§ 3 - L'obligation d'assurance décennale en
Tunisie et influence de la législation sur le montage des polices RC
Décennale et leur réassurance
En matière de législation gérant les
responsabilités des intervenants dans l'acte de construire (après
réception des ouvrages), la Tunisie a connu une série de lois
intéressantes et qui ne manquent pas d'enseignement pour d'autres pays,
tel que le Maroc, qui souhaiteraient généraliser l'assurance
décennale par le biais de l'obligation.
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législation
A - Étapes de ces différentes lois
En matière décennale, la Tunisie a connu une
évolution au niveau de sa législation. - L'article 876 du
C.O.C1 qui date du début du siècle précise que
la responsabilité est quinquennale et se limite à l'effondrement
ou la menace de l'effondrement. En d'autres termes c'est l'équivalent de
l'article 769 du DOC marocain.
- Loi du 10/10/1986 : Loi qui a été faite en
dehors des parties concernées par l'obligation d'assurance. Les
assureurs ; et plus particulièrement les réassureurs ; ont
refusé d'assurer les risques Tunisiens sur la base de cette loi. Elle
est donc restée mort née et par conséquent non applicable.
Mais néanmoins, elle a apporté certains points positifs que nous
examinerons dans ce qui suit.
- Loi du 31/01/1994 : Loi qui est venue remplacer la loi
précédente du 10/10/1986. Contrairement à la
précédente loi, elle a été faite entre les juristes
et les concernés à savoir les assureurs et les intervenants dans
l'acte de construire. Malgré son apparence de loi innovatrice, elle
renferme néanmoins des lacunes qui posent des problèmes entre les
assureurs et les assurés.
B - Étude comparative des différentes
lois
Afin de tirer profit de cette étude comparative de ces
lois, on a regroupé certains points sous deux rubriques à savoir
avantages et inconvénients.
Article 876
Cet article a été instauré durant la
période de colonisation de l'Afrique du Nord par la France. C'est pour
cette raison qu'à la même époque, on trouvait son
équivalent au Maroc.
L'article du COC stipule :
« L'architecte ou ingénieur, et l'entrepreneur
chargés directement par le maître sont responsables lorsque, dans
les cinq années de l'achèvement de l'édifice ou autre
ouvrage dont ils ont dirigé ou exécuté les travaux,
l'ouvrage s'écroule, en tout ou en partie, ou présente un danger
évident de s'écrouler, par défaut des matériaux,
par le vice de la construction ou par le vice du sol.
L'architecte qui n'a pas dirigé les travaux ne
répond que des défauts de son plan.
Le délai de cinq ans commence à courir du jour
de la réception des travaux. L'action doit être intentée
dans les trente jours à partir du jour où s'est
vérifié le fait qui donne lieu à la garantie ; elle n'est
pas recevable après ce délai. »
1 Code des Obligations et Contrats - Tunisie
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Cet article responsabilise les entreprises, ingénieurs
et architectes ; après réception de l'ouvrage ; de la
pérennité de l'ouvrage pendant 5 ans. Seuls l'effondrement ou la
menace d'effondrement sont pris en compte pour que la responsabilité
légale des intervenants soit retenue. Implicitement, les causes de
l'effondrement ou la menace d'effondrement ; selon l'article ; peuvent avoir
plusieurs origines :
? La faute de conception de l'ouvrage;
? La faute d'exécution des travaux ;
? Le défaut des matériaux utilisés dans la
construction ; ? Les pathologies de l'ouvrage dues au sol.
Les mécanismes d'application de l'article 876 du C.O.C
Tunisien sont exactement les mêmes que ceux de l'article 769 du DOC
marocain que nous avons analysé précédemment.
Il faut noter aussi que Jusqu'en 1986, l'assurance couvrant la
responsabilité décennale des constructeurs n'était pas
obligatoire en Tunisie.
Loi du 10/10/1986
Par rapport à obligatoire aussi bien pour les
assurés que pour les assureurs. Mais l'article 876 du C.O.C tunisien,
cette loi a pour objectif de rendre l'assurance de responsabilité comme
il a été dit précédemment, cette loi n'a
jamais pu être appliquée.
a - Nouveautés de la loi du 10/10/1986
Les points forts de cette loi peuvent être
résumés comme suit:
1. Cette loi a rendu responsables non seulement les
intervenants directs mais aussi les fournisseurs (y compris les importateurs)
et les promoteurs. Cela veut dire que la loi vise l'amélioration de la
qualité des produits et matériaux utilisés dans la
construction ainsi que la protection du consommateur Tunisien à l'achat
de son logement.
