Section 2. La Convention comme source
privilégiée de la Cour de Luxembourg pour la protection des
droits de l'Homme
« Les principes généraux du droit sont
des règles de droit non écrites, d'origine jurisprudentielle,
dont l'autorité se rapproche de celle du droit primaire
»70. En effet, les principes généraux sont
hiérarchiquement supérieurs au droit dérivé de
l'Union. De plus, ils s'appliquent aux Etats membres lorsque ces derniers
exercent une action dans le champ du droit de l'Union, notamment lorsqu'ils le
mettent en oeuvre71.
La Cour de Luxembourg a développé
spécifiquement les principes généraux du droit de l'Union
dont le but de pallier le déficit des normes de protection des droits de
l'Homme existant au sein du droit primaire. Elle s'est alors inspirée
des traités constitutifs de l'Union, du droit international et des
principes communs aux Etats membres. « Pour autant, la Cour n'est pas
l'auteur de ces principes : elle les constate, elle les formule et elle en
sanctionne le respect »72.
67 supra note 50, COUTRON, p.289
68 VAN DER JEUGHT, Stefaan, Le Traité de
Lisbonne et la Cour de justice de l'Union européenne, Journal de
droit européen, 1 décembre 2009, n°164, p.297-303,
p.300
69 op.cit. COUTRON, p.296
70 DOLLAT Patrick, Droit européen et
droit de l'Union européenne, 2ème édition,
2007, Sirey, édition Dalloz, 475p, point 615
71 COSTA, Jean-Paul, La Cour européenne
des droits de l'Homme : vers un ordre juridique européen ?, in
« Mélange en l'hommage à Louis Edmond Pettiti »,
Bruyant, Bruxelles, 1998, 791p, p.197, p.215
72 op. cit., DOLLAT, point 615
14
Dans un premier temps, la Cour de Luxembourg a refusé,
au nom du principe de l'autonomie du droit de l'Union, de contrôler la
légalité des actes communautaires au regard des droits
fondamentaux garantis par les Constitutions nationales73.
Cependant, « cette solution risquait d'associer
l'intégration communautaire à un affaiblissement des droits de la
personne et à une remise en cause de la protection offerte par la
convention européenne des droits de l'homme »74.
Dès 196975, la Cour de Luxembourg revient
donc sur sa jurisprudence de 1959 et « reconnaît que les droits
fondamentaux font partie du droit communautaire en tant que principes
généraux du droit »76. L'année
suivante, elle précise dans l'affaire Internationale
Handelsgesellschaft
« qu'en effet, le respect des droits fondamentaux
fait partie intégrante des principes généraux du droit
dont la Cour de justice assure le respect ; que la sauvegarde de ces droits,
tout en s'inspirant des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres, doit être assurée dans le cadre de la structure
77
et des objectifs de la Communauté ».
Mais la Cour de Luxembourg ne se contente pas de se
référer aux traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres pour revendiquer les principes généraux du droit de
l'Union.
Ainsi, en 1974, elle considère « que les
instruments internationaux concernant la protection des droits de l'Homme
auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré
peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir
compte dans le cadre du droit communautaire »78.
L'année suivante, la Cour de Luxembourg se
réfère explicitement à la Convention79. La
mention expresse de la Convention s'explique par la ratification de la
Convention par la France le 3 mai 1975. Tous les Etats membres étant
enfin soumis à la Convention, cette dernière pouvait être
invoquée par la Cour de Luxembourg.
« La Cour de justice a par la suite
préféré recourir à la Convention plutôt
qu'aux traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, vu la
difficulté d'apprécier la
73 CJCE, 4 février 1959, Stork c/ Haute
Autorité de la CECA, aff. 1/58, Rec. 1948
74 supra note 70, DOLLAT, point 166
75 CJCE, 12 novembre 1969, Stauder c/ Ville d'Ulm,
aff. 26/69, Rec. p.419
76 op. cit. DOLLAT, point 167
77 CJCE, 17 décembre 1970, Internationale
Handelsgesellschaft, aff. 11/70, Rec.CJCE 1970 p.1125
78 CJCE, 14 mai 1974, Nold, aff. 4/73, Rec.
CJCE 1974 p.491
79 CJCE, 28 octobre 1975, Rutili, aff. 36/75,
Rec.CJCE 1975, p.1219
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généralité et le caractère
commun de ces dernières »80. Mais l'on peut
également considérer que tous les Etats membres étant
soumis à la Convention, cette dernière entre dans le champ des
traditions communes aux Etats membres. Ainsi, « la Cour n'a jamais
justifié juridiquement son utilisation de la Convention
européenne des droits de l'homme »81.
