Section 2. La nécessaire prise en compte des
spécificités communautaires par le système
conventionnel
L'adhésion de l'Union à la Convention engendrera
des difficultés quant à l'interprétation de certains
termes aux vues de la spécificité de l'Union [§1].
L'adhésion permettra également un contrôle du droit de
l'Union par la Cour de Strasbourg, à laquelle l'Union devrait participer
[§2]. Le contrôle du respect de la Convention passant
également par celui de l'exécution des arrêts de la Cour de
Strasbourg, l'Union devrait pouvoir participer au Comité des Ministres
[§3].
374 supra note 372, A7-0144/2010, document du Parlement
européen, p.14
375 CHALTIEL, Florence, Le traité de Lisbonne : les
droits fondamentaux, Les Petites Affiches, 10 avril 2008, n°73,
p.10
376 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143, p.154
69
§1. L'inadaptation de certains notions à
l'Union
Le protocole n°8 au Traité dispose que des
modalités pour l'adhésion de l'Union à la Convention
doivent être prises, notamment dans le but « de préserver
les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de
l'Union »377.
Le Comité directeur pour les droits de l'Homme a
relevé en 2002378 trois grands types de dispositions à
prendre dans le cadre d'une adhésion de l'Union à la Convention.
En premier lieu, des amendements à la Convention devront être
pris. En second lieu, les termes de la Convention spécifiques aux Etats
devront faire l'objet d'une interprétation pour une application à
l'Union. Enfin, l'adhésion devra également prendre en compte des
aspects plus techniques, tel que la participation de l'Union au budget de
fonctionnement de la Cour de Strasbourg379.
Le premier point de la Convention qui devait être
amendé est celui de l'article 59 indiquant que seuls des Etats pouvaient
adhérer. L'entrée en vigueur du protocole n°14 à la
Convention, le 1er juin 2010, a permis la modification de cet
article. Il prévoit expressément à son article 17 la
possibilité pour l'Union d'adhérer à la Convention.
Concernant les incohérences de vocabulaire entre la
Convention, écrite à l'origine pour des Etats souverains, et
l'Union, organisation sui generis, certains termes devront être
adaptés par des amendements aux différents articles de la
Convention. Ainsi, les termes se rapportant à la notion d'État
devront être étendus pour prendre en compte également
l'Union. Le préambule devra ainsi être amendé, faisant
directement référence à la notion d' «
État », tout comme l'article 10 et 27 de la Convention
pour ne citer qu'eux. Les références à la «
sécurité nationale »380 et à la
« nation »381 devront également être
amendées.
Mais, « la redéfinition de certains termes
peut s'avérer difficile. Il pourrait donc être
préférable d'adopter une clause générale
d'interprétation ayant pour effet d'indiquer que ces termes se
réfèrent également à l'UE ou sont applicables
mutatis mutandis à l'UE »382.
377 article 1 du protocole n°8 au Traité
378 Conseil de l'Europe, Strasbourg, 28 juin 2002,
DG-II(2002)006 [CDDH(2002)010 Addendum 2], Etude des questions juridiques et
techniques d'une éventuelle adhésion des CE/de l'UE à la
Convention européenne des droits de l'Homme, Rapport adopté par
le Comité directeur pour les Droits de l'Homme
379 supra note 340, DG-II(2002)006, p.4
380 par exemple à l'article 6 et 8 de la Convention,
article 2 du protocole additionnel à la Convention n°4
381 par exemple à l'article 7 et 15 de la Convention
382 IMBERT, Pierre-Henri, De l'adhésion de l'Union
européenne à la CEDH - symposium des Juges au Château de
Bourglinster - 16 septembre 2002, Droits fondamentaux, n°2,
janvier-décembre 2002, p11-19, p13
70
La modification des termes de la Convention pourrait
s'effectuer au sein même de la Convention ou plus simplement par une
clause générale d'interprétation qui permettrait de
prendre en compte les dispositions particulières liées à
la qualité juridique de l'Union.
Mais c'est bien entendu la place de l'Union au coeur des
organes de contrôle de la Convention qui sera une difficulté
à surmonter.
Il est également à noter que des droits
particuliers reconnus par la Convention seront difficilement applicables
à l'Union. « La question d'un éventuel déficit
démocratique de l'Union »383 pourrait constituer
une violation de la Convention.
