Section 2. Une Charte cependant peu innovante sur le
fond
L'apport de la Charte aux droits de l'Homme a
été plus ou moins bien accueilli et prête à
confusion.
En effet, certains auteurs considèrent que la Charte
n'est que le regroupement de textes déjà existants227,
qualifiant même la Charte de « plagiat de la Convention
européenne »228 et « qu'aucune de ses
dispositions ne constitue une création originale
»229.
En effet, « la Charte présente une nature
foncièrement résiduelle »230, reprenant des
droits garantis au sein d'autres instruments et étant ainsi liée
à l'interprétation qui en a été faite. La Charte
reprend également des droits qui se trouvent au sein même des
Traités de l'Union, tel que la liberté de circulation. «
Les doublons qui en résultent nuisent sans aucun doute à la
clarté des textes et des règles »231.
La Charte s'est également fortement inspirée de
la Convention. Cette dernière a une place toute particulière au
sein de l'Union depuis son invocation par la Cour de Luxembourg et
représente un modèle pour la protection des droits de l'Homme. En
outre, la Convention
227 LEBRETON, Gilles, Critique de la Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, Recueil Dalloz, 2003,
p.2319 ; HAGUENAU-MOIZARD, Catherine, Les droits de l'Homme : une ou
plusieurs Europe ?, La Gazette du Palais, 19 juin 2008, n°171,
p.31 ; FALLON, Marc et SIMON, Anne-Claire, Le renouvellement des politiques de
l'Union européenne dans le traité de Lisbonne, Revue des
affaires européennes, 2007/2008, n°2, p243 Entre autres la
Charte regrouperait les droits reconnus au sein de la Convention relative
à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe
signée en 1979, de la Convention européenne du paysage
signée en 2000, de la Déclaration des Droits de l'Enfant des
Nations Unis signé en 1959, du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels
228 PESCATORE, Pierre, La Cour de justice des
Communautés européennes et la Convention européenne des
droits de l'homme, Protection des droits de l'homme : la dimension
européenne, Mélanges Gérard J. WIARDA, Heymanns
Verlag, Koln, 1988, p.441-455, in PESCATORE, Pierre, Etudes
de droit communautaire européen 1962-2007, avec une liste
bibliographique complémentaire, Grands écrits, collection
droit de l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant
2008, 1005p, p.731
229 PESCATORE, Pierre, La coopération entre la Cour
communautaire, les juridictions nationales et la Cour européenne des
droits de l'homme dans la protection des droits fondamentaux : enquête
sur un problème virtuel, Revue du marché commun de l'Union
européenne, n°466, mars 2003, p.151-159, in
PESCATORE, Pierre, Etudes de droit communautaire européen
1962-2007, avec une liste bibliographique complémentaire, Grands
écrits, collection droit de l'Union européenne dirigée par
Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.865, p.871, p.874
230 FALLON, Marc et SIMON, Anne-Claire, Le renouvellement des
politiques de l'Union européenne dans le traité de Lisbonne,
Revue des affaires européennes, 2007/2008, n°2,, p.248
231 ibid., p.249
40
représente un regroupement des différents droits
fondamentaux. La liste de ces droits n'étant pas « extensible
à l'infini »232, la Charte se devait de les
reprendre.
Cependant, cette limitation de l'apport de la Charte
s'explique par le fait que la « Convention » « n'avait pas
la légitimité démocratique pour aller plus loin
»233, conformément au mandat qui lui avait
été dévolu.
Mais pour certains auteurs, la Charte demeure une
réelle valeur ajoutée à la protection des droits
fondamentaux en Europe234 en permettant un élargissement du
« champ d'application de plusieurs droits déjà reconnus
par la CEDH »235, ce qui représente un apport en
soi.
La Charte a également permis de prendre acte des
évolutions techniques et de la société, comme la prise en
compte de la bioéthique ou de l'accès aux services
d'intérêt économique général.
La nouveauté principale de la Charte par rapport
à la Convention est l'insertion des droits sociaux au sein d'un
instrument de protection des droits de l'Homme pouvant être
appliqué par un juge. Ces droits étaient déjà
évoqués auparavant par le droit de l'Union, notamment par
l'adoption de directives. Ils sont ainsi « inscrits en qualité
de droits invocables ou de principes susceptibles d'entraîner une
législation communautaire ou nationale »236.
