1
« La place dévolue aux droits fondamentaux n'a
cessé au long du siècle de s'affirmer»1.
Après la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux Etats européens ont
intégré au sein même de leur Constitution une
déclaration des droits fondamentaux ayant pour but de protéger
les individus de toute violation de leurs droits. « La
Communauté puis l'Union connaissent le même mouvement : les
traités originaires ne contenaient pas de dispositions
générales relatives aux droits de la personne mais la Cour de
justice a dû rapidement pallier cette lacune »2,
l'Union européenne (ci-après « l'Union ») adoptant
finalement une déclaration des droits de l'Homme par la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « Charte
»).
La distinction qui voudrait que le terme de « droits de
l'Homme » renvoie à la Convention et celui de « liberté
fondamentale » à l'Union3 ne sera pas suivie ici. En
effet, il existe un flou en la matière, la doctrine ne semblant plus
faire de différence entre les droits de l'Homme et les droits
fondamentaux4. « La protection des droits de l'homme ou des
droits fondamentaux, comme on voudra les appeler, les deux expressions
étant synonymes »5, bien que des distinctions
puissent encore exister entre les deux termes. Les droits de l'Homme
excluraient, en principe, les droits reconnus aux personnes morales. De
même, le terme de droit fondamental permettrait d'inclure les droits
économiques, attachés à la matière
communautaire6.
L'Union, et avant elle la Communauté européenne,
n'avait pas pour premier objectif la protection des droits de l'Homme. «
Il n'est pas exagéré de penser que la protection des droits
de l'homme n'était pas la préoccupation prioritaire des
négociateurs du traité instituant la Communauté
européenne »7. En effet, les droits reconnus aux
personnes au sein des traités initiaux n'étaient liés
qu'à la nécessité de créer un marché commun
entre les Etats membres.
L'étude de Hans von der Groeben, l'un des
négociateurs des Traités de Rome, met « en
lumière le fait que les traités européens, [...],
ont consacré d'une manière positive, dans un
1 Actes du colloque de Caen, 23 février
1996 publiés sous la direction de Constance GREWE, Questions sur le
droit européen, Presses Universitaires de Caen, Centre de recherche
sur les droits fondamentaux, 1996, 273p, p.161
2 DOLLAT Patrick, Droit européen et
droit de l'Union européenne, 2ème édition,
2007, Sirey, édition Dalloz, 475p, point 165
3 BERGE Jean-Sylvestre et ROBIN-OLIVIER Sophie,
Introduction au droit européen, Thémis droit, PUF, 2008,
1ère édition, 551p, p.209
4 PELISSIER, Catherine, La protection des
droits économiques et sociaux fondamentaux dans la Communauté
européenne, thèse sous la direction de SUDRE
Frédéric, ANRT, Lille, collection thèse à la carte,
2004, 469p, p.18
5 BRUN, Alain, Les droits fondamentaux et le
citoyen européen, in Actes du colloque international
organisé par le Centre de Recherches Hannah Arendt les 16 et 17 mars
2006, Les droits fondamentaux à l'épreuve de la
mondialisation, édition Cujas, institut catholique d'études
supérieures, 2006, 166p, p.45, p.46
6 op.cit. BERGE et ROBIN-OLIVIER, p.209
7 SIMON, Denys, Des influences réciproques
entre CJCE et CEDH : « Je t'aime, moi non plus » ?, Revue
Pouvoirs, 2001/1, n°96, p31-49, p32
2
ensemble de dispositions d'allure tantôt plus
générale, tantôt plus concrète, certains principes
qui sont, pour le moins, proches d'une garantie des droits fondamentaux
»8. Ainsi, la reconnaissance de la liberté de
circulation des travailleurs et de la non discrimination entre les citoyens des
Etats membres a permis une première approche de la protection des droits
de l'Homme au sein de la Communauté.
L'objectif premier de la construction communautaire
était la création d'un lien solide entre les Etats membres. Pour
se faire, une approche basée uniquement sur l'aspect économique
des relations étatiques était préférable. En effet,
les Etats européens avaient montré des réticences à
mettre en place une coopération politique d'intégration, ce qui
s'est traduit par l'échec de la mise en place de la Communauté
européenne de défense et de la Communauté politique
européenne. Les rédacteurs des traités de Rome ont donc
choisi de ne consacrer que les droits fondamentaux pouvant contribuer à
la création du marché commun. En outre, l'Europe possédait
déjà une organisation qui avait fait de la protection des droits
de l'Homme sa priorité, le Conseil de l'Europe.
