Section 2. Le contrôle des actes de mise en oeuvre
du droit de l'Union par les Etats membres : l'adhésion forcée de
l'Union
La certitude sur cette question est que, malgré une
jurisprudence ouvrant la saisine de la Cour de Strasbourg au plus grand nombre,
une requête introduite à l'encontre de l'Union ne peut pas
être recevable devant la Cour de Strasbourg. En effet, l'Union
n'étant pas signataire de la Convention, la Cour de Strasbourg a
toujours refusé de se reconnaître une compétence
ratione personae en la matière146. Cette approche
est conforme à la lettre de la Convention qui dispose à son
article 19 que la Cour de Strasbourg est instituée pour faire respecter
la Convention aux Hautes Parties contractantes.
Pourtant dans le cadre de l'Union, la question était
également de savoir, alors même que des normes naissent de l'Union
et non plus des Etats, si ces derniers devaient rester responsables devant la
Convention de ces normes147. La question se pose d'autant plus dans
le cadre de l'Union car les normes sont désormais votées à
la majorité qualifiée. Dans ce cas, peut-on rendre un Etat
responsable d'un acte communautaire auquel il se serait peut-être
opposé ?148
Le droit de l'Union étant appliqué et
transféré au sein même des Etats membres, la Cour de
Strasbourg s'est reconnue compétente pour connaître de
l'application du droit de l'Union en droit interne. Sur ce point, les
requêtes introduites contre les Etats membres sont donc susceptibles
d'être examinées. Cette position est conforme aux règles de
droit international public sur les traités successifs149.
Conformément à ces règles, un Etat doit respecter les
obligations nées de la signature de différents traités. La
signature d'un traité ne le libère en aucun
145 supra note 142, BULTRINI, p11-12
146 Commission EDH, 10 juillet 1978, CFDT c/
Communautés européennes, DR 13, p.231
147 BENOIT-ROHMER, Florence, A propos de l'arrêt
Bosphorus Air Lines du 30 juin 2005 : l'adhésion contrainte de l'Union
à la Convention, Revue Trimestrielle de droits de l'Homme,
2005, n°64, 64/2005, p.827-853, p.832
148 ibid
149 article 30 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969
25
cas de ses obligations liées à un traité
antérieur, d'autant plus lorsque ce traité est relatif à
la protection des droits de l'Homme150.
Ainsi, dans la décision
Tête151, la Commission européenne des droits
de l'Homme indiquait que « on ne saurait [...] admettre que
par le biais de transferts de compétence, les Hautes Parties
contractantes puissent soustraire, du même coup, des matières
normalement visées par la Convention aux garanties qui y sont
édictées »152. Le système
conventionnel admet donc la responsabilité des Etats membres pour les
actes enduits par des organisations internationales auxquelles ils sont partis.
Cependant, dans le cas d'espèce, bien que la France possédait une
marge d'appréciation pour la transposition et qu'elle pouvait donc
être déclarée responsable, elle n'avait pas
été condamnée car il n'y avait pas eu violation de la
Convention.
De même, dans l'arrêt
Cantoni153, la Cour de Strasbourg a également
jugé que la France pouvait être responsable, même si la loi
en cause était une transposition mot pour mot d'une directive
communautaire, mais qu'il n'y avait pas de violation de la Convention dans le
cas d'espèce. Si la Cour de Strasbourg avait condamné la France,
elle aurait alors indirectement contrôlé un acte de l'Union.
La Cour de Strasbourg a semblé ainsi beaucoup plus
prudente sur la question du contrôle du droit de l'Union au vu de la
Convention.
Dans l'affaire M & Co.154, la Cour de
Strasbourg a reconnu en « s'appuyant notamment sur certaines
déclarations de principe des institutions communautaires et sur la
jurisprudence de la Cour de justice, [...] que le système communautaire
reconnaissait les droits fondamentaux et assurait aussi le contrôle de
leur respect »155.
