PARTIE I : LA RESPONSABILITÉ CIVILE
DES DIFFÉRENTS INTERVENANTS DANS L'ACTE DE CONSTRUIRE
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 10 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
Chapitre I - La responsabilité civile des
concepteurs de projets et ses limites
Le principe de la responsabilité civile n'est nullement
propre au secteur de la construction. C'est un vieux principe d'après
lequel tout dommage causé à autrui oblige celui par la faute
duquel il a été causé à réparer lorsqu'un
lien de causalité a été démontré comme
existant entre le dommage et l'acte commis. « La responsabilité
civile consiste à assurer à la victime la réparation d'un
dommage causé par un tiers. Par conséquent, elle ne se
conçoit traditionnellement qu'en présence d'un dommage
déjà réalisé, qu'il convient
précisément de réparer. »1
Le fait dommageable engendre une obligation légale
à la charge de l'auteur qui en est débiteur à
l'égard de la victime. La réparation se fait
généralement en numéraire au profit de la victime ou de
ses ayants droit. La responsabilité civile n'est donc pas fondée
que sur des préoccupations juridiques, mais également
fondée sur des préoccupations morales. Il est important que le
responsable d'un dommage le répare.
La responsabilité civile se rapproche par certains
aspects de la responsabilité pénale. Les deux formes peuvent se
combiner notamment lorsqu'il y a constitution de partie civile. Toutefois
à la différence de la responsabilité pénale, elle
est plus générale et n'est pas limitée : on enregistre de
plus en plus une évolution des faits entraînant la
réparation sur la base de la responsabilité civile. D'ailleurs,
on peut constater l'évolution de la responsabilité civile vers
une responsabilité civile préventive qui peut être «
sollicitée non seulement pour réparer un dommage actuel et
certain mais également pour prévenir un simple risque de dommage
qui ne s'est pas encore réalisé »2.
La condition sine qua non de la mise en oeuvre de la
responsabilité civile réside dans le fait de l'existence d'une
faute engendrant un dommage causé à autrui. L'importance du
dommage, le taux et la gravité du préjudice détermineront
la réparation nécessaire : à dommage total,
réparation totale. Par ailleurs, l'existence de plusieurs fautes ; quand
elles ont été à l'origine de la réalisation du
dommage ; peut entraîner un partage de la dette de réparation. Tel
le cas lorsque plusieurs personnes concourent à la réalisation du
dommage. Cette situation peut être illustrée par un cas courant
où le Bureau d'Études commet une faute de conception au niveau du
dimensionnement d'une structure porteuse et le bureau de contrôle ; qui
est censé
1 Bacache-Gibeili (M), Droit civil, T5, Les obligations, la
responsabilité civile extracontractuelle, Beyrouth, Éditions
DELTA, 2008, P 3
2 Ibid
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 11 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
contrôler son travail ; confirme son travail et donc
laisse passer la faute. Dans ce cas précis, la responsabilité
peut être partagée entre le BET et le BCT.
Il faut noter que l'ensemble des principes de la
responsabilité civile est régi par le DOC.
En résumé, la responsabilité civile est
couramment définie comme étant l'obligation mise à la
charge d'un responsable de réparer les dommages causés à
autrui en raison de sa faute.
La responsabilité civile doit être
distinguée de la responsabilité pénale. En fait le
préjudice causé à autrui dans le cadre de la
responsabilité pénale est un préjudice social et une
atteinte à l'ordre public. Il est suffisamment grave pour provoquer une
forte réprobation sociale et être érigée en
infraction tels l'homicide volontaire; l'émission de chèque sans
provision; le vol, etc...
Dans le cas de la responsabilité pénale, la
sanction est répressive et se traduit éventuellement par
l'emprisonnement, la privation de carnet de chèques, etc..
A travers et par la responsabilité civile, le droit
cherche à assurer aux individus la réparation de leurs dommages
privés afin de remettre les choses en état de rétablir un
équilibre. Dans ce cas, la sanction est indemnitaire et non
répressive.