« La notion de « déficit
démocratique », selon une première acception, renvoie
à l'écart qui s'est creusé entre les pouvoirs
transférés à l'UE et l'efficacité des
procédures de surveillance et de contrôle du Parlement
européen »384. Cette conception se limite donc
à une seule institution alors même que l'Union est composée
de multiples organes permettant la création du droit de l'Union et d'une
démocratie indirecte.
Pourtant, les pouvoirs conférés au Parlement
européen n'ont cessé de s'étendre au fil des
révisions et de la construction communautaire. En outre, de nouvelles
voies ont été introduites au profit des citoyens de l'Union,
telle que le droit de pétition au Parlement
européen385.
Le fait que le Parlement européen soit élu au
suffrage universel direct par les citoyens de l'Union depuis 1979 ne semble pas
suffire à dissiper ce doute. Pourtant, ses pouvoirs et
compétences se sont renforcés au fil de la construction
communautaire, notamment avec le Traité de Lisbonne. Ainsi, la
procédure ordinaire lors du vote d'une norme communautaire est devenue
la codécision. En outre, dans le domaine délicat de la
coopération policière et judiciaire en matière
pénale, le Parlement a acquis un rôle de co-législateur
alors qu'il demeurait cantonné auparavant à un rôle
consultatif. Plus généralement, le Traité de Lisbonne
renforce la démocratie participative au sein de l'Union en
élaborant un droit d'initiative populaire386 et renforce la
place des Parlements nationaux387.
383 supra note 345, DOLLAT, point 176
384 BELORGEY, Nicolas, Les origines de la légitimation
non démocratique de l'Union européenne, Cités
2003/1, n°13, p.67-79, p.67
385 article 227 TFUE
386 article 11, §4 TUE
387 article 12 TUE
71
Par l'arrêt Matthews, la Cour de Strasbourg
indique au sujet du Parlement européen qu'il est « la partie de
la structure de la Communauté européenne qui reflète le
mieux le souci d'assurer au sein de celle-ci un régime politique
véritablement démocratique »388 et que le
Parlement européen peut être considéré comme un
« corps législatif » au sens de l'article 3 du Protocole
additionnel n°1 à la Convention389.
La difficulté de la conception de la démocratie
au sein de l'Union repose sur deux préceptes. En premier lieu, la
souveraineté doit appartenir au peuple. Cette souveraineté a
longtemps été limitée à une démocratie
indirecte, représentée par les chefs d'Etat et de gouvernement
des Etats membres et par des parlementaires nationaux. L'élection de ses
représentants était liée au processus de chaque Etat. La
mise en place d'un Parlement européen élu au suffrage universel
direct et l'extension de ses compétences ont permis de réduire
les critiques dans ce domaine. Cependant, l'on en vient aujourd'hui à
remettre en cause la démocratie au sein de l'Union par le fait que le
socle de la démocratie dans l'Union n'existe pas. En effet, bien que les
institutions de l'Europe soient issues d'élection, « il faut
aussi et avant tout qu'il y ait un « peuple »,
c'est-à-dire une communauté d'hommes et de femmes adhérant
suffisamment aux mêmes valeurs et au même projet politique pour
constituer une nation »390. La Charte revendiquant dans
son préambule des peuples de l'Europe et non un peuple, le professeur
Gilles Lebreton en déduit qu'il n'y a pas de peuple européen et
donc pas de démocratie au sein de l'Union391. De même,
selon la Cour constitutionnelle allemande, « il n'existe pas de peuple
européen, sujet d'une démocratie européenne
»392.
L'article 35§2 de la Convention indique que les
requêtes « précédemment examinée par la
Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement » sont rejetées. Dans
ce cas, les requêtes ayant déjà étaient soumises
à la Cour de Luxembourg peuvent-elles être examinées par la
Cour de Strasbourg ? Pour se faire, la Cour de Strasbourg devrait
considérer la Cour de Luxembourg comme faisant partie des voies de
recours internes, comme précisé par l'article 35§1 de la
Convention. Bien que la Cour de Luxembourg soit compétente pour
résoudre les conflits liés au droit de l'Union, et que la
procédure des questions
388 arrêt Matthews, §52
389 arrêt Matthews, §54
390 LEBRETON, Gilles, Critique de la Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, Recueil Dalloz, 2003,
p.2319
391 ibid.
