Section 2. Des limites tenant à certaines
dispositions de la Charte
Certaines dispositions de la Charte limitent fortement son
application et sa protection envers les citoyens de l'Union. Ainsi, certains
droits ne relèvent que des principes [§ 1] et une clause de «
opting-out » accordée au Royaume-Uni et à la Pologne devrait
exclure l'application de la Charte pour une partie du territoire de l'Union
[§ 2].
§ 1. La distinction entre droits et principes
Contrairement à la Convention qui revendique un droit
qui est justiciable par lui même, la Charte effectue une distinction
entre les droits, inconditionnels ou non, et les principes, conformément
à l'article 52 §5 de la Charte. Il est à noter que les
principes « concernent principalement le chapitre relatif à la
solidarité »294. Ainsi,
« les droits subjectifs supposent une action positive
de la part des institutions de l'Union et des Etats membres, ils sont
directement invocables en justice. En revanche, les principes qui n'ont pas
d'effet directs : ils doivent être observés au cours de l'adoption
des actes législatifs ou exécutifs nécessaires à la
mise en oeuvre des politiques de l'Union, leur évocation devant le juge
n'étant admise que pour l'interprétation et le contrôle de
la légalité de ces actes »295.
Rappelons que « les droits subjectifs sont
définis comme des prérogatives ou les « facultés
d'agir » que le droit objectif consacre et sauvegarde au profit des
sujets de droit »296. La majorité des Etats
européens297 « considèrent en effet les
droits fondamentaux comme des droits subjectifs et comme des normes de droit
objectif »298, capables de produire par eux-mêmes
« des droits au profit des particuliers ; ce sont donc des droits qui
sont directement applicables, dont toute personne peut invoquer la violation
même en l'absence de concrétisation législative
»299.
« La fonction première des droits fondamentaux
est de protéger la sphère privée des personne de la toute
puissance de l'État »300, et dans le cadre de la
Charte, des institutions de l'Union et des Etats membres lorsqu'ils appliquent
le droit de l'Union.
294 supra note 244, CARLIER, point 139
295 supra note 235, DOLLAT, point 173
296 Actes du colloque de Caen, 23 février 1996
publiés sous la direction de Constance GREWE, Questions sur le droit
européen, Presses Universitaires de Caen, Centre de recherche sur
les droits fondamentaux, 1996, 273p, p.163
297 ibid., p.164
298 ibid, p.163
299 ibid.
300 ibid., p.168
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Les personnes physiques, et morales dans une moindre mesure,
sont titulaires des droits fondamentaux. Une distinction traditionnelle, qui
s'est estompée après la Seconde Guerre Mondiale, divisait les
droits fondamentaux des personnes physiques entre les droits de l'Homme et les
droits du citoyen. La Charte reprend cette division, bien que nombre de droits
du citoyen sont également applicables à tout individu.
Pour la Convention, l'édiction de l'article 1 a permis
d'appliquer directement ces dispositions. Mais quant est-il pour la Charte ? En
effet, à aucun moment la « Convention » n'a indiqué un
tel souhait de voir les dispositions de la Charte avoir la force de droits
subjectifs. Peut-on considérer que la Charte est invocable devant le
juge par les particuliers ? Pourtant, « la question de la
reconnaissance des droits subjectifs est théoriquement
indépendante de l'existence ou non d'un recours juridictionnel
»301, mais dans la pratique c'est lors du recours
juridictionnel que le particulier pourra faire valoir ses droits. « A
l'inverse, la reconnaissance de droits subjectifs serait illusoire si leurs
titulaires ne pouvaient les invoquer utilement »302.
Les droits fondamentaux sont également des normes
objectives qui « s'imposent à tous les pouvoirs publics. Ils
dominent l'ensemble de l'ordre juridique et valent pour toutes les branches du
droit, y compris du droit privé »303. «
Que les droits fondamentaux soient considérés comme des
normes de droit objectif n'a rien d'étonnant : les droits subjectifs
reposent sur des normes objectives »304.
Mais la Charte énonce essentiellement des principes,
qui ne permettent pas de
« obtenir d'un juge une prestation positive. Ils ne
constituent que des objectifs politiques. Au mieux, ils interdisent seulement
aux pouvoirs publics de prendre des mesures qui pourraient contrarier les
objectifs poursuivis par ces « principes ». En clair, les principes
ne sont justiciables que si le législateur ne les respecte pas dans le
cadre de son action »305.
Le particulier ne pourra donc se prévaloir de ces
principes que si le législateur national ou l'Union décide de les
mettre en oeuvre.
« Tout déprendra donc de la signification que
l'on accorde à cette notion de mise en oeuvre. Cette dernière
n'intervient-elle que dans les seuls cas où l'objet d'un acte est
explicitement de fixer les conditions d'application du principe ? Une telle
vision ne paraît-elle pas trop restrictive ? S'il est vrai qu'un
particulier ne peut invoquer un principe à l'encontre d'une mesure
individuelle le concernant, ce principe ne permet-il pas de demander au juge
d'apprécier la conformité d'une quelconque législation
dont l'effet serait de remettre en cause ledit principe ? » 306
301 supra note 296, acte du colloque de Caen 1996,
p.166
302 ibid.
303 ibid, p.179
304 ibid, p.181
305 supra note 237, PECHEUL
306 JACQUE, Jean-Paul, Le Traité de Lisbonne - une vue
cavalière, Revue trimestrielle de droit européen, 2008,
p.439
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Si ces principes ne sont pas mis en oeuvre, le juge pourra
cependant avoir le pouvoir de censurer les mesures qui iraient à leur
encontre307.
Les nouveaux droits308 qui ont été
inscrits dans la Charte relèvent plus de principes et donc ne pourront
pas être invoqués directement en tant que tel devant le juge. Il
faudra donc effectuer dans un premier temps « une distinction claire
entre les droits et les principes contenus dans la Charte
»309, d'autant plus qu'il existe des articles mixtes.
Cependant, il est difficile de considérer que l'Union
soit fondée sur une communauté de valeurs alors même que la
Charte ne s'applique pas à tous les Etats membres. En effet, le
Royaume-Uni et la Pologne, ont obtenu un protocole excluant l'application de la
Charte à leur pays310. « Il faut souligner ici un
nouvel instrument de protection des droits, mais regretter les clauses
dérogatoires »311.
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