Le traitement des défaillances bancaires des établissements de microfinance( Télécharger le fichier original )par Grégoire TCHOMGUI KOUAM Université de Dschang Cameroun - Master II recherche 0000 |
SECTION 3 : LE RENFORCEMENT DES CAPACITES FINANCIERES DES EMFSi l'importance des normes prudentielles ainsi que le contrôle et la surveillance de leur mise en oeuvre sont des mesures de prévention indéniables des défaillances des EMF, il faut néanmoins noter que ces mesures à elles seules ne peuvent pas suffire pour la réalisation de cet objectif. Il faut, en plus, que l'établissement dispose de fonds nécessaires pour son fonctionnement. En effet, les causes des défaillances sont plus profondes et une opinion relativement majoritaire et constante justifie ces faiblesses par le mauvais encadrement juridique du secteur. Même si on peut difficilement contester cette opinion, il faudrait à notre sens rechercher aussi la cause de ces défaillances au niveau de la volonté ou non des promoteurs d'EMF de consentir des sacrifices pour créer une structure à la dimension de leurs rêves. Mais il ne serait pas sans intérêt d'établir une nette corrélation entre les failles de l'encadrement juridique du secteur et ses conséquences sur le terrain de la pratique. On pense ici à certaines techniques qui, bien que prévues par la réglementation, peuvent en pratique être un moyen de fragilisation des EMF. A titre illustratif, les provisions pour créances douteuses réduisent la rentabilité de l'institution et les pertes sur créances irrécouvrables décapitalisent les EMF184(*). Cet état de situation rend vulnérable les capitaux propre des EMF185(*). C'est sans doute ce qui a poussé l'ANEMCAM à se donner pour objectif de relever les faiblesses des capacités financières des EMF186(*). En réalité, le renforcement des capacités financières des EMF permettra à ceux-ci de faire face à leurs engagements et d'accomplir leurs missions intrinsèques. L'atteinte de ces objectifs passe par l'existence d'un capital social consistant (paragraphe1) ainsi que le respect des conditions de refinancement (paragraphe 2). Mais, il faudrait que les pouvoirs publics déchargent les EMF de lourdes charges fiscales qui pèsent sur eux (paragraphe3) au regard du volet social de leurs activités. PARAGRAPHE 1 : LA CONSISTANCE DU CAPITAL SOCIALL'une des causes majeures des défaillances des EMF est le manque de capitaux propres. Cette opinion est réaffirmée par la majorité des praticiens187(*). Au vue des missions qui ont été assignées aux EMF et compte tenu de la nature de sa clientèle, il serait difficile, voire impossible de faire face à ces missions sans disposer de capitaux suffisants. La clientèle des EMF en Afrique Centrale ne cesse de croître et leurs besoins sans cesse croissants doivent être comblés grâce à la consistance des fonds propres des EMF. De plus le fonctionnement d'un établissement nécessite un budget assez consistant car les différentes charges que l'établissement doit supporter durant son fonctionnement normal sont telles que, si les fonds propres ne sont pas conséquents, ils risquent d'être consumés par les charges du personnel. Or un personnel de qualité, traité de façon satisfaisante, augmente les performances de l'entreprise et assure sa croissance. De même, la consistance des fonds propres est une réelle garantie pour les déposants puisque dans les moments de crise, le patrimoine de l'établissement devient le gage de sa solvabilité. Bien plus, le capital social permettra à l'EMF d'absorber les éventuelles pertes financières liées à des risques de marché de crédit dus à de multiples opérations188(*). En d'autres termes, le capital d'un établissement vise à absorber les pertes afin que ces dernières n'affectent pas les -dépôts. L'EMF doit donc posséder des fonds suffisants qui, au sens de Bruno COLMAN, constituent un « coussin » qui met l'établissement à l'abri de toute crise systémique due à l'effet domino189(*). La question de la consistance du fonds induit celle de « la finance responsable » qui non seulement protège les déposants, mais va au-delà en englobant celui de la pérennité de l'EMF190(*). Fort est donc de constater qu'un EMF a plusieurs défis à relever et que la consistance de ses fonds propres est un début de solution à ces multiples défis. La réglementation CEMAC consacre deux textes respectivement aux fonds propres nets et aux fonds patrimoniaux191(*). Au sens de la réglementation, les EMF doivent déclarer la composition de leur fonds propre ou fonds patrimoniaux à la COBAC afin qu'elle puisse contrôler leur effectivité, leur viabilité et leur consistance. Même si l'article 7 alinéa premier du règlement précité n°01/02/CEMAC/UMAC/COBAC du 13 avril 2002 relatif aux conditions d'exercice et de contrôle des EMF ne fixe pas un capital minimum pour les EMF de la première catégorie, cela ne dispense pas ces derniers de la constitution d'un fonds patrimonial. D'ailleurs lors de la constitution de l'établissement, la COBAC ne peut donner son avis conforme que s'il juge que le fonds constitué peut permettre le fonctionnement normal de la structure. On peut dans ce sens penser à la responsabilité de la COBAC si la structure connait des défaillances peu de temps après l'obtention de l'agrément192(*). Mais comment comprendre une