§ 2. Une Charte n'étendant pas les
compétences de l'Union en matière de droits de l'Homme
Les compétences de l'Union demeurent des
compétences d'attribution et sont divisées en trois
catégories ; compétences exclusives, compétences
partagées et compétences d'appui.
Dès les années quatre-vingt dix, l'on indiquait
qu'une adhésion de l'Union à la Convention serait superflue,
l'Union respectant les droits de l'Homme. Pourtant, dans le domaine des droits
de l'Homme, aucune compétence générale attribuée
à la Communauté n'était prévue au sein des
Traités, bien que certains droits inhérents à la personne
soient reconnus. La rédaction de l'avis 2/94 relatif à
l'adhésion de l'Union à la Convention affirme cette vision de
l'absence de pouvoir des institutions dans ce domaine263. La Cour de
Luxembourg indiquait ainsi que « l'adhésion de la
Communauté à la Convention conduirait à un
véritable changement de nature de l'objet de la Communauté
européenne en intégrant les dispositions de la CEDH
»264.
L'article 352 TUE (ex-article 308 TCE) a durant longtemps
permis une extension des compétences de la Communauté et
formé la base juridique pour des actions de la Communauté
260 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143, p.149
261 KOUKOULIS-SPILIOTOPOULOS, Sophia, De Biarritz à
Nice : le projet de Charte des droits fondamentaux
est-il articulé avec le droit de l'Union ?, La Gazette
du Palais, 31 octobre 2000, n°305, p.18
262 ibid
263 REDOR, Marie-Joëlle, La vocation de l'Union
européenne à protéger les droits fondamentaux, in
LECLERC, Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et REDOR,
Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.13,,
p.22
264 DRAGO, Guillaume, La Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne : présentation générale,
enjeux
et perspectives, Les Petites Affiches, 13
décembre 2000, n°248, p.5
48
en matière de protection des droits de l'Homme.
L'action de l'Union serait donc possible si son but était de
réaliser un objectif de l'Union.
Rappelons que la référence expresse à la
protection des droits de l'Homme comme objectif n'a lieu que dans le cadre
d'une action extérieure de l'Union265, notamment par
l'insertion de clauses dites « droits de l'Homme » dans les accords
conclus par l'Union avec des Etats tiers. Dès 1995, l'on indiquait que
l'Union avait compétence en matière de promotion et de protection
des droits de l'Homme266. Dans son arrêt de
1996267, la Cour de Luxembourg a indiqué que la
Communauté « dispose de la compétence d'adopter des
mesures dans le domaine des droits de l'homme, mais celle-ci ne saurait
toutefois être considéré comme générale
»268 lorsque la Communauté exerce ses compétences dans
le domaine de la politique extérieure et de sécurité
commune.
De plus, l'article 83 TFUE prévoit que l'Union peut
intervenir en matière pénale, matière hautement
liée aux droits de l'Homme, pour définir des règles
minimales communes.
Ainsi, pour la Commission, la protection des droits
fondamentaux est un « objectif horizontal de la Communauté que
l'on retrouverait dans toutes les politiques »269. Il est
indéniable que « la protection des droits fondamentaux est au
coeur même de l'ordre juridique communautaire, depuis des
décennies : sans protection des droits fondamentaux, la primauté
du droit européen serait elle-même mise en péril
»270.
Le préambule du TUE se réfère à
l'attachement de l'Union pour les droits fondamentaux, l'article 2 TUE
précisant les fondements. « Cette disposition n'est pas
seulement déclaratoire ; elle revêt un caractère concret
»271 puisque les Etats doivent respecter certains
critères avant l'adhésion et peuvent être exclu en cas de
violation272.
265 article 3§5 TUE
266 RACHET, Jean-Michel, De la compétence de l'Union
européenne en matière de défense et de promotion des
Droits de l'Homme, Revue du Marché Commun et de l'Union
européenne, 1 avril 1995, n°387, p.256-260
267 CJCE, 3 décembre 1996, République
portugaise c/ Conseil, aff. C 268/94, Rec. 1996-12, p. 6177
268 BOSSE-PLATIERE Isabelle, L'article 3 du traité
UE : Recherche sur une exigence de cohérence de l'action
extérieure de l'Union européenne, thèse, collection
droit de l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant
2009, 859p, p.176
269 JACQUE, Jean-Paul, Droits fondamentaux et
compétences internes de la Communauté européenne, in
« Mélange en hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN -
Libertés, justice, tolérance », volume I et II, Bruyant,
2004, 1784p, p.1007, p.1013
270 BRUN, Alain, Les droits fondamentaux et le citoyen
européen, in Actes du colloque international organisé par le
Centre de Recherches Hannah Arendt les 16 et 17 mars 2006, Les droits
fondamentaux à l'épreuve de la mondialisation, édition
Cujas, institut catholique d'études supérieures, 2006, 166p,
p.45, p.51
271 PRIOLLAUD, François-Xavier et SIRITZKY, David,
Le traité de Lisbonne - texte et commentaire article par article des
nouveaux traités européens (TUE - TFUE), la documentation
française, 2008, 523p, p.33
272 article 7 TUE
49
L'utilisation de l'article 7 TUE est dissuasive.