392 CHALTIEL, Florence, Le Traité de Lisbonne devant la
Cour constitutionnelle allemande : conformité et démocratie
européenne (A propos de la décision du 30 juin 2009), Les
Petites Affiches, 23 juillet 2009, n°146, p.4
72
préjudicielles lui donne un lien direct avec les
juridictions nationales, il est cependant difficile de considérer que la
Cour de Luxembourg puisse faire partir, à part entière, du
système juridique interne des Etats membres, à moins de ne la
considérer alors comme un quatrième degré de juridiction.
D'autant plus que « l'Europe, en particulier les deux plus importantes
organisations européennes que sont le Conseil de l'Europe et l'Union
européenne, a donné naissance, sous différentes formes,
à un ordre juridique intermédiaire, ni purement interne, ni
purement international »393.
Certains auteurs affirment que la Cour de Luxembourg serait
soumise à la Cour de Strasbourg et considérée comme une
juridiction interne394, tandis que d'autres rappellent le fait que
le système conventionnel est basé sur une coopération
entre les juridictions et non à une
hiérarchisation395. Pourtant, l'évolution de la place
de la Cour de Strasbourg vis-à-vis des juridictions nationales laisse
présager des difficultés en la matière396.
Les requêtes devant la Cour de Strasbourg doivent
répondre à des critères stricts pour être retenues.
Le principe de subsidiarité a été intégré au
sein de l'article 35 de la Convention, « la Cour ne peut être
saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel
qu'il est entendu selon les principes de droit international
généralement reconnus, et dans un délai de six mois
à partir de la date de la décision interne définitive
»397. La violation de la Convention doit avoir
été alléguée lors de ces différents recours,
« au moins en substance »398. Cette
procédure permet aux Etats de réparer leurs erreurs, jusqu'au
dernier recours possible. L'interprétation de «
l'épuisement des voies de recours internes » doit
être stricte. En effet,
« il s'agit d'une condition de recevabilité
qui renferme, en fait, une règle de compétence : un État
n'a accepté de répondre de ses actes devant la Cour que dans la
mesure où les autorités nationales ont eu, au préalable,
la
393 BERGE Jean-Sylvestre et ROBIN-OLIVIER Sophie,
Introduction au droit européen, Thémis droit, PUF, 2008,
1ère édition, 551p ; p.29 point 18 et 19
394 supra note 390, LEBRETON
395 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143 ; PECHEUL, Armel, La Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, RFDA, 2001, p.688
396 FLAUSS, Jean-François, actualité de
la Convention européenne des droits de l'homme (novembre 1998- avril
2000), AJDA 2000, p.526 ; De DECAUX, Emmanuel et De TAVERNIER,
Paul, Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme Journal du droit international (Clunet) n° 3, Juillet 2008, chron.
5 ; FLAUSS, Jean-François, Actualité de la Convention
européenne des droits de l'homme (février-juillet 2004),AJDA
2004, p.1809
397 Art 35§1 de la Convention
398 CEDH, 19 mars 1991, Cardot c/ France, requête
n° 11069/84, point 34
73
possibilité de redresser la situation
dénoncée dans leur ordre juridique interne et avec les ressources
qui y sont prévues. »399
Cette règle devra également être
appliquée à l'Union et la Cour de Luxembourg devra donc avoir
rendu une décision avant que la Cour de Strasbourg ne soit saisie. La
Cour de Strasbourg contrôlera donc la décision, ou l'ordonnance,
rendue par la Cour de Luxembourg. Faudra-t-il attendre, dans le cas d'un
jugement du Tribunal de Première Instance, la décision de la Cour
de justice ou la décision du Tribunal sera-t-elle
considérée comme étant du dernier degré ? En outre,
le recours préjudiciel entre le juge national et la Cour de Luxembourg
devra-t-il être pris en compte pour permettre à cette
dernière d'avoir tranché le conflit existant ?
La Cour de Strasbourg a jugé concernant le refus de
saisir la Cour de Luxembourg d'une question préjudicielle que ce refus
« opposé par une juridiction nationale, appelée à
se prononcer en dernière instance, puisse porter atteinte au principe de
l'équité de la procédure,[...], en particulier lorsqu'un
tel refus apparaît entaché d'arbitraire »400.
Pourtant, la Cour de Strasbourg ne vérifie pas systématiquement
que le renvoi préjudiciel a été
effectué401.
