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La protection des droits fondamentaux au sein de l'Union européenne

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par Stéphanie Ducret
Université Lumière Lyon 2 - droits de l'homme 2010
  

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Section 2. Le maintien de l'autonomie du droit de l'Union

Bien que le Royaume-Uni soit réticent à l'évolution des compétences et des domaines d'action de l'Union, concernant l'adhésion de l'Union à la Convention, la Chambre des Lords se montre favorable, en soulignant qu'elle ne remettrait pas en cause l'autonomie de l'ordre communautaire488.

En effet, en cas d'adhésion, la Cour de Strasbourg ne sera pas saisie directement mais ne pourra contrôler que les affaires qui lui seront déférées. Le point 1 de l'article 32 de la Convention indique notamment que « la compétence de la Cour s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34 et 47 ».

Ceci n'entraînera pas un affaiblissement du rôle de la Cour de Luxembourg, qui conservera son monopole de l'interprétation du droit de l'Union.

En outre, l'autonomie du droit de l'Union ne devrait pas être amoindrie par une adhésion de l'Union à la Convention puisque la Cour de Strasbourg, certes peut condamner l'Union pour violation de la Convention, mais elle laisse le choix des moyens aux Hautes Parties pour se conformer à l'arrêt489. L'Union restera donc libre, comme les Etats, de modifier son droit pour se conformer à la Convention490. En effet, les arrêts de la Cour de Strasbourg ont un caractère déclaratoire. La Cour de Strasbourg se refuse ainsi à indiquer à l'État comment exécuter son arrêt. Cependant, malgré le fait que ces arrêts ne soient que déclaratoires, ils n'en demeurent pas moins revêtus de l'autorité de la chose interprétée et le principe de primauté et d'effet direct du

487 supra note 454, SZYMCZAK, p.415

488 supra note 374, BADINTER, p.152

489 supra note 382, IMBERT, p.17

490 RENUCCI, Jean-François, L'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme : actualité d'une vieille idée..., in « Mélanges en l'honneur de Pierre Julien - la justice civile au vingt et unième siècle », Edilaix, 2003, p380, 432p, p.389

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droit s'appliquent491. En outre, les arrêts s'imposent à toutes les autorités nationales, qui devront au minimum écarter la norme nationale contraire. La même règle devrait ainsi s'appliquer également à l'Union.

Cependant, l'évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg montre que cette autonomie tant à s'amoindrir. En effet, désormais la Cour de Strasbourg enjoint les Etats, et donc dans un futur proche certainement l'Union, d'exécuter certains actes pour se conformer à l'arrêt rendu. « Les exceptions au principe de l'absence de pouvoir d'injonction se multiplient ces dernières années »492, même si ceci ne reste que des « invitations ». Elle a ainsi jugé le 8 avril 2004493 que « l'injonction ne mettrait pas en cause, dans son principe, le pouvoir d'appréciation dont dispose un Etat défendeur quant aux modalités d'exécution d'un arrêt de violation »494. Mais dès le 8 juillet 2004, la Cour indique uniquement que « compte tenu des motifs sur lesquels s'est fondé le constat de violation par les deux Etats défendeurs, ces derniers doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à la détention arbitraire des requérants encore incarcérés et assurer leur libération immédiate » 495. Cette nouvelle approche semble être justifiée par le fait que la Cour ait voulu

« donner effet à l'une des règles les plus traditionnelles du droit de la responsabilité internationale de l'Etat, [...] : l'obligation de faire cesser immédiatement l'illicite. Elle répond de la sorte tardivement à une demande pressante formulée à maintes reprises en doctrine. La réserve manifestée jusqu'alors par la Cour européenne s'expliquait sans doute par sa réticence à envisager la reconnaissance à son profit, par voie prétorienne, d'un pouvoir d'injonction, mettant à l'épreuve le caractère purement déclaratoire prêté à ses arrêts. »496

La Cour de Strasbourg a notamment amplifié la portée de ses arrêts en élaborant la technique des « arrêts-pilotes »497. La Cour a alors indiqué que des mesures générales au niveau national devaient être prises car la violation touchait des milliers de personnes. L'Union devrait donc respecter les indications de la Cour de Strasbourg en cas d' « arrêt-pilote » prononcé à son encontre. La Cour de Strasbourg a précisé que « ces mesures devaient comprendre un mécanisme

491 LAMBERT ABDELGAWAD, Elisabeth, L'exécution des décisions des juridictions européennes (Cour de justice des Communautés européennes et Cour européenne des droits de l'Homme), Annuaire français de droit international, 2006, p677, p.683

492 ibid., p.697

493 CEDH, 8 avril 2004, Assanidzé c/ Géorgie, requête n° 71503/01

494 FLAUSS, Jean-François, Actualité de la Convention européenne des droits de l'homme (février-juillet 2004),AJDA 2004, p.1809

495 CEDH, 8 juillet 2004, , Ilascu et autres c/ Moldova et Russie, requête n° 48787/99, point 490

496 FLAUSS, op. cit.

497 première utilisation dans l'arrêt de la CEDH, 28 septembre 2005, Boniowski c/ Pologne, no 31443/96

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offrant aux personnes lésées une réparation pour la violation établie de la convention »498. Pourtant, avec cette méthode, la Cour de Strasbourg s'éloigne un peu plus des compétences que la Convention lui octroie. Le risque est un bouleversement de « l'équilibre entre la Cour et le Comité des Ministres, et [de] déplace[r] la Cour à tort sur un champ politique »499, mais également de remettre en cause l'autonomie des Hautes Parties, bien que le but soit la protection des droits de l'Homme.

