Section 2 - La responsabilité des
ingénieurs spécialisés
1 Cd Civ Algérien Art 554 Cd Civ
Égyptien Art 651
2 Ap de Rabat Ar du 28 Décembre 1938 :
Responsabilité in solidum de l'architecte avec l'entrepreneur
pour des dommages à la villa du maître d'ouvrage
conséquents à l'utilisation d'un sable argileux.
3 EL ARARI (A), ÈÑÛã
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ÓÏäåãáÇæ
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ÉíÏÞÚáÇ
ÉíáæÄÓãáÇ ,
Traduction Libre: La responsabilité contractuelle de l'entrepreneur et
de l'architecte au Maroc, , Rabat, DAR AL AMANE, 2010, p 162
4 Sup Ar du 9/6/1971 in Revue des
arrêts de la cour suprême N° du 23 Octobre 1971
5 Art 164 du DOC stipule : « La solidarité
entre les débiteurs ne se présume point ; elle doit
résulter expressément du titre constitutif de l'obligation, de la
loi, ou être la conséquence nécessaire de la nature de
l'affaire. »
6 V Art 99 du DOC
7 V Art 100 du DOC
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législation
Afin de réaliser un projet de construction, le
maître d'ouvrage fait appel à des ingénieurs de
différentes spécialités et dont les responsabilités
ne sont délimitées que par le contrat ou par les us et
coutumes du secteur : l'ingénieur de Béton Armé,
l'ingénieur Géotechnicien, l'ingénieur
Géomètre Topographe, l'ingénieur de fluides,
l'ingénieur électricien et l'ingénieur Contrôleur.
Certes, lorsque le projet de construction dépasse une certaine
importance, le maître d'ouvrage peut faire appel à d'autres
spécialités d'ingénierie tels les ingénieurs
thermiciens, acousticiens, etc...
La responsabilité juridique de l'ingénieur, que
celui-ci oeuvre dans le secteur public ou privé, s'est
considérablement développée voire accrue durant ces
dernières années : mises en cause pénale, civile ou
administrative, et ce à l'initiative d'une ou de plusieurs victimes,
d'une entreprise concurrente, ou exceptionnellement de l'employeur. En d'autres
termes, l'exercice de la profession d'ingénieur ne se conçoit
plus sans une analyse préalable du risque juridique.
Cette évolution est due à plusieurs facteurs
:
- une « judiciarisation » des relations sociales et
professionnelles : ceux qui s'estiment ; à tort ou à raison ;
fondés à demander des comptes à l'ingénieur sur son
action, qu'ils considèrent comme fautive, le font désormais
fréquemment par la mise en oeuvre d'une action judiciaire. Il s'agit
pour eux de trouver et désigner un « responsable » du dommage
causé, et un débiteur (si possible solvable) pour réparer
financièrement ce dommage. D'ailleurs cette situation est très
observée en matière de responsabilité médicale;
- le législateur français ; plus que le
législateur marocain ; a certainement contribué lui-même
à cette évolution des comportements : sensible à
l'évolution des mentalités vers la « victimisation »,
les textes spécifiques dans les domaines les plus variés se sont
multipliés et permettent ainsi la mise en cause ; y compris
pénale ; des décideurs au sens large et des professionnels
prescripteurs (mise en danger d'autrui, harcèlement moral,
discrimination...). Ainsi, la sophistication des biens et services offerts
s'accompagne d'une exigence concomitante du « risque zéro »
dans l'esprit des usagers et des consommateurs, induisant la mise en cause
subséquente de l'homme de l'art. Notons que la science de gestion des
risques a démontré que le risque « égal zéro
» n'existe nulle part ;
- enfin et à vrai dire, l'évolution, la
complexité et la sophistication du métier de l'ingénieur
lui-même participent à cette augmentation du risque juridique :
les fonctions exercées sont de plus en plus étendues (conception
et réalisation technique d'un équipement ou d'un produit, conseil
ou expertise scientifique et technique sur une organisation, la mise en place
d'un procédé de construction, encadrement de personnes gestion
d'une équipe, etc...)
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- les secteurs d'intervention évoluent également
dans des domaines nouveaux et à risque (environnement, industrie
agroalimentaire, ingénierie de la sécurité,
développement durable etc...).