L'importance que prendra la Convention au sein de la
jurisprudence de protection des droits de l'Homme de la Cour de Luxembourg
conduira le professeur Cohen-Jonathan à indiquer qu'elle constitue
« l'épine dorsale de l'ordre normatif européen
»82. En effet, la Cour de Luxembourg a reconnu de nombreux
droits, au travers de l'application de la Convention. Les principes
généraux du droit qui ont été relevés ne se
limitent pas aux traditionnels droits tels que le droit de
propriété83 ou le droit au respect de la vie
privée84, mais sont également liés aux droits
procéduraux tels que le droit à un procès équitable
dans un délai raisonnable85 et le droit à la
présomption d'innocence86.
Avec l'arrêt Krombach87, la Cour de
Luxembourg instaure une protection des droits de l'Homme en matière
d'exécution réciproque des décisions judiciaires qui va
au-delà de celle élaborée par la Cour de Strasbourg. En
premier lieu, « il résulte [...] de la jurisprudence
communautaire que le respect des droits de la défense dans toute
procédure ouverte contre une personne et susceptible d'aboutir à
un acte faisant grief constitue un principe fondamental du droit communautaire
»88. Les Etats ont le droit de ne pas appliquer une
décision de justice étrangère si les droits de la
défense, telles qu'interprétés par l'article 6 de la
Convention, ont été violés de façon flagrante ou
manifeste. La Cour de Luxembourg a jugé dans l'affaire Krombach
que la prise en compte de la violation des principes fondamentaux du
procès équitable ne devait pas être atténuée
par le fait que l'affaire portée sur une action
indemnitaire89. La position de la Cour de Luxembourg a
été confortée par la suite par la Cour de
Strasbourg90.
80 GAUTRON Jean-Claude, Droit
européen, mementos Dalloz, Dalloz, 13ème
édition, 2009, 337p, p.46
81 RIDEAU, Joël, La coexistence des
systèmes de protection des droits fondamentaux dans la Communauté
européenne et ses Etats membres, Annuaire international de justice
constitutionnelle, 1991, p11, p.28
82 COHEN-JONATHAN (G.), Aspects
européens des droits fondamentaux, Paris,Montchrestien,
coll.Préparation au CRFPA, 3ème édition, 2002, p.
204.
83 CJCE, 13 décembre 1979, Hauer, aff.
44/79, Rec.CJCE 1979, p. 3727
84 CJCE, 26 juin 1980, National Panasonic,
aff. 136/79, Rec. 2033
85 CJCE, 17 décembre 1998, Baustahhlgewebe
GmbH c/ Commission, aff. C-185/95 P
86 CJCE, 8 juillet 1999, Montecatini SpA c/
Commission, C-235/92 P
87 CJCE, 28 mars 2000, Krombach, aff.
C-7/98
88 JurisClasseur Europe Traité,
Fascicule 452 : Ordre public et droit communautaire, mise à jour 27 juin
2002, point 33
89 ibid., point 36
90 Cour EDH, 13 févr. 2001 : RTDH 2001, p. 802,
chron. F. Sudre
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Ainsi, « l'avocat général Jacobs assure
même que « la convention peut être
considérée à des fins pratiques, comme faisant partie du
droit communautaire » »91. Le Traité de
Lisbonne confirme l'importance donnée à la Convention, indiquant
à l'article 6 §3 TUE que « l'ensemble des droits de le
CEDH est garanti dans l'Union en tant que principes généraux
»92. Notons que le TUE indique désormais la
formulation « principes généraux » et non plus «
principes généraux du droit communautaire » ce qui «
pourrait indiquer un ancrage encore plus solide des droits fondamentaux non
écrits dans le droit de l'Union »93.
