Titre 2. L'entrée en vigueur de la Charte :
instrument communautaire de protection des droits de l'Homme
La Charte permet de prendre en considération les droits
de l'Homme au sein même de l'Union et d'appliquer leurs respect aux
institutions. Bien que l'instauration d'un tel outil représente une
action importante pour l'Union [Chapitre 1], de fortes limites sont
relevées [Chapitre 2] ce qui conforte l'idée de l'adhésion
à l'Union.
Chapitre 1. Instrument unique mais peu innovant quant
aux droits protégés
La Charte est une avancée dans la conception que
l'Union peut donner d'elle. Ainsi, elle passe d'une conception uniquement
économique à celle plus politique et d'organisme respectant les
droits fondamentaux [Section 1]. Cependant, des limites importantes peuvent
être relevées puisque la Charte ne permet pas une innovation
importante des droits de l'Homme [Section 2].
Section 1. La Charte : un pas décisif de l'Union
sur le chemin de la protection des droits de l'Homme
La Charte fait suite à une longue tradition occidentale
de déclarations des droits de l'Homme. Dès la fin des
années quatre-vingt, des recommandations au sein de l'Union sont
effectuées pour adopter une charte des droits206.
Mais pourquoi élaborer un nouveau texte alors
même que la Convention a démontré son effectivité et
sa capacité à protéger les droits de l'Homme au sein du
continent européen ?207 L'évolution de l'Union et sa
volonté de ne plus être uniquement une union économique
semble être une des explications. De plus, la Convention, bien
qu'appliquée à l'ensemble des Etats
206 Livre blanc de la Commission européenne de 1988, Doc.
PE 115.274/déf
207 BRAIBANT, Guy, De la Convention européenne des
droits de l'Homme à la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, in « Mélange en hommage au Doyen
Gérard COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance
», volume I et II, Bruyant, 2004, 1784p, p.327, p.327
36
membres, ne peut être opposée à l'Union,
et n'est appliquée que par la volonté de la Cour de
Luxembourg.
Ainsi, en 1999, le sommet européen de
Cologne208, suivi de celui de Tampere209, lance le projet
de l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux pour l'Union.
L'objectif de la rédaction d'un tel instrument est de permettre «
de rendre visible les droits des citoyens de l'Union
»210 et de rassurer les Cours constitutionnelles
nationales quant à la protection des droits de l'Homme au sein de
l'Union.
La Charte a été élaborée au sein
d'une « Convention » représentant l'Union et les Etats
membres, le pouvoir exécutif et législatif211. «
Pour la première fois, toutes ces institutions siégeaient sur
un pied d'égalité. Aucune hiérarchie n'était
établie, personne n'avait le droit de veto, il n'existait pas de
délégations « nationales »
»212. De plus, des consultations des autres institutions
communautaires et de la société civile ont été
organisées et les futurs membres de l'Union ont également pris
part aux débats. Ceci a permis de prendre en compte le point de vue de
tous les acteurs de la construction communautaire.
Il est à souligner que l'élaboration
entière de la Charte fut réalisée par consensus et
compromis, aucun vote n'ayant eu lieu, les différents articles ayant
fait l'objet de négociations permettant de prendre en compte les
différentes sensibilités des Etats membres.
Le 7 décembre 2000, à l'occasion du Conseil de
Nice, la Charte a été proclamée solennellement. Elle fut
par la suite intégrée au Traité établissant une
Constitution pour l'Europe, lui donnant valeur juridique. Cependant, la
ratification de ce traité ayant échoué, la Charte n'a vu
son applicabilité reconnue qu'avec l'entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne.
Selon l'expression consacrée par Denys Simon, la Charte
a subit à l'occasion une « capitis diminutio
»213. La Charte ne se trouve plus à
l'intérieur du Traité, même si sa valeur juridique reste
inchangée. Cependant, le fait de devoir se référer
à un autre texte que le Traité nuit à la lisibilité
des droits reconnus au sein de la Charte. Cette transformation de la Charte
« en
208 3 et 4 juin 1999
209 15 et 16 octobre 1999
210 Direction d'ouvrage AVGERI Parthenia et MAGNILLAT
Marie-Pierre, Enjeux et rouages de l'Europe actuelle, Culture et
citoyenneté européennes, Sup'Foucher, édition
2009-2010, 2009, 383p, p192
211 Elle était ainsi composée des
représentants des chefs d'État et de gouvernement, des
représentants de la Commission, du Commissaire à la Justice et
aux Affaires étrangères, de 16 membres du Parlement
européen et de 30 membres des Parlements nationaux.
212 Ob.cit., AVGERI et MAGNILLAT, p.193
213 SIMON, Denys, Les droits fondamentaux dans le traité
de Lisbonne, Europe, n°2, février 2008, repère 2
37
droit primaire par ricochet »214
s'explique par la volonté d'effacer tout signe de constitutionnalisation
après l'échec du Traité établissant une
Constitution pour l'Europe en 2005.
De plus, bien que la Charte ait désormais valeur de
traité, elle « n'oblige pas les Etats membres à modifier
leurs constitutions respectives »215.
Cependant, bien que la Charte n'ait acquis force contraignante
qu'en 2009, elle s'est vue invoquée devant les juridictions
communautaires, conventionnelles et nationales, dès 2002.