2. Existence de présomption de responsabilité
des constructeurs (Art 2 dernier paragraphe). En d'autres termes et avec cette
loi, le lésé (qui n'est pas professionnel en
général) n'a plus rien à prouver puisque la
responsabilité interpelle le professionnel de la construction de prouver
que l'faute ne lui incombe pas et prouver ainsi son innocence.
3. La Responsabilité ne se limite pas uniquement au
gros oeuvre mais s'étend également aux équipements qui
font corps indissociable avec l'ouvrage : La
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responsabilité incombe aussi aux entreprises
installatrices de matériels incorporés dans l'ouvrage.
4. Les autres équipements doivent
bénéficier d'une garantie de bon fonctionnement pendant 2 ans
(assurance biennale ) : Même les équipements tels que la
robinetterie, etc... doivent fonctionner correctement pendant deux ans au
moins.
5. Un article entier est réservé au
contrôle technique : le Bureau de Contrôle Technique est
responsable au même titre que les autres intervenants (dans la limite de
la mission qui lui est confiée) : sa responsabilité n'est plus
noyée dans le droit commun mais peut être retenue dans la cadre de
la responsabilité décennale des constructeurs.
6. Le législateur Tunisien a exigé des
intervenants de livrer l'ouvrage à son propriétaire en lui
garantissant une année de parfait achèvement (à partir de
la réception) : le maître d'ouvrage aura le temps de constater
s'il y a des défaillances et les intervenants auront le temps de
réparer.
b - Les difficultés d'application de la loi du
10/10/1986
Malgré les nouveautés apportées par cette
loi, elle est restée néanmoins lettre morte puisque qu'elle n'a
pas pu être appliquée à cause du refus des
réassureurs internationaux l'acceptation des risques Tunisiens.
1. Les intervenants sont responsables des dommages qui
rendent l'ouvrage impropre à sa destination. C'est vraiment le point le
plus contesté de cette loi et qui a empêché son
application. En d'autres termes, n'importe quel sinistre peut rentrer dans
cette rubrique. Prouver qu'un ouvrage est impropre ou non à sa
destination ne peut que créer une situation de confusion et de
malentendu certain et permanent entre assureurs, assurés et tiers
demandeurs. Les limites de ce concept ne sont nullement définis et son
interprétation peut parfois mener à l'impasse. D'ailleurs, le
secteur d'assurance et de réassurance a eu déjà une grande
expérience avec l'application de la loi française dite Loi de
SPINETTA et qui part du même principe d'impropriété
à destination.
2. L'obligation de l'assurance de responsabilité a
été instaurée en l'absence d'obligation du contrôle
tout en sachant que les assureurs refusent de couvrir les ouvrages non
contrôlés.
Les sociétés d'assurance sont obligées
d'accepter les risques sous peine de retrait d'agrément (article 20).
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Par ailleurs aucune structure organisationnelle n'était
prévue en cas de litige entre assureur et demandeur d'assurance.
D'après la loi, l'assureur est obligé d'accepter de couvrir le
risque même s'il est inassurable : On rappelle que l'assureur couvre le
risque à caractère aléatoire c'est à dire non
prévisible et de ce fait, ne couvrira jamais un risque jugé
certain.
3. L'assurance dommage obligatoire : le Maître
d'ouvrage doit souscrire une assurance dommage pour réparer les dommages
en dehors de toute recherche de responsabilité : On est en face de deux
assurances, une pour l'intervenant et une autre pour le maître d'ouvrage.
Cette situation suppose que l'assureur dommages peut faire un recours
automatiquement contre l'assureur de responsabilité lorsque l'faute est
supposée incomber à l'un des intervenants.
Aucun texte ne prévoit le mécanisme ainsi que
les limites de recours des assureurs "Assurance Dommages" contre les assureurs
"Assurance Responsabilité".
Il y a lieu de noter que cette loi a été
pratiquement copiée sur la loi française dite Loi SPINETTA.
D'ailleurs, depuis la promulgation de cette loi en Tunisie, les
réassureurs internationaux ont refusé de réassurer les
risques tunisiens sur la base de cette loi et de ce fait ces derniers
n'étaient pas couverts en assurance décennale pendant plusieurs
années.
Le secteur d'assurance Tunisien était dans l'embarras
puisque la loi était inapplicable au vu du refus des réassureurs
internationaux d'accepter de couvrir les ouvrages tunisiens en
décennale.