Cependant, la Cour de Luxembourg se doit de rester dans la
limite de ses compétences. Ainsi, « le contrôle du
respect des droits de la personne dans les domaines qui ne relèvent pas
du droit communautaire »94 reste à la charge des
juges nationaux et de la Cour de Strasbourg.
Cette autolimitation s'expliquerait également par la
vocation principalement économique de l'Union95.
L'application des principes généraux du droit et la protection
des droits fondamentaux par la Cour de Luxembourg sont limités par les
intérêts communautaires, et donc économique pour la
plupart.
La Cour de Luxembourg a ainsi toujours admis que des
restrictions aux droits fondamentaux pouvaient être apportées pour
permettre la réalisation des objectifs de l'Union, notamment la
création d'un marché commun96. « Les
fondements de la construction européenne ne sont donc pas toujours
compatibles avec une protection optimale des droits fondamentaux
»97. En outre, l'extension des compétences de
l'Union dans des domaines non économique conduirait à une
restriction de la protection de certains droits98. De plus, l'Union
n'étant pas liée à la Convention, la Cour de Luxembourg
peut sélectionner les droits reconnus par la Convention99.
91 GERKRATH, Jorg, Les principes
généraux du droit ont-ils encore un avenir en tant qu'instruments
de protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne ?,
Revue des affaires européennes, 1 janvier 2006, n°1,
p.31-43, p.35
92 ANGEL Benjamin, CHALTIEL-TERRAL Florence,
Quelle Europe après le traité de Lisbonne ? Bruyant,
LGDJ, Montchrestien, Lextenso éditions, 2008, 195p, p.138
93 op.cit. GERKRATH, p.38
94 supra note 70, DOLLAT, point 168
95 REDOR, Marie-Joëlle, La vocation de
l'Union européenne à protéger les droits fondamentaux, in
LECLERC, Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et REDOR,
Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.13,
p.23
96 ibid, p.24
97 ibid, p.25
98 ibid.
99 COHEN-JONATHAN, Gérard et FLAUSS,
Jean-François, De l'office de la Convention européenne des droits
de l'Homme dans la protection des droits fondamentaux dans l'Union
européenne : l'arrêt Matthews contre Royaume-Uni du 18
février 1999, Revue universelle des droits de l'Homme, 30
novembre 1999, n°7-9, p253-262, p.254
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Mais quel sera l'avenir des principes généraux
du droit élaborés par la Cour de Luxembourg après la
consécration de la Charte ?
Certains auteurs, tel que Frédéric Sudre et
Jean-François Flauss, considèrent que les principes
généraux du droit de l'Union ont déjà
été abandonnés par la Cour de Luxembourg au profit de
nouveaux instruments de protection100. Dès 2002, l'on
indiquait que les « principes généraux du droit
communautaire serait la marque d'une époque aujourd'hui
dépassée »101.
Pourtant, le TUE, à son article 6§3, consacre
toujours ces principes comme faisant « partie du droit de l'Union
». La Charte n'a donc pas eu pour résultat de faire «
disparaître la nécessité de protéger les droits
fondamentaux par le jeu des principes généraux
»102. En effet, la jurisprudence de la Cour de Luxembourg,
tout comme celle de la Cour de Strasbourg relative à la Convention,
permettra de faire évoluer la Charte, et ainsi les droits fondamentaux,
en fonction de la société. La « cristallisation
»103 des droits fondamentaux dans la Charte sera ainsi
évitée.
En outre, l'approche de la cour de Luxembourg vis-à-vis
du droit de l'Union et des droits fondamentaux laisse prévoir que le
juge « ne renoncera pas à son rôle créateur en
matière de droits fondamentaux »104. Le juge pourra
ainsi reconnaître de nouveaux droits sur la base de l'évolution
des traditions constitutionnelles nationales et de l'interprétation
constructive de la Convention105. Les principes
généraux ont ainsi l'avantage d'être plus flexibles dans
leur création. Les droits sont ainsi plus rapidement consacrés
par le juge que par les Etats106.
« Compte tenu du fait que la Charte codifie, entre
autres, des droits qui résultent des traditions constitutionnelles
communes aux Etats membres ainsi que de la CEDH et que ces deux sources
inspirent encore les principes généraux du droit dont la Cour
assure le respect, on peut s'attendre à une interaction féconde
des différentes sources matérielles »107.