Premièrement, les termes employés sont peu précis et il
serait complexe de mettre en pratique les notions de « gravité
», de « risque clair ». Le déclenchement de cette
procédure semblerait donc assez arbitraire de la part de la Commission.
En outre, « l'impact politique que pourrait avoir une telle
procédure, voire même son simple déclenchement
»273 a un effet dissuasif sur les Etats.
« Les droits fondamentaux doivent être un
terrain privilégié du principe de coopération loyale qui
est au coeur du système communautaire »274.
De plus, les objectifs de l'Union sont
énumérés à l'article 3 TUE qui indique à
plusieurs reprises des droits fondamentaux, tel que l'égalité
entre les hommes et les femmes.
Ainsi, « si le respect de ces droits est sans doute
une condition indispensable à la légalité de l'action
communautaire, il ne suffit pas à donner naissance à un titre de
compétence même implicite et l'article 308 (actuel 352 TUE)
ne peut être utilisé »275.
Pourtant,
« en se limitant à une définition de la
compétence qui est celle d'une seule compétence d'attribution, la
Cour s'interdit et interdit par là même aux institutions
communautaires de se saisir des droits fondamentaux en tant que
compétence communautaire sans une modification explicite des
traités qui, soit présenterait une liste de droits fondamentaux
protégés par l'ordre juridique communautaire, en une
déclaration solennelle, soit rattacherait cet ordre juridique à
un autre comprenant des droits fondamentaux, et il est logique de penser
d'abord à celui mis en oeuvre par la C.E.D.H.
»276.
L'évolution récente de l'Union montre que la
protection des droits fondamentaux est de plus en plus au centre des
préoccupations des Etats membres et de l'Union.
En effet, le Traité de Lisbonne a permis la mise en
place d'un outil de protection des droits de l'Homme et prévoit
expressément l'adhésion à la Convention.
Par ailleurs, les compétences de la Cour de Luxembourg,
et également de sa saisine par les particuliers, ont été
étendues à pratiquement tous les domaines d'action de l'Union.
L'Union a-t-elle aujourd'hui compétence dans le domaine des droits de
l'Homme ?
273 GORI, Gisella et KAUFF-GAZIN, Fabienne, L'arrêt
Matthews : Une protection globale des Droits de l'Homme par une vision
réductrice de l'ordre juridique communautaire ?, Revue Europe,
1 janvier 2000, n°1, p.4-8, p.62
274 BRUN, Alain et CRABIT, Emmanuel, Faire respecter les
droits fondamentaux à l'intérieur de l'Union européenne -
Pistes de réflexion sur le rôle de la Commission
européenne, Revue des affaires européennes, 1 janvier
2006, n°1, p.45-63, p.63
275 supra note 269, JACQUE, p.1014
276 supra note 264, DRAGO
50
Mais, « la question des droits de l'homme se
prête mal à la théorie des compétences. Car les
droits fondamentaux existent en soi, du moins selon la théorie
naturaliste qui irradie toute la philosophie des droits de l'homme depuis au
moins 1789 »277. En effet, « les droits de
l'homme ne constituent pas un domaine de compétences
»278.
La compétence est définie traditionnellement
comme « un pouvoir d'agir dans un domaine déterminé
»279 et de créer des normes. Cependant, certains
auteurs ont eu une vision beaucoup plus large des compétences de
l'Union, indiquant notamment que les droits fondamentaux
« devraient constituer non seulement une
compétence mais l'objet de la Communauté, ou autrement dit un
principe de répartition des compétences communautaires, à
caractère « transversal » (v. en ce sens D. Simon, Europe,
juin 1996, p. 3 ; R. Mehdi, Justices, no 6, 1997, p. 58), parce que « les
raisons d'être de la Communauté impliquent sa soumission aux
droits de l'homme » (P. Wachsmann, R.T.D.E., 1996, p. 481).
»280
Au sein du Traité de Lisbonne, les droits fondamentaux
sont « confirmés en tant que valeurs de l'Union, ils sont aussi
érigés en objectifs à part entière tant au niveau
interne à l'Union qu'externe, et justifient, à ce titre, la mise
en place d'une politique autonome menée en faveur de leur promotion
»281.
La Charte insiste également sur le fait que son
adoption n'étend pas les compétences de l'Union. En effet, le TUE
précise à l'article 6 § 1 alinéa 2 que « les
dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les
compétences de l'Union telles que définies dans les
traités ». La Déclaration sur la Charte précise
que
« la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, juridiquement contraignante, confirme les droits
fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils
résultent des traditions constitutionnelles communes aux États
membres.
La Charte n'étend pas le champ d'application du
droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne
crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour
l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches
définies par les traités »282.