Loi du 31/01/1994
a - Avantages de la loi du 31/01/1994
1. En plus des responsabilités des intervenants (y
compris le Bureau de Contrôle), le législateur a retenu
la responsabilité décennale des promoteurs
immobiliers. Ce point revêt une importance capitale aux
yeux du consommateur vu que ce dernier, à l'achat d'un logement, ne
connaît et n'a de contact direct enfin de compte qu'avec le promoteur qui
lui a vendu l'appartement. Il faut reconnaître que cet article de la loi
est une innovation dans le sens de la protection du
consommateur.
2. Art 3 a essayé; tant bien que mal; de
définir la notion d'ouvrage soumis à l'obligation d'assurance au
titre de cette loi.
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3. Le législateur a rendu le contrôle
obligatoire là où il y a obligation de l'assurance RC
décennale. Il est nécessaire de rappeler que l'assurance
décennale ne peut être accordée que si l'ouvrage a
bénéficié d'un contrôle technique tant au niveau de
la conception qu'au niveau de l'exécution.
4. La loi a défini avec exactitude le rôle du
Bureau de Contrôle Technique pour préserver la solidité de
l'ouvrage ainsi que la sécurité des personnes. Elle a fait
ressortir aussi l'incompatibilité entre l'exercice du contrôle
technique et celui de la conception (Art 7 ).
5. En matière de souscription de la
couverture décennale c'est le maître d'ouvrage qui
est tenu de souscrire une garantie décennale pour le compte de tous les
intervenants : obligation d'assurance Responsabilité Civile
Décennale.
6. Le délai de présenter l'action de
Responsabilité Civile Décennale est de 1 an (Art 5), délai
qui est tout à fait raisonnable lorsqu'on sait que les pathologies dans
les constructions ne sont jamais instantanées ( sauf dans des cas
très rares ) mais évoluent dans le temps.
7. L'article 98 stipule qu'à l'exclusion des dommages
causés uniquement au complexe d'étanchéité,
l'assureur répond, avant toute recherche de responsabilité, des
dépenses relatives aux travaux de réparation des dommages.
Si les 2 parties se mettent d'accord pour le montant des
réparations, l'assureur est tenu d'indemniser dans les 100 jours
à compter de la date du sinistre. S'il n'y a pas accord, l'assureur doit
verser 75 % du montant en attendant que le montant définitif de
l'indemnité soit fixé par le tribunal. C'est une sorte de
préfinancement des réparations en attendant que le tribunal
départage les deux parties : assureur et assuré.
c'est presque une assurance
dommages.
8. Contrairement à la loi du 10/10/1986, il n'y a
qu'une seule assurance Responsabilité Civile souscrite par le
maître d'ouvrage, (l'assurance dommages n'existe plus en tant que telle
).
b - Inconvénients de la loi du 31/01/1994
1. Même les ouvrages bâtis sur
l'eau (en particulier les digues) ainsi que les routes sont concernés
par la Responsabilité Civile Décennale. Or on sait combien ce
genre d'ouvrage est soumis à des aléas climatiques qui peuvent
les agresser à
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tout moment. Si nous prenons le cas des ouvrages maritimes
tels que les digues, leur conception se fait à travers des études
de simulation dans les laboratoires vu que l'hydraulique maritime n'est pas
encore totalement maîtrisée du fait que la réaction de la
houle ainsi que celle des courants marins n'est pas encore suffisamment connue
et maîtrisée.
D'ailleurs les sinistres dans ce domaine ne manquent pas. Il
est vraiment difficile de responsabiliser les entreprises de construction pour
ce genre d'ouvrages pendant une durée aussi longue que 10 ans.
2. La responsabilité des fournisseurs
n'est pas explicitement retenue comme l'a fait la loi du 10/10/1986. D'ailleurs
l'article 1 précise que tous les intervenants sont responsables ainsi
que la personne liée au maître d'ouvrage par un contrat : en
dehors
des intervenants habituels (architectes, Ingénieurs,
Experts, BC ), la responsabilité d'un intervenant n'est
établie; aux yeux de cette loi; que s'il y a un contrat direct qui lie
ce dernier au Maître d'ouvrage.
La Tunisie est passée par trois phases comme il a
été dit précédemment. Cette belle expérience
nous enseigne qu'une loi doit prendre en considération l'état
d'évolution de la société. En d'autres termes, la
même loi n'est pas nécessairement valable et applicable dans deux
sociétés de niveaux de développement et de culture
différents.
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