Cependant, ces droits sont fortement limités par les
« clauses horizontales » de l'article 51. « Sans doute, ces
clauses horizontales ne concernent-elles pas les seuls droits sociaux. Mais,
force est bien de constater qu'elles sont de nature à limiter la
portée des droits sociaux plus qu'elles ne limitent la portée des
autres garanties apportées par la Charte »237. Ceci
est d'autant plus visible que l'Union n'a pas de compétence
revendiquée en matière de droits sociaux.
232 HAGUENAU-MOIZARD, Catherine, Les droits de l'Homme : une
ou plusieurs Europe ?, La Gazette du Palais, 19 juin 2008, n°171,
p.31
233 CANDELA SORIANO, Mercedes, Les droits de l'Homme dans
les politiques de l'Union européenne, Larcier, 2006, 283p, p.52
234 Commission des Communautés européennes,
Communication de la Commission sur la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne, COM(2000)559 final, Bruxelles, 13 septembre
2000, 10p ; BLUMANN, Claude, Citoyenneté européenne
et droits fondamentaux en droit de l'Union européenne : entre
concurrence et complémentarité, in « Mélange en
hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN - Libertés, justice,
tolérance », volume I et II, Bruyant, 2004, 1784p, p.265 ;
CORREARD, Valérie, Constitution européenne et protection des
droits fondamentaux : vers une complexité annoncée ?, Revue
trimestrielle de droits de l'Homme, 2006, n°2, p501 ; PECHEUL, Armel,
Le traité de Lisbonne - La Constitution malgré nous ?,
édition Cujas, 2008, 155p
235 DOLLAT Patrick, Droit européen et droit de
l'Union européenne, 2ème édition, 2007,
Sirey, édition Dalloz, 475p point 174
236 GAUTRON Jean-Claude, Droit européen, mementos
Dalloz, Dalloz, 13ème édition, 2009, 337p, p.50
237 PECHEUL, Armel, La Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, RFDA, 2001, p.688
41
Dans le cadre spécifique des droits de la
défense, la Charte s'est inspiré du célèbre article
6 de la Convention relatif au droit à un procès équitable
qui a fait l'objet d'une jurisprudence abondante. La Charte a retenu à
son article 47 §2 une application plus générale de la
notion. « Il n'y a là, a priori, aucune restriction
comparable à celle de la Convention européenne et tenant aux
notions de « contestations sur des droits et obligations de
caractère civil » ou bien encore sur la notion de «
bien-fondé de toute accusation en matière pénale
» »238.
La Charte reconnaît cependant des droits que les
traités ne permettent pas de respecter. Ainsi, le droit à
l'accès au juge, comme dans le cadre de la Convention, se trouve
limité par les traités de l'Union. La Charte et les
traités ayant la même valeur juridique, « c'est un
principe l'adage prior tempore potior jure qui s'applique. La Charte
bénéficierait ainsi d'une prévalence, mais qui se
révèlerait difficilement applicable compte tenu de la clause de
non-extension des compétences de l'article 51
»239.
Ainsi, « le droit de se marier et le droit de fonder
une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent
l'exercice » selon l'article 9 de la Charte. Cette édiction
permet de prendre toutes les formes de mariage reconnues par les Etats membres,
sans imposer une évolution en la matière. C'est une
avancée par rapport à l'article 12 de la Convention qui ne
protège que le droit au mariage hétérosexuel.
Concernant le droit à l'éducation, la Charte
prévoit à son article 14 la gratuité de l'enseignement
obligatoire. En outre, il indique que
« la liberté de créer des
établissements d'enseignement dans le respect des principes
démocratiques, ainsi que le droit des parents d'assurer
l'éducation et l'enseignement de leurs enfants conformément
à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques,
sont respectés selon les lois nationales qui en régissent
l'exercice ».
Cette formule est cependant moins protectrice que la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg dans ce domaine qui dispose que la
référence est la Convention et non les normes nationales de
chaque Etat240.