La responsabilité peut dériver d'un contrat
produisant une responsabilité contractuelle régie par les
articles 723 et suivants du DOC et relatifs au contrats de louage de service ou
de louage d'ouvrages par opposition à la responsabilité
délictuelle ou quasi délictuelle régie par les articles 77
et suivants du DOC et qui oblige le responsable à réparer un
préjudice causé à autrui n'ayant aucun lien juridique avec
le responsable fautif au moment de la constatation du dommage. D'ailleurs, dans
le cadre de la construction, les deux types de responsabilité civile
peuvent cohabiter, se produire simultanément ou
séparément. Le cas pouvant illustrer ces situations
engendrées par un seul et même sinistre se résume en
l'écroulement d'une partie de l'ouvrage sur une rue touchant un passant
et dégradant l'entrée d'un magasin. Ce type de sinistre
générerait éventuellement trois types de dommages
engageant ainsi la responsabilité civile des intervenants dans l'acte de
construire.
En premier lieu, ce genre de sinistre génère des
dommages à l'ouvrage en cours de construction ce qui mettra en jeu la
responsabilité civile contractuelle des intervenants vis-à-vis du
maître d'ouvrage. Par ailleurs, cet écroulement va se traduire par
un dommage corporel touchant le passant et engageant ainsi la
responsabilité civile des intervenants vis-à-vis des tiers. En
dernier lieu, ce sinistre produira des dommages matériels correspondant
à la détérioration de l'entrée du magasin (dommage
matériel) ainsi qu'une perte d'exploitation (dommage immatériel)
due à la fermeture pour
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 12 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
réparation ce qui mettra en jeu la
responsabilité civile extracontractuelle des intervenants.
Ce genre d'accident illustre à quel point la
responsabilité civile des intervenants peut être importante voire
énorme suite à un sinistre. Cette remarque nous amène
à faire un lien entre le développement de la législation
et celui des assurances et des couvertures pouvant être offertes par les
assureurs au Maroc.
Il apparait clairement que le Maroc devrait se doter d'une
législation propre au secteur de la construction et l'harmoniser avec le
code des assurances afin de protéger, aussi bien les acteurs
économiques représentés par les promoteurs, les
intervenants dans l'acte de construire que le consommateur marocain.
D'ailleurs, si les compagnies d'assurance connaissent de
grandes difficultés à réassurer les risques marocains en
responsabilité civile, c'est en partie à cause de l'inexistence
et de l'absence de lois propres au secteur de la construction. Cette situation
défavorise, en grande partie, les professionnels du secteur de la
construction et génère de ce fait des litiges importants entre
maître d'ouvrage et professionnels du secteur de BTP.
Afin de délimiter la responsabilité tant
contractuelle que quasi délictuelle de chaque intervenant dans l'acte de
construire, il nous parait nécessaire de définir la fonction de
chacun de ces intervenants. Cette définition nous parait importante au
vu de l'amalgame et de la confusion souvent constatées dans les
différentes publications sur la fonction de l'architecte ainsi que celle
des ingénieurs. Cette confusion est d'autant plus marquée dans la
langue arabe par l'utilisation du mot « ingénieur » tant pour
les ingénieurs1 que pour les architectes2.
Par ailleurs, à ce jour le DOC ne définit
nullement les appellations et codifications des différents intervenants
dan l'acte de construire.
La définition et délimitation de fonction
permettrait aussi de comprendre dans quelle mesure la responsabilité
in solidum peut être utilisée en cas de litige ou de
conflit entre intervenants dans l'acte de construire3.
La responsabilité contractuelle de ces prestataires de
service ne pourra être engagée que s'il est apporté la
preuve :
- d'un comportement fautif,
- d'un préjudice,
1 LÏäåãáÇ
2
íÑÇãÚãáÇ L
ÏäåãáÇ
3 On a évité d'utiliser le mot
constructeur pour qualifier l'architecte ainsi que les prestataires de service
dans l'acte de construire tel qu'il est défini dans l'article 1792 du
code civil Français vu que ce terme est encore utilisé au Maroc
pour désigner l'entrepreneur (entreprise de construction) ou le
promoteur dans certains cas.
