Chapitre 2. Une Charte limitant fortement son impact
sur la protection des droits de l'Homme
L'Union a cherché à se doter d'un texte de
protection des droits de l'Homme permettant de prendre en compte les diverses
volontés des Etats membres et le caractère juridique des droits.
Cependant, la portée limitée de la Charte [Section 1] et
certaines dispositions de la Charte [Section 2] ternissent la
réalisation.
Section 1. Le respect des principes du droit de l'Union
limitant les effets de la Charte
Bien que la Charte ait acquis valeur juridique, l'application
directe de ses dispositions pourrait être remise en cause [§ 1], et
il est fortement précisé que la Charte ne permet en aucun cas
d'étendre le domaine de compétences de l'Union [§ 2].
§ 1. Un effet direct de la Charte plus ou moins
étendu
En droit de l'Union, une charte n'a pas de valeur juridique.
En l'espèce, la Charte est considérée comme un protocole
additionnel aux traités. Ainsi, conformément à l'article 6
§1 du TUE ;
« L'Union reconnaît les droits, les
libertés et les principes énoncés dans la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000,
telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg,
laquelle a la même valeur juridique que les traités
».
Les protocoles ont la même valeur juridique que les
traités. Cependant, leur but est lié à un désir des
institutions et des Etats membres de ne pas alourdir les traités,
permettant notamment de faire adopter les traités sous réserve
des exceptions. En effet, il est plus simple de modifier un protocole qu'un
traité. En droit de l'Union, et conformément à la
Convention de Vienne de 1969, il n'existe pas de réserve
d'interprétation ayant valeur juridique. Les protocoles permettent ainsi
de contourner cette règle en permettant des dérogations à
certains droits communautaires pour les Etats membres.
Mais quelle est la valeur exacte d'un traité en droit
de l'Union ? Les traités correspondent au droit primaire de l'Union. Un
acte de droit dérivé ne peut donc déroger au droit
primaire et la Cour est compétente, conformément à
l'article 263 TFUE, pour annuler les actes de l'Union qui
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ne seraient pas conforme à ce droit. Cette interdiction
de déroger au droit primaire s'étend tant aux actes des
institutions de l'Union qu'à ces engagements internationaux «
conclu[s] par la Communauté ou par les Etats membres
»247, conformément à la jurisprudence de la
Cour de Luxembourg248. Les actes de l'Union devront donc respecter
les dispositions de la Charte, sous peine d'être annulés par la
Cour de Luxembourg.
Mais, bien que la Charte ait obtenue valeur juridique, elle
« ne se voit pas nécessairement reconnaître un effet
direct »249.
L'effet direct du droit de l'Union a été reconnu
par la Cour de Luxembourg en 1963250. Il « est
généralement défini comme la capacité du droit
communautaire à créer des droits et des obligations dans le
patrimoine juridique des particuliers et de permettre à ceux-ci de les
invoquer devant le juge en cas de violation supposée
»251.
Pour qu'une norme communautaire soit d'effet direct, elle doit
regrouper trois critères ; la clarté et la précision des
mesures, l'inconditionnalité des dispositions et être
immédiatement applicable. Cependant, cet effet direct est diversement
appliqué selon la norme de base.
Ainsi, toutes les dispositions des traités ne sont pas
d'effet direct à l'égard des Etats membres, et l'effet horizontal
entre particuliers n'est qu'exceptionnel. L'effet vertical, envers les Etats,
est limité aux dispositions instituant une obligation inconditionnelle
d'abstention, de faire ou une obligation devenue inconditionnelle après
une période transitoire. Concernant l'effet horizontal de la Charte,
« une influence pourrait également s'exercer
quant à l'invocabilité de ces droits dans les rapports entre
particuliers : l'importance fondamentale d'un droit, reflétée par
son insertion dans la charte, pourrait être jugée
déterminante afin de fonder son applicabilité horizontale dans
les relations entre personnes physiques ou morales
»252.