La Cour de Strasbourg précise que la règle du
respect des engagements antérieurs s'applique également sur les
traités constitutifs et que ces derniers doivent respecter la
Convention. En outre, bien que les Etats aient transmis des compétences
à une organisation supranationale, ils restent responsables des actes
pris dans le cadre de ces compétences devant la Cour de Strasbourg.
150 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.831
151 Commission EDH, 9 décembre 1987, Tête c/
France, req. N°11123/84, DR 54
152 supra note 151, p. 52
153 CEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c. France, req
n° 17862/91, Rec 1996, p. 1614
154 CEDH, 9 février 1990, M & Co., Req. no
13258/87, D.R. 64, p. 138
155 supra note 142, BULTRINI, p14
26
L'Etat a le droit de transmettre des compétences
à des organisations, mais il demeure responsable des violations de la
Convention engendrées par l'application de règle issue de cette
organisation. En effet, si l'Etat pouvait appliquer en droit interne des
dispositions contraires à la Convention sans risque d'être
condamné pour violation, il serait facile pour les Etats de contourner
leur obligation. De plus, ce sont les Etats qui choisissent de devenir partie
à une organisation et qui définissent les compétences de
cette dernière, il est donc logique qu'ils demeurent responsables devant
la Convention. Le but est d'éviter que
« une catégorie d'actes imputables à un
système mis sur pied par un groupe d'Etats parties à la
Convention et susceptible de toucher au respect des droits garantis par
celle-ci échappe au contrôle du mécanisme qu'elle a
justement instauré afin de garantir un respect uniforme de ses
dispositions. Situation peu satisfaisante à bien des égards,
surtout si l'on tient compte de la nature des droits en cause.
»156
Il est à noter que cette décision a
été vivement critiquée. En effet, il semblerait que dans
le cas d'espèce, la Cour de Strasbourg se soit inspirée de la
Cour constitutionnelle allemande et de son arrêt Solange.
Cependant, contrairement à la Cour constitutionnelle, la Cour de
Strasbourg ne met pas de limite à la confiance qu'elle accorde à
la capacité de l'Union de protéger les droits de l'Homme puisque
l'utilisation du terme « aussi longtemps » n'est pas
effectuée157. Il semblerait que dans le cadre de la
Communauté, et non de l'Union, la Cour de Strasbourg est mis en place
une présomption irréfragable de protection équivalente
alors même que
« les organes de la Convention ont [...J
été institués pour examiner des cas individuels d'atteinte
aux droits fondamentaux et non pas pour établir des équivalences
de protection théoriques et de principe. Tous les Etats ayant
ratifiés la Convention ont accepté l'obligation de respecter et
faire respecter les droits qui y sont énoncés, et leur pratique,
dans la plupart des cas, est normalement conforme à cet engagement. Cela
n'empêche pas que les organes de la Convention aient été
chargés de vérifier que tel est bien le cas
»158.
De plus, la Cour de Strasbourg se doit de contrôler le
respect de la Convention par les Etats membres et non de supposer que tel est
bien le cas. En effet, « si les organes de la Convention devaient se
fier uniquement aux engagements de principe des Etats parties et aux
conclusions des tribunaux internes dans des cas concrets, ils ne constateraient
pas souvent des violations de la Convention »159.
En outre, cette présomption de conformité des
actes aux droits de l'Homme n'a pas lieu envers les Etats alors même que
ces derniers ont également mis en place des procédures de
156 supra note 142, BULTRINI, p24
157 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.840
158 op.cit., BULTRINI, p16
159 ibid
27
protection des droits de l'Homme160. En outre,
quelle aurait été la position de la Cour de Strasbourg si l'Union
n'avait jamais pris en compte les droits de l'Homme dans son système ?
Les Etats dans cas seraient-ils restés tenus responsable des actes de
l'Union ?161 A moins que la Cour de Strasbourg n'ait accordé
cette équivalence de protection que dans le cas d'espèce,
c'est-à-dire dans le cadre du respect par l'Union d'une procédure
de protection des droits de l'Homme, conforme à l'article 6 de la
Convention, concernant le domaine de la concurrence, permettant aux Etats
d'appliquer directement un arrêt de la Cour de Luxembourg sans passer par
la procédure de l'exequatur162.