Créé en 1949, le Conseil de l'Europe adopte un
an plus tard un instrument particulier de protection des droits de l'Homme, la
Convention de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales9 (ci-après « la Convention »). La
particularité de cette Convention est l'instauration d'un juge
spécifique chargé du contrôle du respect des droits de
l'Homme énoncés. La Cour européenne des droits de
l'Homme10 (ci-après « la Cour de Strasbourg ») a
ainsi été instituée dans le but de s'assurer que les Etats
signataires (ci-après « Hautes Parties ») de la Convention
respectaient leurs engagements. La jurisprudence que la Cour de Strasbourg
adopta, et les divers protocoles additionnels à la Convention, permirent
à la Convention de développer la protection des droits de l'Homme
au sein des différentes Hautes Parties en permettant la prise en compte
de l'évolution sociale.
Mais les deux organisations européennes ne restent pas
étrangère l'une à l'autre et les relations se
développent. Dès 1959, une coopération s'installe de
manière informelle par
8 PESCATORE, Pierre, Les droits de l'homme et
l'intégration européenne, Cahiers de droit européen,
Bruyant, 1968, p.629-673, in PESCATORE, Pierre, Etudes de droit
communautaire européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.127,
p.146
9 Convention de Sauvegarde des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales, Rome, 4.XI.1950, telle qu'amendée par
les protocoles n°11 et 14
10 A noter que la Cour européenne des droits
de l'Homme n'a été instituée qu'en 1998,
précédemment c'est la Commission européenne des droits de
l'Homme qui procédait au contrôle du respect de la Convention
3
l'échange de lettres, de rapports mais également
d'experts11. Cette première relation a eu pour mérite
de permettre un premier rapprochement entre les deux organisations
européennes, même si elle n'a pas permise la mise en place d'une
réelle coopération au sens strict. En 1987, les deux
organisations décident de mettre en place un rapport annuel
étudiant leurs relations12. Deux ans plus tard, l'on
prévoit un dialogue politique entre la Communauté
européenne et le Conseil de l'Europe par l'instauration de
réunions annuelles. Depuis 1996, la Commission est autorisée
à participer aux réunions du Comité des Ministres. En
outre, en 2001, les deux organisations ont adopté un programme commun
pour permettre le développement de la démocratie dans les Etats
de l'Est de l'Europe.
« A priori, la concurrence entre systèmes, et
partant entre juridictions ne devrait pas exister »13.
Mais les organisations se chevauchant territorialement et évoluant vers
plus de compétence. Les relations entre les deux organisations sont
complexes depuis que l'Union étend ses compétences dans le
domaine des droits de l'Homme.
En effet, assez rapidement, les Etats membres de la future
Union (ci-après « les Etats membres ») ont
désiré de renforcer les liens qui les unissaient, notamment
à travers le domaine des droits fondamentaux14. Dès
1973 au sein de la déclaration de Copenhague,
« les chefs d'État et de gouvernement des Neuf
énoncent dans la déclaration sur l'identité
européenne [...] qu' : « ils entendent sauvegarder les principes de
la démocratie représentative, du règne de la loi, de la
justice sociale - finalité du progrès économique - et du
respect des droits de l'Homme, qui constituent des éléments
fondamentaux de l'identité européenne... »
»15.
Cet attachement est renouvelé au sein même du
préambule de l'Acte unique en 1986. « On assiste à un
phénomène d'accrétion qui tôt ou tard finit par
produire ses effets dans l'ordre communautaire, soit en constituant un bain qui
imprègne de façon diffuse l'activité communautaire, soit
en se traduisant par un amendement au traité »16.
L'activité de l'Union et les révisions successives des
traités démontrent clairement ce cheminement. Les
déclarations du passé ont conduit à une évolution
des objectifs de l'Union, passant progressivement d'une Union uniquement
économique à une Union également politique.
