Titre 1. L'application de la Convention aux actes de
l'Union
Bien que l'Union ne soit pas partie à la Convention,
cette dernière a une influence très forte sur la jurisprudence de
la Cour de Luxembourg. Très rapidement, elle a fait de la Convention
l'un de ses éléments principaux pour la protection des droits
fondamentaux [Chapitre 1].
Cependant, la Cour de Strasbourg a également
cherché, via l'application aux Etats membres, à appliquer la
Convention aux actes de l'Union [Chapitre 2].
Chapitre 1. L'influence de la Convention sur le
contrôle de la Cour de Luxembourg
L'influence de la Convention s'est effectuée à
travers la création des principes généraux du droit. Ces
principes ont permis à la Cour de Luxembourg de dégager des
règles applicables à l'Union, notamment dans le domaine de la
protection des droits de l'Homme.
Poussée par les juridictions suprêmes nationales
[Section 1], la Cour de Luxembourg a progressivement créé un
corpus de règles de protection des droits de l'Homme au sein de l'Union
[Section 2].
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Section 1. La protection des droits de l'Homme au sein
de l'Union : volonté des juridictions suprêmes nationales
Bien que la Cour de Luxembourg ait affirmé dans
l'arrêt Flaminio Costa c/ E.N.E.L.49 que «
la primauté du droit communautaire constituait une «
exigence existentielle » à l'uniformité, et
partant, à la pérennité de l'ordre juridique nouvellement
créé »50, les Cours constitutionnelles,
souveraines dans leurs Etats respectifs, rejetteront la primauté du
droit de l'Union sur les Constitutions nationales51.
Le contentieux qui naîtra sur la question de savoir si
le droit dérivé communautaire était constitutionnel
n'avait pour fin que de créer un « contentieux dissuasif
»52. Les Cours constitutionnelles souhaitaient s'assurer
que les institutions communautaires, puis de l'Union, « respectent les
droits fondamentaux protégés par les constitutions nationales et,
d'autre part, qu'elles n'empiètent pas sur les compétences des
Etats membres »53.
Il est à noter qu'à l'origine seules les Cours
constitutionnelles allemandes et italiennes exerçaient un contrôle
de constitutionnalité du droit dérivé communautaire visant
à vérifier le respect des droits fondamentaux reconnus par leurs
Constitutions nationales respectives. « La Cour constitutionnelle
allemande entendait inciter ou « stimul[er] » ces
institutions [communautaires] à progresser dans la voie de la
protection des droits fondamentaux »54.
Ainsi, les réserves de constitutionnalité ont
pour objectif de faire en sorte que les institutions de l'Union
« garantissent toujours mieux les droits fondamentaux
et, d'autre part, de leur interdire tout relâchement en ce domaine si
sensible. C'est la raison pour laquelle les réserves de
constitutionnalité nous paraissent politiquement nécessaires,
même si elles sont indiscutablement contraires au droit de l'Union
européenne »55.
Par l'arrêt Frontini et Pozzani56,
la Cour constitutionnelle italienne a relevé une réserve de
constitutionnalité, qui demeure cependant improbable.
« Selon cet arrêt, la constitutionnalité
du droit dérivé ne pourrait, en effet, être
contrôlée que dans l'hypothèse où les institutions
communautaires retiendraient une interprétation « aberrante de
l'article [249 CE (devenu 288 TFUE)] » de nature à
49 CJCE, 15 juillet 1964, Flaminio Costa c/
E.N.E.L., aff. 6/64, Rec. p.1154, points 1158 à 1160
50 COUTRON Laurent, La contestation incidente
des actes de l'Union européenne, Thèses, collection droit de
l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 872p,
p.278
51 à l'exception du Luxembourg et des Pays-Bas
; op.cit. COUTRON, p.278
52 op.cit. COUTRON, p.279
53 ibid
54 ibid, p.279-280
55 ibid., p.281
56 Cour constitutionnelle italienne, 27
décembre 1973, n°183, Frontini et Pozzani, RTDE, 1974,
p.148
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« violer les principes fondamentaux de [l']ordre
juridique constitutionnel ou les droits inaliénables de la personne
humaine » »57.