La Cour de Strasbourg s'est prononcée dans un premier
temps sur le seul droit primaire de l'Union avec l'affaire
Matthews163. Par cet arrêt, la Cour de Strasbourg
accepte de contrôler la conformité d'un acte communautaire avec la
Convention. « Par la même, elle s'érige en ultime
contrôleur du droit communautaire »164, place qui
était jusqu'alors occupée par la Cour de Luxembourg. En effet, la
Cour de Strasbourg rappelle ainsi son rôle de « Juge
Suprême des droits de l'homme pour l'ensemble de l'Europe
»165.
La Cour de Strasbourg ne s'oppose pas au contrôle du
droit primaire de l'Union car ce dernier est issu de l'accord entre Etats et
entre dans le champ classique du droit international des traités et non
dans celui du droit de l'Union, l'Union n'étant pas à la base de
la signature des traités mais le résultat166. En
outre, dans le cas d'espèce le vote de la norme communautaire avait
été effectué à l'unanimité.
En outre, par cet arrêt, la Cour de Strasbourg se
procure une compétence quasi illimitée mais « mine
simultanément l'uniformité et la spécificité de
l'ordre juridique communautaire »167.
La Cour de Strasbourg a donc affirmé sa
compétence ratione personae à l'égard des Etats
membres de l'Union lorsqu'ils appliquent le droit de l'Union,
conformément aux dispositions de l'article 1 de la Convention. Ainsi,
« on peut dire avant tout que les Etats sont
responsables par rapport aux actes normatifs dont ils ont la maîtrise
directe : les actes transposant en droit interne une réglementation
communautaire, indépendamment de la marge de manoeuvre que la
réglementation dont il s'agit laisse aux Etats (affaires Tête,
Procola et Cantoni), et
160 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.841
161 ibid
162 ibid
163 supra note 80, GAUTRON, p.5
164 ibid, p.4
165 supra note 99, COHEN-JONATHAN et FLAUSS, p.257
166 op.cit. GAUTRON, p.6
167 ibid.
28
ceux par lesquels l'Etat participe à
l'élaboration du droit communautaire primaire (affaire Matthews)
»168.
La Cour de Strasbourg a longtemps tardée à
prendre position concernant le statut du droit de l'Union dans les cas
où les Etats n'ont aucune marge de manoeuvre. « De mauvais
esprits pouvaient se demander si la Cour avait vraiment l'intention de statuer
sur cette question ou si elle s'efforcerait de laisser la situation dans
l'incertitude dans l'attente d'une éventuelle adhésion de l'Union
à la Convention »169.
En 2005, avec l'affaire Bosphorus170, la
Cour de Strasbourg rompt enfin le silence. L'affaire concernait la mise en
oeuvre, par un règlement communautaire d'une décision du Conseil
de sécurité de l'ONU. La Cour de Luxembourg, par un recours
préjudiciel, avait confirmé l'application du règlement au
cas d'espèce. Cette affaire a été considérée
comme « politiquement sensible »171, et bien que
la Cour de Strasbourg avait toujours rejeté pour irrecevabilité
les requêtes mettant en cause le droit de l'Union dérivé,
« la Cour s'est enfin décidée à préciser
les règles relatives au contrôle qu'elle exerce sur les mesures
nationales d'exécution du droit communautaire
»172.
Dans le cas d'espèce, l'Etat applique une norme
communautaire de droit dérivé, sans bénéficier
d'une marge d'appréciation. « La question est épineuse
car la violation alléguée aboutit à mettre en cause un
acte communautaire à travers une mesure d'application nationale et, en
conséquence, de façon indirecte la responsabilité de la
Communauté, alors que celle-ci n'est pas partie à la Convention
»173.