11 Fascicule 6100 : Conseil de l'Europe - objectifs
et structures politiques, JurisClasseur Europe Traité, mise
à jour 1er novembre 2009, point 41
12 ibid., point 42
13 BURGORGUE-LARSEN, Laurence, Le fait
régional dans la juridictionnalisation du droit international,
colloque de Lille « La juridictionnalisation du droit international
», SFDI, Paris, Pedone, 2003, 552p, p.203-264
14 C'est le cas du projet de traité pour une
union politique de 1953, de la déclaration des chefs d'État lors
du sommet de Paris de 1972, du projet dit Spinelli de 1984 ou de la
déclaration des droits et des libertés fondamentaux de 1989.
15 Supra note 2, DOLLAT, point 159
16 ibid., point 159
4
En 1992, le Traité de Maastricht marque un tournant de
la conception du rôle de l'Union dans le domaine de la protection des
droits fondamentaux. En effet, il énonce que
« l'Union respecte les droits fondamentaux, tels
qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales, [...], et tels qu'ils
résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres,
en tant que principes généraux du droit communautaire
»17.
Le Traité de Maastricht a également
créé la citoyenneté de l'Union à l'égard des
nationaux des Etats membres18, permettant notamment l'obtention de
droits politiques spécifiques. « L'institution de la
citoyenneté européenne et la proclamation des droits y
afférents constitue sans doute la première tentative d'envergure
en vue de dépasser la logique essentiellement économique des
origines »19.
Cinq ans plus tard, le Traité d'Amsterdam indique
à son article 6 §1 que l'Union « est fondée sur les
valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de
démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi
que de respect des droits de l'homme ». Cet article rejoint les
critères politiques, élaborés lors du Conseil
européen de Copenhague de 1993, que les Etats candidats à
l'adhésion de l'Union doivent respecter. Mais c'est surtout un symbole
du changement de perspective de la politique de l'Union et de son ouverture
vers la rédaction d'un texte de protection des droits fondamentaux
propres à l'Union20.
De plus, le droit de l'Union21 ne se contente pas
uniquement d'énoncer des droits et libertés, il prévoit
les moyens de les faire respecter par les Etats membres. En effet, le
Traité d'Amsterdam prévoit à son article 7 des sanctions
à l'encontre des Etats membres qui violeraient gravement et avec
persistance les principes énoncés à l'article 6.
En outre, la valeur de principes directeurs est
conférée aux droits fondamentaux. Ainsi, les droits fondamentaux
ne sont plus uniquement des droits subjectifs mais doivent permettre de guider
les activités de l'Union et de créer une Communauté de
droit, aujourd'hui devenue Union de droit.
L'Union de droit et l'État de droit reposent sur des
critères identiques. « D'une part la soumission de l'ensemble
des autorités publiques, y compris le législateur, à des
normes supérieures préalablement édictées ; d'autre
part, l'organisation de procédures de contrôle
17 article F§2 du traité de Maastricht
18 article 8 du traité de Maastricht
19 AKANDJI-KOMBE, Jean-François, Le
développement des droits fondamentaux dans les traités,
in LECLERC, Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et
REDOR, Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.31,
p.42
20 ibid, p.48 et 56
21 Anciennement droit communautaire. A noter que
nous n'utiliserons que le terme de « droit de l'Union » permettant de
faire référence tant aux droits anciens qu'actuels
5
garantissant le respect des normes et de leur
hiérarchie afin d'éviter l'arbitraire »22.
L'Union de droit a ainsi pour objectif de protéger les droits et les
libertés des citoyens. Il est à noter que la Cour de Luxembourg
avait, dès 1986, jugé que « la Communauté
économique européenne est une communauté de droit en ce
que ni ses Etats membres ni ses institutions n'échappent au
contrôle de la conformité de leurs actes à la charte
constitutionnel de base qu'est le traité »23.
L'entrée en vigueur, le 1er décembre
2009, du Traité de Lisbonne renforce l'Union de droit, l'article 19
§1 du Traité sur l'Union européenne (ci-après «
TUE ») disposant que la Cour de Luxembourg « assure le respect du
droit dans l'interprétation et l'application des traités
», et la protection des droits de l'Homme au sein de l'Union. En
effet, le Traité de Lisbonne fait dans un premier temps
référence, à son article 2 TUE, aux « valeurs
» de l'Union24. Il consacre également, comme l'un
des objectifs de l'Union, la protection des droits de l'Homme25.