Dans le cas précis du renvoi de décisions de la
Cour de Luxembourg devant la Cour de Strasbourg, cette dernière
« ne pourrait en aucun cas être
considérée comme une juridiction supérieure mais
plutôt comme une juridiction spécialisée exerçant un
contrôle externe sur le respect par l'Union des obligations de droit
international découlant de son
adhésion à la convention européenne des
droits de l'Homme »402.
Le fait d'être considéré comme une
juridiction interne par la Cour de Strasbourg ne devrait cependant pas nuire au
prestige de la Cour de Luxembourg. En effet, les Cours constitutionnelles
nationales sont soumises à la juridiction conventionnelle, ce qui ne
remet en aucun cas en cause leur importance et leur valeur.
399 Art. 567 à 621, Fascicule 20 : CONVENTION
EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS
FONDAMENTALES. - Juridiction : organisation et procédure ;
JurisClasseur Procédure pénale, mise à jour 11
avril 2005, point 26
400 Commission EDH, 22 juin 2000, Coëme et autres c/
Belgique, n°32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, point
114
401 POTTEAU, Aymeric, A propos d'un pis-aller : la
responsabilité des Etats membres pour l'incompatibilité du droit
de l'Union avec la Convention européenne des droits de l'homme,
Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p.697
402 supra note 345, DOLLAT, 1 point 1128
74
La place de l'avocat général au sein de la Cour
de Luxembourg pourra également être remise en cause, ces derniers
étant « soustrait statutairement au principe du contradictoire
»403 ce qui est contraire à la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg concernant l'article 6 de la Convention. L'avocat
général a une place prépondérante durant la
procédure devant la Cour de Luxembourg. En effet, il présente ses
conclusions, basées sur l'interprétation du Traité, qui
permettent de mettre fin à la procédure orale. L'avocat
général est impartial et indépendant, il propose une
réponse à l'affaire en cause devant la Cour de Luxembourg. Il
fait parti intégrante de l'institution de la Cour de Luxembourg et ne
représente en aucun cas une partie à l'instance.
Etant donné la position particulière de l'avocat
général, la Cour de Luxembourg a jugé, dans l'ordonnance
Emesa Sugar404, que la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg dans l'affaire Vermeulen c/ Belgique405 ne
pouvait s'appliquer à l'organisation de la Cour de Luxembourg et
particulièrement à l'avocat général. En effet, le
statut même de l'avocat général précise son
indépendance406. En outre, l'avocat général ne
participe pas au délibéré de la Cour de Luxembourg et
n'est pas soumis hiérarchiquement aux juges de la Cour407.
Cependant, un rapprochement avec la fonction de commissaires
du gouvernement en France a été relevé408. La
Cour de Strasbourg a d'ailleurs, un mois après l'ordonnance de la Cour
de Luxembourg qui démontrait que le rôle de l'avocat
général ne violait pas l'article 6 de la Convention et ainsi le
principe de l'égalité des armes et du contradictoire, jugeait
dans l'affaire Kress409 que le rôle du commissaire du
gouvernement auprès du Conseil d'État n'était pas en
adéquation avec les principes d'un procès équitable.
« La pratique de la Cour de justice devrait
évoluer vers un accroissement de la garantie du contradictoire. A
défaut, l'autorité et la légitimité de ses
arrêts risquent d'être remises en cause devant les autorités
nationales et internationales »410.
403 PESCATORE, Pierre, Etudes de droit communautaire
européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p,
p.884
404 CJCE, ordonnance du 4 février 2000, Emesa
Sugar, aff. C-17/98, Rec., p. I-665
405 CEDH, 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique,
Rec.1996-I
406 article 252 § 2 TFUE
407 SPIELMANN, Dean, Cour de justice des Communautés
européennes, 4 février 2000, Revue trimestrielle de droits de
l'Homme, 2000, p.581-615, p. 589
408 ibid, p.590
409 CEDH, 7 juin 2001, Kress contre France, Req. no
39594/98.
410 Op.cit. SPIELMANN, p. 612
75
De nombreuses questions restent ainsi en suspens. Pourtant une
des grandes difficultés de l'adhésion est également la
prise en compte de l'Union au sein même de la Cour de Strasbourg. L'Union
devenant membre à part entière de la Convention, des droits
équivalents à ceux accordés aux Etats membres devraient
lui être consentis.
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