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 13 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
- d'un lien de causalité entre ce comportement fautif et
le préjudice allégué.
Le comportement fautif serait interprété comme
tout manquement aux obligations prévues explicitement ou
découlant implicitement du contrat qui lie le prestataire (ou
l'entreprise dont il dépend) à l'autre partie.
Le comportement fautif pourrait ainsi s'agir de l'une (ou
plusieurs) des situations suivantes :
- d'une inexécution totale des obligations
contractuelles (absence de livraison d'un matériel, d'une commande,
d'une étude...),
- d'un simple retard dans l'exécution (retard dans les
délais dans lesquels le prestataire s'était engagé
à fournir sa prestation intellectuelle ou matérielle ...),
- ou d'une exécution dite défectueuse des
obligations (Exemple : préconisations de l'ingénieur qui se
seraient avérées dangereuses pour l'entreprise
conseillée...).
Si les obligations explicitement prévues dans le
contrat (obligations dites principales) ne posent guère de
difficultés pour être identifiées, il y a lieu de noter que
les tribunaux imposent d'autres obligations aux prestataires de service et
particulièrement à l'ingénieur, liées à sa
qualité d'homme de l'art, qui découlent implicitement du contrat
(obligations dites accessoires) et que l'ingénieur se doit pourtant de
respecter : il s'agit par exemple de l'obligation de conseil, du devoir
d'informer l'autre partie des éventuels risques liés à la
mise en oeuvre de telle ou telle préconisation, de l'obligation de
s'assurer de la sécurité des biens et des personnes dans
l'utilisation de tel ou tel outil ou dans la mise en oeuvre de tel ou tel
process industriel ou technologique...
Le présent chapitre traitera de la
responsabilité civile tant des architectes que des ingénieurs en
essayant de démontrer la difficulté de délimitation de
leurs responsabilité quasi délictuelle.
Section 1 - La responsabilité civile des
architectes en tant que maîtres d'oeuvres
Le rôle de l'architecte dans la gestion et le suivi de
chantier est d'une importance capitale en tant que maître d'oeuvre. Il
représente le maître d'ouvrage auprès de tous les
intervenants responsables de la réalisation du projet et veille au
respect de la
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 14 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
réglementation. Sa responsabilité est
très grande en cas de pathologie ou d'effondrement de
l'ouvrage.1
§ 1 - La fonction de l'architecte selon la loi
016-89
La profession de l'architecte est précisée par
l'article 1 de la loi N° 016-89 relative à l'exercice de la
profession d'architecte et à l'institution de l'ordre national des
architectes promulguée par Dahir n°1-92-122 du 10 septembre
19932.
L'architecte est la personne qui conçoit l'ouvrage et
détermine son programme selon sa destination. Il a un rôle
primordial dans la conception, la fonctionnalité et l'intégration
de l'ouvrage dans son environnement. Il fait partie des premières
personnes contactées par le maître d'ouvrage en vue
d'arrêter les premières esquisses et le choix de l'option
définitive de l'architecture de l'ouvrage. L'architecte est
généralement maître d'oeuvre pour les ouvrages qui ne
posent pas de difficultés techniques majeures. Dans le cas contraire,
deux possibilités peuvent être envisagées : - soit que la
maîtrise d'oeuvre est déléguée conjointement
à l'architecte et au bureau
d'études;
- soit que l'ouvrage pose des difficultés techniques
pouvant dépasser les
compétences de l'architecte ainsi que celles du bureau
d'études, auquel cas le maître d'ouvrage fait appel dans ce cas
à un groupement d'ingénieurs appelés en
général Ingénieurs conseils et qui possèdent les
moyens humains et techniques pour suivre de tels chantiers.