Mais l'apport principal se trouve à l'article 6 TUE, le paragraphe 1
accordant à la Charte la valeur juridique d'un traité, tandis que
le paragraphe 2 prévoit l'adhésion de l'Union à la
Convention.
Jusqu'à l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne, la protection des droits de l'Homme au sein de l'Union était
basée, essentiellement, sur la jurisprudence de la Cour de Justice des
Communautés européennes26 (ci-après « Cour
de Luxembourg ») et non sur le droit originaire ou dérivé,
même si ce dernier a permis la reconnaissance de droits
fondamentaux27. La jurisprudence de la Cour de Luxembourg a ainsi
permis d'instaurer au sein de l'Union une protection des droits de l'Homme
basée sur la création prétorienne des principes
généraux du droit de l'Union européenne.
Mais, « l'Union européenne ne constitue pas
une organisation internationale de défense des droits de l'homme en tant
que telle. La protection des droits de l'homme constitue une mission
essentielle, mais non exclusive, pour cette organisation
»28. Le fait que les Etats membres de l'Union soient
également Hautes Parties à la Convention devait permettre une
22 supra note 2, DOLLAT, point 163
23 CJCE, 23 avril 1986, Les Verts c/ Parlement
européen, aff. 294/83. Rec.1986 p 01339
24 dignité humaine, liberté,
démocratie, égalité, Etat de droit et droits de l'Homme
25 notamment dans ses relations extérieures,
article 3§5 TUE
26 devenue Cour de Justice de l'Union
européenne après l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne en 2009
27 Directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin
2000, relative à la mise en oeuvre du principe de
l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de
race ou d'origine ethnique (JO L 180 du 19 juillet 2000, p.22) ; Directive
97(80(CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de
la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (JO L 14 du
20 janvier 1998, p.6) ; Directive 95/46/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel à la libre circulation de ces données
(JO L 281 du 23 novembre 1995, p.31)
28 LE BOT, Olivier, Charte de l'Union
européenne et Convention de sauvegarde de l'Homme : la coexistence de
deux catalogues de droits fondamentaux, Revue trimestrielle de droits de
l'Homme, n°55/2003, p.781-811, p.810
6
protection des droits fondamentaux au sein de
l'Union29. Pourtant, très rapidement des limites se sont
posées, notamment par le fait que le droit de l'Union prime sur le droit
interne des Etats membres et soit d'effet direct. L'idée d'une
adhésion de l'Union à la Convention est donc rapidement
née.
La proposition de l'adhésion de l'Union à la
Convention a été lancée pour la première fois en
197930. A la suite de divers appels à l'adhésion de la
part des Communautés31 mais également du Conseil de
l'Europe32.
En 1996, c'est le refus de la Cour de
Luxembourg33 qui avait arrêté le processus en
indiquant qu'une révision des traités était
nécessaire pour permettre l'adhésion de l'Union à la
Convention. Elle relevait ainsi que
« si le respect des droits de l'Homme constitue (...)
une condition de la légalité des actes communautaires, force est
toutefois de constater que l'adhésion à la convention
entraînerait un changement substantiel du régime communautaire
actuel de la protection des droits de l'Homme, en ce qu'elle comporterait
l'insertion de la Communauté dans un système institutionnel
international distinct ainsi que l'intégration de l'ensemble des
dispositions de la convention dans l'ordre juridique communautaire
»34.
Par la suite, la place réservée aux droits de
l'Homme dans le Traité d'Amsterdam a conduit à considérer
ce Traité comme étant « un coup fatal à
l'adhésion de l'Union à la Convention »35,
voir même à « une disparition du système de la
Convention européenne des droits de l'Homme dans l'Union
»36. Les dispositions du Traité de Lisbonne montre
qu'il n'en est rien, l'adhésion de l'Union à la Convention
n'ayant jamais été aussi vraisemblable, l'Union en ayant fait une
de ses priorités pour les prochains mois37.
