§ 2. La place de l'Union au sein de la Cour de
Strasbourg : la nomination du juge
La prise en compte de l'Union au sein même de la Cour de
Strasbourg par l'élection d'un juge a fait l'objet de débat.
La première solution serait la nomination d'un juge
ad hoc pour représenter l'Union à la Cour de Strasbourg.
Mais comment élire un juge ad hoc pour chaque affaire pendante
?411 L'élection d'un juge à part entière semble donc plus
indiquée permettant également de représenter,
conformément à la tradition devant la Cour de Strasbourg, tous
les systèmes juridiques412. Mais quelle sera la place du juge
de l'Union ? Doit-il siéger normalement ou exclusivement pour les
affaires mettant en cause l'Union ?
Selon la procédure instaurée par la Convention,
« les juges sont élus par l'Assemblée parlementaire au
titre de chaque Haute Partie contractante, à la majorité des voix
exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par
la Haute Partie contractante »413. L'Union devra donc
avoir un juge pour la représenter. Depuis l'entrée en vigueur du
traité de Lisbonne, l'Union a démontré qu'elle
s'était dotée d'une représentation uniforme grâce
à un président et à une haute autorité aux affaires
étrangères. Le juge nommé à la Cour de Strasbourg
pourrait contribuer à renforcer cette image.
La difficulté réside cependant dans le fait que
l'Union est composée d'Etats également membres du Conseil de
l'Europe et ayant donc à cet effet déjà un juge à
la Cour. Ceci signifie donc que deux juges risqueraient d'avoir la même
nationalité. Mais la question de la nationalité du juge est un
« faux problème » car tant le système communautaire que
conventionnel n'oblige la nomination d'un juge par nationalité, c'est
uniquement un juge par Etat.
411 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p114, p.11
412 ibid., p.12
413 Article 22 de la Convention
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En outre, l'on peut facilement imaginer des affaires où
un État serait représenté par deux juges, un premier
siégeant au nom de l'État en question et un second au nom de
l'Union. Bien entendu, bien que les juges soient issus dans un premier temps
d'un choix des Etats, ils ne représentent pas ces derniers. La question
de la présence du juge de l'Union se rapproche de la compétence
des juges de la Cour de Strasbourg. En effet, les juges sont nommés par
rapport à un Etat mais se doivent par la suite d'être
indépendants et impartiaux. Pourquoi, dans ce cas, la situation
serait-elle différente pour le juge de l'Union ? Y aurait-il plus de
risque que ce dernier soit moins impartial qu'un juge nommé au nom d'un
Etat ?414 D'autant que des critiques sur l'impartialité des
juges à la Cour de Strasbourg existent
déjà415.
La question de savoir si l'on peut considérer l'Union
comme un État pose une plus grande difficulté. En effet, l'on ne
peut considérer que l'Union soit membre de la Convention sans lui donner
les mêmes droits qu'aux autres membres. Cependant, l'Union est
composée d'Etats qui sont eux-mêmes membres de la Convention. Dans
ce cas, il y aura une sorte de double représentation, qui pourrait
être défavorable aux Etats membres de la Convention mais non
membres de l'Union. Il a été également relevé que
l'Union n'avait pas toutes les qualités de la souveraineté
puisque les Etats n'ont transmis qu'une partie de leur propre
souveraineté à l'Union. De même, les Etats membres de
l'Union ne seraient alors plus totalement des Etats puisqu'ils ne seraient plus
en possession d'une souveraineté pleine et
entière.416
Pour le Parlement européen, l'Union devrait pouvoir
proposer une liste de trois candidats pour la fonction de juge à la Cour
de Strasbourg. Cette liste devrait être élaborée suivant
les modalités suivies au sein de l'Union pour l'élection des
juges de la Cour de Luxembourg, avec la participation du Parlement
européen, ou suivant la nomination des commissaires européens.
L'Union, représentée par la Commission, devrait pouvoir avoir un
droit de vote lors des contrôles de l'exécution des arrêts
de la Cour de Strasbourg par le Comité des Ministres. Enfin, pour
permettre une représentation de l'Union lors de l'élection par
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe du juge
représentant l'Union, des eurodéputés devraient être
autorisés à être présents lors du
vote417.
La nomination d'un juge représentant l'Union est
primordiale pour permettre une réelle intégration de l'Union dans
le système conventionnel. En outre, le système juridique
étant
414 supra note 340, DG-II(2002)006, p.16-17
415 FLAUSS, Jean-François, Actualité de la
Convention européenne des droits de l'homme (septembre
2007-février 2008), AJDA 2008, p.978
416 supra note 345, DOLLAT, point 1131
417 supra note 372, document de séance du
Parlement européen, p.6
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particulier, un juge représentant ce dernier serait
fortement profitable, notamment pour prendre en compte des
particularités communautaires. Enfin, la nomination des juges des Etats
membres a pour objectif de représenter leur système juridique
national et non celui de l'Union. Le rôle du juge de l'Union pourrait
cependant être restreint. En effet, quelle serait la
légitimité d'un juge communautaire pour contrôler la
conformité d'un acte étatique dans un domaine qui n'aurait pas
été transféré à l'Union ? Mais dans ce cas,
l'on peut relever que les domaines de compétences des Etats membres qui
ont été transférés à l'Union n'ont jamais
empêché les juges de ces Etats de siéger à toutes
les affaires portées devant la Cour de Strasbourg. En outre, la
définition des affaires ayant un lien avec l'Union risque d'être
difficilement réalisable, d'autant plus que le droit de l'Union et les
compétences de l'Union évoluent régulièrement.