100 supra note 91, GERKRATH, p.34
Mais, « le juge communautaire pourrait se sentir
« lié » par un texte dévolu aux droits et
libertés et perdre une part de sa légitimité à
faire oeuvre prétorienne en la matière »108.
Dans ce cas, les droits fondamentaux auraient été figés
par la Charte. « L'espace subsistant pour une
101 DUBOUIS, Louis, Les principes généraux
du droit communautaire, un instrument périmé de protection des
droits fondamentaux ?, in « Les mutations contemporaines du droit
public - mélanges en l'honneur de Benoit Jeanneau », Dalloz, 2002,
p77, 720p, p.78
102 KAUFF-GAZIN, Fabienne, Les droits fondamentaux dans le
traité de Lisbonne : un bilan contrasté, Europe,
n°7, juillet 2008, dossier 5
103 ibid.
104 ibid.
105 JACQUE, Jean-Paul, Le Traité de Lisbonne - une vue
cavalière, Revue trimestrielle de droit européen,
2008,
p.439
106 op.cit. DUBOUIS, p.90
107 op.cit. GERKRATH, p.32
108 CORREARD, Valérie, Constitution européenne
et protection des droits fondamentaux : vers une complexité
annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006,
n°2, p501, p.506
18
protection juridictionnelle des droits fondamentaux sera
limité. Il ne sera pas inexistant pour autant. [...] La
protection des droits fondamentaux bénéficiera ainsi d'un
précieux filet de sécurité »109.
Pour autant, c'est la Charte qui est consacrée comme
base de protection des droits fondamentaux au sein de l'Union, les principes
généraux du droit n'étant qu'une « source
subsidiaire et complémentaire »110.
En outre, la Convention elle-même est reconnue par le
Traité et l'adhésion prochaine de l'Union à la Convention
permettra une application directe de cette dernière par le juge de la
Cour de Luxembourg, sans la nécessité de passer par la
création de principes généraux.
Par sa jurisprudence des principes généraux du
droit, la Cour de Luxembourg se contentait de suivre les préceptes
d'autres juridictions et d'appliquer les normes d'autres institutions ou de ses
Etats membres. Cette conception des droits fondamentaux conduisait l'Union
à être condamnée « à un suivisme permanent,
par rapport à [ses] mentors »111 ce qui ne pouvait
être suffisant pour une organisation ayant pour inspiration de se
développer sur la scène internationale et politique.
En outre, la Cour de Luxembourg ne pouvait dégager ces
principes généraux qu'en se basant sur des affaires qui lui
étaient soumises au préalable.
Enfin, bien que les principes généraux
permettent de s'adapter à la société et de revendiquer des
droits plus rapidement, ils ne vont pas forcément renforcer la
sécurité juridique des individus112.
Comme le précise la professeur Marie-Joëlle Redor,
la Cour de Luxembourg a développé les principes
généraux du droit dans le but de renforcer le droit de l'Union et
son applicabilité par les Etats membres, l'objectif de renforcement de
la protection des droits fondamentaux n'étant certainement que
secondaire113.
La jurisprudence de la Cour de Luxembourg a ainsi permis
d'instaurer au sein de l'Union une protection des droits de l'Homme
basée sur la création prétorienne des principes
généraux du droit de l'Union. Même si « l'Union
européenne ne constitue pas une organisation
109 supra note 91 GERKRATH, p.43
110 supra note 102, KAUFF-GAZIN
111 BLUMANN, Claude, Les compétences de l'Union
européenne en matière de droits de l'Homme, Revue des
affaires européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.11-30, p.11
112 PICHERAL, Caroline, Droit institutionnel de l'Union
européenne, université droit, Ellipses, 2006, 336p, p.87
113 supra note 95, REDOR, p.21
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internationale de défense des droits de l'homme en
tant que telle. La protection des droits de l'homme constitue une mission
essentielle, mais non exclusive, pour cette organisation
»114.
Mais la Cour de Luxembourg n'est pas la seule à se
demander la place de la Convention dans l'ordre juridique communautaire. En
effet, la Cour de Strasbourg s'interroge également de connaître
l'application de la Convention à l'Union.
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