L'arrêt Bosphorus distingue les situations
où l'Etat membre dispose d'une marge d'appréciation pour mettre
en oeuvre le droit de l'Union et les situations où les Etats n'ont pas
un tel pouvoir. Mais il n'en demeure pas moins que la Cour de Strasbourg
effectue un contrôle indirect du droit de l'Union vis-à-vis de la
Convention. Ainsi,
« si l'acte national à l'origine de la
violation des droits de l'homme n'est qu'une transcription pure et simple du
droit communautaire ou plutôt, ne traduit aucune marge de manoeuvre de
l'Etat, celui-ci n'est pas jugé responsable au regard de la Convention
à condition que le droit communautaire offre une protection
équivalente des droits fondamentaux. En revanche, si l'Etat a fait usage
d'un pouvoir
168 supra note 142, BULTRINI, p24
169 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.827
170 CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve
Ticaret AS contre Irlande, req. n° 45036/98
171 op.cit. BENOIT-ROHMER, p.829
172 ibid
173 ibid
29
d'appréciation en mettant en oeuvre le droit
communautaire, il reste entièrement responsable de ses actes au regard
de la Convention »174.
Bien que la Cour se soit reconnue compétente, elle a
également considéré que l'Union possédait un niveau
de protection des droits de l'Homme équivalent à celui de la
Convention. En effet, la Cour de Strasbourg est « conduite à
évaluer à l'aune de la Convention EDH le système
communautaire de protection des droits fondamentaux, (...) [et]
considère que celui-ci protège ces droits d'une manière
équivalente au système européen de protection des droits
de l'homme »175, décernant ainsi un «
label général de conformité à la Convention
»176.
« Par protection « équivalente », la
Cour entend une protection « comparable » à celle
assurée par la Convention »177, c'est-à-dire
une garantie matérielle et procédurale des droits de
l'Homme178. L'Union ayant une jurisprudence, et désormais un
instrument, de protection des droits de l'Homme, la Cour de Strasbourg en a
déduit qu'elle protégeait de façon équivalente les
droits de l'Homme. La notion de « protection « équivalente
» permet à la Cour de ne pas se prononcer sur une vaste
catégorie d'actes communautaires et d'actes nationaux qui les
exécutent, tout en sauvegardant la possibilité [...] d'intervenir
dans des circonstances exceptionnelles de violation « manifeste »
»179.
Le recours à la notion de protection équivalente
permet de prendre en compte le fait que des Hautes Parties à la
Convention soient également Etats membres de l'Union. Cette doctrine
devrait donc naturellement disparaître en cas d'adhésion de
l'Union à la Convention. Cependant, l'on peut également envisager
l'option inverse qui viserait à appliquer cette doctrine de la
protection équivalente à toutes les Hautes Parties. Ceci
permettrait entre autre de désengorger la Cour de Strasbourg. Mais les
critiques de cette doctrine envers l'Union sont également applicables
aux Etats membres. En effet, le but de la Convention n'est pas de supposer
qu'un État respecte les droits de l'Homme mais de contrôler que
tel est bien le cas. L'on peut également envisager le maintien de la
situation actuelle où la protection équivalente ne s'applique
qu'envers les dispositions de l'Union. Pourtant l'équivalence de
protection a été conçue pour permettre une protection des
droits de l'Homme par rapport à des normes
174 KAUFF-GAZIN, Fabienne, L'arrêt Bosphorus de la CEDH :
quand le juge de Strasbourg décerne au système
communautaire un label de protection satisfaisante des droits
fondamentaux (CEDH, 30 juin 2005), Les Petites Affiches, 24 novembre
2005, n°234, p.9
175 ibid
176 ibid
177 CIAMPI, Annalisa, L'Union européenne et le respect
des droits de l'homme dans la mise en oeuvre des sanctions devant la Cour
européenne des droits de l'Homme, Revue générale de
droit international public, 2006, n°110-1, p85, p.93
178 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.844
179 op.cit. CIAMPI, p.107
30
communautaires. Si l'Union adhère, cette doctrine ne
devrait plus avoir d'effet car l'obstacle juridique serait levé et la
Cour de Strasbourg pourrait appliquer directement la Convention à
l'Union et contrôler son droit par rapport à la Convention. Une
dérogation de cette envergure pour l'Union ne serait pas profitable dans
un système qui se veut égalitaire pour tous ses membres. En
outre, l'Union désire avoir la même place que les autres Hautes
Parties. Dans ce cas, elle doit également avoir les mêmes
obligations et devoirs et ne pas se baser sur des présomptions qui
n'existent pas pour les Etats180.