On tient à rappeler que la loi Marocaine N° 016-89
relative à l'exercice de la profession d'architecte et à
l'institution de l'ordre national des architectes promulguée par Dahir
N° 1-92-122 du 10 septembre 1993 exige de l'architecte un engagement
vis-à-vis du maître d'ouvrage pour suivre les travaux de
construction. D'ailleurs le permis de construire n'est délivré au
maître d'ouvrage que si les plans réalisés par l'architecte
comportent tous cet engagement écrit et signé.
1 Dans les deux affaires d'écroulement qui se sont
soldées par la mort de personnes (Kénitra en 2008 et Marrakech en
1989), la première personne qui a été inculpée et
mise en examen par la justice était l'architecte avant de rechercher la
responsabilité éventuelle des autres intervenants.
2Art 1 de la loi N° 016-89 : «
L'architecte est chargé de la conception architecturale des
bâtiments et des lotissements, de l'établissement des plans y
afférents et de la direction de leur exécution.
Il peut être également chargé du
contrôle de la sincérité des mémoires comptables des
entrepreneurs qui concourent à la réalisation des travaux
afférents aux actes précités.
Sous réserve des cas où la loi impose le recours
à un architecte pour l'accomplissement d'actes déterminés,
l'architecte assure tout ou partie des actes prévus au présent
article suivant le mandat qu'il reçoit de son client. »
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 15 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
Par ailleurs, l'article 181 de la loi N°
016-89 précise l'incompatibilité de conception des projets et
exécution des travaux et interdit de ce fait à l'architecte de se
substituer à l'entreprise.
Il parait d'une façon claire que l'architecte est un
prestataire de service et ne participe pas à l'exécution des
travaux.
L'exercice de la profession d'architecte est
réglementé et la contrevenance à cette
réglementation est punie pénalement comme le précise
l'article 282 de la même loi
Par ailleurs, les architectes doivent contracter
obligatoirement une police d'assurance couvrant leur responsabilité
professionnelle tel le précise l'article 26 " ...une assurance couvrant
tous les risques dont il peut être tenu pour responsable etc.."
Par ailleurs, la loi 12.90 relative à l'urbanisme et
promulguée par Dahir N° 1-9231 du 15 Hijja 1412 (17 Juin 1992) a
consacré 5 articles (Art 50 54) à l'intervention de l'architecte
et de sa mission.
L'article 54 de la même loi a bien défini les
obligations de l'architecte vis-à-vis du maître d'ouvrage et a
responsabilisé les architectes du suivi obligatoire des travaux et du
contrôle de leur conformité avec les plans architecturaux
autorisés conformément au permis de construire
délivré par l'administration.
Cette remarque est d'une importance capitale vu que plusieurs
chantiers au Maroc ne bénéficient pas de ce suivi des travaux par
les architectes malgré la lourde responsabilité qu'ils
encourent.
Cet article met en avant l'obligation de résultat de
l'architecte dans le cadre de sa mission. Mais cette obligation ne peut
concerner que la partie relative aux études techniques et non les
démarches administratives entreprises par l'architecte en vue d'obtenir
l'autorisation de construire3, l'accord de modification des plans ou
encore le permis d'habiter.
Par contre, la jurisprudence française soutient la
thèse selon laquelle l'entrepreneur est tenu, sur le fondement de
l'article 1147 du Code civil, d'une obligation de résultat, alors que
l'architecte répond, pour sa part, d'une obligation de
moyen4.
1 « L'exercice, à titre privé, de la
profession d'architecte est incompatible avec toute fonction publique non
élective dans les services de l'État, des collectivités
locales ou des établissements publics. Il est également
incompatible avec l'exercice de la profession d'entrepreneur ou industriel,
fournisseur de matières ou objets employés dans la construction
».
2 « Est considéré comme exerçant
illégalement la profession d'architecte et est puni d'une peine
d'emprisonnement de 2 mois à 2 ans et d'une amende de 1.000 à
40.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement etc... »
3 Sup Ar N° 1973 du 16/5/2004 Dos N° 95/1/2169
4 Cas Ch Civ 3 Ar N° 10-21273 du 30 novembre 2011
Mohamed Jamal BENNOUNA Page 16 sur
94
Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
|