La position de l'ingénieur est à la
croisée des chemins entre la prise de décision et la mise en
oeuvre d'une décision. Dans certaines situations, l'ingénieur
peut subir des contraintes directes ou indirectes d'ordre politique,
hiérarchique, économique, social et culturel, qui
échappent à son contrôle et à son arbitrage, sans
que ces circonstances extérieures valent pourtant pour lui
exonération de responsabilité.
Devant le constat de l'augmentation du risque juridique,
l'ingénieur ne doit pas pour autant trouver dans ces
considérations une excuse à freiner son activité et
inhiber ses initiatives. Par contre, il doit mettre en garde ses mandants le
cas échéant, et si nécessaire en prendre la parfaite
mesure et être suffisamment informé des risques lui permettant de
concevoir et réaliser son action avec toute la prudence et le
discernement que le maitre d'ouvrage et les entreprises ont droit d'attendre
d'un homme de l'art.
§ 1 - Responsabilité civile des
ingénieurs dans le cadre du DOC
Contrairement à l'unicité de
spécialisation du métier d'architecte, celui de
l'ingénieur renferme plusieurs spécialités. Il serait
difficile d'étudier la responsabilité de chaque métier
mais nous nous contenterons des principales d'entre elles à savoir
l'ingénieur BET, l'ingénieur géotechnicien et
l'ingénieur contrôleur.
La première spécialité rencontrée
sur un chantier est celle de l'ingénieur de Béton Armé
appelé communément Bureau d'Études Techniques (BET) ou
encore ingénieur déstructure.
Sa responsabilité peut être mise en cause en cas
de pathologie de l'ouvrage trouvant son origine dans une faute de calcul ou de
conception d'une structure porteuse ; et qui n'est autre que la personne
physique ou organisme clé pour la solidité et la stabilité
de l'ouvrage. Le BET comprend un ou plusieurs ingénieurs qui seront
chargés par le maître d'ouvrage d'étudier les structures de
l'ouvrage et de dresser les plans d'exécution tels les plans de
coffrages et les plans de ferraillages.
Les plans réalisés par le Bureau d'Études
sont faits et conçus sur la base des plans de l'architecte. Le bureau
d'études essaie de respecter l'idée architecturale avancée
par l'architecte tout en veillant à la solidité et la
stabilité de l'ouvrage.
Comme l'architecte, le bureau d'études est un
prestataire de service et ne participe pas à l'exécution des
travaux.
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Il est actuellement impensable de réaliser un ouvrage
important sans faire appel à ingénieur géotechnicien ou
désigné aussi par l'appellation « laboratoire
géotechnique ». Son rôle est d'étudier le sol et de
déterminer ses principales caractéristiques afin de
dégager, cerner et contrecarrer les difficultés de construction
liées à la nature et la morphologie du sol et proposer par
delà un système de fondations adéquat. Certes, l'appel
à ce genre d'organisme n'est pas toujours automatique et non obligatoire
dans toutes les constructions mais néanmoins son association aux grands
projets n'est plus discutable.
Le laboratoire géotechnique est aussi un prestataire de
service et ne participe donc pas à l'exécution des travaux.
Sa responsabilité pourrait être retenue au cas
où l'origine des dommages émane d'un vice de sol
L'ingénieur Contrôleur appelé aussi Bureau
de Contrôle Technique (B.C.T): a pour mission de contribuer à la
prévention des différents aléas techniques susceptibles
d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages.
Il intervient à la demande du maître de l'ouvrage
et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d'ordre
technique. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la
solidité de l'ouvrage et la sécurité des personnes.
D'ailleurs, en assurance décennale, son intervention est obligatoire.
A travers son intervention, le rôle du bureau de
contrôle est donc de minimiser les risques et diminuer par
conséquent les accidents sur chantier ainsi qu'après la
réception des travaux.
Le bureau de contrôle est aussi un prestataire de
service et ne participe donc pas à l'exécution des travaux vu le
rôle important joué par le BET dans la réalisation de
l'ouvrage, sa responsabilité est sont entretienne pour des dommages
constatés en période décennale.
Les sociétés de coordination : Leur rôle
est de veiller à la coordination entre les différents corps
d'état dans un chantier. Le déroulement des différentes
tâches dans le temps est d'une importance capitale afin de respecter le
planning arrêté lors de l'ouverture du chantier. Les
sociétés de coordination sont généralement
gérées par des ingénieurs qui ont une grande et longue
expérience dans la construction. Mais on peut noter que les
maîtres d'ouvrages ne font appel à ces sociétés que
dans le cas d'ouvrages assez importants.