Ainsi, les avocats généraux de la Cour de
Luxembourg ont multiplié les références à la Charte
lors de l'élaboration de leurs conclusions216. Pour sa part,
le Tribunal de Première Instance s'est référé
à la Charte dans un jugement du 3 mai 2002217. De plus,
après une longue période de refus, la Cour elle-même s'est
basée sur la Charte pour rendre son arrêt du 27 juin
2006218.
Montrant une fois de plus l'interaction entre les deux
systèmes juridiques, la Cour de Strasbourg s'est appuyée sur
l'article 9 de la Charte pour reconnaître le mariage des transsexuels
lors de son arrêt du 12 juillet 2002219.
Enfin, la Charte a également été
invoquée au sein des Etats membres. Ainsi, le Commissaire du
Gouvernement dans l'affaire Casanovas a évoqué la Charte
même si, en absence de force juridique, elle n'a pas été
appliquée par le juge220.
Tout comme la Convention, la Charte s'applique à un
territoire et non à des citoyens. Ainsi, la Charte protègent les
droits de toutes personnes se trouvant sur le territoire des Etats membres,
qu'elles soient présentes de façon régulière ou
irrégulière, et sans distinction de nationalité.
Cependant, une partie des droits relatifs à la
citoyenneté de l'Union ne sont opposables qu'aux citoyens des Etats
membres. Il en va ainsi du droit de vote aux élections du Parlement
européen. Mais, la reconnaissance d'un droit d'accès aux
documents administratifs221 est étendue à toute
personne, tout comme le droit à une bonne
administration222.
214 RIDEAU, Joël, La protection des droits
fondamentaux dans l'Union européenne - perspectives ouvertes par le
traité de Lisbonne, Revue des affaires européennes,
2007/2008, n°2, p185-207, p.195
215 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT, p.192
216 Conclusion de l'avocat général Tizzano du 8
février 2001 concernant l'affaire BECTU, aff. C-173/99, Rec. II-313
217 TPI, 3 mai 2002, Jégo-Quéré,
aff. T-177/01, Rec. p.II-2365
218 CJCE, 27 juin 2006, Parlement européen c/
Conseil, aff. C-540/03, Rec. p.I-5769
219 CEDH, 12 juillet 2002, Christine Goodwin c/
Royaume-Uni, Req. N°28957/95
220 CE, 28 févr. 2001, n° 229163 : Juris-Data
n° 2001-061830 ; Collectivités - Intercommunalité 2001,
comm. 134, note J. Moreau ; AJDA 2001, p. 971, note I. Legrand et L. Janicot
221 article 42 de la Charte
222 article 41 de la Charte
38
La Charte s'applique également aux organes et
institutions de l'Union, ce qui permet de prendre en compte les organes
indépendants qui sont de plus en plus nombreux au sein de l'Union.
Elle s'applique notamment aux Etats membres lorsqu'ils mettent
en oeuvre le droit de l'Union, conformément à une jurisprudence
de la Cour de Luxembourg223. Ceci implique tous les niveaux de
gouvernance des Etats membres.
Sur le fond, l'on distingue traditionnellement plusieurs
générations de droits de l'Homme. La première
génération correspond aux droits civils et politiques tandis que
la seconde génération regroupe les « droits sociaux,
culturels et économiques que les Etats doivent garantir
matériellement »224. Ces droits ont
été regroupés au sein de la Convention.
Cependant, de nouveaux droits, dit de troisième
génération, ont peu à peu vu le jour. Ils rassemblent des
droits fondés notamment sur la dignité de la personne humaine,
tel que le droit au développement, à la paix, à la
protection de l'environnement. Ces différents droits ont
été protégés au sein du Conseil de l'Europe, mais
par la signature de Conventions distinctes de la Convention.
De plus, chaque article de la Charte a fait l'objet d'une
explication au sein d'un document annexe, n'ayant cependant pas de valeur
juridique car élaboré par le proesidium. Ce document
permet de donner une interprétation aux différents droits
exposés et devra être pris en compte par la Cour de Luxembourg
lors de l'application de la Charte.
Formellement, la Charte se compose de sept titres. Les six
premiers titres constituent l'énumération et la définition
des différents droits protégés par la Charte ;
dignité, libertés, égalité, solidarité,
citoyenneté et justice. « Ce plan renouvelle l'approche des
Droits de l'Homme et constitue l'un des apports importants de la Charte
»225. Le dernier titre correspond aux «
dispositions générales régissant
l'interprétation et l'application de la Charte ».
La Charte est ainsi devenue « le premier instrument
international à donner corps au principe d'indivisibilité des
droits de l'homme et à rassembler dans un seul texte les droits civils
et politiques et les droits sociaux, qui se voient ainsi reconnaître la
même qualité de « valeurs communes » que les
premiers »226.
223 CJCE, 13 avr. 2000, Kjell Karlsson : aff. C-292/97,
Rec. CJCE 2000, I, p. 2737
224 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT, p188
225 ibid., p.195
226 SUDRE, Frédéric, Droit européen
et international des droits de l'Homme, collection droits fondamentaux,
PUF, 2008, 9ème édition revue et augmentée,
843p, p.156
39
Mais, bien que la Charte soit une avancée significative
pour l'Union, qu'en est-il de son apport aux droits des citoyens de l'Union
?
|