Faut-il envisager de créer une chambre
spécifique pour l'Union ? « La création d'une telle
chambre risque cependant de donner l'impression que l'UE jouit d'une position
privilégiée vis-à-vis des autres Parties
»418 et allongerait le délai de jugement. Mais dans
le même ordre d'idées, permettre à des juges de
nationalité différente de celles des Etats membres de
siéger à une affaire concernant le droit de l'Union donnerait le
pouvoir à une partie extérieure à l'Union de
déterminer son droit, de façon indirecte419. Pourtant
le système actuel permet à la Cour de Strasbourg de
contrôler le droit de l'Union de façon détournée,
comme nous avons pu le constater.
Mais cette option relève également deux
séries de questions. Premièrement, cette chambre devrait-elle
être composée uniquement des juges de l'Union et de ses Etats
membres ? Deuxièmement, la mise en place d'un tel traitement des
différents portants sur l'Union ne remettrait-il pas en cause le
principe de base de la Convention, c'est-à-dire un jugement collectif
par l'ensemble des Hautes Parties ? La Cour de Strasbourg ne s'est jamais
organisée par rapport aux particularismes des Etats, pourquoi l'Union
disposerait-elle de ce privilège ?
L'adhésion permettra d'attaquer des actes de l'Union
devant la Cour de Strasbourg sur la base d'une violation de la Convention.
« Sans amendement nécessaire du texte actuel de la CEDH,
l'Union pourra participer à la procédure, comme toute autre
partie défenderesse »420.
418 supra note 411, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.12
419 supra note 411 ; KRUGER et POLAKIEWICZ, p.12
420 supra note 345, point 1129
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La procédure classique suivie par les autres parties
sera donc appliquée à l'Union. Une difficulté
apparaît donc également pour « la participation de
l'Union en tant que « Partie co-défenderesse »
»421. Enfin, l'intervention de l'Union en tant que
co-défenderesse lors de requêtes introduites contre un Etat membre
mais pour application d'une norme communautaire pourrait permettre à
l'adhésion de prendre tous ses effets, l'Union pouvant défendre
son droit mais également être liée par la suite à la
décision. Rappelons en effet que les décisions de la Cour de
Strasbourg ne lient que les parties à l'instance et non tous les Etats.
La possibilité de se porter co-défendeur devrait également
être ouverte aux Etats membres dans les cas de requêtes introduites
contre l'Union422.
La difficulté se porte également sur l'article
36 § 1 de la Convention qui prévoit la tierce intervention pour les
Etats ayant un ressortissant comme requérant. L'on peut
considérer que le terme de « ressortissant » couvre celui de
« citoyen ». En effet, l'Union a accordé la citoyenneté
de l'Union aux citoyens des Etats membres. Cette citoyenneté est
directement liée à celle nationale. En l'occurrence, les
ressortissants sont donc déjà protégés par leur
Etat. Serait-il alors profitable de permettre en plus à l'Union
d'intervenir ? D'autant plus que « l'article 36 paragraphe 1
reflète la notion de protection diplomatique et qu'au sein de l'UE, ce
n'est pas l'Organisation mais les Etats membres la composant qui assurent une
telle protection à leurs ressortissants »423.
Mais le plus grave serait qu'en devenant une Haute Partie
contractante, l'Union risque d'être attaquée par des Etats tiers,
conformément à l'article 33 de la Convention. Les Etats membres
ne devraient pas pouvoir utiliser cette démarche contre l'Union puisque
l'article 344 TFUE dispose que « les Etats membres s'engagent à
ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation
ou à l'application des traités à un mode de
règlement autre que ceux prévus par ceux-ci ». Le
protocole n°8 article 3 indique que l'adhésion de l'Union ne pourra
affecter l'article 344 TFUE. Cette disposition permettra à la Cour de
Luxembourg de conserver sa position vis-à-vis du droit de l'Union. Dans
tous les cas, la procédure devant la Cour de Strasbourg est d'avoir
passé toutes les voies de recours internes. La Cour de Luxembourg ne
pourrait donc être délaissé au profit de la Cour de
Strasbourg. Un amendement sur cette question semble cependant superflu puisque
les Etats membres sont dans l'obligation de respecter tant la
421 supra note 345, point 1130
422 supra note 340, DG-II(2002)006, p.14
423 ibid , p.13
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Convention que les Traités communautaires. La
possibilité offerte par la Convention devrait donc s'annuler uniquement
dans les cas mettant en cause l'interprétation du droit primaire.
En outre, revenir sur l'article 33 de la Convention «
remettrait en question un principe fondamental du système
conventionnel : le principe de la garantie collective
»424. Gageons que la requête étatique,
utilisée uniquement dans des cas particuliers, restera lettre morte
contre l'Union.
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