Ces sociétés sont aussi des prestataires de
service et ne participent donc pas à l'exécution des travaux.
Le métier d'ingénieur dans son contexte
général est un métier technique utilisant des
règles de calcul dont les hypothèses sont basées sur la
connaissance d'un coté de la réaction des matériaux face
à des situations de travail et de contraintes spécifiques, et
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d'autre part par la connaissance des méthodes
d'exécution des travaux utilisés par les entreprises pour la
réalisation des projets dont ils ont la responsabilité.
Le Dahir des Obligations et Contrats a consacré une
série d'articles allant de l'article 746 à l'article 758 bis au
louage de service et de travail. Mais, il y a lieu de préciser que ces
articles semblent ne pas s'adapter aux contrats d'ingénierie mais
s'adaptent beaucoup plus aux contrats de travail liant des employeurs à
leurs employés. Ils relatent plus une relation de subordination alors
que la relation qui lie ces différents ingénieurs au maître
d'ouvrage n'est nullement un contrat de travail mais un contrat à
caractère commercial, donc un contrat d'entreprise.
La responsabilité contractuelle est plus explicite dans
la partie réservée au louage d'ouvrage. Par ailleurs, c'est
l'article 769 qui a défini la responsabilité de
l'ingénieur quand à la solidité de l'ouvrage pendant dix
ans et ce à compter de l'achèvement des travaux. Cet article
retient clairement la responsabilité de résultat et écarte
le soupçon de responsabilité de moyens. L'article 769 retient la
responsabilité de l'ingénieur en cas d'écroulement ou de
menace d'écroulement dus à un vice de construction qui se
comprend comme une faute d'exécution de travaux, aux vices des
matériaux ou au vice de sol.
Même si les investigations de l'ingénieur
géotechnicien responsable de l'étude géotechnique du sol
se basent sur des sondages ; en l'occurrence sur des probabilités ;
l'article retient sa responsabilité dans le sens d'obligation de
résultat. En d'autres termes, si un sinistre trouve son origine dans le
sol soit par un tassement différentiel par exemple ou une circulation
d'eau souterraine entrainant des pathologies de l'ouvrage et se traduisant par
un écroulement ou une menace d'écroulement ; même partiel
soit il ; la responsabilité de l'ingénieur géotechnicien
peut être retenue et sera de ce fait débiteur de réparation
à l'égard du maître d'ouvrage. Particulièrement,
cette situation des ingénieurs géotechniciens est délicate
vu que ces derniers défendent toujours le concept de
responsabilité de moyens puisque leur travail scientifique se base sur
des sondages et des calculs de probabilité et de statistiques.
Le même raisonnement peut être appliqué aux
ingénieurs des Bureaux de Contrôles puisque ces derniers exercent
leur contrôle non pas sur la totalité de l'ouvrage mais seulement
sur les éléments de la structure porteuse les plus
vulnérables donc les plus chargés en général. Comme
les géotechniciens, les contrôleurs travaillent par sondage.
Actuellement, une grande discussion sur l'obligation des
ingénieurs et sa nature : est elle une obligation de moyens ou au
contraire une obligation de résultats? Cette question nous renvoie aux
méthodes utilisées : sont elles des méthodes techniques
approuvées dans le temps et de ce fait peuvent produire des
résultats certains ou par contre sont elles des méthodes
probabilistiques et ne sont donc fiables que dans une certaine proportion.
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L'article 769 du DOC retient la responsabilité des
trois intervenants ; l'architecte, ingénieur et entrepreneur ; en cas de
pathologie liées au vice du sol. Explicitement, le vice de sol est
considéré comme une obligation de résultat et non de moyen
alors que la géotechnique en tant que science étudiant la
géologie du sol à un niveau micro et non macro et de sa
constitution ne se base que sur des sondages éparpillées sur le
terrain qui recevra l'ouvrage. Ces résultats d'études
géotechniques peuvent être faussés par la non
détection d'un karst1, ou encore une couche d'argile
compressible non détectée entre deux sondages. Cette situation
des ingénieurs géotechniciens pourrait être comparable
à celle des médecins : L'obligation du médecin est une
obligation de résultat ou de moyen ? Est ce que le médecin qui
prescrit un traitement à son patient est responsable de la
guérison de ce dernier ?
En d'autres termes, l'intervention des ingénieurs
diffèrerait d'une spécialité à une autre et de ce
fait leur responsabilité serait différente selon leur
intervention et leur spécialité.
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