rhône) n'était pas en capacité de porter des projets
d'accompagnement à l'intégration des migrants à
l'échelle nationale. Mais pour notre interlocuteur, la réponse
était sans ambiguïté:
« C'est là même la faiblesse de ce genre
de choses(...) Si vous voulez que le FORIM existe , il faut qu'il ait les pieds
enracinés dans les régions(...)Or, même si au FORIM ils ont
redéfini leur stratégie en 2010, en acceptant de travailler avec
nous parce qu'ils ont vu là-bas à Paris que notre collectif
ça marchait et qu'on ne leur faisait pas de l'ombre, eh bien vous voyez
qu'ils peinent toujours à créer les COSIM [ Collectif des
organisations de solidarité issues des migrations] dans d'autres
régions. Et aujourd'hui, c'est à peine s'ils ne demandent pas au
COSIM Rhône-Alpes d'aller créer d'autres COSIM ailleurs(...) Tout
ça c'est pour dire que nous les migrants nous sommes quand même
porteurs de bonnes idées. Si aujourd'hui le FORIM marche, il le doit en
partie à notre collectif(...) Pour autant, la faiblesse est
là-dedans. Si on avait été des gens capables de comprendre
que nous avons là un outil formidable et puissant, nous irions frapper
à la porte de l'Union Européenne pour présenter un projet
fort et lever des subventions(...) On a les personnes [les compétences
nécessaires] mais on n'arrive pas à avoir le pouvoir. On ne peut
pas que se contenter de la petite subvention que donne le Ministère de
l'Intérieur...c'est vraiment lamentable !!! »
Or, dans le statut de ce collectif « national »,
au-delà de la coordination des actions de solidarité et de
développement des pays d'origine, l'accompagnement à
l'intégration est un des domaines dits prioritaires et ce d'autant
qu'aux yeux de certains responsables associatifs qui se sont exprimés
dans le cadre de cette enquête, les axes d'intervention
développés par le PDI du Rhône sont « prenables »
par les associations des migrants subsahariens. Toutefois, pour un de nos
répondants:
« (...) on ne le pourra que si nous sommes
organisés. Nous ne sommes pas organisés. Moi, j'ai l'art d'aller
chercher la bonne information. Quand la Mairie de Lyon et les autres nous
disent 'Si vous voulez parler, organisez-vous'', eh bien on comprend que c'est
l'organisation notre point faible »
137 LA DAIC c'est La direction de l'accueil, de
l'intégration et de la citoyenneté , chargée de
« l'ensemble des questions concernant l'accueil et
l'intégration des populations immigrées s'installant de
manière régulière et permanente en France. Dans ce cadre
elle assure l'élaboration, l'impulsion, la mise en oeuvre ainsi que le
suivi de mesures liées à l'intégration de ces personnes.
Ainsi, elle veille à la prévention des discriminations
liées à l'origine et à l'égalité des
chances, et ce par des actions telles que l'apprentissage de la langue
française comme facteur premier de l'intégration, l'accès
à l'activité professionnelle et la lutte contre les
discriminations, l'égal accès des populations d'origine
immigrée aux services publics et aux droits sociaux ou le suivi de
l'ensemble des conditions de logement des populations immigrées et
notamment celles concernant les foyers de travailleurs migrants ».
Portail internet du Ministère français de l'intérieur.
103
o Selon certaines administrations locales, le secteur
de l'insertion apparait déjà trop saturé par un nombre
important de structures d'insertion138. Par conséquent,
certaines organisations associatives se sont recentrées uniquement sur
le développement solidaire avec les pays d'Afrique. Un acteur associatif
d'origine immigrée à Lyon en témoigne:
« Moi, je me suis tourné vers l'Afrique. Une
copine à moi, une immigrée africaine elle aussi, voulait
créer une structure d'insertion comme ça. Et nous avons
été voir la DDASS139 à Lyon et elle nous a
répondu qu'elle était déjà submergée par des
structures comme ça. Parce que nous on travaillait sur les nouvelles
formes d'esclavage en ce qui concerne les femmes et en particulier des femmes
africaines. Donc nous avions cette idée là et c'est la DDASS qui
nous répondu que même si nous procédions à la
création de quelque chose maintenant, ce serait saturé et que
nous n'aurions pas les moyens pour durer parce qu'il y en a trop. À
force de créer encore et encore, à la fin, les gens ne veulent
plus donner de l'argent pour tout ça . Tant qu'il n y a pas d'offre ou
de demande, tu ne peux pas faire vivre une structure».
Or, il nous est apparu qu'il existait une demande forte en ce
qui concerne notamment la prise en charge des migrants âgés dans
les foyers de travailleurs migrants, mais est-elle connue des associations
africaines du Grand Lyon dont une part importante du public âgé
est originaire du continent? En supposant que les retraités veuillent
tous retourner dans le pays d'origine pour y passer leur retraite et y vivre
leurs derniers jours, il se pose parfois la question de la
transférabilité de leurs droits sociaux ( retraite y compris).
L'Assemblée des sénégalais de l'Extérieur s'est par
exemple penché sur la question en avril dernier en région
parisienne et des propositions ont été soumises au gouvernement
sénégalais nouvellement élu. Les retraités ou les
migrants âgés qui font le choix du retour au pays de départ
peuvent être confrontés à ce type de difficultés.
Est-ce une préoccupation pour les associations de migrants dans le Grand
Lyon?
« Mais chacun endure sa galère pour le moment.
Tant que quelque chose ne t'habite pas dans la tête, ça ne pourra
pas venir dans les gestes. Dans la tête des gens, je suis né
là-bas et j'irai mourir là-bas& », déplorait
un des acteurs associatifs rencontrés.
Serait-il par conséquent exagéré
de conclure que l'intégration des migrants subsahariens du Grand Lyon se
fait sans les migrants eux-mêmes?
Pour certains de nos répondants, cela ne fait pas de
doute. Une des raisons évoquées étant qu'au sein des
associations elles-mêmes: « Il y a une lutte acharnée
entre les migrants pour la captation des ressources publiques et le
pouvoir» et qui les éloigne des sujets essentiels.
Ajoutés à cela un important problème structurel,
opérationnel et une difficulté à identifier et mobiliser
les compétences, d'où qu'elles procèdent: migrants,
non-migrants, étrangers ou nationaux, au niveau local ou transnational.
Aspects sur lesquels nous reviendrons dans le chapitre consacré aux
réseaux diasporiques.
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