29 BERTONCINI Yves, CHOPIN Thierry, DULPHY Anne,
KAHN Sylvain et MANIGAND Christine, Dictionnaire critique de l'Union
européenne, Armand Colin, Paris, 2008, 489p, p.127
30 Commission Memorandum, Accession of the
Communities to the European Convention on Human Rights, Bulletin of the
European communities, Supplement 2/79, adopted by the Commission on 4 april
1979, COM(79)210 final, 21p
31 entre autres : communication de la Commission du
19 novembre 1990, SEC(90)2987 final ; communication de la Commission du 9
octobre 1995, SEC(90)2087 final - C3 - 0022/93 ; proposition de
résolution du Parlement européen, P.E. Doc. 80/79 ; document de
travail du Parlement européen du 6 mars 1986, Doc. B 2-1692/85.
32 Entre autres: APCE, Résolution 745 (1981)
sur l'adhésion des Communautés européennes à la
Convention des Droits de l'Homme ; APCE, Résolution 1068(1995) relative
à l'adhésion de la Communauté européenne à
la Convention européenne des droits de l'homme
33 CJCE, avis 2/94, 28 avr. 1996, Adhésion
à la CEDH : Rec. CJCE 1996, I, p. 1759
34 supra note 2, DOLLAT, point 1123
35 RENUCCI, Jean-François, L'Union
européenne : futur justiciable de la Cour européenne, Les
Petites Affiches, 2 mars 2006, n°44, p.41
36 ibid
37 Conseil de l'Union européenne,
Adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, 6180/10, LIMITE, CATS14, JAI114, COHOM26, DROIPEN14,
Bruxelles, 8 février 2010 (10.02) (OR. en)
7
Le Traité de Lisbonne, issu de l'échec du
Traité établissant une Constitution pour l'Europe, a permis de
remettre à l'ordre du jour la question de l'adhésion de l'Union
à la Convention. C'est notamment « sous l'influence de
l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux que la question de
l'adhésion est revenue à l'ordre du jour européen
»38. L'idée de l'adhésion de l'Union
à la Convention a été relancée par la Finlande en
200039. Dès 2001, le Comité directeur pour les droits
de l'homme était chargé d'étudier les implications
juridiques d'une telle adhésion40. En 2005, la Commission
indiquait que « l'adhésion à la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales renforcera l'engagement européen de protéger les
droits de l'homme, en introduisant un contrôle juridictionnel externe du
respect des droits fondamentaux par l'Union européenne
»41.
Pourtant, la distinction était que « deux
voies s'ouvraient pour assujettir la Communauté au respect des droits
fondamentaux »42. La première voie
était l'ajout d'un catalogue des droits fondamentaux aux traités
communautaires, la seconde l'adhésion à la Convention. Le
Traité de Lisbonne ne tranche pas entre ces deux possibilités
mais les cumuls. Ainsi, il intègre la Charte et prévoit
l'adhésion de l'Union à la Convention au sein d'un seul et
même article, l'article 6 TUE.
L'adhésion de l'Union à la Convention est
restée d'actualité car son absence en tant que Haute Partie
à la Convention projette une image négative de la protection des
droits de l'Homme par l'Union, d'autant plus que les Etats candidats à
l'adhésion de l'Union doivent au préalable faire partie de la
Convention et que l'Union intègre dans ses accords multilatéraux
avec les Etats tiers des clauses sur le respect des droits de l'Homme.
En outre, cette non-adhésion provoque des distorsions
de droit entre les deux organisations européennes et entre l'Union et
ses Etats membres. La protection même des droits de l'Homme est remise en
cause puisque les deux Cours européennes pourraient avoir des
discordances jurisprudentielles sur certains points des droits fondamentaux.
Enfin, les violations des droits de l'Homme par le droit de l'Union ne peuvent
être pleinement contrôlées et les
38 IMBERT, Pierre-Henri, De l'adhésion de
l'Union européenne à la CEDH - symposium des Juges au
Château de Bourglinster - 16 septembre 2002, Droits
fondamentaux, n°2, janvier-décembre 2002, p11-19, p11
39 Conférence des représentants
des gouvernements des Etats membres, CIG 2000 : Compétence pour
adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à
Rome le 4 novembre 1950, Délégation finlandaise, CONFER4775/00,
LIMITE, Bruxelles, 22 septembre 2000 (28.09) (OR. En)
40 op. cit. IMBERT
41 Communication de la Commission au Conseil et
au Parlement européen établissant pour 2007-2013 un
programme-cadre « droits fondamentaux et justice », 6 avril
2005, COM(2005)122 final, p4
42 GAUTRON Jean-Claude, Droit
européen, mementos Dalloz, Dalloz, 13ème
édition, 2009, 337p, p.47
8
modifications du droit de l'Union restent difficilement
réalisables par la condamnation d'un Etat membre et non de l'Union.