telle disposition dans un contexte où la tendance est favorable pour la consistance du capital social ? Cette curieuse disposition est la preuve du souci du législateur de favoriser l'essor des EMF de type coopératif ou mutuel. Ce souci est d'ailleurs justifié par le volet social qui prévaut dans ces structures. Mais ce mutisme a sans doute son caractère pervers car il pousse à croire que le domaine de la microfinance ne nécessite pas d'importants investissements. Cette conception est erronée. Il peut aussi faire des établissements de la première catégorie un champ d'attraction pour les "escrocs" et les aventuriers de tout ordre qui, après avoir collecté les dépôts des membres, s'évanouiront dans la nature avec les avoirs des membres. Fort heureusement, l'intuitu personae qui prévaut dans ces structures à notre sens limite considérablement ce risque. Seulement, "la confiance n'exclut pas la méfiance" a-t-on coutume de dire. Dans ses alinéas 2 et 3, le même article précité fixe respectivement le capital minimum des EMF de la deuxième et troisième catégorie à 50 et 25 millions. Au regard des ambitions et des défis que la microfinance est appelée à connaître, ces différents fonds sont pour ces établissements un facilitateur ou un obstacle ? Pour répondre à cette question, il faut rappeler que la réglementation donne la possibilité à chaque Etat membre « d'arrêter des niveaux de capital minium plus élevés, après avis de la COBAC si le niveau de développement du secteur de la microfinance l'exige »193(*). Mais à notre connaissance aucun Etat membre n'a exercé ce pouvoir. De plus, bon nombre d'établissements se limitent au minimum fixé par la réglementation. Il faut donc dire que les niveaux de capital minimum fixés par la réglementation peuvent être un frein fonctionnement normal des EMF. C'est peut-être ce qui a justifié la fermeture massive des EMF au Cameroun 2003-2004194(*). Fort de ce constat, l'ANEMCAM a initié des actions de recyclage des ressources des EMF, leur augmentation ainsi que l'amélioration de la qualité de ces ressources195(*). Il revient au législateur d'intervenir pour combler le vide pour ce qui est des EMF de la première catégorie et pour revoir à la hausse les niveaux de capital déjà fixés. Une augmentation au double est suggérée; ce qui a été récemment fait pour les établissements de crédit196(*) mérite de l'être pour les EMF qui souffrent énormément d'un manque de capitaux. La capacité financière des EMF peut être renforcée aussi par le respect des conditions de refinancement. * 184 V. NGAY-MUNGA C., « Gestion des impayés dans une IMF (COOPEC) », RIFIDEC,. Disponible sur le site http://www.draneprairie.com * 185 V. COLMAN B., « Réflexion sur les fonds propres bancaires », Accounting and Tax, Divers, 2009. Disponible sur http://www.google.com * 186 Cet objectif à été adopté dans le projet baptisé « plan d'affaire Triennal 2010-2012 ». Voir projet d'appui au secteur de la microfinance pour une offre viable des services financiers aux micros et petites entreprises, Yaoundé, août 2009. * 187 Sur la cinquantaine d'EMF que nous avons interrogés sur la question, 41 ont cité parmi les causes de défaillances le manque de capitaux. Soit une grande majorité. * 188 COLMAN B., op. cit., p.2. * 189L'effet domino, encore appelé effet de contagion est le fait qu'un EMF défaillant entraine les autres dans la crise à cause de l'aléa moral des déposants qui, par crainte de ne plus pouvoir entrer en possession de leurs dépôts, se précipitent au guichet des EMF et procèdent à des retraits massifs de fonds. * 190 Pour la notion de finance responsable, voir D. MBENGUE, « La finance responsable, la protection des consommateurs et les codes de conduite volontaire », Rapport du forum sur les politiques règlementaires de la microfinance en Afrique du 25 au 27 mars 2009, Kigali, Rwanda, 16 avril 2009. Disponible sur le site http://www.lamicrofiance.org/section/about/ * 191 V. règlement COBAC EMF 2002/03 relatif aux fonds patrimoniaux et le règlement COBAC EMF 2002/04 relatif aux fonds propres nets. * 192 KALIEU Y. , op. cit., p. 451. * 193 Art 7 al. 5 du règlement précité. * 194 V. BAMBOU F., « Cameroun : vague d'assainissement dans la microfinance », Les Afriques n026, 24- 30 avril 2008, p. 6. Cet article révèle que 250 coopératives d'épargne et de crédit exerçant en marge de la réglementation avaient été fermées cinq ans au plus tôt. * 195 NZOYEM G., « Finance émergence, salon camerounais de la microfinance », Spéciale édition ; commentaire, 2008. Disponible sur http://www.financeemergence.org/participant/participant.html/ * 196 Le législateur communautaire est récemment intervenu dans le règlement COBAC R-2009/01 portant fixation du capital social minimum des établissements de crédit, pour revoir à la hausse les niveaux qui avaient cours jusque là. v. KALIEU Y., « Un pas de plus vers l'uniformisation de la législation bancaire CEMAC : Les Règlements CPOBAC R-2009/01 et R-2009/02 du premier avril 2009 portant fixation du capital social minimum des établissements de crédit, fixation de catégories d'établissement de crédit, de leur forme juridique et des activités autorisées », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Dschang, 2009, p.5-16. |
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