Cette présomption d'équivalence ne pourrait
être levée que si une détérioration du
système de protection des droits de l'Homme au sein de l'Union avait
lieu181. « Il est [donc] difficile
d'imaginer des circonstances dans lesquelles la présomption de
compatibilité avec la Convention pourrait être renversée
»182. Mais cette possibilité permet cependant de
revenir en parti sur la présomption irréfragable que
l'arrêt M. & Co. avait mise en place. De plus, une
protection équivalente étant effectuée et l'Etat se
limitant, sans marge d'appréciation, à l'application de l'acte
communautaire, la Cour de Strasbourg en déduit une présomption de
conformité. « La Cour explique cette présomption de
conformité par l'exigence de ne pas paralyser le fonctionnement de
l'intégration européenne »183.
La Cour de Strasbourg prend ainsi en compte la
particularité de l'ordre juridique communautaire en évitant que
les Etats effectuent un contrôle de conventionalité sur les actes
de l'Union et ne les écartent d'une application interne. Ceci remettrait
en cause le fondement de l'Union184. « La
présomption permet à la Cour de reprendre l'exercice de son
contrôle dès qu'elle jugera dans une affaire donnée que la
protection accordée par le droit communautaire n'est pas satisfaisante
»185.
Mais
« pour apprécier si la présomption peut
ou non jouer, elle devra déterminer si l'Etat membre disposait ou non
d'une marge de liberté dans l'application de la norme communautaire.
Ceci la conduira à se pencher sur des notions telles que celle
d'applicabilité directe, portant ainsi atteinte au monopole de la Cour
de Luxembourg. Nul doute que la coopération entre les cours sera
appelée à se développer pour éviter des solutions
contradictoires »186
180 Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
Adhésion de l'Union européenne/Communauté
européenne à la Convention européenne des Droits de
l'Homme, doc.11533, 18 mars 2008, 38p, p.29
181 POTTEAU, Aymeric, A propos d'un pis-aller : la
responsabilité des Etats membres pour l'incompatibilité du droit
de l'Union avec la Convention européenne des droits de l'homme,
Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p.697
182 supra note 177, CIAMPI, p.100
183 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.845
184 ibid, p.846
185 ibid
186 ibid, p.852-853
31
L'Etat est ainsi entièrement responsable devant la Cour
de Strasbourg quand il a mis en oeuvre le droit primaire de
l'Union187. Il n'en demeure pas moins que le caractère
particulier de l'Union doit être pris en compte. Mais ceci peut
être réalisé par le mécanisme de la marge nationale
d'appréciation, que l'on pourrait appliquer également à
l'Union. L'État est donc responsable également lorsqu'il met en
oeuvre, avec une marge de manoeuvre, le droit dérivé de
l'Union188. Si l'Etat ne possède pas de marge de manoeuvre,
sa responsabilité est alors limitée, la Cour de Strasbourg se
contentant de contrôler si la protection des droits de l'Homme au sein de
l'Union est équivalente à celle de la Convention189.
« Si c'est le cas, la Cour en déduit une présomption de
conventionalité des mesures nationales de pure exécution des
obligations mises à la charge des Etats parties par l'organisation
»190. Ainsi, l'arrêt Bosphorus ne laisse
subsister que « la question de la recevabilité des
requêtes formées à l'encontre d'actes communautaires de
droit dérivé qui ne font pas l'objet de mesures nationales
d'exécution notamment parce qu'ils ne produisent pas d'effets hors de
l'ordre interne des Communautés »191.