« Ainsi que le fait remarquer l'Assemblée,
« les lacunes les plus graves sont constatées dans les institutions
de l'Union européenne elle-même : il s'agit des seules
autorités publiques actives dans les Etats membres du Conseil de
l'Europe qui échappent à la juridiction de la Cour
européenne des Droits
43
de l'Homme [...] » ».
Mais cette double approche de la protection des droits de
l'Homme dans l'Union, avec la Charte et l'adhésion à la
Convention, n'est pas sans posée des difficultés. « De
ce foisonnement ressortent des relations complexes entre les deux droits
européens en présence »44.
Comment les deux ordres européens vont-ils pouvoir
co-exister ? Le Conseil de l'Europe doit faire face à la concurrence de
l'Union, d'autant plus que le territoire de celle-ci tant à
s'élargir au fur et à mesure des nouvelles
adhésions45. L'adhésion de l'Union à la
Convention permettrait de renforcer les liens entre les deux organisations et
de permettre une coopération entre les différentes
institutions.
Comment l'Union pourra-t-elle concilier l'application de deux
normes de protection des droits de l'Homme ? « La multiplication des
textes, au même titre que l'inflation législative, peut nuire
à la qualité et à l'applicabilité de l'ensemble
»46, d'autant plus lorsque ce domaine d'action est
déjà couvert par une organisation qui a prouvé sa
capacité de protection. « Les risques résultant d'une
protection à géométrie variable et de la coexistence de
deux mécanismes parallèles de protection des droits et
libertés ne doivent pas être sous-estimés
»47.
Face également aux difficultés qu'engendrerait
une telle adhésion, l'on peut se demander « si le jeu en vaut
la chandelle »48 ? En effet, l'adhésion de l'Union
à la Convention permettra-t-elle un renforcement de la protection des
droits fondamentaux des citoyens de l'Union ?
43 Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe, Adhésion de l'Union européenne/Communauté
européenne à la Convention européenne des Droits de
l'Homme, doc.11533, 18 mars 2008, 38p, p.7
44 supra note 42., GAUTRON, p.26
45 supra note 11, fascicule 6100, point 46
46 BLUMANN, Claude, Citoyenneté
européenne et droits fondamentaux en droit de l'Union européenne
: entre concurrence et complémentarité, in «
Mélange en hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN -
Libertés, justice, tolérance », volume I et II, Bruyant,
2004, 1784p, p.265, p.274
47 supra note 26, BERTONCINI et al.,
p.127
48 CHALTIEL, Florence, L'Union européenne
doit-elle adhérer à la Convention Européenne des Droits de
l'Homme ?, Revue du Marché Commun et de l'Union
Européenne, 1 janvier 1997, n°404, p.34-50, p.47
9
Des incertitudes quant à l'utilité d'une telle
adhésion, au moment où l'Union se dote d'un instrument de
protection des droits de l'Homme, ont été soulevées
[Partie 1]. D'autant plus que les modalités de l'adhésion et les
répercutions sur les deux organisations européennes, l'Union et
le Conseil de l'Europe, risquent de déstabiliser le système de
protection mis patiemment en place en Europe depuis soixante ans [Partie 2].
10
Partie 1. Le contrôle de la conformité des
actes de l'Union vis-à-vis des droits fondamentaux
En 2000, l'Union s'est dotée d'un instrument de
protection des droits de l'Homme, la Charte. Cette dernière est
entrée en vigueur le 1er décembre 2009 et est
opposable aux institutions de l'Union et aux Etats membres lorsqu'ils mettent
en oeuvre le droit de l'Union. La Charte devrait donc permettre une
valorisation des droits fondamentaux au sein de l'Union et une protection des
droits des citoyens de l'Union [Titre 2].
Mais la mise en oeuvre de cette Charte a été
précédée de la volonté des deux Cours
européennes de protéger les droits de l'Homme. Ainsi, une
véritable appropriation de la Convention par la Cour de Luxembourg avait
eu lieu, tandis que la Cour de Strasbourg s'efforçait, par des moyens
détournés, d'appliquer la Convention aux actes de l'Union [Titre
1].
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