Il est à noter que la Cour de Luxembourg utilise également une variante des « arrêts-pilote ». Elle a ainsi constaté en 2005500 « un manquement « général » aux obligations communautaires d'un État, desquelles on pouvait inférer une obligation d'adopter des mesures générales au titre de l'exécution, mais cela sans aucune conséquence au niveau du jugement de la Cour »501. Le manquement généralisé est caractérisé par rapport à la durée du manquement, à son ampleur et à sa gravité502.

Tant la Cour de Luxembourg que la Cour de Strasbourg justifient cette nouvelle méthode pour remédier à la multiplication des recours et à « l'inadaptation de l'approche classique pour remédier à des défaillances structurelles »503.

Il est également précisé que la Convention n'étant pas les compétences des Hautes Parties. La Cour de Strasbourg a pour unique rôle de contrôler le respect de la Convention et d'établir la responsabilité des Hautes Parties en cas de violation. Cependant, la Cour de Strasbourg a élaboré des obligations dites positives lors de l'affaire linguistique belge de 1968504, obligeant les Etats à agir pour protéger les droits fondamentaux inscrits dans la Convention. La simple inaction de l'État ne suffit plus505. Dans ce cadre, serait-il possible qu'involontairement, la Cour de Strasbourg étende les compétences de l'Union ?506 L'application de ces obligations à l'Union semble restreinte. « Au vue de l'article 1er de la CEDH, il est clair que, généralement, l'absence d'une compétence de l'UE dans un domaine pour lequel un droit de la CEDH a une

498 supra note 491, LAMBERT ABDELGAWAD, p.701

499 ibid., p.703

500 CJCE, 26 avril 2005, Commission c/ Irlande, aff. C-494/01, Rec. p. I-3331

501 op.cit. LAMBERT ABDELGAWAD, p.703

502 ibid, p.704

503 ibid.

504 CommissionEDH, arrêt du 23 juillet 1968, affaire linguistique belge, Série A, n°6, p.32

505 MARGUENAUD, Jean-Pierre, La Cour européenne des droits de l'Homme, collection connaissance du droit, Dalloz, 3ème édition, 2005, 155p, p.40-41

506 supra note 382, IMBERT, p.17-18

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pertinence mènera à une absence de responsabilité au regard de la CEDH »507. Il n'y aura donc pas d'élargissement des compétences de l'Union par ce biais, mais vraisemblablement une irrecevabilité de la requête. Mais, dans le cas d'obligation positive de l'Union dans un domaine de compétence où elle a déjà pris des dispositions, elle devra prendre les mesures adéquates pour protéger les droits des individus.

L'adhésion pourrait ainsi remettre en cause l'autonomie de l'ordre juridique communautaire puisque l'Union et la Cour de Luxembourg devraient se conformer à la décision de la Cour de Strasbourg508. L'article 55 de la Convention prévoit en effet que la Cour de Strasbourg est seule compétente pour régler les conflits entre les Hautes Parties. Ces dernières ne peuvent, « sauf compromis spécial », soumettre un différend à l'appréciation d'une autre juridiction et se prévaloir d'autres traités en la matière.

Ceci va à l'encontre des dispositions des Traités communautaires. En effet, la Cour de Luxembourg doit demeurer, conformément aux traités, l'interprète en dernier ressort du droit de l'Union. Elle doit garantir le respect du droit de l'Union et les Etats membres se sont engagés à ne pas soumettre un désaccord portant sur l'interprétation des traités à une autre instance. « En conséquence, le principe d'autonomie de l'ordre juridique de l'Union exclut que la Cour de justice puisse être liée par l'interprétation qu'une autre instance juridictionnelle aura pu faire du droit de l'Union »509. Mais si l'Union adhère à la Convention qui est soumise à un tribunal international, la Cour de Luxembourg se devra de respecter l'interprétation de la Cour de Strasbourg, conformément à son avis 1/91510.

En outre, la Cour de Luxembourg avait précisé dans son avis 2/94 que l'autonomie du droit de l'Union devait être préservé, et notamment celle de la Cour, pour ne pas créer une hiérarchisation de fait entre les deux Cours européennes. Pourtant, l'adhésion ne devrait créer qu'une coopération plus accrue entre les deux Cours et non une hiérarchisation.