Aujourd'hui, l'on se trouve dans une situation paradoxale
où le particulier qui a attaqué un acte communautaire pour
annulation devant la Cour de Luxembourg ne peut pas, par la suite, saisir la
Cour de Strasbourg pour inconventionalité de la procédure de la
Cour de Luxembourg alors qu'un particulier qui est irrecevable à
demander l'annulation d'un acte devant la Cour de Luxembourg pourra saisir la
Cour de Strasbourg192. Le « critère de
l'intervention étatique apparaît donc exagérément
formaliste car, dans le domaine du contentieux communautaire de la
légalité, il conduit en réalité à moduler le
degré de protection apportée par la Convention en fonction de la
recevabilité du recours en annulation »193.
La Cour de Strasbourg semble donc, dans l'affaire
Bosphorus considérer « que l'accès direct pour le
moins limité à la juridiction communautaire constituait le point
faible du mécanisme communautaire de protection des droits fondamentaux
»194.
Mais cet arrêt est également un signe de
confiance envers le système de protection des droits de l'Homme de
l'Union. C'est également une incitation pour la Cour de Luxembourg
à ne pas diminuer son niveau de protection des droits
fondamentaux195.
187 hypothèse de l'arrêt Matthews
188 hypothèse de l'arrêt Bosphorus
189 hyptohèse de l'arrêt Bosphorus
190 supra note 181, POTTEAU
191 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.853
192 op.cit. POTTEAU
193 ibid.
194 ibid.
32
Cependant le contrôle que la Cour de Strasbourg exerce
désormais sur les actes étatiques exécutant le droit de
l'Union a conduit certains auteurs à se demander si
« la Cour n'a-t-elle pas voulu par cet arrêt
établir un régime transitoire dans l'attente de l'adhésion
tout en exerçant une pression discrète sur l'Union dans la mesure
où la solution retenue produit, certes d'une manière
nuancée, des conséquences similaires à l'adhésion
sans que l'Union puisse bénéficier des
196
avantages de celle-ci ? ».
En effet, l'Union « deviendrait responsable au
travers des Etats membres. Dans ce cas, l'adhésion de l'Union à
la Convention, sans être formelle, serait de facto
réalisée »197. La Cour de Strasbourg
avait tenté d'attendre une adhésion officielle de l'Union
à la Convention par son arrêt M & Co. Cependant,
après l'échec du Traité établissant une
Constitution pour l'Europe, la Cour de Strasbourg a été plus
exigeante dans son arrêt Bosphorus.
« L'inégalité de traitement entre les
Communautés et ses Etats membres en matière de
responsabilités du fait des conséquences dommageables d'actes
communautaires, ainsi que les risques croissants de divergences
jurisprudentielles entre la Cour EDH et la CJCE, sont à l'origine de
l'article 6-2 TUE modifié qui prévoit l'adhésion de
l'Union à la CEDH »198
Pourtant, « en étendant sa compétence
aux actes de droit primaire, la Cour suggère une responsabilité
collective des Etats membres »199. La
responsabilité collective des Etats membres pourrait être mise en
place,
« il suffit pour cela d'interpréter au sens
large l'obligation de garantir les droits de la Convention « à
toute personne relevant de leur juridiction » souscrite par les Parties en
vertu de l'article premier de la CEDH, c'est-à-dire sans la limiter
à l'exercice direct des pouvoirs de souveraineté dans le
territoire national, mais en englobant l'exercice de compétences
transférées à des organisations internationales ou
supranationales »200.
Antonio Bultrini, référendaire à la Cour
de Strasbourg, soutient que le fonctionnement de l'Union, notamment par la
place omniprésente des Etats lors de l'élaboration du droit de
l'Union et dans le fonctionnement de l'Union, ainsi que l'imbrication des Etats
membres et de l'Union conduit indubitablement à se demander pourquoi les
Etats ne pourraient pas être responsables collectivement devant la Cour
de Strasbourg des actions de l'Union201.