Mais c'est surtout l'arrêt Solange58,
de 1974, de la Cour constitutionnelle allemande qui a eu un impact sur la
conception de la protection des droits de l'Homme par la Cour de Luxembourg.
Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle allemande «
réserve son contrôle ultime sur les actes du droit
communautaire « aussi longtemps » que la Communauté ne se
serait pas dotée d'une déclaration de droits équivalente
au niveau de protection garanti par la loi fondamentale allemande
»59.
Suite à l'évolution jurisprudentielle de la Cour
de Luxembourg en matière de protection des droits de l'Homme, La Cour
constitutionnelle allemande précisera en 198660 «
qu'au fond, il n'existait aucun problème relatif aux droits
fondamentaux »61. En 200062, elle
évoquera le fait que la protection des droits de l'Homme n'est pas
identique entre l'Allemagne et l'Union mais que cette dernière permet la
protection d'un standard européen de droits
fondamentaux63.
Les Cours constitutionnelles des autres Etats membres ont
imité les Cours constitutionnelles allemande et italienne en posant des
réserves de constitutionnalité. Mais aujourd'hui, le but n'est
plus de faire en sorte que les institutions communautaires respectent les
droits fondamentaux. Par sa déclaration du 13 décembre
200464, le Tribunal constitutionnel espagnol entend « se
prémunir contre une éventuelle déviance dans le
comportement des institutions de l'Union »65.
Relevons que, en Allemagne, Italie et Espagne, « la
mise en oeuvre de la réserve ne repose [donc] pas sur
la spécificité du droit fondamental prétendument
méconnu par l'acte de droit dérivé
»66 mais sur la capacité de l'Union à
protéger les droits fondamentaux. « Il s'ensuit que la cour
constitutionnelle peut, théoriquement, s'assurer que la Cour de justice
garantit effectivement le respect d'un droit consacré à la fois
par le droit de l'Union européenne et par le
57 supra note 50, COUTRON, p.284
58 Cour constitutionnelle de Karlsruhe, 29 mars 1974,
dit Solange I, B. Verf. GE, 37, p.271, RTDE 1974, p.316
59 PESCATORE, Pierre, La coopération
entre la Cour communautaire, les juridictions nationales et la Cour
européenne des droits de l'homme dans la protection des droits
fondamentaux : enquête sur un problème virtuel, Revue du
marché commun de l'Union européenne, n°466, mars 2003,
p.151-159, in PESCATORE, Pierre, Etudes de droit communautaire
européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.865,
p.871
60 Cour constitutionnelle de Karlsruhe, 22 oct. 1986,
BverfGE 73, Solange II : RTDE 1987, p. 537
61 op.cit. PESCATORE, p.871
62 Cour constitutionnelle de Karlsruhe
(2ème chambre), 7 juin 2000, 2 BvL 1/97
63 CHALTIEL, Florence, Le Traité de Lisbonne
devant la Cour constitutionnelle allemande : conformité et
démocratie européenne (A propos de la décision du 30 juin
2009), Les Petites Affiches, 23 juillet 2009, n°146, p.4
64 déclaration du Tribunal constitutionnel, 13
décembre 2004, DTC n°1/2004
65 op.cit. COUTRON, p.285
66 ibid., p.289
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droit constitutionnel »67. La Cour
constitutionnelle allemande se réserve ainsi le droit d'effectuer un
second contrôle après celui réalisé par la Cour de
Luxembourg, alors même que cette dernière « se
considère seule compétence pour contrôler la
validité des actes européens »68.
Les Cours constitutionnelles continuent ainsi de faire «
planer une sorte d'épée de Damoclès sur la production
normative de l'Union européenne, [...] [et] incitent fortement
les institutions européennes à garantir toujours mieux les droits
fondamentaux »69.
Cette pression des juridictions nationales a permis à
la Cour de Luxembourg de prendre toute la mesure des compétences qui lui
étaient conférées pour la protection des droits de l'Homme
dans l'Union.
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