Concernant le droit des minorités indiqué
à l'article 21 de la Charte, mais également à l'article 2
TUE, il pourrait conduire la France à modifier sa position sur la
question, notamment par une révision de la Constitution. Il semblerait
que « le Conseil constitutionnel n'a pas anticipé
238 supra note 237, PECHEUL
239 BLUMANN, Claude, Les compétences de l'Union
européenne en matière de droits de l'Homme, Revue des
affaires européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.11-30, p.26
240 CEDH, 7 décembre 1976, Kjeldsen, Bush Madsen et
Pedersen c/ Danemark, A n°23
42
ici la force du droit des minorités
»241. Pour le Conseil constitutionnel, le refus de la
France de reconnaître des groupes spécifiques serait une tradition
constitutionnelle particulière, telle que la laïcité. Cette
spécificité française devrait donc être
respectée, le droit de l'Union se rattachant uniquement au respect des
traditions constitutionnelles communes. Il est à douter que la Cour de
Luxembourg puisse avoir la même approche, notamment car son
interprétation se base sur les traditions communes des Etats
membres242. Il reste à considérer sous quel angle la
Cour de Luxembourg prendra en compte ces traditions communes, au plus petit
dénominateur commun ou de façon plus large. Dans le second cas,
la spécificité française dans ce domaine, tout comme dans
le domaine de la laïcité, risque d'être difficilement
retenue.
Tout comme la Convention, la Charte a prévu des
exceptions à l'application des droits protégés. Cependant,
pour tenter d'éclaircir la portée des droits, les restrictions
n'ont pas été inscrites au sein de chaque article.
La Charte a ainsi opté pour l'inscription d'une
restriction générale au sein de l'article 52. Cet article stipule
que des restrictions aux droits sont possibles mais uniquement si elles ont
été prévues par la loi, dans le respect des droits et si
« elles sont nécessaires et répondent effectivement
à des objectifs d'intérêt général reconnus
par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui
».
Cette réserve générale porte sur tous les
articles de la Charte. Pourtant, certains droits fondamentaux sont
considérés comme intangibles, tel que le droit à la vie ou
l'interdiction de la torture. Doit-on alors considérer que l'article 52
s'applique à ces articles ? Les explications du proesidium
rappellent que ces droits sont intangibles. Mais, « sur le plan
juridique, elles [ces explications] ont [donc] tout
au plus valeur d'aide à l'interprétation
»243. Cependant, l'article 52 §3 de la Charte
précise que l'interprétation des droits correspondant à la
Convention doit se faire à la lumière de cette dernière.
Les restrictions à ces droits devraient donc être exclues en
application de la vision conventionnelle244.
En outre, l'article 52 prévoit les règles
d'interprétation de la Charte. Mais comment interpréter les
termes de cet article ? En effet, le paragraphe 4 de cet article se
réfère à une interprétation en « harmonie
» avec les traditions constitutionnelles des Etats membres et le
241 PECHEUL, Armel, Le traité de Lisbonne - La
Constitution malgré nous ?, édition Cujas, 2008, 155p,
p.105
242 ibid., p.108
243 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p1-14, p.8
244 CARLIER, Jean-Yves, La condition des personnes dans
l'Union européenne, Bruxelles, Larcier, précis de la
Faculté de droit de l'Université catholique de Louvain, 2007,
485p, point 137
43
paragraphe 6 renvoie aux législations et pratiques
nationales en indiquant qu'elles doivent être « pleinement
prises en compte ». Le juge de la Cour de Luxembourg aura la lourde
tache d'interpréter la Charte et ses différentes dispositions.
La Charte éloigne notamment la conception d'une
identité communautaire, qui est pourtant revendiquée dans le TUE.
Le fait que la Charte reprenne des éléments de la Convention, qui
n'a pas été rédigée au sein de l'Union, montre la
difficulté de voir en elle une conception d'une identité. En
outre, l'adhésion de l'Union à la Convention serait
également un coup d'arrêt à l'idée que la Charte
serait la base de l'identité communautaire puisque l'Union serait partie
à une autre norme de protection des droits fondamentaux,
extérieure à l'Union.
De plus, le fait que la Charte fasse référence
à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour l'interprétation
de certain de ses droits
« atténue sans contexte sa force novatrice. Du
coup, elle apparaît comme une simple consolidation de l'acquis
jurisprudentiel en matière de droits fondamentaux, ce que les juges
constitutionnels français (Cons.const., 19 nov.2004, n°004-505 DC)
et espagnols (DTC, 13 décembre.2004, n°1/2004) n'ont pas
manqué de relever »245.
Et pourtant, la Charte représente un symbole pour la
construction communautaire. C'est un changement d'optique de l'Union qui passe
d'une finalité économique à une finalité humaniste
en mettant ses citoyens au coeur de son action246.
Cependant, les limites à son application conduisent
à se demander si elle sera réellement un instrument fiable de
protection des droits de l'Homme.
245 ANDRIANTSIMBAZOVINA, Joël et al., Dictionnaire
des droits de l'Homme, Quadrige Dicos Poche, PUF, 1ère
édition, 2008, 1074p, p.133
246 ibid, p.130
44
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