195 Cour européenne des droits de l'Homme, Conseil de
l'Europe, Dialogue entre juges - Cinquante ans de la Cour européenne
des droits de l'Homme vus par les autres Cours internationales,
Strasbourg, 2009, 93p, p.40
196 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.829
197 ibid., p.839
198 supra note 70, DOLLAT, point 1122
199 supra note 80, GAUTRON, p.6
200 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p1-
14, p.5
201 supra note 142, BULTRINI, p32 à 35
33
En outre, la responsabilité collective des Etats
permettrait de simplifier l'exécution des arrêts de violation de
la Convention pris sur un acte communautaire. En effet, les Etats devraient
tous modifier les actes pris sur cet acte communautaire et par
conséquent l'État condamné ne sera pas contraint de violer
l'un des traités, la Convention ou le droit de l'Union.
L'arrêt Matthews de la Cour de Strasbourg
aborde
« l'éventualité d'une
responsabilité collective des Etats membres dans l'adoption d'un acte
communautaire de droit originaire. Cette idée de responsabilité
collective des Etats membres est à l'évidence de nature à
étendre le contrôle de la Cour européenne des droits de
l'homme dans le champ du droit communautaire, et de susciter de nouvelles
interférences avec le contrôle opéré par la Cour de
justice des Communautés européennes »202.
Il est cependant à noter que la Cour de Strasbourg a
soigneusement laissé la question de l'acceptation d'une requête
dirigée contre l'ensemble des Etats membres de l'Union au
débat203.
De même, qu'en est-il des actes communautaires qui ne
créent des effets qu'au sein de l'Union et non au sein des Etats ? La
Cour de Strasbourg n'a jamais répondu à cette question. En effet,
dans le cadre de l'affaire Christiane Dufay204, la
Commission avait considéré qu'elle ne pouvait examiner la
requête faute d'avoir épuisé les voies de recours
interne.
Durant longtemps, le paradoxe était que les Etats
membres étaient adhérents à la Convention et que la Cour
de Luxembourg se référait expressément à la
Convention pour protéger les droits de l'Homme au sein de l'Union mais,
la Convention ne pouvait examiner le droit de l'Union. La Cour de Strasbourg a
donc, par le biais des Etats membres, effectué un contrôle du
droit de l'Union. L'on se retrouve donc dans une situation inverse où
l'Union se voit appliquer un texte auquel elle n'a pas, encore,
adhéré, mais où elle ne peut se prévaloir de la
protection de ce dernier, notamment pour participer au jugement. En outre,
« Dans la situation actuelle, où les
systèmes juridiques des Etats membres de l'Union continuent d'être
soumis au contrôle du mécanisme conventionnel, on ne voit aucune
raison pour que le système institutionnel communautaire, et notamment
son appareil judiciaire, jouisse, lui, d'une telle exemption. D'autant moins
que le système juridictionnel communautaire, nonobstant ses remarquables
progrès, présente toujours des lacunes d'une certaine
gravité ; par exemple, l'accès de l'individu à la justice
reste fort limité et clairement en retrait par rapport à celui
offert à la fois par le mécanisme conventionnel et par les
mécanismes de protection judiciaire nationaux
»205.
202 supra note 141, SIMON, p40
203 CEDH, 4 juillet 2000, Société Guérin
automobiles c/ les quinze Etats de l'Union européenne, req.
N°5171/99
204 CommissionEDH, décision du 19 janvier 1989, Dufay c/
Communautés européennes, req. N°13539/88
205 supra note 142, BULTRINI, p26-27
34
Bien que l'Union ne soit pas soumise à un
contrôle externe de son action, elle a tenté par son droit interne
de protéger les droits de l'Homme en instaurant la Charte. Cette
instauration d'un instrument interne de protection ne remet cependant pas en
cause l'utilité de l'adhésion à un instrument externe de
contrôle, qui a déjà prouvé par le passé
qu'il était fiable.
35
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