La Cour de Strasbourg considère que, par la combinaison
de l'article 13 et 1 de la Convention, les dispositions de la Convention sont
invocables en justice et d'effet direct « dès lors qu'elles
sont suffisamment claires et précises, ce qu'elles sont de plus en plus
du fait de
247 supra note 235, DOLLAT, point 605
248 TPI, 10 juillet 1990, Tetra Pak, aff T-51/89, Rec.
II-309
249 supra note 230, FALLON et SIMON, p.248
250 CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos c/
Administration douanière des Pays-Bas, aff. 26/62
251 op. cit. DOLLAT, point 677
252 DONY Marianne et BRIBOSIA Emmanuelle, Commentaire de
la Constitution de l'Union européenne, éditions de
l'université de Bruxelles, Institut d'études européennes,
2005, 451p, p.129
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l'interprétation qu'en donne la Cour
»253. Cependant, « la primauté de la
Convention sur les normes législatives internes relève de chaque
État »254.
La Cour de Luxembourg pourrait considérer que la Charte
a un effet direct horizontal pour certaines de ses dispositions. En outre, le
préambule de la Charte se réfère à la personne et
à ses obligations envers autrui255. De plus, la Cour de
Luxembourg a déjà accepté d'appliquer le droit de l'Union
dans les relations entre particuliers, « même lorsque ces
règlementations étaient le fait de personnes morales
privées, considérant simplement que « les droits
fondamentaux...sont protégés dans l'ordre juridique communautaire
» (Bosman, 1995, point 79) »256.
La Cour de Luxembourg appliquera la Charte en contrôlant
le respect de cette dernière par les institutions de l'Union lors de
l'élaboration du droit de l'Union, et par les Etats membres au moment de
l'application du droit de l'Union. « Ainsi, la protection des droits
fondamentaux sera étendue aux actes de l'Union européenne, y
renforçant la protection des droits et libertés
»257.
En outre, la Charte est fortement limitée dans sa
portée puisque l'article 51§1 indique que
« les dispositions de la présente Charte
s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect
du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres
uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En
conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en
promeuvent l'application, conformément à leurs compétences
respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union
telles qu'elles lui sont conférées dans les traités.
»
« En effet, la Charte ne doit pas créer de
dettes supplémentaires pour les Etats »258. Cette
disposition ne fait cependant que reprendre la jurisprudence de la Cour de
Luxembourg qui indiquait que « en ce qui concerne les Etats membres,
il résulte sans ambiguïté de la jurisprudence de la Cour que
l'obligation de respecter les droits fondamentaux définis dans le cadre
de l'Union ne s'impose aux Etats membres que lorsqu'ils agissent dans le cadre
du droit communautaire »259.
253 supra note 236, GAUTRON, p.41
254 ibid.
255 supra note 244, CARLIER, point 134
256 ibid.
257 BERTONCINI Yves, CHOPIN Thierry, DULPHY Anne, KAHN Sylvain
et MANIGAND Christine, Dictionnaire critique de l'Union
européenne, Armand Colin, Paris, 2008, 489p, p.128
258 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT p.196
259 CJCE, 13 juillet 1989, Wachauf, aff. 5/88, Rec.
2609
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En outre, l'article 51 permet de rassurer les Etats qui
craignaient une extension des compétences de l'Union par l'entrée
en vigueur de la Charte260. Mais le fait que la Charte soit
applicable pour les Etats que dans les cas d'application du droit de l'Union
« exprime une conception minimaliste et restrictive du rôle des
droits fondamentaux dans l'ordre juridique interne, conception qui ne s'accorde
pas avec la répartition actuelle des compétences entre l'Union et
ses Etats membres et l'acquis de l'Union relatif aux droits fondamentaux
»261.
Mais cette disposition ne s'applique qu'à la Charte.
Ainsi, « il y aura ce paradoxe que le champ d'application des droits
de la Charte sera plus restreint que celui des droits fondamentaux
déjà garantis par le droit de l'Union, y compris le droit
jurisprudentiel de celle-ci. Il y aura ainsi deux catégories de droits
fondamentaux de portée différente »262.
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