277 supra note 239, BLUMANN, p.12
278 IMBERT, Pierre-Henri, De l'adhésion de l'Union
européenne à la CEDH - symposium des Juges au Château de
Bourglinster - 16 septembre 2002, Droits fondamentaux, n°2,
janvier-décembre 2002, p11-19, p. 17
279 op.cit. BLUMANN, p.12
280 supra note 264, DRAGO
281 KAUFF-GAZIN, Fabienne, Les droits fondamentaux dans le
traité de Lisbonne : un bilan contrasté, Europe,
n°7, juillet 2008, dossier 5
282 Déclarations annexées à l'acte final
de la conférence intergouvernementale qui a adopté le
Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, Partie A,
1).
51
Cette prescription semble difficilement applicable. La Charte
ayant force de traité, elle « ouvre des compétences
normatives à l'Union pour légiférer dans le champ des
principes »283. De plus, les principes reconnus dans la
Charte « sont aussi des compétences nouvelles de l'Union
européenne, y compris lorsque ces compétences ne sont que des
objectifs européens »284. En outre, «
lorsqu'on établit une telle Charte des droits fondamentaux, à
vocation particulièrement générale et englobante, on tend
par là même vers une compétence générale
donnée aux institutions communautaires »285.
Pourtant, la Charte précise, et même
répète, qu'elle n'étend pas les compétences de
l'Union et ne vise pas à mettre en place une compétence
générale en matière de droits de l'Homme286.
« En réalité, on peut même avancer que
l'incorporation de la Charte dans la Constitution [aujourd'hui le
Traité de Lisbonne] conduira à limiter, à tout le
moins encadrer, les compétences de l'Union, par un respect scrupuleux
des droits fondamentaux, sous le contrôle de la CJCE
»287.
Il n'en demeure pas moins que, même si une
compétence en matière de protection des droits fondamentaux n'est
pas inscrite directement dans les Traités, leur place au sein de l'ordre
juridique communautaire n'a cessé de s'étendre. Ils ont «
atteint un degré de sédimentation tel [...] que nier une
compétence normative parait complètement obsolète
»288 et qu'il faut admettre, comme le professeur Claude
Blumann, « que les droits de l'homme sont un « objet » de la
Communauté et de reconnaître à l'Union une
compétence générale en la matière
»289.
« Que ce soit négativement ou positivement, la
Communauté semble [donc] pouvoir légiférer dans le champ
des droits fondamentaux dès lors que son intervention constitue
l'accessoire d'une compétence qui lui appartient en propre
»290. Ainsi, comme le montre l'adoption de la Charte,
« rien n'interdit aux Etats membres d'adopter des normes de droit
primaire dans le champ des droits fondamentaux »291.
283 supra note 239, BLUMANN p.30
284 supra note 241, PECHEUL, p.104
285 supra note 264, DRAGO
286 supra note 260, BADINTER, p.153
287 ibid., p.149
288 op.cit., BLUMANN, p.30
289 SUDRE, Frédéric, L'Union européenne
et les droits de l'Homme. De quelques interrogations..., Revue des affaires
européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.7-9, p.8
290 op.cit. BLUMANN, p.15
291 ibid, p.21
52
L'Union possèderait donc une compétence
générale dans le domaine des droits de l'Homme. Elle aurait ainsi
l'obligation d'assurer le respect des droits fondamentaux, conformément
aux Traités, par le biais du contrôle de la Cour de Luxembourg sur
les actes des institutions. Or, cette protection a longtemps été
absente des traités, ce qui était d'autant plus
préjudiciable à l'Union, et à ses citoyens, que les Etats
avaient transféré une partie de leurs compétences à
l'Union, organisation supranationale. Cette dernière ayant un impact
incontestable sur le droit interne des Etats membres, l'incertitude quant au
respect des droits de l'Homme par l'Union devait être levée.
L'on a pu ainsi reprocher à l'Union de mener une
politique en matière d'asile et d'immigration, mais également
dans le domaine des affaires extérieures, alors même que le
Parlement européen ne pouvait être que consulté dans ces
domaines et que la Cour de Luxembourg avait une compétence
limitée. L'extension progressive des pouvoirs du Parlement
européen et des compétences de la Cour de Luxembourg par le
Traité de Lisbonne devraient permettre de revenir sur cette limite.
En effet, « le souci de construire un espace de
sécurité très nettement affirmé dans le
traité d'Amsterdam, ajouté aux préoccupations
économiques libérales affirmées par les premiers
traités laisse donc quelque peu sceptique quant à la vocation de
l'Union européenne à protéger les droits fondamentaux
»292.
La Charte insiste sur le fait qu'elle n'étend pas les
compétences de l'Union. « Pourtant, si un jour la Charte devait
acquérir un caractère contraignant et être
interprétée par le juge comme source directe de droit
communautaire, les barrières que l'article 51 tente d'opposer à
toute extension des compétences de la Communauté pourraient se
révéler fragiles »293.
292 supra note 263, REDOR, p.30
293 DUTHEIL De La ROCHERE, Jacqueline, Fascicule 160 : Charte
des droits fondamentaux de l'Union européenne, JurisClasseur Europe
Traité, mis à jour 3 mars 2009, point 138
53
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