Un recours devant la Cour de Strasbourg d'un arrêt de la Cour de Luxembourg

« n'est pas non plus susceptible d'affaiblir l'autorité de la Cour de Justice car la soumission au contrôle d'une instance extérieure exprime une volonté, une ouverture en faveur du plein respect des droits et libertés

507 supra note 382, IMBERT, p.18

508 CORREARD, Valérie, Constitution européenne et protection des droits fondamentaux : vers une complexité annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006, n°2, p501, p.512

509 supra note 352, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, doc.11533, p.31

510 CJCE, Projet d'accord concernant la création de l'Espace économique européen, 14 décembre 1991, avis 1/91, Recueil CJCE 1991, p. I-6079, §40

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garantis. Cela ne peut que renforcer l'autorité et la crédibilité des

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institutions communautaires et non les affaiblir ».

De plus, ces décisions ne seraient susceptibles de recours devant la Cour de Strasbourg qu'en matière de droit de l'Homme. La Cour de Strasbourg ne contrôlerait alors que le respect de ce droit et non le droit de l'Union. Cependant, la Cour de Luxembourg prend en compte les droits fondamentaux économiques de l'Union et pratique une proportionnalité des actes pris par rapport aux différents droits reconnus par l'Union. En effet, la Cour de Luxembourg est, conformément à la lettre du traité, l'unique juridiction compétente pour assurer, in fine, le respect du droit de l'Union. Elle effectue la « conjug[aison de] l'interprétation européenne des dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme avec la logique communautaire »512. La Cour de Strasbourg qui n'a pour objectif que de faire respecter les droits de l'Homme prendra-t-elle en compte cette spécificité communautaire ? « Il est évident que la Cour de Strasbourg ne peut pas ne pas s'intéresser au droit communautaire dès lors que des droits fondamentaux sont en cause »513. Ainsi, l'adhésion à la Convention entraînera automatiquement une soumission de l'Union à la juridiction de la Cour de Strasbourg et donc une remise « en cause de l'autonomie de l'ordre juridique communautaire et [du] monopole de la Cour de justice »514. Pourtant, l'on sait que la Cour de Strasbourg respecte le droit de l'Union et ses spécificités, l'affaire concernant des discriminations entre ressortissants communautaires et extra-communautaires515 le démontre.

Il n'en demeure pas moins que la Cour de Luxembourg serait le juge de droit commun de la Convention au sein du système communautaire et que la Cour de Strasbourg ne serait saisie qu'en dernier recours. Le Parlement européen a précisé en mai 2010516 que « le rapport entre les deux juridictions européennes n'est pas un rapport de hiérarchie mais de spécialisation ; la Cour de justice de l'Union européenne aura ainsi un statut analogue à celui qu'ont actuellement les cours suprêmes des Etats membres par rapport à la Cour européenne des droits de l'Homme »517. Mais quel est ce rapport actuellement ? A l'heure où de nombreux auteurs posent

511 supra note 382, IMBERT, p.17

512 GARCIA-JOURDAN, Sophie, L'émergence d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice, Bruyant, 2005, 761p, p.75

513 supra note 490, RENUCCI, p.389

514 supra note 444, RENUCCI

515 CEDH, 18 février 1991, Moustaquin c/ Belgique, série A n°193 ; CEDH, 7 aout 1996, C c/ Belgique, req.n°21794/93, JCP 1997 I-4000

516 supra note 372, document de séance du Parlement européen

517 ibid, p.5

la question de savoir si la Cour de Strasbourg ne serait pas devenue un quatrième degré de juridiction518, il est d'autant plus difficile de se conforter dans l'idée que la Cour de Luxembourg ne sera pas hiérarchiquement soumise à la Cour de Strasbourg.

« L'intervention des deux Cours sur un objet commun »519 pourra engendrer des différences de jurisprudence et donc de sentence. La Cour de Luxembourg appliquera la Charte tandis que la Cour de Strasbourg appliquera la Convention, mais le but de la saisine de ces deux Cours reste le même. Les justiciables attendent que le juge constate la violation de la norme de protection des droits fondamentaux dont il doit assurer le respect. Le risque de forum shopping et de divergence jurisprudentielle est d'autant plus fort que

« l'acte national peut en effet être attaqué - simultanément ou successivement - devant la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l'homme. En particulier, un justiciable procédurier pourra exercer un recours devant les deux juges, « utilisant le second comme une instance

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d'appel de la première décision obtenue » ».

Mais la coordination des normes permettra telle la continuité des deux ordres juridiques. En effet, sans la volonté des Cours européennes, il est peu probable que les deux normes puissent coexister convenablement. L'on se tourne alors aux relations existantes entre la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg. En effet, si les deux juridictions se retrouvent aujourd'hui en concurrence pour la protection des droits de l'Homme, quelles relations peuvent-elles entretenir ?

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518 supra note 396 FLAUSS ; De DECAUX, Emmanuel et De TAVERNIER, Paul

519 supra note 448, LE BOT, p.796-797

520 ibid., p.797

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry